Le chat comme représentation de la femme

 (Comparaison entre trois œuvres de la littérature française)

Introduction

Les animaux et leurs comportements ont toujours fait l’objet de l’attention de l’homme. Pour pouvoir se nourrir, assurer sa subsistance, pour une bonne convivialité avec eux, l’homme a dû les observer. Il a fait alors des associations et autour de chaque animal un imaginaire a été créé dans chaque culture, à des époques déterminées. Des symboles ont surgi : quelques-uns très caractéristiques d’un peuple, et d’autres plutôt universels et résistant au temps.

L’art a toujours représenté les animaux. Avec le temps, ces représentations ont acquis des nuances : Esope, fabuliste grec, parlant par paraboles, a utilisé l’image des animaux pour dénoncer les faiblesses humaines.

Depuis Esope, les animaux doivent se prêter, sur le mode de la parabole, à la dénonciation des faiblesse humaines. Non seulement dans les fables et les contes : dans l’art aussi, la tradition des animaux anthropomorphes (= à la ressemblance de l’homme) est longue. Ainsi Grandville a-t-il fait la caricature de qualités humaines sous le masque d’animaux. [1]

Les animaux de compagnie, comme le chien et le chat, ont une particularité par rapport aux autres : ils font partie de l’intimité de la maison et deviennent des êtres auxquels les humains peuvent très facilement s’attacher, voire s’identifier.

Compagnons les plus assidus des humains, les chats et les chiens ont accédé à notre mémoire culturelle : dessinés, ou décrits, chantés ou devenus eux-mêmes

narrateurs ; représentants symboliques, substituts humains, amis animaux, ils sont notre visage au miroir, la fourrure en plus. [2]

Objectif du travail

C’est justement l’un de ces animaux qui sera le sujet de ce travail : le chat.

L’objectif est de faire une brève analyse sur le chat (ou la chatte) représentant la femme dans quelques œuvres de la littérature française.

Trois œuvres ont été choisies : la fable « La chatte métamorphosée en femme », de Jean de La Fontaine, le poème « Le chat », de Baudelaire et le roman « La chatte », de Colette. Dans les trois textes, il existe un rapport entre chat et femme.

La première partie de ce travail considère l’histoire du chat et son symbole, la deuxième présente les œuvres citées ci-dessus et la dernière propose une analyse comparative de ces trois textes concernant l’association chat et femme.

I) Le chat, un symbole qui remonte à l’antiquité

1.1- Histoire du chat
Dans l’Ancienne Egypte

Le chat domestique est issu du  » Chat Ganté  » (Félis Lybica), ou chat sauvage d’Afrique. Ce dernier serait venu au contact des hommes pour rechercher de la nourriture et de la chaleur. Entre le 30ème et le 20ème siècle avant Jésus-Christ, les Egyptiens apprivoisent cet animal qui devient membre intégrant des familles. Le chat devient le protecteur des récoltes du blé. Il servait a éliminer les souris et les rats (responsables de la propagation de la peste).

Cet animal se fait aimer, fait partie du foyer et est bientôt considéré comme sacré. Les Egyptiens lui donnent le nom de Miw. Quand un chat de la maison mourait, ses maîtres prenaient le deuil ; on l’embaumait, puis on le momifiait et on l’emmenait à la Nécropole des chats. Le chat est désormais protégé par des lois sévères: tuer un chat était un crime puni par la mort, l’injurier était un fait grave. Il était aussi illégal de sortir un chat d’Egypte.

Les Egyptiens voyaient en lui une incarnation de la déesse Bastet. Cette déesse, à la fois solaire et lunaire, régnait sur la fertilité, la guérison et les plaisirs de la vie : la tranquillité, la musique, la danse, la solidarité, la maternité et l’amour.

Propagation du chat

Les marins Egyptiens (1600 avant J.-C.) emportaient des chats sur leurs bateaux pou porter chance et aussi pour tuer les souris et les rats qui étaient à bord, protégeant ainsi les réserves de marchandises. Ils donnaient quelques chatons lors des étapes commerciales en Orient et en Asie.

Le chat a été introduit en Europe par des marins phéniciens (1600 avant J.-C.), par les Romains (30 ans avant J.-C. l’Egypte est devenue une province de l’empire Romain) et les migrants.

Le chat au Moyen-Age

Au Moyen-Age (de 476 à 1453), l’église catholique étant contre le paganisme associé à l’image du chat, elle le considère comme un animal maléfique. Pendant près de cinq siècles, des chats seront exterminés. Lors des exterminations massives de chats, la peste s’est facilement répandue à cause de la prolifération des rats.

Si une femme avait un chat, elle pouvait être accusée de sorcellerie, ensuite brûlée vive avec son animal. Des centaines de femmes ont été accusées, des milliers de chats ont été brûlés.

Au XIIe siècle, on le rencontre dans les farces et les fables ; par exemple dans le « Roman de Renart » où figure le chat Tibert, incarnant la fourberie, la cruauté et la ruse à l’égal de Renart. Les histoires de sorcellerie foisonnent également de chats.

Actuellement

Durant les années 1790, la chasse aux sorcières a été abolie. On a pu prendre à nouveau conscience des profits liés au chat et l’aimer comme compagnon domestique. Sa popularité grandit alors avec le passage du temps.

Le chat et les arts 

Le chat a inspiré des artistes dans tous les domaines, à toutes les époques : peintres – Edouard Manet, Félix Valloton , George Stubbs, Pierre Auguste Renoir , Amédée Daille ; écrivains – Perrault, Colette, Champfleury, Mérimée, Rostand, Vian, Jean Cocteau, Steinlem, Victor Hugo, Gautier, Balthus, Leonor Fini et Baudelaire ; sculpteurs ; musiciens.

1.2- Le chat, sa valeur symbolique et le féminin

Voici des extraits du « Dictionnaire de symboles »[1] :

« Le symbolisme du chat est très hétérogène, oscillant entre les tendances bénéfiques et maléfiques ; ce qui peut s’expliquer simplement par l’attitude à la fois douce et sournoise de l’animal. C’est, au Japon, un animal (…) capable de tuer les femmes et d’en revêtir la forme.

L’Egypte ancienne vénérait, sous les traits du Chat divin, la déesse Bastet, comme une bienfaitrice et une protectrice de l’homme. »

L’image du chat est associée à la fois à des éléments positifs et à des éléments négatifs. Il peut représenter les maléfices, la sorcellerie, un être peu fiable, ainsi que la sensualité ou l’affectivité.

Le chat est aussi associé à l’image de la femme. Dès l’ancienne Egypte, on peut vérifier ce fait.

Dans la mythologie scandinave, le chat est associé à la déesse de l’Amour, Freyja, souvent représentée conduisant un char tiré par des chats.

Je transcris un fragment d’un travail trouvé sur Internet, sur le site http://nath.sortilege.org/chat3.html (je n’ai pas trouvé le nom de l’auteur), c’est moi qui souligne :

« Ce qu’il y a de remarquable, avec les super-héros félins, c’est que ce sont presque toujours des super-héroïnes. De la même façon, ce sont des femmes-chats que l’on trouve sur l’Île du docteur Moreau, de Wells. Cette association symbolique entre la femme et le chat n’est pas un simple hasard. Les premières déités félines, Bastet et Freyja, n’étaient-elles pas des déesses ? Et des déesses typiquement féminines, symbolisant l’une la fécondité et la fertilité, et l’autre la volupté et la luxure ? L’ argot ne nomme-t-il pas « chatte » ou « minou » le sexe féminin ?

Le chat, substitut affectif et équivalent sensuel de la femme, compagnon privilégié des solitaires…

Mais le lien symbolique entre la femme et le chat ne se limite pas à la sensualité ou au rapport affectif. Pour le comprendre, il faut se rappeler que les chats ont pénétré les foyers humains après la grande révolution du néolithique et le passage aux civilisations agraires. Qui dit grains, dit rongeurs, et qui dit rongeurs, dit chats. Ce rôle « social » du chat est confirmé par la plupart des mythes d’origine le concernant. Pour les musulmans, par exemple, le chat est né de l’éternuement des lions, alors que l’arche de Noé commençait à être infestée par les souris et les rats, qui se reproduisaient beaucoup trop vite. Au Viêt-nam, on dit que le premier chat fut un cadeau du Ciel, pour combattre les rongeurs qui détruisaient les grains. Dès lors, le chat endosse le rôle d’une déité de la terre et des récoltes, de l’opulence et de la fertilité – autant de fonctions que la plupart des cultures associent à la sphère féminine, parce que c’est la femme qui donne vie et qui allaite. »

Dans « Chiens et chats littéraires »[2] (déjà cité), on vérifie que l’auteur est également d’accord sur l’association entre chat et féminité quand il compare chien et chat :

« Dès le moyen âge, en effet, le chien relève d’un registre positif et masculin qui associe entre autres, la terre. Le soleil, la pluie, le jour, la vie, l’or et l’argent, tandis que le chat règne sur le domaine plus équivoque et féminin de l’eau, de la lune, de la grêle, de la nuit, de la mort, du cuivre et du plomb. »

Dans le travail déjà cité trouvé sur Internet [3], on remarque aussi une observation très intéressante de l’auteur, quand il dit que le double sens du chat est en rapport direct avec les caractéristiques féminines, dans la mesure où la femme est aussi un être qui peut symboliser les extrêmes, des caractéristiques opposées qui peuvent être comparées à celles de la personnalité du chat :

« Nous avons constaté jusque-là que le chat était associé à la magie, au symbolisme du feu et au symbolisme féminin. Or, ces trois éléments ont en commun d’être extrêmement ambigus : la magie peut être blanche ou noire, bénéfique ou maléfique ; le feu est le fondement de l’humanité, mais reste néanmoins dangereux et destructeur ; la femme enfin, qui donne naissance, nourrit, accueille, est regardée avec une certaine méfiance (voire plus) à partir du moment où les sociétés accumulent des biens et où les hommes veulent être assurés du lignage de leurs héritiers. Cette bivalence va bien évidemment se retrouver dans le symbolisme du chat – au point que Buffon, dans son « Histoire naturelle», lors d’une crise d’anthropomorphisme particulièrement gratinée, l’accusera d’avoir « une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers »…

Mais il est aisé de voir que le symbolisme du chat est ambigu dès l’origine, c’est-à-dire même dans les mythes les plus anciens, où il est globalement valorisé. Ainsi, en Egypte, Bastet symbolise les aspects bienveillants de la puissance de Râ – mais elle est aussi la soeur de Sekhmet, la déesse-lionne de la mort et de la destruction, dont certaines légendes rapportent qu’elle fut créée par Râ dans le but de punir l’humanité de ses péchés. »

II) Présentation des auteurs et des œuvres

Les trois textes analysés sont : la fable « La chatte métamorphosée en femme », de Jean de La Fontaine, le poème « Le Chat », de Baudelaire et le roman « La chatte », de Colette.

  • La Fontaine (1621-1695) – XVIIème siècle

Avec La Fontaine, les fables connaissent leur expression la plus parfaite. Ses fables réussissent à présenter plusieurs caractéristiques à la fois :

la dramatisation (les plus développées ont même exposition, nœud et dénouement)

– Il peint les caractères des bêtes et des gens : le fourbe – le renard, l’avare – la fourmi, les grandes puissances (la monarchie) – le lion, le tigre. Il peint aussi les mœurs de son époque, comme on peut le voir, par exemple, dans la fable « Les obsèques de la lionne », où il parle des habitudes des courtisans envers le roi. La comédie prend ainsi l’allure d’une comédie satirique qui n’épargne même pas le roi. [4] De plus, il y a la présence de dialogues très vivants et qui varient selon le caractère du personnage.

Caractère poétique – La Fontaine choisit le détail pour suggérer des analogies entre les caractéristiques des animaux, celles des humains et des choses, avec beaucoup d’expressivité. La versification est souple et variée, et les fables sont mélodiques.

Message moral – Dans les fables il y a la présence de la morale, à la fin. Chez La Fontaine, quelques-uns de ces messages ont même donné leur origine à certains proverbes.

La chatte métamorphosée en femme

Illustration de Gustave Doré

« Un homme chérissait éperdument sa Chatte ;
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d’un ton fort doux.
Il était plus fou que les fous.
Cet Homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes,
Fait tant qu’il obtient du destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d’amour extrême,
De fou qu’il était d’amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son Favori
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l’amadoue, elle le flatte ;
Il n’y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l’erreur jusqu’au bout,
La croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.
Aussitôt la femme est sur pieds :
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, femme d’être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point :
Car ayant changé de figure,
Les souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli :
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.
Quelque chose qu’on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d’étrivières
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n’en serez les maîtres.
Qu’on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres. »

La Fontaine

 

  • Baudelaire (1821-1867) – XIXème siècle

Romantique, parnassien, réaliste…Baudelaire défie les classements vu qu’il occupe une place à part dans son époque et dans la littérature de tous les temps. Il exprime sa souffrance d’une manière très originale et hardie ; il souffre d’une sorte de « mal du siècle » : le « spleen ». Il est aussi considéré comme le père de la poésie moderne.

Les poèmes de ses « Fleurs du mal » ont été jugés immoraux et le livre a été attaqué en justice, ce qui l’a beaucoup affecté, mais qui ne l’a pas empêché d’en publier une seconde édition augmentée.

Revenant aux chats… Baudelaire aimait les chats. Il a écrit quelques poèmes sur cet animal. L’un d’entre eux a marqué l’histoire de la littérature : le sonnet « Les Chats » qui, un siècle après sa parution, a déclenché une vive controverse entre critiques littéraires sur les méthodes interprétatives. [1]

Le chat – Les Fleurs du mal (XXXIII)

Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.

Charles Baudelaire

 

  • Colette (1873-1954) –  première moitié du XXème siècle,

Colette était très en avance pour son époque (on pourrait même dire pour aujourd’hui). Elle a eu une vie très agitée : mariages, divorces, remariage. Elle a aussi travaillé dans le music-hall. La période entre les deux guerres a été celle du plein épanouissement de son art, celle où l’on trouve ses chefs-d’œuvre.

La romancière tire de l’observation du monde une sorte de sérénité païenne qui lui permet d’interpréter sa vie (Le Fanal bleu, 1949) et celle de ses héroïnes (Chéri, 1920) avec un lyrisme plein d’optimisme. [2] Elle aborde des thèmes comme ses souvenirs d’enfance et des méditations poétiques (La maison de Claudine, La naissance du jour, Sido) et aussi les études des problèmes d’amour, comme la jalousie (La Chatte, Duo) ou les « jeux interdits » (Le Blé en herbe).[3] Dans l’après-guerre, elle été chargée d’honneurs.

Colette aimait beaucoup les chats. Ils apparaissent dans plusieurs de ses œuvres. Au vingtième siècle Colette est l’auteur « félin» par excellence.[4]

Elle a décrit avec réalisme le monde des bêtes ; elle versera, en revanche, dans l’anthropomorphisme en ce qui concerne les chats dénommés One and Only, la Chatte Dernière, Kapok, Mini-Mini… Colette illustre le manque de pudeur du chat (« la Maison de Claudine » : « Elle se roule, chemine sur le dos et le ventre, souille sa robe, et les matous avec elle avancent, reculent comme un seul matou. »).[5]

La Chatte (1933)

Le roman décrit la relation entre Alain, fils de grand bourgeois qui vit avec sa mère, et la chatte Saha, dans une maison avec jardin, à Neuilly, et sa jeune femme Camille. L’inclination d’Alain pour Saha éveille la jalousie de son épouse, qui voit la chatte comme une rivale. Peu à peu, à travers Saha, Alain se rend compte des fautes de sa relation avec Camille. Camille pousse la chatte du balcon, mais Saha s’en sort bien. C’est la fin de leur mariage qui, d’ailleurs, n’allait pas bien et n’a duré que trois mois. Il rentre chez sa mère avec Saha.

III) Chat et femme : analyse comparative des trois textes

On a déjà parlé de ce que le chat peut représenter, de ses diverses symboles contradictoires et de son association à l’image de la femme. Maintenant, on illustrera tout ce qui a été présenté jusqu’ici par les textes que nous avons choisi de comparer.

Dans la fable de La Fontaine « La chatte métamorphosée en femme » le maître de la chatte utilise la magie pour la faire se transformer en une femme. Il y réussit et devient follement amoureux d’elle. Une nuit, elle ne résiste pas à la tentation : elle profite de ce que les souris ne la reconnaissent plus et, se mettant en posture de chasse, elle les cherche. La source de cette fable, c’est « La Chatte et Aphrodite », d’Esope. Un jeune homme, tombé amoureux d’une chatte, prie Vénus de la transformer en femme. La déesse y consent mais met la fille à l’épreuve en faisant apparaître une souris dans la chambre.

La morale de cette fable est qu’il ne sert à rien d’essayer de changer la personnalité de quelqu’un, parce que, à la première occasion, les traces de sa vraie personnalité apparaîtront.

Dans le poème de Baudelaire, « Le Chat », il pense à son aimée en caressant le chat. Il fait des comparaisons entre elle et l’animal.

Dans les deux textes, le chat éveille le sentiment amoureux et la sensualité, qui sont des caractéristiques également liées à la femme. L’homme de la fable trouvait sa chatte « mignonne », « belle » et « délicate », « qui miaulait d’un ton fort doux ». Elle était une chatte, mais éveillait en lui le sentiment d’amour, la folie : il fallait la transformer en femme pour réaliser cet amour. Dans le texte de Baudelaire, le narrateur n’arrive pas jusque là, mais pense profondément à la femme aimée en caressant avec plaisir le corps « électrique » du chat. Il compare les deux êtres, cet « air subtil » : la perspicacité, la finesse, l’ingéniosité communs aux chats et aux femmes qui sont un mystère pour les hommes, ainsi que ce regard « profond et froid, coupe et fend comme un dard » : la secrète maîtrise de soi, caractéristique de ces deux êtres.

Dans le roman de Colette, « La Chatte », c’est une femme qui écrit, contrairement aux deux textes antérieurs, écrits par des hommes. C’est la vision d’une femme par rapport à cet animal. C’est là que l’on trouve l’aspect intéressant : l’association de la chatte avec la féminité est aussi présente, fortement visible, d’ailleurs. La chatte, d’être désirée, devient la rivale de la femme – ce qui les met sur un pied d’égalité.

Alain aime sa chatte, elle fait partie de sa maison, de son « royaume », si difficile à quitter. Il est confronté à la peur de la femme et à la vie adulte. Il découvre peu à peu, à travers la chatte, que sa relation avec Camille, sa jeune épouse, était pleine de lacunes. De plus, il n’était pas préparé à cette relation. Camille s’aperçoit de sa tendresse envers la chatte, de l’attention que le mari donne à l’animal, de la relation entre les deux, et devient jalouse. Elle essaie de tuer sa rivale : c’est la goutte qui fait déborder le vase, de sorte qu’Alain la quitte.

Tout au long du roman, la chatte est décrite avec des caractéristiques féminines. Par ailleurs, la relation d’Alain avec la chatte est figurée avec des mots qui évoquent la relation entre homme et femme :

« Ah ! Saha, nos nuits… » (p.818)

« Notre chambre, lui disait Alain dans l’oreille. Notre jardin, notre maison… » (p.863)

Il regarda sur sa paume deux petites perles de sang, avec l’émoi d’un homme que sa femelle a mordu en plein plaisir. (p.822)

Et comme une femme, qui sait comment attendrir son homme après la colère, la chatte connaît aussi la façon de toucher le cœur de son maître après l’avoir mordu :

Elle baissa le front, flaire le sang, et interrogea craintivement le visage de son ami. Elle savait comment l’égayer et l’attendrir… (p.822)

Alain peut même faire le chemin inverse, car au lieu de comparer la chatte à la femme, son amour pour l’animal lui fait penser le contraire : il voit dans sa femme des traits de la chatte. Et ainsi l’image de femme et celle de la chatte sont confondues.

Elle [Camille] gisait contre lui, bras et jambes pliés, les mains à demi fermées et féline pour la première fois. (p.831)

Machinalement, il esquissa, sur Camille, une caresse « pour Saha », les ongles promenés délicatement le long du ventre… Elle cria de saisissement et raidit ses bras, dont un gifla Alain qui faillit lui rendre coup pour coup.(p.831)

Avant de quitter Camille, il avait installé Saha sur la terrasse la plus fraîche du Quart-de-Brie, vaguement inquiet chaque fois qu’il laissait ensemble, seules, ses deux femelles.(p.851)

L’infidèle [Alain] retardait son sommeil jusqu’à l’apparition de Saha. Elle venait à lui sur le rebord de la fenêtre. (p.863)

Voici quelques extraits très significatifs de la rivalité entre la femme et la chatte :

Avoue que tu vas voir ma rivale ! (p.832)

Un soir, après le dîner, Saha chevaucha le genou de son ami.                                                       « Et moi ? dit Camille.                                                                                                                       -J’ai deux genoux », repartit Alain.                                                                                        D’ailleurs, la chatte n’osa pas longtemps de son privilège. Avertie, mystérieusement elle regagna la tabla d’ébène poli… (p.841)                                                                                                                                  

Un soir de juillet qu’elles attendaient toutes deux le retour d’Alain, Camille et la chatte se reposèrent au même parapet, la chatte couchée sur ses coudes, Camille appuyée sur ses bras croisés. (p.864)

-Même une femme, continua Camille en s’échauffant, même une femme tu ne l’aimerais pas sans doute autant.                                                                                   -C’est juste, dit Alain. (p.875)

-Toi ,c’est autre chose, tu aimes Saha…                                                                          -Je ne te l’ai jamais caché, mais je ne t’ai pas menti quand je t’ai dit : Saha n’est pas ta rivale… (p.876)

 Conclusion

Femme et femelle, féminité et félinité se confondent…

La littérature avec ses jeux de mots, sa possibilité de double interprétation, ses comparaisons et métaphores, permet l’exploration de l’association symbolique entre femme et chat.

Dans les arts – et même dans le sacré de certaines cultures – chat et femme sont perçus comme ayant des traits communs. La déesse Bastet, vénérée dans l’Ancienne Égypte, symbolise la plénitude ainsi que la fécondité. Dans la mythologie scandinave, le chat est associé à la déesse de l’Amour, Freyja, souvent représentée conduisant un char tiré par des chats.

Même la notion de dualité est commune à la femme et au chat : considérés comme adorables ou redoutables, comme des anges ou comme la tentation et la magie, comme l’image de la douceur ou de l’agressivité, comme la fragilité ou la force sauvage. La femme et le chat ont toujours été un mystère lié à l’inconnu et à la sensualité dans l’imaginaire des hommes.

***

Notes

[1] Id. note 1, page 12.

[2] LECHERBONNIER, Bernard et alii. Histoire de la littérature française .Paris :Nathan, 1984.

[3] Id. note 6.

[4] Id. note 1, page 12.

[5] L’encyclopédie Aniwa, Internet, http://www.aniwa.com/renvoie.asp?type=1&lang=1&cid=8783&id=100603&animal=2&com=1

[1] CHEVALIER, Jean. Dictionnaire des symboles. Paris : Robert Lafont, 1982.

[2] Id. note 1, p.43.

[3] http://nath.sortilege.org/chat3.html

[4] BRUNEL, Pierre & HUISMAN, Denis. La littérature française des origines à nos jours. Paris : Vuibert, 2001.

[1] Archives littéraires suisses . Chiens et chats littéraires. Editions Zoé, Carouge-Genève et Office fédéral de la culture, Berne, 2001. p. 293.

[2] Id. note 1, p.7.

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Table des matières

Introduction
I) Le chat, un symbole qui remonte à l’Antiquité
1.1- L’histoire du chat
  • Dans l’Ancienne Egypte
  • Propagation du chat
  • Le chat au Moyen-Age
  • Actuellement

Le chat et les arts

1.2- Valeur symbolique et le féminin
II) Présentation des auteurs et des œuvres
  • La Fontaine
  • Baudelaire
  • Colette
III) Chat et femme : analyse comparative des trois textes
Conclusion

Bibliographie

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Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté par Mme Giselle CASTELO

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

Mars 2004

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY