« Le Cerf et le Chien », analyse sémiotique d’un conte de Marcel AYME

 

I INTRODUCTION

BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR : Marcel Aymé

Ecrivain, dialoguiste, scénariste (1902 – 1967)

1902 – Naissance le 29 Mars à Joigny (France). Il est le dernier d’une famille de 6 enfants. Il fut élevé à la campagne, puis entreprit des études de mathématiques à Besançon, qu’il dût interrompre pour des raisons de santé.

1925 – Arrive sur Paris et y exerce différents métiers (il fut notamment employé de banque, agent de change et journaliste).

1926Publie son premier roman « Brûlebois ».

1933 – Publie le roman « La Jument verte », récit satirique fondé sur une analyse de la sexualité, qui connaît un vif succès. La même année, il commence à écrire des textes de commande pour le cinéma, activité qu’il continue sous l’occupation, sans pour autant cesser de publier des romans et des nouvelles dans les journaux de l’époque

1941 – Il publie  « Travelingue » qui est le premier volet d’une trilogie romanesque d’histoire qui se situe au début du Front populaire. Cette étude de mœurs comique, qui met en scène des personnages pittoresques, comme le jeune boxeur Milou, poids mouche protégé par un vieux pédéraste, inaugure une fresque sociale fantaisiste et réaliste qui se poursuivit avec « Le Chemin des écoliers » (1946), tableau humoristique de la France sous l’occupation, et qui s’acheva avec « Uranus » (1948), dont l’action se déroule dans les mois qui suivirent la Libération.

1967 – Décède le 14 octobre 1967 à Paris (France)

Adaptations cinématographiques :

  1. « La rue sans nom », 1934, réalisé par Pierre Chenal.
  2. « Le Passe-muraille », 1950, réalisé par Jean Boyer.
  3. « La table aux creves », 1951, réalisé par Henri Verneuil.
  4. « La traversée de Paris », 1956, réalisé par Claude Autant-Lara
  5. « Le chemin des écoliers », 1958, réalisé par Michel Boisrond
  6. « La jument verte », 1959, réalisé par Claude Autant-Lara
  7. « Clerembard », 1969, réalisé par Ives Robert.
  8. « La vouivre », 1989, réalisé par Georges Wilson.
  9.  « Uranus », 1990, réalisé par Claude Berri.
  10. « La montre, la croix et la manière », 1993, réalisé par Ben Lewin.

Marcel Aymé et les « gendelettres »


Dans le domaine de ses relations professionnelles, il a su aussi se contraindre et, quoi qu’il en ait dit, il n’a jamais été un solitaire dans le monde des lettres. Dès les années trente, non seulement il y est reconnu, mais aussi accepté. Il appartient désormais, qu’il le veuille ou non, à l’univers français des  » gendelettres « , comme il l’écrira plus tard. Il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant ses dénégations à ce propos. Certes, il cultive sa différence et veille constamment à ne pas se laisser entraîner enfermer dans telle ou telle chapelle littéraire. Mais il les connaît bien et sait s’y faire recevoir le cas échéant, sans être gêné le moins du monde par leurs diverses étiquettes. D’ailleurs, il affiche un mépris complet pour les exclusions de toute nature.
L’un des premiers avec lequel il se soit lié est un homme réservé, discret et aussi silencieux que lui, Emmanuel Bove. De leurs premières rencontres naîtra une amitié que les divergences politiques n’altéreront pas.

Les origines enfantines


L’enfance de Marcel et de Suzanne Aymé à la tuilerie de Villers-Robert fut un bonheur pour leur imagination déjà fertile. Tout les portait à croire à l’existence d’un monde merveilleux, peuplé de fées, de bêtes faramineuses et d’animaux doués de parole… Ne disait-on pas alors que, la nuit de Noël, les bêtes se mettaient à parler. Le bestiaire de Marcel Aymé se constitua peu à peu durant ces années d’enfance. Bœufs, canards, vaches, poules, chiens, chats, firent partie de son univers quotidien. Le loup même était présent car il rôdait non loin de la forêt. On évoquait sa présence le soir venu, devant les grandes flammes du four qui réconfortaient et inquiétaient à la fois.

Ainsi Marcel vécut de sa deuxième à sa huitième année à Villers-Robert, chez ses grands-parents qui exploitaient une tuilerie. Le village était assez semblable à celui qu’il décrivit plus tard dans La Jument verte et les habitants y connaissaient des passions politiques et religieuses (et antireligieuses) fort vives. La grand-mère attendit la mort du grand-père, en 1908, pour faire baptiser son petit-fils, celui-ci avait alors sept ans.

En 1912, Marcel réussit le concours des Bourses et le regretta vite car, chaque fois qu’il obtenait de mauvaises notes, on lui reprochait de gaspiller l’argent de l’Etat. Il retournait maintenant au village chaque samedi et y passait ses grandes vacances, pendant lesquelles il gardait les vaches avec d’autres bergers.

 

Le bestiaire des Contes du chat perché


Depuis 1934, Marcel Aymé avait en effet publié plusieurs histoires de Delphine et Marinette qui avaient beaucoup plu. Il n’y avait guère eu qu’André Rousseaux, dans Le Figaro, pour faire la fine bouche et oser écrire :  » Ce sont moins des contes pour enfants que des fables, sans le génie de La Fontaine, étirées en prose, saupoudrées d’ironie et de gentillesse pseudo-poétiques « . C’est pourquoi on lit, dans la prière d’insérer d’un recueil de 1939 :  » […] un critique distingué a déjà fait observer, avec merveilleusement d’esprit, que si les animaux parlaient, ils ne le feraient pas du tout comme ils le font dans Les Contes du chat perché. Il aurait bien raison. Rien n’interdit de croire en effet que si les bêtes parlaient, elles parleraient de politique ou de l’avenir de la science dans les îles Aléouliennes. Peut-être même qu’elles feraient de la critique littéraire avec distinction. « 

Son œuvre 

Or son œuvre s’affirme comme une des plus neuves, des plus fortes et probablement des plus durables de notre époque. Elle est très variée, tantôt d’inspiration réaliste, tantôt d’inspiration satirique et tantôt d’inspiration fantastique. Mais il passe parfois d’un registre à l’autre dans le même ouvrage en maintenant une unité de ton. Il est bon peintre de la campagne, des petites villes et de la capitale. Parmi ses romans campagnards, on citera La Table aux crevés (1929) et La Vouivre (1943). Parmi les romans de la province, Le Moulin de la sourdine (1936). Parmi les œuvres parisiennes, Le Bœuf clandestin (1939) et Travelingue (1941). Ce dernier roman est le premier volet d’une trilogie d’histoire contemporaine, dont le deuxième volet s’appelle Le Chemin des écoliers (1946) et se situe pendant l’Occupation, et dont le troisième volet, Uranus (1948), décrit les lendemains de la Libération.

Les recueils de nouvelles d’Aymé sont tous de premier ordre, tels Le Passe-muraille (1943) et Le vin de Paris (1947). Et il faut mettre hors de pair Les Contes du chat perché qui commencèrent de paraître en 1934 sous forme d’albums pour enfants. Ils firent tout de suite les délices des parents. Bon observateur des mœurs, Marcel Aymé est un ami de la fantaisie qui nous délivre de la pesanteur du quotidien. Il ne nous donne aucune leçon, ne nous adresse aucun message et on lui a cherché une mauvaise querelle en lui attribuant les pensées d’un des personnages du Confort intellectuel (1949) où il se plaçait dans une pure tradition moliéresque. De même, dans La Tête des autres, qui déclencha un scandale, il ne cherchait pas à prouver quoi que ce soit : il mettait en lumière certains aspects du monde contemporain. Il s’est toujours voulu absent de son œuvre, mais y est toujours présent par son style inimitable.

II ANALYSE SEMIOTIQUE

1 La structure générale du récit : L’AXE SEMANTIQUE

Faire l’analyse sémiotique d’un conte, c’est pouvoir reconnaître et décrire les différences dans le texte grâce auxquelles nous pouvons faire l’interprétation des sens du conte, puisque « le sens est fondé sur la différence ».

Le récit est la représentation d’un événement. Un événement est une transformation, un passage d’un état S à un état S’.

La structure générale du récit s’inscrit sur un axe sémantique du type :

S __________________________           t         ________________________________ S

Enoncé d’état initial        / Enoncé de faire/             Enoncé d’état final

en conjonction ou           /Faire opérateur                  en conjonction ou

disjonction                       de la transformation                           disjonction

S^O ou SVO                                                                                         S^O ou SVO

L’axe sémantique s’insère dans une suite temporelle. Les articulations S et S’ correspondent aux situation finale et initiale, et la transformation se produit à un moment donné « t ». Tout récit s’organise en fonction de sa fin : c’est la situation finale qui commande toute la chaîne des événements antérieurs.

Pour constituer l’axe sémantique de notre texte nous comparons la situation finale (contenu posé, où l’auteur veut arriver à la fin du conte) avec la situation initiale (contenu inversé).

La situation finale résulte d’une chaîne de transformations qui, à partir de la situation initiale, progressivement, détermine la situation finale. Le résultat d’une première transformation constitue une nouvelle situation initiale sur laquelle agit la transformation suivante et ainsi progressivement jusqu’à la fin.

AXES SEMANTIQUES DES TRANSFORMATIONS

Au cours de la lecture, notre conte présente plusieurs transformations intégrées dans la transformation globale.

  1. Delphine et Marinette jouent tranquillement quand tout à coup un cerf apparaît chez elles. Il demande de l’aide et elles le cachent dans la maison.

S _________________________________t________________________________ S’

Le cerf est en péril                 Sujet opérateur :                    Le cerf est caché

S V O                                                    les filles                                                           S ^ O

Sujet d’état : le cerf

Objet de valeur : la sécurité

Le Sujet opérateur (les filles) fait passer le Sujet d’état (le cerf) d’un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (la sécurité) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (la sécurité).

  1. Le chien arrive à la maison et demande où est le cerf. Les filles nient sa présence dans la maison mais, à cause du poussin, il finit par découvrir qu’il est caché.

S _________________________________t___________________________________ S’

Le chien cherche le cerf        /Sujet opérateur/    Le chien trouve le cerf

S V O                                                   le poussin                                                      S ^ O

Sujet d’état : le chien

Objet de valeur : trouver le cerf

Le Sujet opérateur (le poussin) fait passer le Sujet d’état (le chien) d’un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (il ne trouve pas le cerf) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (il le trouve dans la maison).

  1. La meute arrive et les filles parviennent à distraire les chiens de façon qu’ils perdent la trace du cerf.

S ___________________________________t___________________________________ S’

Les chiens sont                      Sujet opérateur:                  Les chiens perdent

dans la trace du cerf.               L’astuce des                               la trace du cerf.

S ^ O                                                      filles                                                              S V O

Sujet d’état: les chiens

Objet de valeur: la trace du cerf

Le Sujet opérateur (l’astuce des filles) fait passer le Sujet d’état (les chiens) d’un état de conjonction avec son Objet de valeur (ils sont sur la trace du cerf) à un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (ils perdent sa trace).

  1. Les parents de Delphine et Marinette n’ont pas réussi à trouver un bœuf à acheter à la foire. Ils rentrent à la maison de très mauvaise humeur. Le lendemain, le cerf se présente chez eux pour offrir son travail.

S ____________________________________t__________________________________S’

Les parents ont besoin       Sujet opérateur :          Les parents prennent

d’un boeuf                                  le chat, qui parle           le cerf pour travailler                                                                avec le cerf                               chez eux

S V O                                                                                                                              S ^ O

Sujet d’état : les parents

Objet de valeur : avoir un animal pour travailler à la ferme.

Le Sujet opérateur (le chat) convainc le cerf de se présenter pour travailler à la ferme.

Le Sujet opérateur (les parents), qui était en état de disjonction avec son Objet de valeur (ils n’avaient pas de bœuf), est maintenant en conjonction avec son Objet de valeur (ils ont trouvé quelqu’un pour remplacer le bœuf).

  1. Le cerf est accepté à la ferme, et travaille bien. Il se fait des amis mais ne supporte pas la vie à la ferme. Il décide de partir.

S _____________________________________t_________________________________ S’

Le cerf se sent mal à l’aise        Sujet opérateur:           Le cerf retourne à

à la ferme                                          la décision de               son milieu : la forêt.

                                                                         partir

S V O                                                                                                                            S ^ O

Sujet d’état: le cerf

Objet de valeur: sa liberté.

Le Sujet opérateur (la décision de partir) fait passer le Sujet d’état (le cerf) d’un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (il est mal à l’aise, privé de liberté) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (il se sent bien dans la forêt, où il se sent libre).

  1. Le chien, qui travaillait comme chasseur, décide de quitter son métier et essaye d’être accepté à la ferme. Il arrive avec la mauvaise nouvelle que le cerf est mort.

S _________________________________t____________________________________ S’

Le chien chasseur                 Sujet opérateur:                       Le chien reste à

                                                          la décision de                                           la ferme

S V O                                       quitter son maître                                             S ^ O

Sujet d’état: le chien.

Objet de valeur: avoir un métier qui lui plaise.

Le Sujet opérateur (la décision de renoncer à la chasse) fait passer le Sujet d’état (le chien chasseur) d’un état de disjonction avec son Objet de valeur (il n’aime pas son métier) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (il préfère rester avec les filles à la ferme).

AXE SEMANTIQUE GÉNÉRAL DU CONTE

S ___________________________________t__________________________________ S’

Le cerf veut vivre                  /Sujet opérateur/                        Le cerf est tué

S ^ O                                                  le chasseur                                                    S V O

Sujet d’état : le cerf

Objet de valeur : sa vie

Le Sujet opérateur (le chasseur) fait passer le Sujet d’état (le cerf) d’un état de conjonction avec son objet de valeur (il est en vie) à un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (il perd la vie).

2 La segmentation du texte

La segmentation du texte va nous permettre d’organiser celui-ci différemment de la segmentation en paragraphes proposée par l’auteur. A ce propos, nous faisons intervenir les disjonctions spatiales, temporelles, actorielles et énonciatives.

Nous proposons de segmenter le conte « Le cerf et le chien » en 5 séquences. Pour simplifier, la délimitation de chaque séquence sera exprimée par le numéro de la ligne et de la page entre parenthèses (ligne/page).

  1. « L’arrivée du cerf » : (1/29 → 24/40). Cette première séquence comporte 7 sous-séquences qui se déroulent au même endroit et durant la même journée (il n’y a pas de disjonctions temporelles ni spatiales). On peut distinguer les sous-séquences à partir des disjonctions actorielles : le cerf, le chien Pataud, la meute et les parents. Les filles sont les uniques personnages qui sont présents dans toutes les sous-séquences.

  1. « Le cerf à la ferme» : (25/40 → 15/45). La deuxième séquence a lieu dans la ferme, soit dans la cour, soit dans l’écurie ou dans les champs, selon les 5 sous séquences proposées, qui s’étalent sur plusieurs jours. Nous avons alors des disjonctions actorielles (les filles, les parents, le cerf, le bœuf et les bêtes de la ferme), spatiales (la cour, les champs, l’écurie) et temporelles (le lendemain de l’arrivée du cerf et les jours suivants).

  1. « La promenade du dimanche » : (15/45 → 31/48). Cette troisième séquence est l’unique qui ne comporte pas de disjonctions : elle se déroule le même jour, avec les mêmes acteurs (le cerf, les filles, le chien Pataud et les animaux de la forêt) et dans le même endroit. Les parents n’y participent pas.

  1. « La fuite » : (32/48 → 31/50). La quatrième séquence présente une disjonction spatiale qui permet de proposer une segmentation en 3 sous-séquences : dans la cour, dans le champ et dans la forêt. La disjonction actorielle est présente sous la forme de la disparition des parents de la scène. Les filles ne participent pas à cette séquence.

  1. «La mauvaise nouvelle de Pataud» : (32/50 → 13/52). Nous n’avons pas segmenté cette cinquième séquence car il s’agit d’une séquence trop courte. Il y a une disjonction temporelle : au début, les parents regrettent la perte du cerf le jour même de la fuite, ensuite l’auteur raconte les semaines suivantes (« Mais les semaines passèrent et le cerf ne revenait pas… ») et, finalement, « un matin », où Pataud arrive avec la mauvaise nouvelle.

  • LES DISJONCTIONS ACTORIELLES

Dans tout le conte il y a 6 acteurs principaux et 3 acteurs secondaires (les animaux de la forêt) :

  1. Les filles Delphine et Marinette : elles sont les protectrices du cerf. Elles apparaissent dans toutes les séquences, sauf la . Les activités des filles sont le jeu ou manger (elles sont à table avec leurs parents dans la séquence 1G). L’auteur ne mentionne pas l’école ni d’autres activités.

  1. Le cerf : il apparaît dans toutes les séquences, à l’exception des sous-séquences 1C et 1D (où il est caché dans la maison des filles). Il éprouve toujours l’angoisse soit d’être persécuté par la meute soit de devoir vivre à la ferme, à laquelle il ne se sent pas appartenir. Il est toujours en conflit avec sa situation.

  1. Le chien Pataud : il apparaît dans les séquences 1C, 1E, 3 et 5. Il veut toujours aider le cerf. Il travaille pour le chasseur mais il n’aime pas son métier, car il n’aime pas tuer.

  1. Les parents : ils sont présents dans les séquences 1F, 2, 4 et 5. Ils ne pensent qu’à travailler et faire travailler les animaux, car ils ont la responsabilité de nourrir une famille.

  1. Le bœuf : il est présent dans les séquences 2 et 4. Au début, il se moque du cerf mais plus tard il devient son ami. Il voudrait s’enfuir dans la forêt avec le cerf mais il se rend compte que sa vie est à la ferme.

  1. La meute : les chiens chasseurs arrivent à la ferme dans la séquence 1D. Ils cherchent le cerf mais sont trompés par les filles.

  1. Les animaux de la forêt : une vieille carpe au bord d’un étang, un lapin qui avançait ou bord d’un trou et deux autres lapins qui sortirent derrière le premier lapin apparaissent dans la séquence 

    1. Le niveau figuratif

L’analyse du niveau de surface a pour objet la forme et le contenu du discours.

Au niveau figuratif, les « personnages » sont pris en considération en tant qu’ « acteurs », et l’on observe le déroulement concret de leurs actions, dans des lieux et des temps déterminés.

  • L’ESPACE TEXTUEL

Le code topographique :

Le conte se déroule dans une ferme, à la campagne. Nous ne savons pas dans quel pays, mais pouvons supposer qu’il s’agit de la campagne française.

A l’exception de la séquence 3 (qui se déroule dans le bois), toutes les séquences se déroulent dans la ferme, généralement à l’extérieur de la maison, dans la cour.

On peut distinguer, au niveau topographique, l’opposition :

Nature                                                       vs                                                        Culture

(la forêt)                                                                                                          (les champs)

Dans la séquence 1 nous trouvons sept sous-séquences, séparées par des disjonctions spatiales ou actorielles :

  • A ((1/29 → 6/30) : dans la cour. Le cerf, en fuite, arrive dans la cour de la ferme pendant que les filles jouent.

  • B (7/30 → 19/30) : à l’intérieur de la maison. Les filles cachent le cerf dans leur chambre.

« Delphine courut ouvrir la porte de la maison et Marinette, précédant le cerf, galopa jusqu’à la chambre qu’elle partageait avec sa sœur ». (7 – 8 – 9 – 10 / 30)

Les sous séquences C, D, E et F se déroulent dans la cour. La séparation en 4 différentes sous-séquences se fonde sur des disjonctions actorielles

  • C (20/30→ 5/35) : le chien Pataud arrive, cherchant le cerf. Il fait partie de la meute de chiens chasseurs qui poursuit le cerf.

  • D (6/35 → 24/37) : le chien Pataud reste caché dans le jardin tandis que la meute qui poursuit le cerf arrive à la ferme.

  • E (24/37 → 22/38) : le chien Pataud et le cerf sortent de leur cachette. Tous les deux partent, le chien pour rejoindre la meute et le cerf vers les buissons de la rivière.

« Quand elle eut disparu dans les bois, le chien Pataud sortit du jardin où il était resté caché et demanda qu’on fît venir le cerf » (24 – 26 / 37)

  • F (23/38 → 24/40) : les parents rentrent de la foire.

  • G (15/40 →24/40 : deux actions se déroulent au même moment dans des endroits différents : pendant que la famille mange à table à l’intérieur de la maison, le chat sort pour aller trouver le cerf près de la rivière.

Dans la séquence 2 nous avons défini 5 sous-séquences au niveau spatial :

  1. Sous-séquence A : dans la cour, le cerf se présente aux parents pour leur offrir son travail. Il est accepté.

  2. Sous-séquence B : le cerf commence à travailler avec le bœuf aux champs.

  3. Sous-séquence C : en rentrant à la ferme, le cerf joue dans la cour.

  4. Sous-séquence D : le soir, à l’écurie le cerf et le bœuf ont de longues conversations.

  5. Sous-séquence E : cette sous-séquence ne se déroule pas dans un endroit défini parce qu’il s’agit d’un discours qui raconte ce qu’étaient la vie du cerf, son travail, ses week-ends.

Dans la séquence 3 le cerf se promène dans la forêt le dimanche.

Dans la séquence 4 nous avons 3 sous-séquences :

  1. Sous-séquence A : dans la cour, le cerf refuse de se mettre en route vers le travail.

  2. Sous-séquence B : en arrivant au champ, le cerf et le bœuf commencent à travailler.

  3. Sous-séquence C : le cerf et le bœuf prennent la fuite vers la forêt. Mais le bœuf n’arrive pas à marcher dans la forêt et il décide de retourner au travail.

Dans la séquence 5 le chien Pataud arrive à la ferme avec la mauvaise nouvelle. Les filles jouent dans la cour.

L’ancrage spatial :

Le conte se déroule dans une ferme et dans une forêt.

Pour le cerf, la ferme signifie la sécurité (le chasseur n’y a pas accès) mais aussi un travail dur, auquel il n’est pas adapté. La ferme est un ancrage spatial à la fois positif et négatif. Positif à cause de la sécurité qu’elle signifie (la maison et la cour) et négatif par l’ennui et la douleur du travail (les champs). La forêt, au contraire, représente la liberté aussi bien que l’insécurité. C’est pour cela que nous la considérons comme ambiguë : elle représente la liberté mais aussi le danger.

La maison

La cour

Les champs

La forêt

  • Sécurité

  • Protection

  • POSITIF

  • Sécurité

  • Plaisir du jeu

  • POSITIF

  • Travail

  • Ennui

  • Douleur

  • NÉGATIF

  • Liberté

  • Danger

  • Mort

  • AMBIGUË

Culture                                                              vs                                                  Nature

(les champs)                                                                                                          (la forêt)

Travail                                                               vs                                                    Liberté

(protection)                                                                                                           (danger)

Les champs                                                    vs                                                    La cour

(le travail)                                                                                                                  (le jeu)

Séquences

1

2

3

4

5

Sous-séq.

A B

C

D

E

F G

A B C D E

A B C

Ancrage

spatial

C – M

C

C

C

C M/F

C Ch C E X

F

C Ch F

C

C : la cour

M : la maison

Ch : les champs

F : la forêt

E : l’écurie

X : partout dans la ferme et la forêt

 

                          L’ancrage spatial

                         la campagne française

                          la ferme                                                                        la forêt

                            (culturelle)                                                                               (naturelle)

clos                                                       ouvert

(la maison)

                                         les champs                                     la cour

            (espace culturel                                                (espace des filles

              du travail,                                                               et des animaux :

             responsabilité                                                                le jeu)

             des parents)

  • LA TEMPORALITÉ TEXTUELLE

Le code chronologique : 

La séquence 1 se déroule le même jour.

Dans la séquence 2, les sous-séquences A et B le lendemain et les sous-séquences C, D et E se déroulent dans les jours suivants, sans préciser combien de jours plus tard. On pourrait supposer qu’il s’agit de trois ou quatre semaines (ces dernières sous-séquences racontent la vie du cerf dans la ferme).

La séquence 3 se déroule en une journée : un dimanche.

La séquence 4, le lendemain de ce dimanche.

La séquence 5 représente le temps suivant la fuite du cerf : « Mais les semaines passèrent et le cerf ne revenait pas ». Mais « Un matin qu’elles écossaient des petits pois sur le seuil de la maison, le chien Pataud entra dans le cour » pour raconter ce qui était arrivé au cerf.

Nous pensons que tout le conte se déroule en environ deux mois.

L’ancrage temporel:

t  : le temps actuel, celui où l’auteur raconte l’histoire.

: le jour de l’arrivée du chien Pataud : la dernière scène du conte.

t  : le temps après la fuite du cerf.

t : le jour de la fuite du cerf.

t : le jour de la promenade dans la forêt.

t   : les trois ou quatre semaines où le cerf travaille à la ferme.

t  : le jour de l’arrivée du cerf à la ferme.

Séquences : 1 2A 2B 2C 2D 2E 3

Le premier jour/ Le lendemain/ Les semaines suivantes/ Un dimanche

(l’arrivée du cerf) (les parents) (trois ou quatre) dans la forêt

4 5 5

Quelques jours/ Le jour de l’arrivée du chien Pataud

Le lendemain (le cerf habite dans la forêt) (la fin du conte)

Voici quelques exemples relevés dans le texte :

Séquence 2, 25/40 : « Le lendemain matin, de bonne heure, le cerf entra dans le cour de la ferme… ».

Séquence 2, 13/42 : « En effet, après qu’ils eurent labouré ensemble une demi-journée, ils ne pensaient plus à s’étonner de la forme de leurs cornes ».

Séquence 2, 26/43 : « Le soir, à l’écurie, el avait de longues conversations avec le bœuf. ».

Séquence 2, 25/44 : « Le dimanche, le cerf quittait l’écurie dès le matin et s’en allait passer la journée en forêt. Le soir, il rentrait avec des yeux brillants …, mais le lendemain il était triste et… ». Ici l’auteur utilise le récit pour raconter la monotonie de la vie du cerf.

Séquence 4, 32/48 : « Le lendemain, le cerf était attelé avec le bœuf dans la cour da la ferme… ».

Séquence 5, 9/51 : « Un matin qu’elles écossaient des petits pois sur le seuil de la maison, le chien Pataud entra dans la cour ».

Dans le texte, la valeur figurative du temps apparaît clairement : les temps qui représentent la joie et le plaisir sont très courts (la séquence 7 spécialement, où les filles se promènent avec le cerf dans la forêt) et les temps de souffrance plus longs (les séquences de l’arrivée du cerf, de sa fuite ou du travail).

LA SEMAINE                                              vs                                     LE DIMANCHE

le travail                                                                                                                     le repos

(dysphorie)                                                                                                       (euphorie)

  • LES CODES SENSORIELS

  • L’ouïe

Le sens de l’ouïe a une valeur figurative positive quand la fille chante pour le chat ou quand le chat ronronne sous les caresses de Delphine. La chanson et le ronronnement sont l’expression du plaisir et de la joie.

1/29 : « …et Marinette chantait une petite chanson à un poussin jaune qu’elle tenait sur les genoux ».

3/31 : « Marinette lui chanta Su l’pont de Nantes et, … ».

5/31 : « Le chat lui-même ronronnait sous les caresses de Delphine… ».

Les aboiements des chiens sont un vif exemple de la peur, de l’angoisse et de l’incertitude.

26/33 : « …mais il se déroba et, l’oreille tendue à des aboiements qui semblaient venir de la lisière du bois….. ».

5/34 : « J’entends aboyer mes compagnons de meute ».

10/35 : « … elle vit poindre la meute annoncée par ses aboiements ».

CHANT + RONRONNEMENT vs ABOIEMENTS

le plaisir la peur

(euphorie) (dysphorie)

  • Le toucher

1/29 : « Delphine caressait le chat de la maison… ».

18/29 : « Les petites le prirent par le cou, appuyant leurs têtes contre la sienne, mais le chat se mit à leur fouetter les jambes avec sa queue et à gronder : – C’est bien le moment de s’embrasser ! ».

5/31 : « Le chat lui-même ronronnait sous les caresses de Delphine… ».

16/33 : « A la fin, il toucha le mollet de Delphine avec son nez et dit en soupirant : ».

28/39 : « A midi, pendant qu’elles déjeunaient, je me chauffais au soleil sur le rebord de la fenêtre ».

Dans ces exemples, les caresses des filles et le chat se chauffant au soleil nous donnent une impression de plaisir et de tendresse.

31/47 : « Si tu savais comme le travail est ennuyeux et comme la plaine est triste par ces grands soleils, alors qu’il fait si frais et si doux dans nos bois ».

Le cerf manifeste son approbation vis-à-vis du bois (il y fait frais et doux) et le contraire à l’égard de la plaine.

LE BOIS                                                           vs                                             LA PLAINE

la joie                                                                                                                       la tristesse

la liberté                                                                                                                   le travail

(euphorie)                                                                                                        (dysphorie)

  • La vision

2/29 : « …un poussin jaune… »

14/31 : « Le chien les regarda l’une après l’autre et, les voyant rougir, se remit à flairer le sol ».

12/35 : « Ils étaient huit d’une même taille et d’une même couleur avec de grandes oreilles pendantes ».

5/36 : « Vraiment, on n’a jamais vu d’aussi beaux chiens… ».

1/37 : « Ils prenaient plaisir à s’admirer les uns les autres ».

22/43 : « Il y avait un canard bleu et vert avec lequel il s’entendait très bien… ».

Les couleurs sont très peu mentionnées dans le texte : seulement le jaune pour le poussin et le bleu et vert pour le canard. Dans les deux cas, les couleurs n’ont aucune valeur positive ou négative. Mais la couleur rouge est mentionnée pour indiquer la peur des filles devant le chien Pataud.

Pour ce qui est des chiens de la meute, l’auteur insiste sur leur beauté : ils sont beaux mais aussi méchants (ils veulent chasser le cerf). Cette « beauté » est utilisée par les filles, pour gagner leur confiance car ils acceptent les compliments.

  • L’odorat

3/32 : « Je sens ici une odeur de cerf, dit-il en se tournant vers les petites ».

6/33 : « Mon flair ne me trompe jamais ».

12/37 : « Le parfum de l’œillet, du jasmin, de la rose et du lilas, qui lui venait à pleines narines lui masquait en même temps l’odeur de la bête ».

Le flair des chiens est déterminant : la meute parvient jusqu’à la ferme en traquant le cerf grâce à son flair. Mais les filles, par leur astuce, arrivent à dérouter les animaux grâce au parfum des fleurs. L’odorat joue un rôle très important pour le sort du cerf.

  • LES PARCOURS FIGURATIFS

Dans le conte nous voyons clairement les activités sociales des personnages : les parents doivent travailler et font travailler le bœuf et le cerf. Les filles et les animaux préfèrent jouer. Le cerf, qui préfère jouer, est obligé de travailler s’il veut la sécurité.

Adultes                                                         vs                                                        enfants

Travail                                                             vs                                                             jeu

Les adultes doivent travailler pour gagner leur pain. Les parents de Delphine et Marinette cultivent les champs avec l’aide des animaux de la ferme et le chasseur doit chasser les animaux sauvages.

Travailler les champs                              vs                                                     Chasser

vie sédentaire                                                                                                   vie nomade

    1. Le niveau narratif

  • LE SCHÉMA ACTANTIEL

Pour le niveau narratif nous utilisons le modèle actantiel de Greimas. Ce modèle simplifie celui de Vladimir Propp, qui affirme que dans tous les contes ce qui change ce sont les noms et les attributs des personnages mais non leurs actions ou leurs fonctions. Il a recensé 31 fonctions dans sept sphères d’action différentes : celles de l’agresseur, du donateur, de l’auxiliaire, de la princesse et de son père, du mandateur, du héros et du faux héros.

Greimas substitue à la notion trop vague de « fonction » la formulation plus rigoureuse de l’énoncé narratif (EN) :

EN = F ( A1, A2,…)

F = une fonction, au sens logique de « relation » 

A1, A2, … = les actants.

Greimas dit : « Le modèle actantiel est en premier lieu l’extrapolation d’une structure syntaxique. Un actant s’identifie donc à un élément (lexicalisé ou non, un acteur ou une abstraction) qui assume dans la phrase de base du récit une fonction syntaxique……  ; le destinateur dont le rôle grammatical est moins visible et qui appartient si l’on peut dire à une phrase antérieur (D1 veut que S…) ou, selon la grammaire traditionnelle, à un complément de cause. »

Nous représentons les six rôles et leurs relations dans notre conte par les schémas suivants :

SCHÉMA 1 :

DESTINATEUR

Le chasseur

     OBJET

              Le cerf

DESTINATAIRE

      Le chasseur

ADJUVANTS

Le flair des

chiens

                SUJET

                                     La meute

OPPOSANTS

Les filles

Pataud

Le chat

  • AXE DU SAVOIR :

DESTINATEUR ____________       OBJET _______________DESTINATAIRE

Le chasseur                                       Le cerf                                            Le chasseur

Le chasseur doit chasser pour vivre. C’est son métier. Il a besoin pour proie d’un animal de la forêt, il choisit le cerf. Le chasseur est à la fois le Destinateur et le Destinataire car l’objet de la chasse est destiné à lui-même.

  • AXE DU VOULOIR :

SUJET ______________________________________ OBJET

La meute                                                                          Le cerf

La meute est envoyée chasser le cerf. Les chiens sont le Sujet du Destinateur : ils doivent servir au chasseur dans son métier.

  • AXE DU POUVOIR :

ADJUVANTS _______________ SUJET ____________________ OPPOSANTS

Le flair des chiens                   La meute                                             Les filles

                                                                                                                             Pataud

                                                                                                                             Le chat

L’axe du pouvoir concerne la réalisation du mandat. Grâce à l’intervention des Adjuvants, le Sujet peut vaincre les Opposants. La meute a besoin de son flair pour chasser le cerf. Les Opposants sont les filles, Pataud et le chat : ils essayent de dérouter les chiens pour qu’ils ne puissent pas trouver le cerf.

Au début du conte, les Opposant sont vainqueurs : le Sujet n’arrive pas à réaliser le désir du Destinateur.

SCHÉMA 2 :

DESTINATEUR

Le cerf

      OBJET

                 Sa vie

DESTINATAIRE

Le cerf

ADJUVANTS

Les filles

Pataud

Le chat

                SUJET

                                       La fuite

                                  L’instinct de

                                         survie

  OPPOSANTS

       Le chasseur

          La meute

  • AXE DU SAVOIR :

DESTINATEUR _______________  OBJET ______________ DESTINATAIRE

Le cerf                                                       Sa vie                                            Le cerf

Le cerf veut conserver sa vie. Il ne veut pas être tué par le chasseur.

  • AXE DU VOULOIR :

SUJET ____________________________________________ OBJET

La fuite

L’instinct de survie                                                                     La vie

L’instinct de survie va aider le cerf à s’enfuir. Il doit conserver sa vie.

  • AXE DU POUVOIR :

ADJUVANTS __________________ SUJET _________________ OPPOSANTS

Les filles                                             L’instinct                                      Le chasseur

Pataud                                               de survie                                        La meute

Le chat                                                  La fuite

Grâce à l’intervention des Adjuvants (les filles, Pataud et le chat), l’instinct de survie peut l’emporter sur les Opposants (le chasseur et la meute).

    1. Le niveau thématique

Au niveau thématique, nous analysons les valeurs profondes, véhiculées implicitement par les textes :

  • PERSPECTIVE  PARADIGMATIQUE : Les oppositions de valeurs.

Le carré sémiotique se constitue sur la base d’un axe sémantique, qui s’articule en deux valeurs contraires : S1 et S2.

S1 = Vie _________________________________ S2 = Mort

S1 = La ferme (culture) ___________________ S2 = La forêt (nature)

S1 = Le travail _____________________________ S2 = La liberté

  • PERSPECTIVE SYNTAGMATIQUE : Les parcours thématiques.

Les carrés sémiotiques de notre conte :

S1 ___________________________ S2

(vie)                                                 (mort)

S1 _____________________________ S2

(non-vie)                                  (non-mort)

Dans ce premier carré sémiotique la vie et la mort sont présentées comme des valeurs opposées : le cerf doit lutter pour sa vie, qui est son Objet de valeur. L’échec de sa lutte aura pour résultat la mort.

S1 _______________________________ S2

(la culture)                                      (la nature)

S1 __________________________________ S2

(la non-culture)                        (la non-nature)

Dans ce deuxième carré, les valeurs opposées sont la culture et la nature. Pour le cerf, la culture représente la sécurité, l’amitié des filles et des animaux de la ferme. La nature, c’est la forêt, où il a vécu toute sa vie, où il se sent soi-même.

S1 _________________________________ S2

(le travail)                                             (la liberté)

S1 ___________________________________ S2

(le non-travail)                                  (la non-liberté)

Pour finir, dans le troisième carré sémiotique, nous avons les valeurs opposées travail et liberté. Le travail signifie pour le cerf la sécurité mais aussi le manque de liberté.

Mais, pour les parents, le travail est l’unique moyen de gagner sa vie.

III ESSAI D’HERMENEUTIQUE

« L’herméneutique a d’abord désigné la science des règles d’interprétation des textes bibliques, puis l’art d’interpréter les textes en général puis l’art de comprendre, de déceler ce qui n’est pas manifeste. On l’emploie souvent aujourd’hui comme synonyme d’interprétation, mais comme synonyme enrichi. Ce qu’il ajoute, c’est l’idée que l’interprétation doit franchir la distance culturelle qui nous sépare des textes en même temps que l’écart qui sépare le discours de ce qu’il doit dire.» Henri Bouillard, Exégèse, Herméneutique et Théologie.

SÉQUENCE 1 :

Marinette et Delphine, deux fillettes qui habitent dans une ferme de la campagne française, jouent tranquillement dans la cour de leur maison quand, tout à coup, apparaît un cerf qui est en train de fuir un chasseur.

« Ses flancs haletaient, ses pattes frêles tremblaient et il étais si essoufflé qu’il ne put parler d’abord ».

Le cerf est désespéré. Il est en péril de mort et demande l’aide des fillettes en suppliant :

« Cachez-moi. Les chiens sont sur ma trace. Ils veulent me manger. Défendez-moi ! ».

Le péril dans la forêt                         vs                     La sécurité dans la ferme

Les hommes qui chassent              vs                 Les hommes qui protègent

Les adultes                                              vs                                 Les enfants

qui utilisent les animaux                 vs                          qui sont leurs amis

(animal = moyen de vivre)              vs                    (animal = ami pour jouer)

La réaction des fillettes est de l’apaiser, de le cajoler, mais le chat, qui est le personnage le plus raisonnable du conte, leur ordonne de cacher le cerf dans la maison le plus rapidement possible.

« C’est bien le moment de s’embrasser ! Quand les chiens seront sur lui, il en sera bien plus gras !… »

Les sentiments                                             vs                                               La raison

(les filles)                                                                                                               (le chat)

C’est le chien Pataud qui arrive le premier, avant la meute. Au début, les fillettes veulent lui faire croire qu’elles n’ont pas vu le cerf. Mais, à cause de son flair, on ne peut pas le tromper. Finalement, c’est le poussin qui va dire la vérité. Le poussin est un personnage innocent, il ne veut pas faire de mal mais, comme les enfants, il ne sait pas cacher la vérité.

Quelle est la valeur du mensonge ? Nous savons que la société condamne le mensonge mais nous voyons que, parfois, mentir est accepté quand il s’agit de sauver la vie de quelqu’un.

La vérité                                        vs                                     La non-vérité justifiée

A l’arrivée de la meute, les filles, le chat et Pataud ont déjà décidé de la façon de les dérouter : par la flatterie elles gagnent la confiance des chiens et, trompés par l’arôme des fleurs, ils ne trouveront pas les traces du cerf. L’astuce des fillettes sauve la vie du cerf à ce moment là.

« Vous êtes si beaux, dit Marinette, que je veux vous faire un cadeau de mes fleurs. Jamais chiens ne les auront mieux méritées ».

SÉQUENCE 2 :

Etant donné que les parents n’ont pas trouvé un bœuf à acheter, le chat a la bonne idée de proposer au cerf de se présenter le lendemain à la ferme.

« Il faudrait d’abord savoir ce que tu sais faire, répondirent les parents ».

Pour les parents, avoir un cerf à la place d’un bœuf n’est pas un problème. Ils ont besoin d’un animal pour le travail, qui soit capable de jouer le même rôle que le bœuf. Le cerf a le courage de changer totalement sa façon de vivre en échange de la sécurité. Cela lui va coûter très cher car son corps n’est pas adapté au travail des champs. Il tient le plus longtemps possible mais un jour décide de s’en aller.

A la ferme, le cerf éprouve des sentiments opposés : il se sent très bien en compagnie des fillettes et des animaux, avec lesquels il se lie d’amitié. Mais il ne supporte pas le dur travail.

Etre                                                                 vs                                                     Avoir

(l’amitié,                                                                                                           (la sécurité,

la joie,                                                                                                             la nourriture

le bonheur)                                                                                                une demeure)

SÉQUENCE 3 :

« Delphine et Marinette n’eurent jamais non plus la permission d’accompagner le cerf, mais un dimanche après-midi, sous prétexte d’aller cueillir le muguet, elles le rejoignirent dans un endroit de la forêt où ils s’étaient donné rendez-vous. »

Les fillettes font une chose interdite : elles vont dans la forêt en sachant qu’elles n’ont pas l’autorisation de leurs parents. Elles mentent pour la deuxième fois, mais cette fois non pour sauver la vie de personne, mais pour le plaisir. Elles risquent les dangers de la forêt mais c’est leur choix.

Cette sortie-fugue est très intéressante pour les filles, qui apprennent beaucoup de choses et rencontrent quelques animaux très sympathiques, comme, par exemple, la carpe, qui connaît leur mère depuis qu’elle était petite.

Le chien Pataud apparaît : « il fut très content d’apprendre qu’il travaillait à la ferme ». Il conseille au cerf de rester à la ferme pour toujours :

« Toujours ? protesta le cerf. Non, ce n’est pas possible. Si tu savais comme le travail est ennuyeux et comme la plaine est triste par ces grands soleils, alors qu’il fait si frais et si doux dans nos bois. »

Le chien veut le bien du cerf, mais le cerf doit choisir lui-même son destin. C’est comme les parents qui donnent des conseils à leurs enfants, mais pour ceux-ci le plus important est de vivre leur vie, de faire leurs expériences et leurs choix personnels.

Suivre des conseils                        vs                     Faire sa propre expérience

Pour sa part, le chien manifeste son malheur :

« Ah ! quel métier ! depuis que je vous connais, je ne peux pas dire combien il m’est pénible. Si je pouvais, moi aussi, quitter la forêt pour aller travailler dans une ferme… »

Le chien a changé dans sa façon de considérer les animaux qu’il doit chasser : maintenant il éprouve des sentiments pour eux et il lui est difficile de les tuer. Son métier ne lui plait plus et il désire en changer, mais il ne voit pas comment il pourrait le faire :

« Je ne peux pas, soupira Pataud. Quand on a un métier, il faut bien qu’on le fasse. C’est ce qui compte d’abord. ».

Etre                                                           vs                                                       Avoir

(en accord avec                                                                                         (un métier,

sa conscience)                                                                                          une position

                                                                                                                      dans la société)

SÉQUENCE 4 :

Dans cette séquence, le cerf doit prendre une décision : il ne supporte plus le travail et il doit choisir entre la sécurité de la ferme et le danger de la forêt. Il sait bien qu’il sera certainement chassé dans la forêt mais il décide d’y retourner. Le bœuf tente de s’enfuir avec lui mais il ne parvient pas à marcher dans la forêt. On voit que :

Le cerf appartient à la forêt          vs             Le bœuf appartient à la ferme

Le cerf ne peut pas travailler       vs              Le bœuf ne peut pas habiter

comme un bœuf à la ferme                               dans la forêt comme le cerf

Chacun a sa place dans le monde et on ne peut pas changer de position.

SÉQUENCE 5 :

« Les petits ne voulaient pas croire que leur ami le cerf fût parti pour toujours. – Il reviendra, disaient-elles, il ne pourra pas toujours se passer de nous ».

Les fillettes sont très tristes après le départ du cerf. Elles pensent qu’il va revenir. Elles pensent que l’amour qu’il a pour elles est trop grand pour qu’il les abandonne comme ça. Elles ne comprennent pas qu’il ne puisse pas vivre à la ferme.

L’espoir                                                      vs                                                      La réalité

Quand Pataud arrive avec la nouvelle de la mort du cerf, les fillettes pleurent, inconsolables. Mais elles ont un réconfort : elles sont sûres maintenant que le cerf avait de l’ affection pour elles : il a donné à Pataud une marguerite « Pour les petites », il m’a dit ». Le cerf va rester pour toujours dans la mémoire des fillettes.

Finalement, après la mort du cerf, le chien prend la décision d’abandonner son métier et de rejoindre les fillettes à la ferme. C’est ce qu’il voulait faire au début, quand il avait rencontré les fillettes. Mais il n’en avait pas alors le courage. Il a fallu la mort de son ami pour qu’il puisse prendre la décision de changer de vie.

Le courage de changer                        vs                             l’inertie de la vie ( ? )

IV CONCLUSION

Dans « Le cerf et le chien », Marcel Aymé nous présente des problèmes que les hommes rencontrent dans leur vie quotidienne : ils doivent prendre des décisions, s’adapter à différents milieux sociaux, mentir, souffrir de la disparition d’un ami, faire un travail sans plaisir, prendre des risques pour un ami, avoir le courage de vaincre l’inertie de la vie …

Sa façon d’écrire est simple et claire. Ses contes sont destinés aux enfants mais seuls les adultes peuvent en trouver le sens profond.

Marcel Aymé a vécu son enfance à la campagne et c’est pour cette raison que ses contes se déroulent dans une ferme où les animaux sont des personnages humanisés.

***

Université de Genève, Faculté des Lettres, E.LC.F.

Texte présenté par Mme Oriana ROMERO PEREIRA et M. Elton KAPPLA dans le cadre du séminaire d’introduction à l’analyse sémiotique pour l’obtention du Certificat d’Etudes Françaises

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

La mission de Scali dans « L’Espoir » d’André MALRAUX

Introduction

« L’espoir » de Malraux se déroule pendant la guerre civile d’Espagne. L’écrIvain avait de bonnes relations avec certains officiers de l’aviation espagnole. En 1968, il répondait à un journaliste qui lui avait demandé pourquoi il était parti pour la guerre :

« Pour des raisons de camaraderie. J’étais très lié avec l’Espagne de gauche qui était une vraie gauche. J’y suis allé au secours de mes camarades. Les Espagnols étaient mes amis politiques et… enfin, mes amis tout court. »

Et c’est ainsi que Malraux agit avec décision, prend les armes, accepte de se faire tuer et de tuer aussi. L’auteur de « L’espoir » ne se contente pas de raconter d’innombrables épisodes qui se sont déroulés entre juillet 1936 et mars 1937 (bien avant la fin de la guerre). Il fait assister le lecteur à un constant va et vient entre action et réflexion, l’un des points les plus forts du livre et de l’artiste.

Quand il a fallu choisir un personnage entre tous ces hommes courageux qui combattaient avec Malraux pour sauver la République, mon choix s’est porté sur Giovanni Scali, un volontaire italien. Certes, il joue un rôle moins important que, par exemple, Magnin, Manuel, Garcia ou Ximénès qui étaient tous des commandants ayant autorité. Mais Scali représente l’intellectuel qui se trouve constamment confronté à des réflexions sur le sens de la vie, la qualité de l’homme et les faits qui pourraient justifier cette révolution qui tournait en guerre civile. La guerre civile d’Espagne était une guerre juste, selon les anarchistes, parce qu’elle servait à libérer un peuple opprimé et à rendre justice à ceux qui avaient été maltraités pendant deux cents ans.

  1. Giovanni Scali – solidarité et camaraderie

1.1.  Sa solidarité envers les camarades aviateurs confrontés à la mort
1.2. Sa solidarité envers un ex-pilote

1.3. Sa solidarité envers des camarades républicains

 

1.1. Sa solidarité envers les camarades aviateurs, confrontés à la mort:

Les volontaires de l’aviation internationale attendent leurs camarades qui sont partis pour la Sierra, n’ayant d’essence que pour vingt minutes. Malraux décrit l’atmosphère de cette attente en des mots qui révèlent le suspense vécu entre tragédie et délivrance :

« Chacun savait que pour ceux qui l’attendraient, sa propre mort ne serait pas autre chose que cette fumée de cigarettes nerveusement allumées, où l’espoir se débattait comme quelqu’un qui étouffe. » (1)

 Ces mots traduisent bien le combat qu’il faut mener pour que l’espoir ne tourne pas en désespoir. Et c’est là où le lecteur fait la connaissance de Giovanni Scali :

« Regarde le petit Scali là-haut, il est  pendu  à  son  téléphone.  ( …  ) Il pourrait être espagnol, regarde-le. (… ) Le visage un peu mulâtre de Scali était en effet commun à toute la Méditerranée occidentale. » (2)

Scali est italien d’origine et surtout un homme de cœur. Il vient d’apprendre que les deux avions attendus ont été mis hors de combat et que l’un deux a atterri, endommagé ;  mais les aviateurs n’ont rien que des blessures légères, tandis que l’autre équipe tente de rentrer.

« Scali, ses cheveux presque crépus dans tous les sens, était  descendu  au  pas de course chez Sembrano. commandant de l’aérodrome civil.  ( …  ) Au-dessus du champ couleur de sable à quoi deux heures de l’après-midi donnait une solitude de Mauritanie, glissait en silence la carlingue pleine de camarades vivants ou morts. ‘ Le coteau!’ dit Sembrano. ‘Darras est pilote de ligne’ répondit Scali,  retroussant son nez de l’index. » (3)

C’est une scène très parlante et le choix des mots n’est en rien un hasard :

  • « solitude » – « silence » – « vivants ou morts »,
  • la vie opposée à la mort
  • la solitude opposée à la solidarité
  • le silence opposé à la parole articulée des vivants

sont des thèmes qui reviennent constamment chez Malraux, parce que l’écrivain cherchait à « retrouver l’homme partout où on a rencontré ce qui l’écrase« .

Quand Scali « retrousse son nez de l’index« , c’est toujours le signe d’une réflexion. Et la réponse : « Darras est pilote de ligne« , révèle le respect de l’intellectuel pour les qualités de l’homme. Scali va faire preuve de ce respect dans tout le livre, bien que cette croyance en la qualité de l’homme soit remise en question.

« ‘Le capotage,’ reprit Scali. ‘Sûrement il n’a plus de pneus…’ Il agitait ses bras courts, comme s’il eût voulu aider l’avion. Celui-ci toucha terre, (… ) tous étaient en train d’apprendre dans leur corps ce que veut dire solidarité. » (4)

Ces hommes sont profondément liés par les expériences qu’ils partagent. Même si chacun doit être seul au moment de sa mort, mourir pour une cause commune, c’est faire l’expérience de la fraternité dont Malraux fait sans cesse l’éloge. L’atterrissage de cet avion, fort avarié, est donc ressenti comme un événement qui concerne chaque homme assistant à la scène.

L’avion peut atterrir sans capoter. Quelques aviateurs sont blessés, de sorte qu’il faut les tirer de l’appareil. Pourtant ces événements, vécus si douloureusement, font partie de la vie quotidienne. Scali va assister à d’autres incidents qui le confronteront tous à des problèmes existentiels.

1.2. Sa solidarité envers un ex-pilote :

« Schreiner, un volontaire venu pour renforcer l’escadrille et qui doit d’abord faire preuve de ses connaissances de pilote » partit vers l’avion d’essai, sans hâte, mais les doigts toujours crispés. (… ) Près du bar, Scali, Marcelino et Jaime Alvear se passaient des jumelles. (… ) Schreiner était un des pilotes les plus âgés; et il n’y avait pas sur ce champ un seul aviateur qui attendît sans angoisse ce que quarante-six ans – dont dix d’usine – peuvent faire d’un grand pilote. » (5)

Schreiner a abattu vingt-deux avions alliés. Mais il ne parvient plus à piloter convenablement. Après l’épreuve, il dit à Magnin :

« ‘Excusez-moi,’ dit Schreiner. Le ton de sa voix était tel que Magnin ne regarda pas son visage. ‘Je vous ai dit : il me faut deux heures… Ni deux heures ni deux jours. J’ai trop travaillé aux mines. Mes réflexes sont perdus.’ ‘Nous parlerons tout à l’heure,’ dit Magnin. ‘Inutile. Merci. Je ne peux plus voir un avion. Faites-moi incorporer aux milices. Je vous prie.’ (… ) Schreiner repartait, les yeux dans le vide. Les pilotes s’écartaient de lui comme d’une agonie d’enfant, comme de toutes les catastrophes auprès desquelles les mots humains sont misérables. (… ) Scali, qui avait assisté à la fin de l’entretien, commençait à découvrir que la guerre est aussi physiologique. (6)

Schreiner a donc perdu ses réflexes, ce qui le rend inapte à piloter, du moins à ses propres yeux. Scali, comme tous les aviateurs sur le champ, éprouve ce fait comme une agonie, une catastrophe qui précède la mort. Malraux a écrit que les mercenaires et les volontaires sont « unis dans l’aviation comme les femmes dans la maternité » (7). Une femme qui n’est plus féconde se sent donc bien plus proche de la mort, parce qu’elle ressent fort profondément l’impossibilité de donner la vie à un enfant et ainsi, combien la durée de la vie est limitée.

Les volontaires et les mercenaires qui se présentent avec beaucoup de bonne volonté à l’escadrille ne sont pas tous capables de faire la guerre comme il le faut. Les uns sont inaptes pour des raisons physiologiques, les autres pour des raisons politiques (illustré par l’exemple d’un communiste qui s’engage sans cesse dans le recrutement de nouveaux membres) ou pour des raisons idéologiques et pratiques (illustré par l’exemple de Leclerc – voir chapitre 3.1. et 3.2). C’est alors Magnin, le responsable de l’escadrille, qui doit choisir parmi ces hommes; ce qui n’est pas toujours facile. Les républicains manquent déjà de soldats, à cause de lourdes pertes dans leurs colonnes, et l’aide soviétique tarde. De plus, Magnin ne veut pas offenser des hommes décidés à mettre leur vie en cause et ainsi à s’engager dans la libération de l’Espagne menacée par les Franquistes. Néanmoins, Magnin préfère ne pas mettre en péril le peu d’avions qui sont mis à sa disposition.

Selon Jean Lacouture, qui a écrit une biographie d’André Malraux, « la question des mercenaires n’a cessé d’être débattue. Jusqu’au moment où il réussit à découvrir parmi les volontaires des Brigades, les hommes capables de s’aventurer sur ses Bréguet et Potez, le patron de l’escadrille Espana estima que mieux valait confier l’un de ses irremplaçables appareils à un bon professionnel payé 50 000 pesetas par mois qu’à un archange inexpérimenté et ‘casseur de bois’. Argument d’efficacité qui est, en ce domaine comme en d’autres, un des leitmotifs de l’Espolr. »  (8)

1.3. Sa solidarité envers des camarades républicains :

Le 14 août, selon Malraux (9), les bombardiers de l’escadrille internationale Espana arrêtent à Medellin une colonne de 4000 Maures et Légionnaires qui progressait vers Madrid.

J. Lacouture s’y réfère avec les remarques suivantes :

« Malraux se bat avec une efficacité immédiate, reconnue par tous les historiographes (non­ franquistes) de la guerre, notamment à propos du premier engagement sérieux de ses hommes, de ses appareils et de lui-même, qui restera aussi leur haut fait le moins contesté : l’opération de Medellin, dont Pierre Broué et Emile Temime aussi bien que Hugh Thomas soulignent l’importance qu’elle eut dans le sauvetage de Madrid.

Quand on parle de l’escadrille Espana (… ) il faut avoir en tête, sinon les chiffres, au moins les proportions. Jamais Malraux et les siens n’eurent à la fois, en vol, plus de six appareils. Jamais ils ne purent compter sur plus de neuf avions en état de marche : deux ou trois Potez, deux ou trois Bréguet, deux ou trois Douglas, un ou deux Bloch – tous appareils honorables pour l’époque, opposables aux Heinkel, sinon aux Fiat et aux Savoia-Marchetti, mais si peu préparés aux missions de bombardement qu’il fallut d’abord larguer les bombes par les fenêtres, et divers orifices d’évacuation. » (10)

Malraux décrit l’événement en des mots qui montrent à quel point les aviateurs sont toujours conscients des problèmes éthiques de la guerre qui s’imposent à tous les moments cruciaux. La bataille intime, qui se livre dans le fond du cœur, concerne, d’une part, le destin de l’individu et par conséquent le sort de la République et, d’autre part, la dignité de l’homme. Les pensées qui justifient les moyens (tueries et bombardements) démontrent de la haine contre les Franquistes à cause des atrocités commises par ces derniers; mais en même temps, le désir apparaît de ne pas mener cette guerre comme des brutes ou des assassins, mais comme des hommes dignes.

« Scali, bombardier du troisième avion international, ( … ) entraîné dans l’armée italienne ( … ) regardait les bombes se rapprocher de la route. (… ) Scali voyait distinctement les points blancs des turbans maures; il pensa aux fusils de chasse des pauvres types de Medellin et ouvrit d’un coup les deux caisses de bombes légères quand l’enchevêtrement des camions arriva dans le viseur. Puis il se pencha sur la trappe et attendit l’arrivée de ses bombes : neuf secondes de destin entre ces hommes et lui. ( … ) sept, huit, – comme ça courait en bas! – neuf : ça cessa de courir sous vingt taches rouges claquant à la fois. L’avion continuait son chemin, comme si tout cela ne l’eût pas concerné. (… ) Sauf à l’instant de l’éclatement rouge des bombes, la mort semblait ne jouer aucun rôle dans cette affaire. ( … ) Sembrano savait ce qu’était la lutte des miliciens d’Estramadure; qu’ils ne pouvaient rien faire; que, seule, l’aviation pouvait les aider. ( … ) Les ombres des camions démolis s’allongeaient maintenant en tête et en queue de la colonne, comme des barrières. ‘Franco en aura pour plus que cinq minutes à arranger ça’ pensa Sembrano, lèvre inférieure en avant. (…) Demeuré pacifiste dans son cœur, il bombardait avec plus d’efficacité qu’aucun pilote espagnol; simplement pour calmer ses scrupules, quand il bombardait seul, il bombardait très bas : le danger qu’il courait, qu’il s’ingéniait à courir, résolvait ses problèmes éthiques. (… ) Il était naturellement courageux comme tant de timides. ( … ) Il avait mis le cap sur Medellin à deux cent quatre-vingts à l’heure. (… ) Sembrano attendant que toute cette fumée (provenant des bombes qu’il avait lancées) se dissipât, jeta un coup d’œil devant lui, revit le Douglas qui avait perdu la file, et deux autres ( … ) ce n’étaient pas des Douglas (avions républicains), c’étaient des Junkers (avions franquistes). C’était le moment où Scali trouvait l’aviation une arme dégoûtante. Depuis que les Maures fuyaient, il avait envie de partir. Indifférent aux mitrailleuses de terre, il se sentait à la fois justicier et assassin, plus dégoûté d’ailleurs de se prendre pour un justicier que pour un assassin. Les six Junkers, trois en face et trois au-dessous, le délivrèrent de l’introspection. » (11)

Dans son roman « L’Espoir« , Malraux ne parvient pas à dire le dernier mot sur l’absurdité et l’éthique de la guerre :

« risquer la vie pour sauver la vie« ,

c’est risquer la vie pour sauver la vie des camarades (à Medellin) et sa propre dignité, selon Sembrano;

« tuer pour sauver la vie« ,

c’est ce qui exprime la pensée de Scali. Même l’assassin peut tuer pour sauver la vie (pensons à Tchen dans l’inoubliable « Condition humaine » d’André Malraux). Néanmoins, toute justification de la guerre semble se heurter à des valeurs qui sont imprimées de façon ineffaçable dans l’âme ou le cœur de l’intellectuel italien. Donner la mort à quelqu’un est un acte définitif qu’on ne peut plus annuler. Et c’est pourquoi Scali revient sur sa décision de tuer en se demandant à quel titre il agit. L’action, c’est-à-dire l’imminente fuite (qui va être menée à bien), l’empêche de choisir entre le titre d’assassin ou celui de justicier.

2. Scali à la Sûreté : diplomatie et tact

2.1. Scali plein de diplomatie pour sauver un camarade italien
2.2. Scali plein de finesse et de tact envers un fasciste italien

Jusqu’à présent, nous avons fait la connaissance de Scali en tant qu’homme qui se solidarise avec tous ceux dont la vie ou la dignité est en péril. Confronté à trois compatriotes, il va presque nous apprendre comment on peut « manier le choux et la chèvre« .

2.1. Scali plein de diplomatie pour sauver un camarade italien :

« Magnin envoyait presque toujours Scali à la Sûreté, sa culture rendait faciles ses rapports avec l’état-major de l’air, composé presque tout entier d’officiers de l’ancienne armée. Sa cordialité pleine de finesse d’homme … rendait faciles les rapports avec tous, Sûreté comprise. Il était plus ou moins copain de tous les Italiens de l’escadrille, dont il était le responsable élu, et de la plupart des autres. Enfin il parlait fort bien l’espagnol. (12)

« Scali venait d’être appelé à la police. ( … ) … entre deux gardes, s’agitait Séruzier plus ahuri – volatile que jamais. ‘Ah! Scali, c’est toi, Scali ! Eh ben mon vieux!’ Scali attendit qu’il eût fini de faire le bourdon. ( … ) ‘Une seconde,’ dit Scali, l’index levé. ‘Commence par le commencement.’ (Séruzier raconte son aventure qu’il avait vécue en ville avec des prostituées) ‘Mais qu’est-ce que tu fais ici ? Tu n’as pas été arrêté pour lubricité, tout de même ?’ (… ) Scali rigolait, l’affaire tournait bien. Quand Scali souriait, il avait l’air de rire et la gaieté, diminuant ses yeux, accentuait le caractère mulâtre de son visage. (…) ‘Quelle est l’inculpation ?’ demanda Scali, en espagnol. au secrétaire.’ ‘Pas très sérieuse. Il est accusé par des prostituées, vous savez… Attendez. Voilà: organisation d’espionnage pour le compte de l’Italie. Cinq minutes après, Séruzier était libéré, au milieu de la rigolade. » (13)

Pourtant, la vraie mission de Scali concerne deux compatriotes, aviateurs fascistes, tombés entre les mains des républicains.

3.2. Scali plein de finesse et de tact envers un fasciste italien

Le responsable de la Sûreté dit à Scali :

« ‘Les Renseignements militaires demandent que vous examiniez les papiers. Scali, gêné, feuilleta de son petit doigt court des lettres, des cartes … » (14)

Ainsi, Scali tombe sur une liste de vols dont la date de départ d’Italie est antérieure au soulèvement de Franco. Ce document représente donc une preuve de la collaboration de Mussolini au « pronunciamiento », le coup d’Etat des fascistes.

Selon J. Lacouture, « Le 8 août, l’Italie fasciste a signé le pacte de non­ intervention. Mais au mois de mars 1934 déjà, Mussolini avait pris avec les représentants des factions d’extrême droite espagnoles un engagement de soutien militaire (15). »

De plus, Scali trouve des papiers indiquant qu’une importante mission d’aviation est imminente sur Tolède, ce qui n’est pas la seule chose qui le trouble :

« C’était la première fois que Scali rencontrait un Italien ennemi avec une illusion d’intimité, et celui qu’il rencontrait était un mort (16). »

En feuilletant les photos et les cartes, Scali a l’impression qu’il connaît l’aviateur mort. Il est interrompu par le responsable :

« ‘L’observateur est là, interrogez-le.’ – ‘Si vous voulez,’ dit Scali sans enthousiasme. Ses sentiments à l’égard du prisonnier étaient aussi contradictoires que ceux qu’il avait éprouvés devant les papiers (17). »

Confronté à un compatriote fasciste, qui se bat pour Mussolini et les nationalistes espagnols, Scali éprouve toute l’indignité d’un homme qui a fait un autre choix dont il est fort convaincu. Mais quand il s’approche de son ennemi, il fait preuve de beaucoup de tact et de ces traits de caractère, si bien décrits par Malraux en des mots comme « culture« , « cordialité » et « finesse« .

‘ »Vous êtes blessé ?’ demanda Scali, neutre (18). »

La description de Scali montre à quel point l’écrivain a développé de l’amitié et de l’humour envers ses camarades de guerre, car Scali est, d’une part, le porte-parole de Malraux (comme d’autres personnages du livre) et, d’autre part, il incarne les traits d’un ou de plusieurs copains aviateurs de l’écrivain.

L’observateur fasciste se montre fort stupéfait.

« Ce qui l’étonnait était peut­ être Scali lui-même : cet air de comique américain, dû moins à son visage à la bouche épaisse, mais aux traits réguliers malgré les lunettes d’écaille, qu’à ces jambes trop courtes pour son buste, qui le faisaient marcher comme Charlot, cette veste de daim. si peu « rouge », et ce porte-mine sur l’oreille. ‘Un instant,’ dit Scali en italien. Je ne suis pas un policier. Je suis aviateur volontaire. appelé ici pour des questions techniques. On me demande de séparer vos papiers de ceux de votre… collègue mort. C’est tout (19). »

Scali n’enfreint en rien les convenances, mais l’entretien ne dure pas longtemps et les premiers mensonges apparaissent :

« ‘Vous êtes tombés en panne, ou en combat?’ demanda Scali. ‘Nous étions en reconnaissance. Nous avons été abattus par un avion russe.’ Scali haussa les épaules. ‘Dommage qu’il n’y en ait pas ; ça ne fait rien. Espérons, qu’il y en aura.’ La feuille de vol du pilote ne portait d’ailleurs pas reconnaissance, mais bombardement. Scali éprouvait avec violence la supériorité que donne sur celui qui ment la connaissance de son mensonge (20). »

Malgré ces sentiments nommés violents, Scali reste poli et n’abuse pas de sa position. Au cours de l’entretien, il trouve une photo représentant un détail d’une fresque de Piero della Francesca. Cette photo appartient à l’aviateur mort. Comme historien de l’art, Scali est l’interprète de Masaccio (une des oeuvres de l’artiste) et il a publié l’analyse la plus importante des fresques de Piero :

« Sans le fascisme, cet homme eût peut-être été son élève (21). »

Ce fait explique pourquoi Scali se sent confusément solidaire avec l’aviateur mort. Toutes ces observations ne rendent pas forcément plus facile l’interrogatoire du fasciste. Après une description de sa capture, ce dernier demande :

« ‘Est-ce que je dois être jugé ?’ – ‘Mais pour quoi faire ?’ – ‘Sans jugement !’ cria l’observateur. ‘Vous fusillez sans jugement !’ (… ) Scali repoussa légèrement ses lunettes et haussa les épaules avec une tristesse sans limites. L’idée si commune parmi les fascistes, que leur ennemi est par définition une race inférieure et digne de mépris, l’aptitude au dédain de tant d’imbéciles n’était pas une des moindres raisons pour lesquelles il avait quitté son pays. – ‘Vous ne serez pas fusillé du tout,’ dit-il retrouvant soudain le ton du professeur qui tance son élève. L’observateur ne le croyait pas. Et qu’il en souffrît satisfaisait Scali comme une amère justice (22). »

Scali ne constate donc pas sans peine qu’il retrouve en Espagne les mêmes idées repoussantes et indignes auxquelles il a tourné le dos dans son propre pays. Une fois au pouvoir, Mussolini, le dictateur italien, n’a pas rendu la vie des socialistes comme Scali facile. Néanmoins, la réaction de ce dernier semble étrangement amère et vengeresse. Quoique cultivé, de nature cordiale et plein de finesse, Scali ne peut pas s’empêcher de tourmenter le fasciste, après que ce dernier n’a visiblement proféré que des mensonges.

Au cours de l’interrogatoire, Scali touche à un problème encore plus brûlant que ceux mentionnés jusqu’à présent : la torture. Il montre au fasciste une photo du capitaine Vallado et de son équipe. Les miliciens les ont trouvés morts, encore à leur place dans la carlingue, les yeux arrachés :

« L’observateur regarda les visages aux yeux arrachés ; il serrait les dents, mais ses joues tremblaient. – ‘J’ai vu … plusieurs pilotes rouges prisonniers…jamais ils n’ont été torturés…Qu’est-ce qui… prouve,’ demanda-t-il, ‘que cette photo n’est pas … ne vous a pas été envoyée après un truquage…’ – ‘Bien, alors elle l’est. Nous arrachons les yeux des pilotes républicains pour prendre les photos. Nous avons pour ça des bourreaux chinois, communistes.’ Devant les photos dites de « crimes Anarchistes » Scali, lui aussi, supposait d’abord le truquage: Les hommes ne croient pas sans peine à l’abjection de ceux avec qui il combattent (23). »

Un homme peut se décider à faire la guerre, mais il ne peut pas forcément choisir ses camarades. Malraux, au travers de Magnin, fait le constat suivant :

« Le difficile n’est pas d’être avec ses amis quand ils ont raison, mais quand ils ont tort… (24). »

Quant à Scali :

« tout ce qu’il pouvait dire lui sembla si vain qu’il n’eut plus envie que de se taire (25). »

Scali éprouve toute l’indignité qu’un homme peut ressentir face aux atrocités. Le fait qu’il n’a plus envie que de se taire signifie une rupture. Il ne parlera plus jamais avec cet homme.

J. Lacouture nous apprend que « … toute création chez Malraux, de la Condition humaine aux Antimémoires, se résoud tôt ou tard à un problème de communication (26). »

De plus, on a beaucoup reproché à Malraux de ne pas parler suffisamment des atrocités républicaines ou encore de ne s’être pas prononcé sur l’assassinat d’Andrès Nin. « L’écrivain (Malraux) qui traçait alors les portraits de Puig et du Négus, magnifiques combattants anarchistes, et des socialistes Magnin et Scali, comment pouvait-il taire la liquidation d’un révolutionnaire tel que le leader du P.0.U.M.? (27). »

Les exigences de l’action se heurtent à celles de la pureté, comme souvent dans les situations de guerre.

Pour l’instant, Scali résoud le problème en pensant :

« Cet homme et lui avaient choisi (28). »

Scali finit donc par reconnaître : c’est d’abord le choix de l’individu qui range les uns dans les lignes franquistes et les autres à côté des républicains. La qualité de l’homme n’est pas forcément décisive pour ce choix qui est avant tout politique.

L’interrogatoire à la Sûreté finit par une découverte. Scali remarque des traces sur une des cartes qui indiquent tous les champs clandestins des fascistes et ceux de la région du Tage, d’où partent les avions pour le front de Tolède :

« Scali sentait son visage se tendre. Il rencontra les yeux de l’ennemi: chacun savait que l’autre avait compris (29). »

C’est la première fois que le fasciste est nommé « ennemi« . Ce fait laisse entrevoir que Scali est devenu hostile – il ne supporte plus rien de cet homme.

« Le fasciste ne bougeait pas, ne disait pas un mot. Sa tête s’enfonçait entre ses épaules et ses joues tremblaient comme lorsqu’il avait regardé la photo de Vallado (30). »

Ces dernières lignes laissent soupçonner que le fasciste va être torturé pour vérifier la découverte. Pour Scali, l’entretien est terminé :

« Scali plia la carte. Le ciel de l’après-midi d’été espagnol écrasait le champ comme l’avion à demi effondré de Darras écrasait là-bas ses pneus vides, déchirés par les balles. Derrière les oliviers, un paysan chantait une cantilène andalouse (31). »

L’épisode à la Sûreté et le chapitre finissent par cette description dépeignant parfaitement l’atmosphère qui règne. Le choix des mots n’est en rien un hasard :

« plia » : fait penser à « plier bagage » – Scali part et ne va plus revoir ce fasciste.
« écrasé » – « vide » – « déchirés » : dépeint l’état du pays andalou dans le chaos de la guerre et, peut-être, l’état d’esprit de Scali après tout ce qu’il a appris à la Sûreté.

3. Scali, commandant adjoint, confronté à des faiblesses humaines

3.1. Le mercenaire qui a pris la fuite
3.2. Le mercenaire vantard et protestataire

Dans les scènes suivantes, Malraux fait preuve de son talent de dramaturge et de caricaturiste. Leclerc est le prototype du mercenaire et la personnification d’à peu près tous les problèmes que Malraux envisageait avec ce genre de guerrier.

Selon Lacouture,

« Leclerc crache sa colère d’homme mal dessaoulé qui a fui devant la chasse ennemie et sa honte de n’avoir plus en lui les ressources morales sans lesquelles, primes ou pas, l’engagement physique total est intolérable (32). »

Ceci se déroule durant l’absence des deux hommes qui commandent, Magnin et le chef des pilotes.

3.1. Le mercenaire qui a pris la fuite

« Scali se trouvait commander le champ (…) l‘absence de tout moyen de contrainte limitait le commandement à l’autorité personnelle de celui qui commandait (33). »

L’escadrille se compose de mercenaires et de volontaires. Leurs idées varient, surtout par rapport au matériel mis à leur disposition. Leclerc, un mercenaire français, vient d’observer un accident grave d’un avion républicain :

« Le Jaurès, cassé par le milieu, lança comme des graines ses huit occupants dans le ciel plombé. Leclerc eut l’impression qu’un bras sur lequel il s’appuyait venait d’être coupé ; … il vira plus court et fila pleins gaz sur Alcala (34). »

Le mercenaire n’a pas fait son travail, qui consiste à bombarder la colonne de Gétafé.

« ‘Jamais vu ça même pendant la guerre,’ répétait Leclerc ( … ) la bouche tragique et l’oeil de celui qui revient de l’enfer, partit d’un pas de légionnaire pour le poste de commandement (35). »

C’est seulement au poste de commandement que Leclerc prend conscience de sa fuite. Et le mercenaire va très mal supporter son acte et rendre la vie de Scali difficile, qui est commandant jusqu’au retour de Magnin. Leclerc, décide de se saouler à mort. Quatre miliciens le ramènent, ficelé comme un saucisson :

« Il dessaoulait doucement. Scali ( … ) se demandait ce qu’il allait faire si Leclerc devenait furieux (36). »

Scali va encore prouver qu’il a du tact et beaucoup de compréhension et de patience à l’égard de ses camarades de guerre. La manière dont il va gérer la réaction de Leclerc est assez surprenante :

« Attignies … revenait, silencieux ; Scali comprit que c’était pour lui prêter main-forte, si besoin était (37). »

Darras se range aussi de son côté :

« il avait exécuté avec Scali une mission semblable à celle que Leclerc venait de manquer. Leclerc les regarda tous deux : Scali avec ses lunettes rondes, son pantalon trop long dont les jambes bouffaient, son air de comique américain dans un film d’aviation (38). »

Leclerc insiste sur le fait qu’il s’est fort bien battu autrefois et qu’il n’est en rien du tout un lâche. Scali cherche à le réconforter bien que le mercenaire soit ivre :

‘ »Tout le monde sait bien que c’est toi,’ dit Scali, prenant son bras sous le sien. ‘T’en fais pas : viens te coucher.’ Pour lui comme pour Magnin, la fuite de Leclerc était plus de l’ordre de l’accident que de la lâcheté. Et qu’il s’accrochât ainsi au souvenir de Talavera, en ce moment, le touchait. Mais il y a toujours quelque chose de hideux dans la colère. plus encore dans celle de l’ivresse. ‘Viens te coucher,’ dit Scali de nouveau. ( … ) Scali lui donna le bras. ( … ) Au premier étage, il prit Scali dans ses bras: ‘J’suis pas un lâche, tu m’entends : j’suis pas un lâche…’ Il pleurait.« 

Quel spectacle donné par un homme qui a perdu l’estime de lui-même ! Scali a prouvé encore une fois qu’il a de très bonnes manières de réagir, même dans des cas difficiles. Néanmoins, les problèmes avec Leclerc vont continuer.

3.2. Le mercenaire vantard et protestataire

Leclerc cherche à entraîner des camarades dans une rébellion contre le commandement. Magnin est absent et personne ne sait trop s’il s’est « fait descendre » dans un avion. Un nommé Nadal rend visite à l’escadrille afin d’ y trouver des récits susceptibles d’alimenter le journal dont il est le correspondant. Leclerc se vante à un tel point qu’il dit même :

« Moi, Leclerc, excuse-moi, j’ai arrêté Franco (39). »

Au cours de cet entretien avec le journaliste, il ajoute :

« Je suis un mercenaire de gauche, tout le monde le sait. Mais si je suis ici, c’est parce que je suis un dur. J’suis un invétéré du manche. Le reste, c’est pour les nouilles flexibles, déprimées et journalistes. Chacun à son goût, excuse-moi. Tu m’as compris ? (40). »

Attignies, un volontaire, dit :

« Faiblesse ou lâcheté, si Magnin ne les balance pas, ces gars-là vont pourrir l’escadrille (41). »

Le spectacle continue :

« Leclerc : « ses petits yeux écarquillés et ses deux mains pathétiques, des deux côtés de ses étoiles de lieutenant » ; Gardet regardant le bombardier protestataire constate : « ressemble encore plus à une théière de dessin animé à la lumière qu’au jour (42). »

Scali ne choisit ni le dédain, comme Attignies, ni l’ironie, comme Gardet, afin de résoudre ce problème. Adoptant une attitude calme, il attend et écoute ce que les autres camarades rétorquent à Leclerc:

« Scali professait qu’il ne fallait pas prendre tous ces garçons trop au sérieux, et, d’ordinaire, s’en trouvait bien. Aujourd’hui... (43) « 

Leclerc est fort mécontent à cause de toutes les privations devant lesquelles il doit s’incliner et, surtout, parce que les mercenaires n’ont toujours pas obtenu de contrats. Il s’approche de Scali et le provoque directement :

« La révolution, j’ t’ l’ai dit: chacun son boulot. Mais tu m’excuseras, pour l’organisation, merde ! » (… ) « Scali, dégoûté derrière ses lunettes, ne répondait pas (44) ( … ) ‘ »J’en ai marre des mitrailleuses de tir forain, ‘ reprit Leclerc. Marre. J’ai des couilles, moi, et j’veux bien faire le taureau, mais j’veux pas faire le pigeon. Tu m’as bien compris ?’ Scali, au-delà du découragement, haussa les épaules. Leclerc haussa les épaules pour l’imiter, rageur, les dents serrées. ‘J’t’emmerde ? T’entends ? J’t’emmerde.’ Il le regardait enfin de face, avec le pire visage. ‘Moi aussi.’ dit Scali, maladroitement. Ni l’engueulade, ni le commandement n’étaient son fort. Bon intellectuel. il ne voulait pas seulement expliquer, mais encore convaincre; il avait le dégoût physique du pugilat; et Leclerc, qui sentait animalement ce dégoût, le prenait pour de la peur (45). »

La dernière phrase est un bon exemple pour illustrer à quel point Malraux en avait assez des mercenaires. Il décrit Leclerc comme réduit à l’état de l’animal qui n’est mû que par l’instinct (sentir animalement) et l’oppose à Scali, l’homme qui pense, qui articule sa pensée et qui veut convaincre. Mais, comme dans bien des récits de Malraux, le problème de la communication attteint ici son point culminant, et c’est ainsi que « la rupture » – une séparation brusque entre des personnes qui étaient unies – met fin à tout ce qui a été vécu ensemble.

Magnin arrive et va faire place nette : il chasse Leclerc et son équipage de l’escadrille :

« Tu pars demain pour la France, contrat réglé. Et tu ne remettras jamais les pieds en Espagne. C’est tout (46). »

De plus, Magnin annonce que tous les contrats sont supprimés, parce qu’ils sont assimilés à l’aviation espagnole.

« Ceux qui ne sont pas d’accord partent demain matin. ( … ) La question du Pélican (47) est réglée; nous ne devons donc plus nous souvenir que de ce que chacun d’eux avait fait de bien avant… le reste. Buvons à l’équipage du Pélican.’ Le ton faisait du toast un adieu (48). »

4. Scali effectue une double mission à Madrid

4.1. L’entretien au ministère – des problèmes stratégiques
4.2. L’entretien avec Monsieur Alvear – des problèmes éthiques
4.1. L’entretien au ministère – des problèmes stratégiques

Scali, convoqué par Garcia, se rend au ministère. Garcia vient d’interroger des officiers d’artillerie pour vérifier la nature du bombardement qui a eu lieu à Madrid le 30 octobre.

La description de la scène qui suit n’est pas très détaillée. Au cours de la conversation, comme toujours, nous voyons Scali en train de répondre intelligemment à toutes les questions de son interlocuteur, mais non sans interpréter la pensée et les réactions de ce dernier :

« Scali réfléchissait derrière ses lunettes, une main dans ses cheveux. (…) Plus l’interrogatoire devenait absurde, plus Scali devenait inquiet, car il connaissait la précision de Garcia (49). »

Indigné par l’atrocité de l’incident, Garcia discute avec Scali et tous deux s’aperçoivent que les bombes n’ont été lancées ni par des avions, ni par des canons; mais qu’il s’agissait bien d’un massacre effectué par les « autos­ fantômes », ces voitures fascistes qui se lancent la nuit à travers Madrid.

« Cette fois, chaque ennemi, avant de lancer sa bombe, avait regardé la queue des femmes devant l’épicerie, les vieillards et les enfants dans le square. (…) la pitié pour les femmes est un sentiment d’homme. Mais les enfants… Garcia, comme chacun, avait vu les photos (50). »

Garcia décide de ne rien dire au peuple de Madrid. S’il dénonçait les résultats de son analyse, ceci provoquerait des réactions incontrôlables :

« la vengeance contre l’atroce rend les masses aussi folles que les hommes. ( … ) A ce point de haine, quelle paix sera possible ici ? (51). »

A propos de cet événement, Pol Gaillard fait le constat suivant :

« Malraux nous indique que Garcia, pour ne pas déchaîner une folie de vengeance, décide de ne pas révéler tout de suite que les explosions de Madrid, imputées à l’artillerie et à l’aviation, sont en réalité des attentats commis sur place par des membres de la Cinquième Colonne (des partisans nationalistes clandestins à l’intérieur de la ville), que les civils, les femmes, les enfants sont délibérément visés. Malraux ne nous dit pas que cette folie de vengeance s’est exercée quand même, que de nombreux prisonniers fascistes ont été massacrés en novembre aux environs de Madrid, tout comme à Tolède le 23 août. Il évoque l’exécution du fils de Largo Caballero, il n’évoque pas celle du fils de Moscardo, victime précisément de ce massacre de Tolède (52). »

Après l’entretien avec Garcia, Scali va voir Monsieur Alvear, père de Jaime et professeur d’histoire de l’art comme Scali.

4.2. L’entretien avec Monsieur Alvear – des problèmes éthiques

A vingt-six ans, Jaime fait partie de la milice socialiste. Ingénieur chez Hispano, il s’engage pour la prise de la caserne à Madrid, le 20 juillet 1936. Environ une année plus tard, Jaime s’aventure comme mitrailleur à un bombardement de l’Alcazar. Quand il revient à l’escadrille,

« Jaime descendit bien après les autres. Les mains en avant, qui tremblaient, et un camarade pour le guider: une balle explosive à la hauteur des yeux. Aveugle (53). »

Sachant que la prise de Madrid pourrait être imminente, Jaime a demandé à Scali d’emmener son père à l’escadrille, le jour même de sa rencontre avec Garcia.

Monsieur Alvear salue Giovanni Scali très cordialement, mais il ne fait pas un secret de sa répugnance à l’égard des républicains. Comme il regarde Scali avec une attention insistante, Scali lui demande :

« ‘Vous êtes surpris ?’ – Voir un homme qui pense dans ce … costume me surprend toujours.’ Scali était en uniforme. Avec le pantalon trop long et les lunettes (54). »

Monsieur Alvear l’invite à boire un verre avec lui, mais Scali refuse, puis ajoute :

« ‘Ma voiture est en bas à votre disposition. Vous pouvez quitter Madrid tout de suite.’ … – ‘Pour quoi faire?’ – ‘Jaime m’a demandé de passer vous prendre quand je reviendrais du ministère….’ Le sourire d’Alvear était plus vieux que son corps: ‘A mon âge, on ne voyage plus sans bibliothèque.’ – ‘Vous vous rendez compte, n’est-ce pas, que les Maures seront peut-être ici demain ?’ … ‘Les fascistes savent que votre fils est combattant… Vous vous rendez compte que vous risquez fort d’être fusillé ?’ (55) »

Alvear semble faire la sourde oreille. Il commence à discuter avec Scali en insistant sur le dédain qu’il éprouve à l’égard des maures, répétant qu’il ne veut pas se séparer de l’art qu’il aime tant :

« C’est étrange : j’ai vécu quarante ans dans l’art et pour l’art, et, vous, un artiste, vous vous étonnez que je continue… » … Entre tous les hommes que Scali rencontrait ou avec lesquels il vivait depuis la guerre, Garcia seul avait l’habitude d’une discipline de l’esprit. Et Scali se sentait d’autant plus volontiers repris par la relation intellectuelle qui s’établissait entre le vieillard et lui, que sa journée avait été plus brutale. et que, s’étant senti chef faible, l’univers où il trouvait sa valeur l’attirait (56). »

Ne l’oublions pas, Scali comme Alvear sont des porte-parole de Malraux. Toute sa vie, l’écrivain avait cherché à entretenir des relations avec des penseurs et des artistes. Penseur et artiste lui-même, il vivait dans le monde des livres et des musées. Un jour. Malraux dit à Clara, sa femme : « Sans vous, j’aurais été un rat de bibliothèque. »

Au cours de leur discussion sur l’art, Scali rétorque :

« Dans les églises du Sud où l’on s’est battu. j’ai vu en face des tableaux de grandes taches de sang. Les toiles… perdent leur force…’ – ‘Il faudrait d’autres toiles, c’est tout,’ dit Alvear (…) – « ‘Bien,’ dit Scali : ‘C’est mettre haut les oeuvres d’art.’ – ‘Pas les oeuvres : l’art.’ (… ) Scali comprit enfin ce qui le troublait depuis le début de l’entretien : toute l’intensité du visage du vieillard était dans ses yeux; avec l’affreuse imbécillité de l’instinct, entraîné par la ressemblance, Scali, chaque fois que son interlocuteur retirait son lorgnon, attendait des yeux d’aveugle. « ‘Ni les romanciers ni les moralistes n’ont de sens, cette nuit,’ reprit le vieillard: ‘les gens de la vie ne valent rien pour la mort. La sagesse est plus vulnérable que la beauté; car la sagesse est un art impur. Mais la poésie et la musique valent pour la vie et la mort (57). »

Pour Alvear, l’art est l’arme majeure contre le destin, la mort et le désespoir. Il va faire la preuve de cette croyance, surtout par rapport à sa souffrance à l’égard de son fils.

Après son départ du ministère de la culture, sous de Gaulle, Malraux a répondu à un journaliste :  »Quand j’étais au gouvernement, j’avais rêvé de rassembler tous les chefs-d’oeuvres des peintres à la veille de leur mort – le génie de la vieillesse.« 

« Est-ce une chose si difficile, monsieur Scali, que d’attendre la mort (qui ne viendra peut-être pas) en buvant tranquillement et en lisant des vers admirables ? Il y a un sentiment très profond à l’égard de la mort, que nul n’a plus exprimé depuis la Renaissance…’ – ‘Quel sentiment ?’ – ‘La curiosité… Vous n’avez pas de curiosité à l’égard de la mort ?’ demanda le vieillard. ‘Toute opinion décisive sur la mort est si bête…’ – ‘J’ai beaucoup pensé à la mort,’ dit Scali, la main dans ses cheveux frisés; depuis que je me bats, je n’y pense plus jamais. Elle a perdu pour moi toute…réalité métaphysique, si vous voulez. ( … ) la mort gagne ou perd. ( … ) La mort n’est pas une chose si sérieuse : la douleur, oui. L’art est peu de chose en face de la douleur, et, malheureusement, aucun tableau ne tient en face de taches de sang (58). »
« Ah! monsieur Scali. vous avez une grande habitude de l’art, et pas encore une assez grande habitude de la douleur… La servitude économique est lourde; mais si, pour la détruire, on est obligé de renforcer la servitude politique, ou militaire, ou religieuse, ou policière, alors que m’importe?’ Alvear touchait en Scali un ordre d’expérience qu’il ignorait, et qui devenait tragique chez le petit Italien frisé. Pour Scali, ce qui menaçait la révolution n’était pas le futur, mais bien le présent : il voyait l’élément physiologique de la guerre se développer chez beaucoup de ses meilleurs camarades, et il en était atterré. Et la séance dont il sortait n’était pas pour le rassurer. Il ne savait pas trop où il en était. »

Y a-t-il des guerres raisonnables? C’est la question qui ne cesse de réapparaître. Le pire compromis avec Franco ne vaut-il pas mieux que des centaines de milliers de victimes et des souffrances sans nom, avec peut-être au bout, malgré tous les héroïsmes, la défaite misérable ? Et même en cas de victoire, le gain qu’apportera la libération économique sera-t-il plus grand que les servitudes de toutes sortes, imposées presque forcément par la société nouvelle? Les hommes seront-ils plus libres, plus heureux? Des questions cruciales, auxquelles Scali ne trouve guère à répondre, bien qu’il évoque en des termes magnifiques la grandeur des hommes lorqu’ils progressent ensemble, unis à la fois par l’espoir et par l’action. Scali lui-même est de plus en plus angoissé, parce que la guerre est en train de faire de quelques-uns de ses meilleurs camarades des violents, des gens qui aiment la force, tandis que les médiocres, eux, deviennent souvent des brutes, ou s’abîment dans l’alcool, pour oublier.

« ‘Je veux savoir ce que je pense, monsieur Scali,’ reprit le vieillard. – ‘Bien. Ça limite la vie.’ – ‘Oui,’ dit Alvear, rêveur: mais la vie la moins limitée, c’est encore celle des fous… Je veux avoir des relations avec un homme pour sa nature, et non pour ses idées. Je veux la fidélité dans l’amitié, et non l’amitié suspendue à une attitude politique. Je veux qu’un homme soit responsable devant lui-même (… ) et non devant une cause, fût-elle celle des opprimés (59). »

Ces remarques, prononcées par Alvear, indiquent peut-être pourquoi Malraux n’avait jamais adhéré a un parti politique.

‘ »Mais enfin, vous, vous l’interprète de Masaccio, de Piero della Francesca, comment pouvez-vous supporter cet univers?’ – ‘Scali se demandait s’il était en face de la pensée d’Alvear, ou de sa douleur. – ‘Bien,’ dit-il, enfin. ‘Avez-vous jamais vécu avec beaucoup d’hommes ignorants?’ … Vous avez parlé tout à l’heure de l’espoir : les hommes unis à la fois par l’espoir et par l’action accèdent, comme les hommes unis par l’amour, à des domaines auxquels ils n’accéderaient pas seuls. L’ensemble de cette escadrille est plus noble que presque tous ceux qui la composent. Vous pensez que Jaime a eu tort de combattre?’ Alvear haussa ses épaules voûtées; ses joues tombèrent un peu plus. ‘Ah! que la terre soit fasciste et qu’il ne soit pas aveugle ( …) Le seul espoir qu’ait la nouvelle Espagne de garder en elle ce pour quoi vous combattez, vous, Jaime et beaucoup d’autres, c’est que soit maintenu ce que nous avons des années enseigné de notre mieux…. La qualité de l’homme … (60). »

Scali va reprendre ce problème de la qualité de l’homme avec Garcia qui lui donnera une réponse.

« ‘Vous venez de vous asseoir là où s’assied Jaime quand il vient. Et vous portez des lunettes…aussi. Quand il retire les siennes, je ne peux pas le regarder. Pour la première fois, l’accent de la douleur passa dans la voix presque atone, et il dit pour lui-même, en français : Que te sert, ô Priam, d’avoir vécu si vieux! … Rien – rien – n’est plus terrible que la déformation d’un corps qu’on aime…’ – ‘Je suis son ami,’ dit Scali à mi-voix. ‘Et j’ai l’habitude des blessés (61). »

« ‘.. .les milliers et les milliers de photos qu’il a regardées… Et pourtant, si je fais jouer le phono, si la musique entre ici, je peux parfois le regarder, même s’il n’a pas ses lunettes...(62). »

Ce chapitre finit sur un ton extrêmement triste qui traduit bien la douleur du vieillard, qui a mis tout son espoir en l’art et en son fils.

Lors du soulèvement des étudiants à Paris, en 1968, un journaliste demandait à Malraux : « L’engagement est-il plutôt esthétique ou politique? » Malraux avait répondu : « Ils sont inséparables, parce que les deux sont des luttes contre la mort. »

Dans le chapitre suivant, Scali va encore dialoguer avec un intellectuel pour trouver des réponses à des questions qui le tourmentent de plus en plus.

5. Réflexions

5.1. Lesintellectuels et la révolution
5.2. L’éthique et la révolution
5.1. Les intellectuels et la révolution

L’esprit de Garcia et l’esprit de Scali sont par nature profondément liés. Leur conversation a lieu sous le bombardement de Madrid :

« Garcia venait de raconter à Scali l’entretien qu’il avait eu avec le docteur Neubourg. De tous les hommes qu’il devait voir dans la journée et dans la nuit, Scali était le seul pour qui tout cela eût la même résonance que pour lui-même. « ‘L’attaque de la révolution par un intellectuel qui fut révolutionnaire,’ dit Scali, ‘c’est toujours la mise en question de la politique révolutionnaire par… son éthique si vous voulez. Sérieusement, commandant, cette critique, souhaitez-vous qu’elle ne soit pas faite?  (63). »

« Un troupeau de chiens abandonnés commença à hurler, absurde, dérisoire, exaspérant, comme s’il eût régné sur cette désolation de fin de monde (64). »

Cette description est très parlante : Scali a besoin du réconfort de Garcia, parce qu’il a quitté Alvear rempli d’une désolation qui pèse encore sur lui. Garcia est cordial, sait de quoi il parle, et il a réfléchi à tous ces paradoxes de la guerre. Au cours de l’entretien, Scali demande :

« Dites donc, commandant, qu’est-ce qu’un homme peut faire de mieux de sa vie, selon vous ? (65). – « Transformer en conscience une expérience aussi large que possible, mon bon ami (66). »

C’est une des phrases clés du livre parce qu’elle amène évidemment à l’action.

Selon J. Lacouture, « L’Espoir signifie, dans l’oeuvre de Malraux, le triomphe de la vérité objective sur l’imaginaire, et du faire sur l’être (67). » « En Malraux se réconcilient l’intelligence et l’action, fait des plus rares (68). »

Selon Pol Gaillard : « La phrase est demeurée célèbre à juste titre, mais elle est curieusement incomplète pour un dialecticien aussi confirmé, plongé dans un conflit inexorable. Le second terme manque et avec lui la Synthèse  : « … puis, inscrire dans l’action cette conscience née elle-même de l’expérience la plus large (69). »

5.2. L’éthique et la révolution

‘ »La force d’un penseur n’est ni dans son approbation ni dans sa protestation, mon bon ami, elle est dans son explication.’ – ‘Pourtant,’ dit Scali, ‘avant longtemps il faudra de nouveau enseigner aux hommes à vivre… Il pensait à Alvear (70). »

Garcia répond au cours du dialogue :

« La révolution est chargée de résoudre ses problèmes, et non les nôtres. Les nôtres ne dépendent que de nous. ( … ) Aucun État, aucune structure sociale ne crée la noblesse de caractère, ni la qualité de l’esprit (71). »

« Pourquoi êtes-vous ici ? Scali s’arrêta, surpris de ne pas parvenir à le préciser, et retroussa son nez, comme toujours lorsqu’il réfléchissait. ‘Pour moi, je ne suis pas dans cet uniforme parce que j’attends du Front populaire le gouvernement des plus nobles, je suis dans cet uniforme parce que je veux que changent les conditions de vie des paysans espagnols.’ Scali pensait à l’argument d’Alvear, et le reprit : ‘Et si, pour les libérer économiquement, vous devez faire un État qui les asservira politiquement?’ – ‘Donc, comme nul ne peut être sûr de sa pureté future, il n’y a qu’à laisser faire les fascistes. Du moment que nous sommes d’accord sur le point décisif, la résistance de fait, cette résistance est un acte : elle vous engage, comme tout acte, comme tout choix. Elle porte en elle-même toutes ses fatalités. Dans certains cas, ce choix est un choix tragique, et pour l’intellectuel il l’est presque toujours, pour l’artiste surtout. Et après? Fallait-il ne pas résister? (72). »

« ‘Je ne sais pas quel écrivain disait: Je suis peuplé de cadavres comme un vieux cimetière…’ – Depuis quatre mois, nous sommes tous peuplés de cadavres, Scali; tout le long du chemin qui va de l’éthique à la politique. Entre tout homme qui agit et les conditions de son action, il y a un pugilat (73). »

« Scali pensait au combat de l’avion de Marcelino contre sa propre flamme : A l’instant où l’avion touchait le sol, carlingue et flammes se rapprochèrent comme pour un pugilat exaspéré. La carlingue bondit dans la.flamme, qui se tordit sur elle-même, s’écrasa, jaillit de nouveau en chantant : l’avion capotait. ‘Il y a des guerres justes,’ reprit Garcia, – ‘la nôtre en ce moment – il n’y a pas d’armées justes. Et qu’un intellectuel, un homme dont la fonction est de penser vienne dire, comme Miguel de Unamuno : Je vous quitte parce que vous n’êtes pas justes, je trouve ça immoral, mon bon ami! Il y a une politique de la justice, mais il n’y a pas de parti juste (74). »

« L’éthique de notre gouvernement dépend de notre effort, de notre acharnement…. Mon bon ami,’ dit Garcia ironiquement, ‘L’émancipation du prolétariat sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes (75). »

Ces explications, visiblement convaincantes, auront des effets sur la vie de Scali.

Pol Gaillard nous renseigne :

« … au moins trois personnages sont de véritables créations… » c’est-à-dire, leurs traits ne sont pas inspirés par des personnes réelles : « Remarquons seulement sans trop d’étonnement que Malraux n’a pas voulu mettre face à face les deux hommes, les plus intelligents du livre, Garcia et Alvear. Garcia ne répond au vieil homme que par l’intermédiaire de Scali… Garcia l’aurait-il emporté? Ce n’est pas sûr. Les deux personnages luttent et lutteront toujours, je crois, dans le cœur de Malraux (76). »

6. Scali et la mission sur Teruel

6.1. Scali rompt avec la passivité et choisit l’action
6.2. Le triomphe austère
6.3. Scali, anarchiste presque anticommuniste
6.1. Scali rompt avec la passivité et choisit l’action

Après ces entretiens, nous rejoignons Scali, buvant du manzanilla avec des camarades aviateurs. Entre-temps, Vargas, au ministère de l’Air à Valence, dit à Magnin :

« Malaga est perdu (.. ) L’exode est extraordinaire (… ) Et les avions italiens les poursuivent. Et les camions. Si on arrête les camions, les réfugiés atteindront Almeria… ( … ) Mais, aussi, il y a une mission sur Teruel ( … ) Vous à Teruel, Sembrano à Malaga. »

La conversation des aviateurs, autour de leur manzanilla, révèle de profondes différences dans leurs caractères :

« Scali aimait les combattants, se méfiait des militaires et détestait les guerriers (77). »

Karlitch est décrit comme un modeste exemple de guerrier :

« Servir était pour lui une passion ( … ) la première fois qu’il avait trouvé de ces blessés torturés par les Maures, il était allé donner lui-même le coup de grâce à leurs officiers. L’ensemble inquiétait Scali et Attignies. Les autres croyaient Karlitch un peu fou (78). »

Au cours de la conversation, Karlitch dit qu’il n’est pas naturel qu’un homme meure sans saigner. C’en est décidément trop pour Scali qui est à bout de nerfs :

« Voilà vingt ans que Scali entendait parler de notion de l’homme. Et se cassait la tête dessus. C’était du joli, la notion de l’homme, en face de l’homme engagé sur la vie et la mort. Scali ne savait décidément plus où il en était. Il y avait le courage, la générosité – et il y avait la physiologie. Il y avait les révolutionnaires – et il y avait les masses. Il y avait la politique – et il y avait la morale. ‘Je veux savoir ce dont je parle.’ avait dit Alvear. Scali se dressa, la bouche ouverte, les deux poings sur la table, envoyant à trois mètres l’avion de fil de fer (79). »

La projection à trois mètres de ce petit objet d’art indique un changement dans l’attitude de Scali :

« Scali … depuis que ses problèmes étaient devenus lancinants, il ne bombardait plus, il mitraillait : il ne s’accommodait plus de la passivité (80). »

Un autre mitrailleur ne s’accommodait pas non plus de la passivité :

J. Lacouture : « André Malraux ne jouissait pas moins de la sympathie générale. Son prestige était immense et quand il entrait au Florida (l’hôtel qui abrite les aviateurs de Malraux, les journalistes, les hôtes d’honneur de la République et la bande d’aventuriers} chacun s’empressait autour de lui, surtout quand il arrivait d’une de ces folles missions aériennes auxquelles il participait en qualité de… mitrailleur!« 

6.2. Le triomphe austère

Suite au bombardement d’un champ d’aviation clandestin fasciste, la chasse ennemie attaque et touche un des trois avions républicains :

« Scali remonta de sa cuve, s’allongea (un explosif dans le pied) : son soulier semblait avoir éclaté (81)

L’avion s’écrase sur une montagne de neige. Saïdi est tué, Gardet, Scali, Taillefer, Mireaux, Pujet, blessés, Gardet très gravement. Magnin parvient difficilement à savoir où ils sont tombés. Il organise leur descente et part à leur recherche.

Suit la longue descente des aviateurs blessés de Valdelinares à Linares. Dans ces scènes, Maraux rend surtout hommage à Raymond Maréchal, incarné par Gardet :

J. Lacouture : « Raymond Maréchal, étonnant casse-cou, le front bosselé par un terrible accident – il avait été trépané – d’une verve et d’une audace incomparable, amoureux de toutes les femmes et prêt à mourir à tout moment pour ses amis. (Ce qu’il fit dans les maquis de Corrèze, où il avait rejoint Malraux ) (82). »

Scali joue un rôle très modeste dans la scène de la descente, Malraux ne le laisse plus dialoguer, même pas avec Magnin :

« Scali rentra son histoire; sans doute eût-elle tapé sur les nerfs de Magnin comme la comparaison d’un tableau et de ce qu’ils voyaient tapait sur les nerfs de Scali. (… ) Son brancard passa le torrent, tourna. En face, reparurent les taureaux, Espagne de son adolescence, amour et décor, misère! L’Espagne, c’était cette mitrailleuse tordue sur un cercueil d’Arabe et ces oiseaux transis qui criaient dans les gorges (83).

La description suivante est admirable de grandeur simple et de pitié:

« Toute cette marche de paysans noirs, de femmes aux cheveux cachés sous des fichus sans époque, semblait moins suivre des blessés que descendre dans un triomphe austère (84). »

« La guerre la plus romanesque, celle de l’aviation, pouvait-elle finir ainsi? (85) »

« Et nul ne l’avait contraint à combattre. Un moment, ils hésitèrent, ne sachant que faire, résolus pourtant à faire quelque chose; enfin … ils levèrent le poing en silence (86). »

« L’ambulance est partie. Par la lucarne qui permet de communiquer avec le chauffeur, Scali voit des carrés de paysage nocturne … au-dessus de sa civière, à chaque cahot, le bombardier gémit … Le bombardier pense à sa jambe (87). »

Le bombardier, c’est « Taillefer, la jambe cassée en trois endroits (88). »

J. Lacouture nous apprend que « Camille Taillefer, le seul personnage du drame auquel Malraux ait laissé son nom, est aujourd’hui guide-photographe à Padirac. Il marche en traînant sa jambe brisée ce 27 décembre 1936 dans la sierra à Teruel : ‘On a voulu m’amputer à l’hôpital de Valence. Malraux a refusé. Il m’a fait transporter dans une clinique, puis à Paris. Il m’a sauvé mieux que la jambe – la peau (89). »

Scali, contemplant le paysage espagnol à travers la lucarne, pense à des « Vergers de Shakespeare, cyprès italiens… ‘C’est par une nuit pareille, Jessica (90). »

C’est l’une des rares fois où la femme apparaît dans le récit de Malraux. Reste à savoir pourquoi :

« Un homme ne peut pas bien combattre si sa femme reste à Madrid » dit Garcia.

Pol Gaillard pense que « Pour exprimer les problèmes tragiques de l’action, pour faire exister le plus intensément possible son monde de la guerre et de l’espoir, il a estimé sans doute n’avoir pas besoin des femmes. »

Malraux lui­ même ajoute : « … La femme est pour moi un être si différent – je parle de différence, non d’infériorité – que je n’arrive pas à imaginer un personnage féminin » (Malraux à d’Astier de la Vigerie, dans l’Evénement, août 1967, p. 60).

6.3. Scali anarchiste presque communiste

Dans une conversation menée par Garcia et Magnin, nous entendons pour la dernière fois Scali :

Garcia prit Magnin sous le bras : ‘Et Scali?’ demanda-t-il.’ – ‘Une balle explosive dans le pied, sur Teruel. Perdra le pied… ‘ – ‘Où en était-il politiquement?’ – ‘Euh… alors, oui : de plus en plus anarchisant, de plus en plus sorélien, presque anticommuniste…’ – ‘Ce n’est pas au communisme qu’il s’oppose, c’est au Parti.’ – ‘Dites donc, commandant, qu’est-ce que vous pensez des communistes?’ ‘Ils ont toutes les vertus de l’action – et celles- là seules (91). »

La dernière fois que Scali, de par son attitude, est le porte-parole de Malraux :
Malraux n’avait jamais été membre du parti communiste; il se nommait lui même « compagnon de route ». Il y avait une révolution au cœur de la révolution, c’est-à-dire entre les anarchistes et les communistes. Les anarchistes voulaient « être » libres, non opprimés, dignes – tandis que les communistes voulaient réaliser cet objectif avec beaucoup de discipline et d’organisation. Il voulaient abattre tout ce qui bloquait la voie à leur prise de pouvoir, c’est-à-dire qu’ils désiraient contrôler l’industrie de la guerre. Ils parlaient déjà des incontrôlables (des anarchistes) en tant qu’ennemis de la révolution.

J. Lacouture à ce sujet :

« Le combattant d’Espagne (Malraux) est libre pour approuver la plupart des critiques formulées par Gide. Il a vu opérer sur place les services spéciaux de Staline, contre les anarchistes, les trotskystes et les supposés ‘déviationnistes’, il a vu fonctionner ‘in vivo’ l’appareil de la NKVD… Mais lui a choisi de se taire tant que l’hitlérisme sévit (92). »

Epilogue

Avec Scali, nous avons fait la connaissance d’un admirable personnage, discret, compagnon cordial, combattant fidèle et intellectuel lucide. Malraux le dépeint empli de grandes aptitudes, de capacités de diplomatie et de finesse, si bien que, dans son acharnement d’intellectuel qui lutte pour réconcilier l’éthique et l’action, Scali, lui, ne dit jamais qu’il existe une guerre juste, mais il ne cesse de combattre jusqu’à ce qu’il soit mis hors combat.
En Scali, Malraux a créé un porte-parole idéal qui s’est surtout distingué en tant qu’intellectuel qui s’adonne à cet exercice si compliqué :

« Transformer en conscience une expérience aussi large que possible. »

***

Notes

(1) André MALRAUX, L’Espoir, Paris, Gallimard, Collection « Folio », p. 66. Toutes les références au texte de « L’Espoir » renverront à cette édition.
(2) loc. cit.
(3) André Malraux, op. cit. p. 67.
(4) Ibid.,  pages 67 – 68
(5) Ibid.,  pages 86 – 87
(6) Ibid., pages 89 – 91
(7) Ibid., page 90
(8) Jean LACOUTURE, André Malraux – Une Vie dans le siècle, Paris, Editions du Seuil, page 231, Toutes les références au texte de cette biographie renverront à cette édition.
(9 ) le récit de Malraux n’est pas fidèle à la chronologie de la guerre (note personnelle)
(10) Jean LACOUTURE, op. cit., pages 233 – 234
(11) André Malraux, L’Espoir, op. cit., pages 120 – 124
(12) Ibid., page 159
(13)  loc. cit. + Pages 160 – 161
(14) Ibid., page 162
(15) Ibid., page 228
(16) Ibid., page 162
(17) Ibid.,  page 163
(18) Ibid., page 164
(19) Ibid., pages 164-165
(20) Ibid., page 165
(21) Ibid., page 166
(22) Ibid., page 167
(23) Ibid.,  page 168
(24) Ibid., page 311
(25) Ibid., page 169
(26) Ibid., pages 255 – 256
(27) Jean LACOUTURE, op. cit., page 254
(28) André Malraux, L’Espoir, op. cit., page 169
(29) loc. cit.
(30) loc. cit.
(31) loc. cit.
(32) Ibid.,  page 238
(33) Ibid., page 333
(34) Ibid., page 329
(35) loc. cit.
(36) Ibid., page 333
(37) loc. cit.
(38) Ibid., page 334
(39) Ibid., page 338
(40) Ibid., page 341
(41) Ibid., pages 341-342
(42) Ibid., page 343
(43) loc. cit.
(44) Ibid., page 346
(45) Ibid., pages 347-348
(46) Ibid., page 349
(47) celui des mercenaires
(48) Ibid., page 350
(49) Ibid., page 354
(50) Ibid., page 357
(51) Ibid., pages 357- 358
(52) Pol GAILLARD, L’Espoir – André Malraux, Paris, Ratier, Collection « Profil d’une oeuvre », Page 59
(53) André MALRAUX, L’Espoir, op. cit., page 191
(54) Ibid., page 371
(55) Ibid., page 372
(56) Ibid., page 373
(57) Ibid., pages 374 – 375
(58) Ibid., pages 375 – 376
(59) Ibid., page 377
(60) Ibid.,  pages 378 – 380
(61) Ibid., page 381
(62) Ibid., page 382
(63) Ibid., pages 460 – 461
(64) Ibid., page 461
(65) Ibid., page 465
(66) Ibid., page 466
(67) Ibid., page 254
(68) Ibid., page 257
(69) Ibid., page 56
(70) Ibid., page 464
(71) Ibid., page 466
(72) Ibid., page 467
(73) loc. cit.
(74) Ibid., page 468
(75) loc. cit.
(76) Ibid., page 58
(77)  Ibid., page 500
(78)  loc. cit.
(79) Ibid., page 501
(80) Ibid., page 537
(81) Ibid., page 541
(82- Ibid., page 243
(83) Ibid., page 557
(84) Ibid., page 560
(85) Ibid., page 560
(86) Ibid., page 561
(87) loc. cit.
(88) Ibid., page 545
(89) Ibid., page 245
(90) Ibid., page 561
(91) Ibid., page 582
(92) Ibid., page 198

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Table des matières

Introduction.
1. Giovanni Scali – solidarité et camaraderie.
1.1. Sa solidarité envers les camarades aviateurs
confrontés à la mort.
1.2. Sa solidarité envers un ex-pilote.
1.3. Sa solidarité envers des camarades républicains
2. Scali à la Sûreté: diplomatie et tact.
2.1. Scali plein de diplomatie pour sauver un camarade italien.
2.2. Scali plein de finesse et de tact envers un fasciste italien.
3. Scali, commandant adjoint, confronté à des faiblesses humaines.
3.1. Le mercenaire qui a pris la fuite.
3.2. Le mercenaire vantard et protestataire.
4. Scali effectue une double mission à Madrid.
4.1. L’entretien au ministère – des problèmes stratégiques.
4.2. L’entretien avec Monsieur Alvear – des problèmes éthiques.
5. Réflexions.
5.1. Les intellectuels et la révolution.
5.2. L’éthique et la révolution.
6. Scali et la mission sur Teruel.
6.1. Scali rompt avec la passivité et choisit l’action
6.2. Le triomphe austère
6.3. Scali, anarchiste presque anticommuniste
Epilogue.
Bibliographie et Filmographie.

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Bibliographie et Filmographie

GAILLARD, Pol, L’espoir – André Malraux, Paris, Hatier, Collection « Profil d’une oeuvre », 1970

LACOUTURE, Jean, André Malraux, Une vie dans le siècle, Paris, Edition du Seuil, 1973

MALRAUX, André. L’espoir, Paris, Gallimard, Collection « Folio »,1937

HARPRECHT, Klaus – Dialogue avec André Malraux – (enregistrement vidéo), une interview de Klaus Harprecht – Régie: Heinz Pieroth –
adaptation Jean Bertraud – 1968 Strasbourg: Art – diffuseur, 1993

La guerre civile d’Espagne – Gabriel Quarlet et Chris Laurence Granada Télévision International – prod. cop. 1983, Genève,
Laboratoire audiovisuel universitaire – reprod. 1986 (6 vidéo cass. de 55 min.)

Les métamorphoses d’André Malraux – (Enregistrement vidéo) – réalisation: Marcel Boudou – scénario : Jean Lacouture et Marcel Boudou – Paris : Télé Hachette : Antenne 2.

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Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté par Mme Esther PFENNINGER dans le cadre du séminaire de littérature pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Françaises

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff