INTRODUCTION
A MON FRERE
LE DOCTEUR PIERRE MAURIAC
PROFESSEUR AGREGE A LA FACULTE DE MEDECINE DE BORDEAUX
Je confie ces malades en témoignage de ma tendre admiration.
F.M.
Telle est la dédicace de « Genitrix ». François Mauriac nous avertit donc d’emblée que les protagonistes de « Genitrix » sont des malades, suggérant ainsi que leur état relèverait de la médecine. Son roman nous plonge dans un univers pathologique dont l’investigation est le sujet de cette étude.
La maladie est le signe visible de la souffrance morale; autrement dit, la maladie est un langage, le langage du corps souffrant, qu’il s’agit de décrypter car son contenu n’est pas manifeste ou immédiat, mais latent ou symbolique.
Dans ce but, nous analyserons d’abord les symboles qui se cachent derrière la maladie; ensuite, le lien entre le physiologique et le psychologique sera établi avec l’inventaire des maladies psychosomatiques; enfin, l’importance du monde pathologique chez Mauriac sera mise en évidence grâce à l’analyse de son univers sémantique.
Et l’on découvrira alors que « Genitrix », plus qu’un roman sur la religion ou sur l’amour maternel possessif, est en fait, d’abord et surtout, un roman sur la maladie.
LA MALADIE COMME SYMBOLE
Par maladie comme symbole, on peut entendre toute affection qui transcende l’individu qui en souffre, son vécu idiosyncrasique – et accidentel … Ainsi, la maladie élevée au statut de symbole porte la marque de l’auteur dans sa volonté de renvoyer, par-delà les stigmates de l’affection, aux mythes, aux archétypes bibliques et à l’hérédité.
-
Le pied enflé
Dans la mythologie grecque, le « pied enflé » symbolise la malédiction divine jetée sur la famille des Atrides. Le pied symbolise l’âme – son état et son devenir. Le pied vulnérable d’Achille, par exemple, symbolise la vulnérabilité de son âme, sa tendance à la colère.
Oedipe, héros de la tragédie grecque, dont le nom lui-même signifie « pied enflé », est le symbole de « l’homme chancelant entre nervosité et banalisation (1). » Enfant, il a failli être tué par son père, Laios. Grâce au serviteur qui, au lieu de le tuer, l’a remis à des étrangers, Oedipe a échappé à la mort, mais il demeure lié à son destin à l’image de la courroie attachée à ses chevilles percées par son père à sa naissance. Pour surcompenser son infériorité physique, il déploie une recherche active de la supériorité dominatrice : il est proclamé roi – détenteur du sceptre symbolisant à la fois l’autorité suprême et le soutien à ses pieds enflés – et se marie à son insu avec Jocaste, sa propre mère. D’où le complexe d’Oedipe.
A la lumière de ces éléments, Félicité apparaît comme un Oedipe féminin :
1) elle a les pieds enflés :
« Après un débat intérieur, elle quitta sa couche, glissa dans ses savates ses pieds enflés … sortit de la chambre (2). » (p. 44 )
2) elle s’appuie sur une ombrelle (=sceptre) :
« Félicité, d’un geste coutumier, piqua de son ombrelle le vieux cuir de la bête qui rua, puis s’ébranla. » (p.66).
3) elle est représentée comme une « reine » (p.67), qui trône « majestueuse, puissante« (p.77) et dominatrice :
» … pendant un demi-siècle elle avait trôné, sa mère (de Fernand) majestueuse, dominatrice » (pp. 143-144).
4) elle souffre d’une certaine instabilité mentale, due à la lutte permanente qu’elle doit mener pour maintenir sa domination absolue sur son fils et écarter les menaces de sa rivale (Mathilde) :
« Après un débat intérieur, … (Félicité) sortit de la chambre …Dieu seul put voir ce qu’exprimait cette tête de Méduse aux écoutes, et dont la rivale, derrière une porte, râlait. Tentation de ne pas entrer, de laisser ce qui doit s’accomplir … La vieille hésite, s’éloigne, se ravise, tourne le loquet » (p.44).
5) elle est affligée de cécité mentale et morale :
-Pour elle, Fernand est un fils-amant, le « bien aimé« . De son vivant, Félicité a substitué Fernand à son mari :
« Non, aucun rapport entre le besoin insatiable de domination, de possession spirituelle que lui inspirait le bien-aimé de qui pour elle dépendaient toute douleur et toute joie – vie à laquelle était suspendue sa vie – et à cet attachement d’habitude, ce compagnonnage que la mort avait si tôt rompu, sans que la veuve donnât beaucoup de larmes » (p.114).
Par ces menaces face à Mathilde, elle exprime son obsession démoniaque de posséder Fernand : « Vous n’aurez jamais mon fils. Vous ne me le prendrez jamais » (pp.11 et 72).
Les rapports entre les époux sont empreints d’une indifférence réciproque :
» … ce qui lui (Numa) était le plus cher au monde : l’hospice qu’il administrait » (p.114).
« Numa Cazenave était mort seul parce que, cette année-là, Félicité faisait prendre à Fernand les eaux de Salies … » (p.114).
-En revanche, sa jalousie dévorante l’aveugle et la conduit d’abord à « supprimer » Mathilde, pour le moins par négligence bien qu’elle considère qu’elle a fait son devoir, et l’amène jusqu’aux frontières de la folie :
» … elle avait été dans la nuit de l’agonie … une immense joie criminelle s’épanouir » (p.73).
« Elle a fait son devoir, elle n’a rien à se reprocher. Que les destins s’accomplissent » (p.44).
« Une marée de fureur de nouveau la souleva, l’aveugla … « (p.73).
« Les yeux rivés sur ces fenêtres, Félicité souffre comme si l’autre serrait Fernand dans ses bras. Elle se dit à mi-voix : ‘Je suis folle … » (p.80).
On peut montrer le parallélisme entre la mythologie et « Genitrix » de la façon suivante :
– Oedipe ——-> Laios + Jocaste ——-> OEDIPE + JOCASTE
(couple) (nouveau couple
par transgression de l’interdit)
– Félicité ——> Mathilde + Fernand —-> FELICITE + FERNAND
Ce désordre maudit conduit ces deux familles sur la voie de la tragédie.
-
L’hémorragie
Le sang est le véhicule de la vie ; il symbolise toute les valeurs solidaires du feu, de la chaleur et la vie (3). L’opposition entre l’hémorragie qui emporte Mathilde et celle dont Félicité est victime peut être schématisée ainsi :
1 ./
– Mathilde : [stérile)
Hémorragie utérine due à un avortement spontané « inondée du sang de sa fausse-couche » (p.10) « vouée aux accidents » (p.21).
vs
– Félicité : [fertile), « fondatrice de race » (p.21)
Ménopause; tarissement du sang
2./
– Mathilde : meurt d’une rupture de « l’aorte » (p.49)
[c’est le véhicule du sang qui s’est rompu.]
vs
– Félicité : meurt suite à une hémorragie cérébrale
[elle a eu trois alertes :
1) « Elle sentait du froid sur sa face transpirante. Sa vue se troubla. Le sang chuchotait ‘a ses oreilles comme si, dans une coquille, elle eût écouté la mer … sa langue était lourde. Elle ne savait pas si ce qu’elle entendait venait des grillons ou des mouches, ou de ses artères » (p.74).
2) « Félicité entendait son sang par saccades battre – immobile parce que le moindre geste eût peut-être fait signe à la mort » (p.82).
3) »La mère sentait en soi le cheminement horrible de cette parole. Elle devait sa grâce a l’ennemie … « (p.11 8)
« Félicité écoute battre ses tempes … » (p.121) «
‘Que je souffre’ … Sa mère, en proie à un malaise profond, l’appela … aucun son ne sortait de sa gorge … « (p. 123)
-
L’hémiplégie
« Sa mère tombait dans de brefs sommeils … et ronflait laidement, la tête basse, la mâchoire décrochée … dans la face couleur de terre, les yeux s’ouvraient, ternes. La langue sortait un peu de la bouche du côté gauche qui était immobile, l’autre se contractait, grimaçait … » (p.124).
« Sans doute demeurerait-elle paralysée, incapable d’aucune parole (p.127).
3./
– Mathilde : [esprit fertile] ; institutrice qui transmet la connaissance
[l’écriture]; production intellectuelle
vs
– Félicité : [sang] qui donne la vie / [mère castratrice} :
« Il faut pourtant qu’un jour, sur un anneau de de la chaîne vivante, une tache de rouille apparaisse et commence de ronger … la tendresse jalouse de la mère avait rendu le fils impuissant … »(p.88).
Mathilde ne meurt pas de son infection puerpérale, mais d’une défaillance de l’aorte provoquée par une intense agitation à la suite de la dernière visite de son ennemie, et par abandon du désir de vivre.
« Mathilde qui, dans un geste d’exécration, avait levé les deux mains, même après la fuite de l’ennemie, les tint un instant devant ses yeux, stupéfaite qu’elles fussent violacées. Son coeur s’affolait, oiseau qu’on étouffe et dont les ailes battent plus vite, plus faiblement … elle était seule au monde … Elle n’eut pas à se détacher n’ayant point connu d’attachement » (pp. 44 et 45).
De même, Félicité ne meurt pas d’étouffement ni de vieillesse, mais des suites d’une hémorragie cérébrale provoquée par la fureur née de sa jalousie envers Mathilde et du désespoir d’être inutile à Fernand, de ne plus posséder son fils qui a lui-même coupé le cordon ombilical avec les « ciseaux maternels » pour ne conserver que l’image de Mathilde idolâtrée.
« Elle regarda la table où luisaient les ciseaux dont Fernand se servait pour découper des sentences, puis la corbeille à papier… Dieu, n’était-ce pas son propre sourire, son nez au vent, son ventre ? … Le misérable en avait détaché l’image de Mathilde : sans doute la portait-il serrée dans son portefeuille, contre son coeur … d’en approcher des lèvres ferventes …Une colère folle brisait en elle toutes les digues … Cette vieille femme se meurt de ne posséder plus son fils » (p.72) ;
« Félicité ne pouvait plus rien pour son fils » (p.107).
Enfin, le coeur de Fernand « saigne » aussi pour Mathilde :
« Il continuait toujours de saigner, à cause de l’ennemie » (p.107).
Ce flux de sang symbolise l’amour inachevé et la souffrance qui l’accompagne.
-
La fièvre
La fièvre est le feu intérieur qui recouvre des valeurs symboliques opposées:
( + )
le feu de l’Esprit :
c’est le feu purificateur, qui sublime et libère l’esprit de son enveloppe charnelle; c’est le feu de l’amour, de l’apaisement, de l’élévation, de la résurrection.
( – )
le feu de la Géhenne :
c’est le feu qui consume le corps, l’anéantit et le réduit en cendres; c’est le feu de l’enfer, de la haine.
feu/sublimation
souffrance libération
________________
feu/consomption
corps cendres
(schéma selon Lévi-Strauss)
« Elle (Mathilde) entrait maintenant dans la fournaise d’une fièvre atroce et brûlait tout entière comme un jeune pin … le corps allait être consumé … « (p.39).
« Elle eut la mort douce de ceux qui ne sont pas aimés« (p.45).
Mathilde dans son agonie passe du feu destructeur au feu purificateur (1 ) ; son agonie face à la mort imminente rappelle celle du Christ (2) :
( 1 ) Mathilde :
colère (feu) — pénitence (cendres) —-> libération (air, renaissance)
(2) La mort dans la solitude : Le Christ :
c/ Ascension
b/ Résurrection
a/ « Père, pourquoi m’as-tu abandonné ? »
Mathilde :
Elle revit en Fernand et est aimée de lui. Elle le hante, ce qui peut être assimilé à une sorte de résurrection.
c/ » … comme si déjà était en lui (Fernand) la corruption qui, à trois mètres de là, travaillait Mathilde » (p.60).
« Elle était présente, non dans la chambre mais en lui, toute mêlée à sa chair – sa chair vigilante qui se rappela les nuits nuptiales … »(p.87).
« Il aimait Mathilde au point de l’avoir ressuscitée et se persuadait de sa présence en lui et hors de lui » (p.118).
b/ « Elle eut la mort douce de ceux qui sont pas aimés » (p.45).
a/ « Souvenez-vous, ô Vierge toute pleine de bonté, … qu’aucun de ceux qui se sont mis sous votre protection, ait jamais été abandonné … »(p.23).
LES MALADIES PSYCHOSOMATIQUES
Selon Groddeck,
« tout symptôme psychique a son expression physique, tout symptôme physique, son expression psychique. »
La maladie est un langage somatique. Et toute maladie est créée « en l’homme, par le ça qui utilise le monde et ses agents pour parvenir à sa fin. »
La maladie présente « un gain en même temps qu’une lésion – et c’est souvent la lésion même qui est le gain recherché« .
- L' »habitude » comme tentative d’échapper à la mère castratrice …
Le fils « marié » à sa mère lutte pour « se libérer de son rôle par des désobéissances » (5) Ainsi Fernand rejoint-il périodiquement son « habitude » à Bordeaux.
« Mais, constate Mauriac, jamais son « habitude » n’avait pu retenir Fernand plus de trois jours … il revenait grelottant parce qu’il avait oublié ses flanelles … » (p.36).
« Il savait qu’elle sècherait d’inquiétude et que, jusqu’à son retour, elle ne vivrait plus. Sans cette angoisse … peut-être ne serait-il jamais parti » (p.135).
Mais, ses tentatives pour échapper à sa mère demeurent désespérées.
Fernand est comme « l’enfant prodigue » de l’Evangile selon St-Luc, qui, selon Mauriac, est incapable de se libérer de l’emprise de sa famille. « Mais n’est-ce pas dans la mesure où il aura vécu tous ces besoins qu’il pourra être sûr qu’ils ne lui suffisent pas et qu’il a besoin d’autre chose qui est le désir ? » (6)
» … qu’il pût revenir, vieux prodigue moulu, … sa mère accoudée à la terrasse qui donne sur la gare, cherchant à le reconnaître dans le troupeau des voyageurs… Retours humiliants et doux, lorsque, dans une atmosphère de joie grondeuse, de tendre moquerie, de soins infinis, il reprenait vie » (p.135).
L’échec de Fernand s’explique par la dépendance totale dans laquelle sa mère l’a élevé et le maintient :
… »Moi (Félicité), je ne t’ai sevré qu’à dix-huit mois » (p.21 )
-« Elle lui rendrait le goût de la vie, l’enfanterait une seconde fois » (p.102).
-la dépendance matérielle–l’argent et la nourriture :
« Numa Cazenave avait déshérité son fils mineur au profit de sa femme » (p.130).
-son prétexte de le protéger contre la maladie :
« Pendant cinquante ans, la mère avait répété : ‘Que deviendrais-tu sans moi … Heureusement que je suis là. Si tu ne m’avais pas » (p.107).
– l’éducation dans la méfiance des femmes :
« Elle l’avait élevé dans une méfiance, dans un mépris imbécile touchant les femmes … Sans doute un être aimant de tels obstacles ne l’eussent pas arrêté » (p.89).
-l’idolâtrie envers son fils : Fernand est ainsi devenu « l’idole accoutumée aux adorations » (p.28) et
« l’enfant pourri, qui, pendant un demi-siècle, a brisé l’un après l’autre tous ses jouets » (p.102).
Le découpage des maximes :
» … découper avec les ciseaux maternels des maximes … (Fernand) avait décidé que le livre lui révélerait mathématiquement le secret de la vie et de la mort » (p.16).
« L’inquiétude le poussait à découper des sentences … » (p.59).
Dans la prison maternelle, dans l’enfermement de la maison familiale, le découpage des maximes permet à Fernand de fuir la réalité pour calmer son « inquiétude« , pour se réfugier dans l’abstraction. Au moment de l’agonie de Mathilde, plutôt que de tenter quoi que ce soit pour la sauver, il découpe une pensée de Spinoza : « La sagesse est une méditation de la vie et non de la mort » (p.18). De même se renseigne-t-il sur l’infection en consultant le dictionnaire de la médecine (p.67), plutôt que d’en constater les symptômes chez Mathilde.
On peut établir les oppositions suivantes :
( + ) vs ( – )
nature culture
réalité concrète maximes abstraites
toucher lire
cénesthésie non-sensoriel
-
La névrose infantile
« Le fils marié à sa mère échoue dans toutes les tentatives pour construire une vie indépendante (8). »
On peut constater à différentes occasions l’immaturité, le comportement régressif de Fernand, symptomatiques de sa névrose infantile :
« Il n’avait pas fallu deux mois pour que son fils bien-aimé revînt dormir dans son petit lit de collégien tout contre la chambre maternelle« ( p.20).
« Jetant de droite et de gauche des regards peureux, le fils de cinquante ans tirait comme un collégien sur la cigarette clandestine« (p.33).
« Je (Félicité ) ne t’embrasse pas, j’irai te border« ( p. 35 )
» … l’obscure tendresse de l’enfance jaillissait dans un cri misérable : Maman … » (p.101 ).
« Fernand espéra retrouver le sommeil dans son lit d’enfance« (p.139).
« Il fit pour pleurer la même laide grimace que dans son enfance (p.90).
La névrose infantile manifeste le refus inconscient d’avoir été expulsé du paradis intra-utérin :
( + )
=avant la « Chute »
=paradis
=mère (« une mère seule peut comprendre l’homme que je suis » (p.80).
=refuge suprême (p.140).
=maison
=iit/repli
=dépendance totale
Univers extra-utérin :
( – )
=après la « Chute »
=paradis perdu
=Mathilde; l' »habitude »
« Toutes les autres femmes sont des étrangères » (p.80).
=fuite
=gare
=train/libération/voyage
=autonomie
-
Le geste du frottement
« De sa main libre, elle (Félicité) frottait, frottait un endroit de la robe toujours le même et devenu luisant d’usure » (p.128).
La première technique pour obtenir le feu est par le frottement en va-et-vient ; ainsi, ce geste symbolise le désir sexuel (9) de la passion.
Félicité, à demi-paralysée, maintiendrait ainsi symboliquement l’attachement à son bien aimé, Fernand. C’est un besoin d’amour, de caresse.
Une autre interprétation permet de voir dans ce geste la volonté obsessionnelle d’effacer une tache imaginaire signifiant la culpabilité liée à l' »homicide » perpétré contre Mathilde.
En effet, la robe n’est-elle pas justement l’anaphore de « la robe de chambre marron » (p.44) que Félicité portait la nuit où elle alla « faire son devoir » dans la chambre de Mathilde alors agonisante…
Cette situation n’est pas sans rappeler une scène de « Macbeth »:
A : You see, her (Lady Macbeth) eyes are open {mais moralement aveuglés).
B : Ay, but their sense are shut.
Lady M. : Yet here’s a spot … Out, damne’d spot.
Out I say … what need we fear who knows it,
When none can call our power to accompt ?
Yet who would have thought the old man
to have so much blood in him ?
What, will these hands ne’er be clean ?
(Act 5, Scene I)
Après que Lady Macbeth, au milieu de la nuit, a commis un crime, son sentiment de culpabilité se manifeste par une tache de sang imaginaire qu’elle tente d’effacer en se lavant constamment les mains.
-
L’anorexie
L’anorexie de Fernand « annonce la maladie et la mort » dans la lande (p.70). Fernand ressent « le dégoût de la nourriture » qu’il fallait vaincre, selon le docteur Duluc, « afin qu’il se fît du sang« (p.108).
L’anorexie de Fernand correspond à son refus de vivre de la seule nourriture – la nourriture terrestre, maternelle, et au désir inconscient de rejoindre Mathilde dans l’au-delà.
-
L’insomnie
L’insomnie est la conséquence du trouble intérieur qui agite aussi bien Fernand et Félicité que Mathilde.
« Fernand passait des nuits blanches, étendu sur le lit de Mathilde … sur toutes ces couches il demeurait la proie misérable de l’insomnie« (p.139).
« La nuit, ne dormant pas (Félicité), dans le silence ennemi, oppressée par le vide mortel de cette chambre derrière la cloison et où l’enfant chéri ne s’étendrait plus … » (p.108).
« La maison, corps immense, frémissait comme durant les insomnies où elle (Mathilde) avait eu si peur« (p.58).
-
Autres affections
Dans l’univers pathologique de « Genitrix » apparaissent également les affections suivantes :
les affections aiguës les affections chroniques
la colère/la fureur la dyspnée
l’angoisse la bronchite
le tremblement l’obésité
le frisson la mauvaise conformation
la claquement des dents
les ongles rongés
la grimace
Elles relèvent d’un état de tension, d’enfermement, de réclusion et d’oppression. Quand le langage articulé ne suffit plus pour communiquer, c’est le corps qui parle sous la forme de ces affections ou de manifestations sonores, non verbales – le cri, la plainte, le râle, etc.
L’UNIVERS SEMANTIQUE DE FRANCOIS MAURIAC
En analysant l’univers sémantique de François Mauriac, on découvre les valeurs figuratives suivantes :
La santé vs la maladie
l’amour chronique et aigüe
la paix symbolique et accidentelle
(tare)
L’examen de l’univers idiolectal de Mauriac permet de le schématiser ainsi :
1./
( + ) vs ( – )
la gare la maison
le voyage l’enfermement
la locomotive l’emprisonnement la circulation l’immobilité
la communication la non-communication
l’amour la racine
la mer la mère
l’Autre le Moi
le désir le besoin
Fernand souffre de son enfermement dans la prison familiale ; il se rappelle avec délectation les longs voyages en cabriolet avec sa mère et cherche à revivre ces moments-là avec Mathilde (pp.132-133). La locomotive (p.18) symbolise l’impulsion irrésistible au départ, au voyage, voire à la fuite.
2./
Le cadre de l’action dans « Genitrix » suggère une certaine homologie entre macro-cosme et micro-cosrne :
macro-cosme micro-cosme
la maison un être humain
les fenêtres sans volets le regard maniaque
les rails les veines, les artères
la cuisine le coeur
la chaleur la fièvre
le froid le frémissement
le poids la racine
la maladie le temps
la gare, les rails l’appareil circulatoire
3./
L’opposition entre les éléments fondamentaux que sont l’Eau et le Feu se manifeste à plusieurs endroits :
[EAU]
l’eau/les eaux
liquidité transformée :
–Fernand : (« Le destin jouait ce jeu étranger d’éveiller dans ce vieil homme des eaux enfouies à quelle profondeur » (p.88).
la pituite : la bronchite chronique de Fernand
» … la chambre de l’ingrat, elle avait une odeur d’urine » (p.72).
–Mathilde : (« Elle croyait étendre ses membres rompus sur le sable devant la mer … « (p.13).
« (Mathilde) son corps inondé d’une sueur gluante » (p.22);
« elle était inondée de sang« (p.10).
[FEU]
colère/possession
race/destruction
–Félicité : (« Cette toute puissance du feu dévorateur des pignadas – dieu rapide et qui court, insaisissable, allumant derrière soi une foule immense de torches » (p.80).
« c’était d’elle (Félicité) qu’il avait reçu l’héritage de flamme« (p.88)
–race : « Comme tous ceux de sa race, il aurait dû mourir sans savoir ce qu’est aimer » (p.87).
–colère : ( « Fernand sentait naître en lui la vague furieuse; il laissait avec délice sa mère le pénétrer, l’envahir, le posséder. » (p.153).
-« Voici que l’incendie (Félicité) est éteint … le (Fernand) laisse grelottant au milieu de cendres« (p.134).
CONCLUSION
Dans « Genitrix« , Mauriac veut nous montrer que la maladie se résout inexorablement en destruction et en mort.
Mauriac hait le monde bourgeois étriqué, craintif, âpre, mercantile, hypocrite et soucieux avant tout de défendre ses intérêts et ses privilèges, au besoin avec le recours de la religion, ainsi détournée de ses valeurs profondes. Ce monde frelaté et malsain est un véritable bouillon de culture où les maladies pullulent.
La maladie n’est-elle pas, en fin de compte, la juste et salutaire sanction qui tombe sur ce monde haïssable, et qui va finir par le détruire?
A ce monde pathologique, Mauriac oppose un hymne muet à l’ouverture au monde et à l’Autre. Pour Mauriac, on ne peut aimer contre quelqu’un (11) , ni aimer quelqu’un puisqu’il nous fait souffrir (12), ou aimer par intérêt (13) ; et l’amour captatif de Félicité est destructeur. Seul l’amour oblatif est le véritable Amour, tel celui du Christ qui est source de tout amour.
C’est cela qu’a entrevu Félicité lorsque « son amour commença a ressembler à celui des autres mères, qui n’exige rien en échange de ce qu’ il donne » (p.97), avant de sombrer à nouveau dans la jalousie destructrice. Néanmoins, aux yeux de Mauriac, Félicité mérite notre compassion pour cette lueur d’amour vrai, puisqu’elle a été crucifiée (14).
***
NOTES
1. CHEVALIER (Jean) et A. GHEERBRANT, « Oedipe » in Dictionnaire des symboles, Paris, Editions Jupiter, 1982.
2. MAURIAC (François), Genitrix, Paris, Grasset, coll. « Le Livre de Poche », 1923. Les références dans le corps du texte concernent exclusivement cet ouvrage étudié.
3. CHEVALIER (Jean) et A. GHEERBRANT, « Sang », op. cit.
4.GRODDECK (Georg), La maladie, l’art et le symbole, Paris, Gallimard, 1969.
5. RICHTER (H.-E.), Parents, enfants et névrose, Mercure de France, 1972.
6. DOLTO (Françoise) et G. SEVERIN, L’Evangile au risque de la psychanalyse, J.-P. Delarge, 1977.
7. DOLTO (Françoise), « Parabole de l’enfant prodigue », op. cit.
« A dix-huit mois, tout enfant ne dit-il pas « non » à sa mère, pour venir à un « oui » à lui-même, tout seul? Séparation créatrice de sa première autonomie. »
8. RICHTER (H.-E.), op. cit.
9. CHEVALIER (Jean) et A. GHEERBRANT, « Feu », op. cit.
10. MAURIAC (François), op. cit. Avant la paralysie de Félicité, le fait pour elle de faire « craquer une allumette » est une scène répétée qui peut suggérer l’acte sexuel.
11. Ibid. « Il existe des hommes qui ne sont capables d’aimer que contre quelqu’un. » (p.134).
12. Ibid. « Elle m’aimait puisque je la faisais souffrir. » (p.90).
13. Ibid. « C’est le pire des conditions basses qu’elles nous font voir les êtres sous l’aspect de l’utilité et que nous ne cherchons plus que leur valeur d’usage. » (p.37).
14. Ibid. « Félicité Cazenave éprouvait obscurément qu’il était bon qu’elle souffrit pour son fils; mais elle ne savait pas qu’elle était crucifiée. » (p.128).
***
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION
LA MALADIE COMME SYMBOLE
Le pied enflé
L’hémorragie
La fièvre
LES MALADIES PSYCHOSOMATIQUES
L' »habitude »
Le découpage des maximes
La névrose infantile
Le geste de frottement
L’anorexie
L’insomnie
Autres affections
L’UNIVERS SEMANTIQUE DE MAURIAC
CONCLUSION
NOTES
***
Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.
Texte présenté par Mme Wan-ling SUDAN-PAI pour l’obtention
Diplôme d’Etudes Françaises
Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff