INTRODUCTION
Lorsqu’on lit un texte, il convient rassembler toutes ses compétences afin de reconstituer le parcours qui aboutira, idéalement, à expliquer I’élaboration du sens. Parcours qui n’est pas facile à faire car il implique non seulement le relevé « des faits » (la plupart du temps évident), mais aussi l’interprétation des symboles (surtout par rapport aux sentiments) et, finalement, l’intégration des faits et des sentiments qui seule donne sa signification à l’histoire. Cependant, on n’est pas toujours prêt à parcourir ce chemin-là, comme on peut ne pas être prêt à entreprendre des parcours beaucoup plus difficiles, comme celui de devenir adulte.
Dans notre analyse de la nouvelle, nous essayerons de rendre compte tant de l’élaboration du sens que de la métamorphose de la jeune fille en adulte.
1.1. La structure générale du récit (l’axe sémantique)
L’axe sémantique initie l’analyse de la structure générale du récit, celui-ci étant conçu comme la représentation d’un événement. Ainsi, un événement implique une transformation, un passage d’un état S à un état S1, qui ne devient récit que lorsqu’il est représenté. À remarquer que toute représentation est déjà interprétation. La production du récit dépend donc du sujet, il en va évidemment de même de la réception.
Situation initiale : Jeune fille (Voix de violon)
Situation finale : Femme adulte (Voix normale)
Intermédiaires (sujets opérateurs de la transformation) :
– le temps
– le jeune homme.
Sujet d’état : la jeune fille.
Anti-sujet : la pulsion infantile.
Objet de valeur : l’individuation.
1.2. La segmentation du texte
La segmentation du texte est indispensable pour mettre en évidence la structure générale du récit et ainsi arriver à l’élaboration du sens. La structure des épisodes, donc des fragments du texte qui contiennent une transformation, apparaît dans notre compte sous la forme d’une succession. En effet, le récit contient une première transformation, plutôt somatique (le changement de la voix), qui constitue la nouvelle situation initiale sur laquelle agit la transformation suivante, plutôt psychique (première étape du deuil de l’enfance).
La segmentation en séquences (code séquentiel) constitue déjà en elle même une première analyse. Elle fait apparaître une organisation du texte, différente et complémentaire de la segmentation éventuelle en épisodes. Car les épisodes concernent le contenu narratif, la structure des événements représentés, tandis que les séquences organisent la façon de raconter, la narration, la représentation des événements.
– Première séquence : les deux premiers paragraphes.
- Espace textuel : la maison (intérieur)
- Temporalité : l’enfance de la jeune fille.
- Axiologie figurative : dysphorie : « Elle ignorait l’objet de ces chuchotements et ne s’inquiétait guère.»
– Deuxième séquence : Depuis le troisième paragraphe jusqu’à la fin de la conversation avec le garçon : « Là, là, dit-il en voulant fourrer sa main dans la bouche de l’enfant ».
- Espace textuel : extérieur : « Un jour comme elle tombait d’un arbre… »
- Temporalité : un jour dans l’enfance. Le jour où quelqu’un lui fait savoir clairement qu’il y a quelque chose d’étrange dans sa voix.
- Axiologie figurative : dysphorie : « Un cri inhumain et musical »
– Troisième séquence : Depuis « Ce n’était pas un petite chose… » jusqu’à « Tout de même si mon silence n’est plus à moi ».
- Temporalité : la vie jusqu’à l’âge adulte.
- Code sensoriel : il fait référence au fait qu’elle ne veut pas se singulariser : « Parce que rien ne lui plaisait tant que de ne pas se singulariser, elle gardait généralement le silence… »
- Axiologie figurative : dysphorie : Abandon : « Et si cela ravit certaines de ses amis, les autres en tirèrent de l’inquiétude, et pour elles-mêmes. Toutes finirent par la délaisser»
« Je n’ai plus rien à moi».
– Quatrième séquence : depuis « S’ils savaient d’où je viens !» Jusqu’à « N’aimait-il pas aussi le petite vertige qu’il éprouvait à l’idée que sa petite fille pourrait à nouveau se mettre à parler comme naguère »
- Espace textuel : la salle à manger (intérieur de la maison)
- Temporalité : « un autre jour »
- Code sensoriel : il fait référence à la transformation, au « passage à l’acte » : « Ce que je viens de faire », « Elle rougit »
– Sous séquence : père et mère dans sa chambre.
- Temporalité : après le repas.
- Code sensoriel : il fait référence au fait d’informer à la famille (rituel d’initiation ?)
- Axiologie figurative : euphorie du père.
– Cinquième séquence : Depuis « Un jour qu’elle lisait ainsi un long article … » jusqu’à la fin.
- Espace textuel : la maison (intérieur)
- Temporalité : un certain temps s’est déjà écoulé, la jeune fille est devenue femme
- Axiologie figurative : dysphorie : « Tu es en larmes», « S’il m’avait vraiment aimée… »
1.3. Le niveau de surface :
Les « personnages » sont pris en considération en tant qu’ « acteurs » et l’on observe le déroulement concret de leurs actions dans des lieux et des temps déterminés.
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1.3. 1. Les oppositions figuratives :
• Enfance vs âge adulte
• Sécurité vs liberté
• Maison vs monde extérieur
• Rapport spirituel vs rapport physique
• Famille (modèle primaire) vs référents en dehors de la famille
• Famille vs société.
1.3.2. Le parcours figuratif
Dans le processus de métamorphose interviennent des pratiques sociales, économiques, familiales qui vont conditionner la transformation. Nous reviendrons sur ce sujet dans notre conclusion.
1.4. Le niveau profond
1.4.1. Le niveau narratif : le schéma actantiel de A.J. Greimas
Les actants sont obtenus en réduisant les multiples personnages à un nombre limité d’invariants structurels : les rôles actantiels ou actants. À remarquer que l’actant ne doit pas être confondu avec les acteurs ou personnages.
Le modèle actantiel de Greimas est représenté par six actants : Destinataire, Objet, Destinateur, Adjuvant, Sujet, Opposant.
- Destinateur : le Destin/la vie
- Adjuvants : le chirurgien, le jeune homme, les parents
- Objet : parvenir à la vie adulte
- Sujet : la jeune fille
- Destinataire : la jeune fille
- Opposant : Souffrance-amour (régression)
1.4.2. Le niveau thématique (le « carré sémiotique ») :
S1 rester jeune fille S2 devenir adulte
1/S2 non devenir adulte 1/S1 non rester jeune fille
Conclusion
Dans notre conte, la jeune fille à la voix de violon réalise un parcours pour devenir adulte. Il s’agit d’un processus de métamorphose qui permet, dans le meilleur des cas, d’intégrer les changements induits par la puberté et la découverte de la sexualité.
Dans le cas de la jeune fille, on peut constater une réticence à grandir mise en évidence par des défenses excessives contre ses activités pulsionnelles. Selon les propres mots de la jeune fille : «qu’est-ce qui se trame en moi même ? Ces accords inattendus me révèlent beaucoup trop… » et « si seulement il m’avait aimée» et « ce que je viens de faire… ».
Les désirs autrefois refoulés sont réalisés, l’action se déroulant idéalement en dehors de la famille. Néanmoins, quand l’adolescent ne réussit pas à déplacer la libido en dehors de la famille, il peut se défendre en transformant les sentiments qu’il éprouve en leur contraire : par exemple, la dépendance en révolte, comme c’est le cas de la jeune fille. Mais dans ce cas-là, le passage à l’acte, se faisant dans la famille, ne résulte en aucun plaisir positif et une opposition compulsive aux parents s’installe. Ainsi, un renforcement constant de la défense devient nécessaire et l’adolescent se comporte de manière non coopérante et hostile.
« Bons gens, n’allez-vous pas me laisser tranquille avec ces histoires de potage qui va être tout froid ? Il s’agit bien, aujourd’hui, de quelques minutes de retard !»
Notre jeune fille fait un parcours difficile, à mi-chemin entre l’intérieur et l’extérieur de la famille (lien avec son père). Elle présente, ce qui est normal chez un adolescent, un comportement incohérent, entre combattre ses pulsions et les accepter, aimer ses parents et les haïr, se révolter contre eux et dépendre d’eux.
Dans ce petit conte, on trouve l’idée qu’il faut considérer l’adolescence comme un processus d’individuation avec des transformations structurelles qui doivent accompagner les désengagement émotionnels des objets infantiles afin de trouver de nouveaux objets d’amour dans le monde extérieur et extra-familial. L’individuation implique que l’adolescent assume de plus en plus la responsabilité de ce qu’il est et de ce qu’il fait et cesse de culpabiliser ceux avec qui il a grandi.
La transformation, dans cette nouvelle, est celle d’un adolescent qui va de l’impuissance infantile du corps à la puissance du corps sexué, et de l’omnipotence infantile de la pensée à la reconnaissance de la finitude (sortir de l’illusion de perfection : « quand je serai grand … »).
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Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.
Texte présenté par Mlle Fulvia RAIOLA
(Diplôme d’Etudes Françaises)
Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff