L’animal dans « Le baiser au lépreux » et « Genitrix » de François MAURIAC

France, Paris: Francois Mauriac lisant debout au debut des annees 50

Introduction

Ce travail de recherche se réfère à un travail portant le même titre que j’ai effectué pendant le semestre d’hiver et qui constitue le point du départ de cette recherche-ci. J’ai prolongé mon étude, que j’ai élargie et approfondie, sur le thème de l’animal dans les deux romans « Le baiser au lépreux » et « Genitrix » de François Mauriac. En outre, j’ai regroupé les animaux caractérisant un personnage donné afin de faciliter les observations spécifiques concernant les personnes mentionnées. De plus, j’ai ajouté deux petites conclusions qui reflètent ma propre interprétation

François Mauriac (1885 – 1969) : abrégé de sa vie

En François Mauriac, né à Bordeaux, se rencontrent deux traditions familiales: celle de la bourgeoisie et celle des grands propriétaires terriens. François Mauriac est élevé par sa mère, car son père meurt quand il a deux ans seulement. Il reçoit une éducation catholique qui le « poursuit » plus tard dans tous ses romans. Après une licence de lettres à Bordeaux, François Mauriac monte à Paris pour y préparer l’Ecole des Chartes. Cependant il se décide pour une carrière littéraire. Il est encouragé immédiatement par plusieurs auteurs de renom, dont Maurice Barrès qui salue ses premiers poèmes. Pourtant, François Mauriac choisit bientôt le roman, et dans les années 20, il produit ses oeuvres les plus marquantes: « Le baiser au lépreux« , « Genitrix« , « Le désert de l’amour« , « Thérèse Desqueyroux« . Parallèle­ment, il publie nombre d’essais et de chroniques littéraires. En 1933, il est élu à l’Académie Française. La guerre venue, il s’engage aux côtés de la Résistance en utilisant ses armes spécifiques d’écrivain. La création romanesque fait place à l’activité journalistique et théâtrale. En 1944 il devient éditorialiste du « Figaro ». Quatre ans après, il fonde la revue « La Table Ronde » où il commence à publier son fameux « Bloc-Notes« , poursuivi dans « L’Ex­press », puis au « Figaro littéraire ». En 1952 il reçoit le Prix Nobel de littérature. Parallèlement à son intense activité de journaliste, il continue son oeuvre de romancier: « Le Sagouin« , « Galigai« , « L’Agneau » en 1954. Après ces oeuvres, le romancier s’éclipse devant le mémorialiste et l’essayiste. Il consacre son temps à ses « Bloc-Notes I, Il, Ill » qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1969.

François Mauriac, un romancier catholique

Influencé par son enfance et son éducation, François Mauriac dénonce l’argent, la propriété et la sexualité qui éloignent l’homme de l’amour de Dieu. Ses héros sont écartelés entre leurs pulsions et leurs scrupules, leurs remords et leurs regrets, l’idée fixe de leur faute et celle de leur salut. François Mauriac lui-même est l’homme des déchirements. Chrétien, le romancier est en rupture avec l’église et ses fidèles, « pharisiens » qu’il accuse d’avoir perdu le message du Christ. Bourgeois, il dénonce impitoyablement les défauts de sa classe. Ses héros n’en finissent pas d’assister en eux au combat de l’Ange et de la Bête, de la spiritualité et de la « chiennerie« . Pour lui, rien n’est plus difficile que de résoudre « le problème du corps posé par la chair, par la cohabitation de l’âme, capable de Dieu, et de l’instinct le plus bestial. » Cette partie bestiale en l’homme joue un très grand rôle dans les romans mauriaci­ens. Souvent ses personnages sont comparés à des bêtes. Vu que, chez François Mauriac, l’homme doit toujours lutter contre sa « bête intérieure », les animaux n’ont guère un aspect flatteur. Ils apparaissent presque toujours dans des séquences dysphoriques, c’est-à-dire dans des situations de malaise et d’obscurité.

L’animal dans les deux romans « Le baiser au lépreux » et « Genitrix »

Sigmund Freud notait que le langage demeurait « ein schwarzer Kontinent » (un continent noir), signifiant par là qu’il recélait encore, intérieur à lui-même, une très grande part d’inconnu. Le langage contient toujours des écarts – images, métaphores et autres « déviations » – qui introduisent des éléments plus ou moins marqués de subjectivité. Sur la base des découvertes de Freud, il est possible de s’interroger sur la personnalité subconsciente de l’écrivain à partir des images. Une méthode pour analyser les images consiste à les classer selon les quatre éléments isolés par les philosophes grecs: le feu, l’eau, la terre et l’air, comme le fait Bachelard (cf. « La psychanalyse du Feu« , « L’eau et les Rêves« , etc.) Ces quatre éléments de l’univers sont largement représentés parmi les images des deux romans de François Mauriac, « Le baiser au lépreux » et « Genitrix« . Mais il peut être dangereux de s’y cantonner. L’imagination se nourrit d’autres images encore, appartenant à d’autres domaines, à d’autres registres: le règne animal, le règne végétal, la nuit ou la lumière, etc. L’importance de l’animal ou du végétal, de la nuit ou de la lumière dans l’imaginaire des deux romans est telle qu’il est nécessaire de les étudier séparément. Vu que, selon François Mauriac, l’homme cohabite avec un animal intérieur méchant, ce travail de recherche est consacré au règne animal. En effet, la partie bestiale en l’homme joue un très grand rôle dans les romans de François Mauriac. Je vais donc essayer de montrer l’importance de l’animal dans les deux romans, « Le baiser au lépreux » et « Genitrix« , et de mettre en évidence que, pour François Mauriac, la bête est une métaphore du mal et qu’elle est significative de son univers sémantique et de son idiolecte. Les citations se réfèrent aux pages de l’édition Bernard Grasset (collection du Livre de Poche).

Résumé des deux romans

Je considère comme utile de rappeler brièvement les thèmes principaux des deux romans qui serviront de référence ainsi que quelques éléments de leur structure afin de mieux situer les images.

« Le baiser au lépreux »

Riche héritier, laid et complexé, Jean Péloueyre paraît insignifiant. Il est malgré tout promis à la belle Noémi de la famille d’Artiailh. En dépit de sa répugnance, Noémi accepte cette union, car « on ne refuse pas le fils Péloueyre« . Le mariage développe le dégoût instinctif de cette jeune fille, mais, en même temps, son devoir d’épouse. Dévoré par le remords, Jean trouve un prétexte pour fuir son épouse qu’il adore mais qu’il voit s’étioler du fait de sa seule présence, et il quitte les Landes pour Paris. Dans la seconde partie du roman, Noémi profite de l’absence de son mari, contribuant à accentuer la chute de Jean Péloueyre. Durant la séparation, Noémi connaît la libération et l’épanouissement, tandis que Jean sombre dans l’anéantissement. Noémi est alors attirée par le jeune médecin de son beau-père qu’elle soigne avec tendresse. Parallèlement, Jean est tenté de se perdre dans la débauche et la luxure de Paris. Le retour de Jean marque le début d’une troisième partie du roman, marquée par la maladie de Jean, la mort de celui-ci et la fidélité sublime de Noémi à son mari au-delà de la mort. Jean a en effet décidé de se suicider lentement en allant veiller un tuberculeux à l’agonie et meurt discrètement. Noémi se consacre alors à son beau-père et résiste à une dernière tentation. Les étapes du roman sont donc marquées par deux séparations: la première temporaire (le départ à Paris), la seconde définitive (la mort de Jean Péloueyre). Les relati­ons du couple sont directes; elles sont le plus souvent dominées par une agressivité intério­ risée qui, finalement, sera dépassée. Le schéma se présente de la manière suivante:

 

Noémi <—————————-  vs  ——————————–> Jean

Dans « Genitrix« ,  il est déjà plus complexe.

 

« Genitrix »

Seule dans un pavillon désert, Mathilde Cazenave se meurt, après une fausse couche. Le couple Mathilde-Fernand est brisé par la présence et l’action insidieuse de Félicité, la mère de Fernand. La maladie, mais aussi l’anxiété devant la mort, le regret d’une vie manquée (absence d’enfants) et la haine pour la belle-mère achèvent la jeune femme. Son époux, complètement dominé par sa mère, la « Genitrix », laisse s’accomplir ce véritable assassinat. Mais, rongé de remords, il accuse sa mère de cette mort et se détache d’elle, passant ses nuits dans la chambre mortuaire, anéanti par son amour pour son épouse, au-delà de la mort. Félicité perd progressivement toute l’illusion de ramener à elle son fils désespéré. Victime d’une attaque, elle meurt dans une chaise, près de la porte où elle attendait tout au long du jour la rentrée du « bien-aimé« . Après la mort de Félicité, la solitude de Fernand est complète. Il mesure alors le vide de sa vie et, excédé, chasse la famille de Marie de Lados, la vieille servante. Mais, au moment où il pense mourir seul, Marie revient et « il [sent] sur son front [sa] main usée« . L’intervention de la Genitrix perturbe le déroulement de la vie du couple Mathilde­-Fernand qui se trouve au point de convergence de plusieurs agressivités: la propre rancoeur de Félicité envers Fernand et Mathilde et l’aversion qu’elle inspire en retour: Fernand <—— vs ——> Félicité <—— vs ——>  Mathilde

Ce rôle de la mère est original dans « Genitrix » et n’a pas d’équivalent dans « Le baiser au lépreux« . Un tiers s’immisce entre les conjoints et produit une disproportion essentielle. Ce qui rapproche, au contraire, les deux romans c’est l’accomplissement de l’amour qui se réalise à travers la mort. La fidélité de Noémi a pour correspondant la fidélité de Fernand, l’une et l’autre au-delà de la mort. Dans les deux romans, les couples, au départ mal assortis, se rapprochent progressivement dans l’Amour.

Remarque concernant la façon de procéder pour classer les animaux

 

Pour classer les images animales et, en même temps, bien dépeindre les caractères « bestiaux », j’ai recherché tous les animaux qui caractérisent un personnage donné et je les ai regroupés sous le nom de ce personnage. A la fin de chaque présentation, j’ai ajouté une petite conclusion, ou plutôt une réflexion personnelle, voulant essayer de trouver la bête spécifique et typique qui symbolise au plus haut point le caractère de chaque personnage. Cela n’a pas toujours été facile, et ma décision en faveur de tel ou tel animal est très personnelle et différera peut-être des interprétations d’autrui.

L’animal dans « Le baiser au lépreux« 

L’image de l’animal, dans « Le baiser au lépreux« , caractérise presque toujours le personnage de Jean Péloueyre. Elle relève d’une même vision globale, celle d’une régression. Jean ressemble à un animal terrestre qui creuse dans la terre pour se cacher du monde et de sa lumière. Noémi, sa femme, n’a presque jamais cet aspect « bestial ». Elle est plutôt désignée par des termes relevant de la nature végétale qui symbolisent la pureté et la beauté de cette vierge.

Jean

Toute une série d’animaux sont considérés par nature comme inférieurs ou repoussants, par exemple la larve, le cloporte, le grillon, le ver, le rat et la chauve-souris. François Mauriac convie toutes ces bêtes pour dépeindre le personnage de Jean Péloueyre. Lors de la première rencontre de Jean et de Noémi dans le parloir de la cure, l’assimilation à la larve et au grillon dans l’imagination de Noémi n’est guère flatteuse: « La vierge mesure de l’oeil cette larve qui est son destin. » (p. 33) « Le beau jeune homme aux interchangeables visages, le compagnon du rêve de toutes les jeunes filles, – celui qui offre à leurs insomnies sa dure poitrine et la courroie serrée de deux bras, – il se dilue dans le crépuscule de cette cure, il fond jusqu’à n’être plus, au coin le plus obscur du parloir, que ce grillon éperdu. » (p. 33) Dans le presbytère où Noémi rencontre son futur mari, elle a peur: « Jean se tut enfin et elle eut peur comme dans une chambre où l’on sait qu’une chauve-souris est entrée et se cache. » (p. 33/34) Les animaux réputés abjects font peur, surtout s’il s’agit d’animaux nocturnes. Jean est l’être de la nuit qui effraie par sa laideur son épouse. Jean, « accoutumé à se tapir loin du monde et de qui c’était l’unique souci de n’être pas vu« , est comparé à un oiseau nocturne: « Le destin le tirait de ses ténèbres; comme une formule de magie, les mots de Nietzsche avaient renversé les murs de sa cellule; le cou dans les épaules et les yeux clignotants, on eût dit d’un oiseau nocturne lâché dans le grand jour. » (p. 34)

Une fois le mariage consommé, l’opinion de Noémi sur Jean ne varie guère, il reste le grillon répugnant:

« Les grillons qui crépitaient au bord de leur trou, lui rappelaient son maitre. Un soir, étendue sur ses draps et toute livrée à la nuit chaude, elle sanglota d’abord à petit bruit, puis gémit longuement et regarda avec pitié son chaste corps intact, brûlant de vie mais d’une végétale fraicheur. Qu’en ferait le grillon? Elle savait qu’il aurait droit à toute caresse, et à celle-là, mystérieuse et terrible, après quoi un enfant naitra, un petit Péloueyre tout noir et chétif… Le grillon, elle l’aurait toute sa vie et jusque dans ses draps. » (p. 36)

Dans le lit conjugal, le dégoût éprouvé ne s’est pas modifié. L’abjection profonde s’exprime par la comparaison à un ver:

« Trempé de sueur, Jean Péloueyre n’osait bouger, – plus hideux qu’un ver auprès de ce cadavre enfin abandonné. » (p. 47)

Noémi est tellement dégoutée de Jean que sa situation est comparable au jeu mortel qui se déroule dans l’amphithéâtre:

« Alors, pleine de remords et de pitié, comme dans l’amphithéâtre une vierge chrétienne, d’un seul élan se jetait vers la bête, les yeux fermés, les lèvres serrées, elle étreignait ce malheureux. » (p. 53)

Jean lui-même s’assimile aux rats qu’il a pu contempler le long des quais de la Seine:

« Et maintenant il se glissait dans la cohue, trottait comme un rat le long des vitrines, élaborait le plan d’une étude péremptoire qu’il intitulerait: Volonté de Puissance et Sainteté. » (p. 81)

Il sent sa mort prochaine et se compare lui-même à un chat mort, bête sauvage et sans maison, qui meurt seule dans les rues de Paris:

« Le ramasserait-on un jour, dans le ruisseau comme un chat mort ? » (p. 81)

Mais les images animales dans « Le baiser au lépreux » ne sont pas seulement celles de la régression. Elles peuvent aussi être celles de la pitié, et c’est alors le chien qui a la faveur de Mauriac.

A l’époque de son enfance Jean était un chien perdu:

« Ses trois années de collèges, il les avait consumées en amitiés jalousement cachées: ni ce camarade Daniel Trasis, ni cet abbé maÎtre de réthorique, ne comprirent ses regards de chien perdu. » (p. 13/14)

Domestiqué, le chien a perdu l’habitude de se défendre, le chien est abandonné par les hommes qui l’ont domestiqué. C’est ici le cas de Jean, éduqué au collège puis aban­donné à lui-même.

Par la suite il est victime de son épouse:

« Il levait vers sa jeune femme ses yeux de chien battu: ‘Il faut que je m’en aille, Noémi.« ‘ (p. 69)

A l’école, Jean était l’objet de la moquerie de ses camarades, le pauvre garçon se sentait poursuivi comme le gibier à la chasse:

« Ah! pauvre figure de landais chafouin, de ‘landousquet’ comme au collège on le désignait, triste corps en qui l’adolescence n’avait su accomplir son habituel miracle, minable gibier pour le puits sacré de Sparte! » (p. 13)

 

Noémi

 

Les animaux qui caractérisent Jean Pélouyre sont répugnants. L’abject finit donc logique­ment par avilir la pureté de son épouse. Jean est le ver hideux qui ronge la beauté et la fraîcheur de Noémi.

Noémi, au contraire, n’a presque jamais cet aspect bestial. Elle est la « végétale fraîcheur« . Sa beauté est qualifiée par analogie aux fleurs:

« Comme dilatée hors du vase une fleur de magnolia, la robe de Noémi déborde sa chaise. Ce parloir pauvre où Dieu est partout, sur tous les murs et sur la cheminée, elle l’imprègne de son odeur de jeune fille, un jour fauve de juillet – pareille à ces trop capiteuses fleurs qu’on ne saurait prudemment laisser dans sa chambre, la nuit. » (p. 31)

Quand Jean apprend le nom de sa future épouse, il est effrayé:

« Noémi de la grand-messe, Noémi dont jamais il ne put regarder en face les yeux pareils à des fleurs noires? » (p. 26)

Ces images appartiennent plutôt au règne végétal. En employant, d’une part, la bête dégoûtante et, d’autre part, la fleur fraîche pour désigner les caractères des deux personna­ges principaux, François Mauriac souligne vigoureusement l’opposition entre ces deux êtres humains.

Une fois, néanmoins, Noémi s’assimile elle-même à une bête, c’est quand elle veut persuader le jeune médecin qu’elle va bien et qu’elle n’a pas besoin de son aide:

« Oh! Moi, je résiste à tout; je trouve la force de manger et de dormir comme une bête… » (p. 117)

Tout à la fin, toujours à cause du jeune médecin, elle est comparée à une bête:

« Bouche bée et la gorge gonflée, elle attendait, elle attendait – humble bête soumise. » (p. 126)

Mais ces deux images restent exceptionnelles.

 

Les Cazenave

 

Les Cazenave – Madame Cazenave est la soeur de Monsieur Jérôme, le père de Jean – ne sont guère décrits flatteusement. Ils passent tous les jeudis chez les Péloueyre, le jour de marché.

Le malade, Monsieur Jérôme, se lamente de mille douleurs et courbatures car, de plus, les Cazenave arriveront le lendemain:

« (…] dès cette aube néfaste, les bestiaux sur le foirail réveilleraient le malade; l’auto des Cazenave, grondant devant la porte, annoncerait la présence de l’hebdoma­daire fléau. » (p. 17)

Les Péloueyre, comme le pasteur, ne veulent absolument pas que les Cazenave héritent un jour de la maison Péloueyre:

« Or, il a décidé qu’il n’était pas bon que Jean Péloueyre demeurât seul; et il lui importe surtout, à ce pasteur, que la maison Péloueyre ne devienne un jour la maison Cazenave; que le loup ne se recèle pas dans la bergerie. » (p. 32)

C’est la raison pour laquelle Monsieur Jérôme et le pasteur cherchent à marier Jean:

« Rampant et faible devant l’ennemi, M. Jérôme dans le secret nourrissait sa rancoeur. Si souvent il grommelait qu’il réservait aux Cazenave ‘un chien de sa chienne‘, que Jean Péloueyre, ce jour-là, ne prêta nulle attention à ce que lui glissait son père:

Nous allons leur jouer un tour, Jean, pour peu que tu veuilles t’y prêter… Mais le voudras-tu? »‘ (p. 18)

La servante Cadette souffre aussi de la présence et des critiques constantes des Cazena­ve:

« Cadette comparut avec des yeux de volaille pourchassée, défendit son gigot en un patois gémissant, – inutile vacarme puisque le conseiller finit tout de même par assouvir sur la viande trop cuite sa fringale. » (p. 24)

Elle « appartient » à la volaille, comme plus tard, dans « Genitrix« , la fille de la servante Marie de Lados. En outre, Cadette a un petit-fils qui vit dans la maison Péloueyre. Il est comparable au petit-fils de Marie de Lados, lequel est aussi décrit comme un bel oiseau:

« Un oeillet rouge à l’oreille, il était brillant et vernissé comme un jeune coq. » (p. 23)

 

Conclusion

 

Les images animales dans « Le baiser au lépreux » servent quasi exclusivement à caractéri­ser Jean Péloueyre. Les animaux choisis par François Mauriac sont presque tous répugnants et repoussants. C’est là une manière très cruelle de décrire un personnage. Le pauvre être humain subit une régression après l’autre. Ce n’est que tout à la fin, dans la dernière phrase, que Noémi assimile son époux mort à un être végétal:

« Ainsi courut Noémi à travers les brandes, jusqu’à ce qu’épuisée, les souliers lourds de sable, elle dût enserrer un chêne rabougri sous la bure de ses feuilles mortes mais toutes frémissantes d’un souffle de feu, – un chêne noir qui ressemblait à Jean Péloueyre. » (p. 126)

Mais le chêne est noir, Jean Péloueyre reste un être de l’ombre et de la nuit profonde. Il est le ver hideux qui a peur de la lumière et qui dégoûte son entourage. Or son épouse est tout à fait le contraire: elle est la fraîcheur, la beauté, la lumière. François Mauriac ne la dépeint pas avec des images animales, mais avec des images végétales. Elle est la fleur épanouie qui perd sa beauté à côté du ver hideux:

« Entre les volets rapprochés, Jean Péloueyre vit-il [ ..] cette robe de Noémi, cette robe un peu fripée qui ne s’épanouirait plus, cette nuque fléchie, fleur moins vivante, fleur déjà coupée ? (p. 34)

Les Cazenave sont des vautours qui veulent profiter des Péloueyre. En posant la question de savoir « si Jean est seulement mariable« , Fernand exprime son opinion et laisse paraître son mépris envers les Péloueyre.

 

L’animal dans « Genitrix »

 

Les images animales dans « Genitrix » sont plus variées que dans « Le baiser au lépreux« .

Elles ne caractérisent pas spécifiquement un personnage – comme Jean Péloueyre dans le premier roman-, mais tous les personnages principaux. En outre, l’animal n’est pas toujours nommé explicitement, c’est une expression ou un verbe qui évoquent l’image d’un animal. Pourtant les images d’animaux traqués et celles qui suggèrent la régression jouent encore un rôle considérable. Il reste que la beauté animale n’est pas absente de ce roman. Il s’agit d’un aspect de l’animal qu’on ne trouve pas dans « Le baiser au lépreux« .

 

Félicité

 

La mère de Fernand, Félicité, est décrite, d’une part, comme une féroce bête, comme une masse noire et tapie qui fait peur à Mathilde. La belle-mère est méchante et insidieuse, toujours en train de chercher à séparer Mathilde de Fernand.

Même en mourant, Mathilde se sent menacée par Félicité:

« Quelle était cette masse noire, près de la fenêtre, cette bête couchée et comme repue – ou tapie peut-être ? » (p. 11)

Dans son agonie, Mathilde craint le retour de sa belle-mère:

« Elle se sentait mise de côté par une féroce bête, ah! peut-être d’une seconde à l’autre près de revenir! » (p. 22)

Dès avant le mariage, Mathilde ressentait le ton animal des voix des Cazenave. Les épiant derrière la haie, Mathilde est le témoin d’une de ces « scènes » après lesquelles Fernand part pour Bordeaux retrouver « son habitude« . Cette fois l’assimilation à l’animal est évoquée par un verbe:

« Mathilde se souvient de quel ton ils glapirent cette menace et cette réplique par quoi fut fixé son destin. » (p. 37)

Quand Félicité est devant la porte de Mathilde et entend gémir sa belle-fille, elle n’est guère dépeinte d’une façon flatteuse:

« Dieu seul put voir ce qu’exprimait cette tête de Méduse aux écoutes, et dont fa rivale, derrière une porte, râlait. » (p. 43)

Félicité est poursuivie par sa propre angoisse, celle de perdre l’attachement de son fils secoué par son deuil:

« La vieille s’aplatit comme une bête, attendit. Ses yeux se rouvrirent, sa gorge se desserra: l’oiseau sombre était passé au large. Elle respira. Le fils dormait toujours avec un bruit de gorge encombrée. » (p. 74)

Mais, d’autre part, Félicité représente la mère protectrice de Fernand. Elle aime son fils et veut seulement son bien: Fernand, le « bien-aimé« , signifie tout pour Félicité. Aussi la laideur de la bête n’est-elle pas permanente. La beauté animale est sauvée par quelques séquences euphoriques où Félicité apparaît comme une mère affectueuse. Elle a élevé son fils avec la tendresse d’une mère animale:

« Longtemps, du même geste qu’en ces jours où, jeune mère animale, elle flairait avidement le nouveau-né, ses lèvres ne quittèrent pas le front de son vieux fils. » (p. 101)

Dans son enfance Fernand était protégé comme un petit oiseau qui est couvert par les ailes chauffantes de sa mère:

« (…) sa mère le couvrait de son manteau comme d’une aile noire. » (p. 133)

La lettre de Fernand, écrite durant le voyage de noces, annonce « le retour à la mère » et remplit Félicité de joie:

« Un matin d’été pareil à celui-ci, cette lettre vint inonder à la fois d’inquiétude et de bonheur la vieille mère louve. » (p. 82)

En fait, Fernand revient à sa mère après la mort de sa femme. Félicité est son seul refuge. Avec un instinct animal, il cherche à se terrer dans ce gîte vivant devant le mal du monde:

« Comme elle s’était affaissée sur le canapé, il appuya sa tête contre l’épaule offerte. Pour se terrer, il revenait à ce gîte vivant, et parce qu’il n’y avait pour lui aucun autre refuge au monde. » (p. 101)

 

Fernand

 

Fernand est dominé par sa mère. Il est même possédé par elle. Il n’a jamais été libre; il vit comme un poisson dans l’aquarium, trop gros et lourd pour se mouvoir. Ainsi son caractère est suggéré par des animaux pris ou domestiqués. Mathilde a deviné et reconnu la situation misérable de Fernand en épiant entre les branches les débats de la mère et du fils:

 « […] la belle affaire, songe-t-elle, d’avoir su attiser le désir de ce quinquagénaire timide! D’autant que le gros poisson avait donné, de son plein gré, dans la nasse tendue. » (p. 27)

Pour protéger Fernand, sa mère avait éliminé de son entourage tous les dangers. Par conséquent elle l’a totalement isolé du monde, il est « emprisonné »:

« Dans le minuscule univers de sa bassesse, dans ce réseau, dans cette toile gluante que sa mère, pour le protéger, avait dévidée autour de lui pendant un demi­ siècle, il se débattait, grosse mouche prise. » (p. 92)

Félicité traite son fils comme une bête sauvage qui doit être domestiquée pour son bien. Après la mort de Mathilde, Fernand s’installe dans la chambre mortuaire et ne veut plus descendre. Cette attitude, provoquée par le deuil, effraie Félicité, mais elle est sûre d’elle­-même et sait que son fils va bientôt lui revenir:

« ‘Demain soir, il sera maté.' » (p. 54)

Mathilde, elle aussi, a de l’assurance et parle de mater sa belle-mère afin de domestiquer Fernand. Pour elle, c’est Félicité qui est la grande ennemie et l’obstacle à surmonter pour gagner Fernand. Lui, ce ne sera qu’un jeu de lui passer les brides:

« Il suffisait de mater sa belle-mère; Fernand, ce ne serait qu’un jeu de lui pa

Mathilde, elle aussi, a de l’assurance et parle de mater sa belle-mère afin de domestiquer Fernand. Pour elle, c’est Félicité qui est la grande ennemie et l’obstacle à surmonter pour gagner Fernand. Lui, ce ne sera qu’un jeu de lui passer les brides:

« Il suffisait de mater sa belle-mère; Fernand, ce ne serait qu’un jeu de lui passer la bride. » (p. 27)

Ainsi les deux femmes ont l’intention de mater ce pauvre Fernand. Toutes les deux veulent le posséder, elles se disputent Fernand comme un objet. Fernand n’est jamais sollicité de donner son avis.

Jeu consistant à « mater » Fernand:   Mathilde  < —————  vs    —————> Félicité   passer les brides à Fernand  

L’image du chien convient à Fernand, comme elle convenait à Jean dans « Le baiser au lépreux« : Il ressemble à un vieux chien qui est domestiqué depuis longtemps et n’attend que sa propre mort. C’est une image triste:

« Dans quel état le lui rendait la morte! Lèvres plus blanches qu’il s’était abreuvé de vinaigre – et les yeux pleins de sang comme ceux d’un vieux chien… » (p. 83)

Après la mort de sa mère, Fernand est totalement perdu. Il n’a plus de raison d’exister. Le vieux chien a perdu son maître et il ne sait pas vivre sans lui. Il n’a rien à faire et s’ennuie, même sa fantaisie le quitte:

« Et maintenant, dans l’allée du Midi, Fernand désoeuvré s’arrête, renifle un lilas, puis un autre, comme un lourd bourdon, sans que la haie de troènes lui évoque aucun visage. » (p. 134)

 

Mathilde

 

Mathilde est souvent comparée à un animal terrestre. Aux yeux de Félicité, elle est aussi une bête tapie qui agit « dans le sous-sol« . Après la mort de Mathilde, Félicité la sent encore présente en Fernand:

« Femme positive, ses armes accoutumées ne valaient pas contre un fantôme. Elle ne savait travailler que sur la chair vivante. La tactique de la disparue la déconcer­tait: tapie en Fernand, elle l’occupait comme une forteresse. » (p. 66)

Félicité se sent impuissante car Mathilde s’est introduite dans la famille en « se coulant« . Cette image peut évoquer la vision d’un serpent qui est rentré sous terre et en ressort comme par magie:

« Ah! l’idiote avait eu vite fait de se couler. » (p. 20)

Mathilde se « qualifie » elle-même d’animal terrestre. La taupe, qu’elle évoque, cherche à sortir de la terre:

« Un instinct de taupe te faisait chercher partout une issue à ta vie subalterne. » (p. 37)

Ces images de la terre profonde suscitent un sentiment de malaise puisque l’homme n’a pas accès à cette terre profonde, à ce subconscient ténébreux qu’on imagine volontiers peuplé d’animaux monstrueux et infernaux.

En fait, on ne sait pas ce qui se passe en Mathilde. Chez les Lachassaigne elle savait disparaître et semblait « se volatiliser« :

« Les Lachassaigne disaient de leur cousine pauvre ‘qu’elle avait du tact, qu’elle savait disparaitre’. C’était vrai qu’au dessert il semblait qu’elle se volatilisât. Pendant le repas même on eût dit qu’elle éteignait se cheveux blonds. Ses yeux ne regardaient rien; sa robe avait la couleur des boiseries. Aussi en sa présence le linge le plus sale était-il lavé sans que le couple se méfiât d’une doucereuse qui feignait de n’avoir pas d’yeux, mais qui voyait – ni d’oreilles, mais qui entendait. Ici, Mathilde contentait jusqu’à plus soif’, dans le secret, ce goût de moquerie qui, chez les Cazenave, devait la perdre. Elle n’était alors que sécheresse, qu’aridité: triste terre sans eau ! » (p. 32)

Ici, Mathilde est comparée avec la terre, mais cette image n’en est pas moins dysphorique puisque la jeune femme est « triste terre sans eau« .

Une fois, elle est décrite comme un oiseau; pourtant cette image n’est pas liée à la liberté et au bonheur; l’oiseau est malade, emprisonné, sans issue face à sa mort:

« Son coeur s’affolait, oiseau qu’on étouffe et dont les ailes battent plus vite, plus faiblement. » (p. 44)

Toute une série d’images évoque la situation de Mathilde poursuivie en tant qu’épouse de Fernand. C’est surtout celui-ci qui reconnaît l’existence misérable de Mathilde mainte­nant morte. ll la regarde alors qu’elle vient de mourir:

 « (…) plus rien de cette expression avide, dure, tendue d’une pauvre fille qui toujours calcule, méprise et se moque; plus rien de la bête aux abois et qui fait front – plus rien de cette face besogneuse et traquée… » (p. 57)

Fernand est même obsédé par cette image de Mathilde poursuivie comme un gibier:

« Mais Fernand se rappelait ce dos rond, cet air battu, ces yeux jaunes de chatte pourchassée. » (p. 144)

Dans son imagination il la voit parmi les guêpes:

« Mais voici qu’étendu sur le lit de Mathilde, dans le noir, il regardait un beau jour brûler l’allée du Midi et, derrière les troènes bourdonnants, il voyait ce jeune corps parmi les guêpes… » (p. 89)

Le père de Mathilde a connu le même sort: il a été poursuivi pendant toute sa vie. Cependant, Mathilde et son frère Jean n’étaient même pas conscients du drame:

« Tout de même ils riaient sans malice parce qu’ils n’entendaient pas à côté d’eux gémir cet homme – gibier forcé et aux abois. » (p. 28)

 

Raymond

 

Le petit-fils de la servante Marie de Lados est le seul être humain de ce roman qui bénéficie presque toujours des aspects positifs de l’animal. Il a la beauté et la liberté d’un oiseau qui fait ce qu’il veut.

Ses cheveux ont toute la beauté du plumage d’un corbeau:

« Dans ses cheveux hirsutes, et comme un plumage de corbeau, sa main était prise et paraissait blanche. » (p. 116)

Fernand observe cet enfant plein de vie de manière quasi obsessionnelle. Il veut lui parler, mais il n’a aucune idée de la façon dont il pourrait le faire:

« Du même regard lourd dont l’année précédente l’avait couvé sa mère taciturne, il suivait ce petit merle. Il aurait voulu lui parler; mais qu’est-ce qu’il faut dire à un enfant ? » (p. 141)

En lui offrant des bonbons, Fernand veut retenir cet enfant. Mais il ne peut le posséder, Raymond est un oiseau qui peut s’envoler et se libérer quand il veut:

« Mais lui, le cheveu bleu-noir hérissé comme de la plume, la tête détournée, piétinant, il cherchait à s’envoler... » (p. 141)

Même quand il est malade, Raymond est décrit comme un oiseau:

« Marie de Lados recula avec une adoration terrifiée, et elle entrainait vers la souillarde le drôle hérissé, sautillant comme un merle malade. » (p. 152)

Raymond est lié à la vie sauvage, à la liberté et à la nature; il apparaît en rapport avec les canards sauvages à la maison de Fernand:

« Avec les canards sauvages, avec les palombes farouches, le temps des vendan­ ges ramena dans la cuisine, Raymond, ce petit-fils de Marie, dont les parents coupaient le raisin à Yquem, chez M. le marquis. » (p. 141)

Cependant, un être humain qui fait tout ce qu’il veut a des caprices qui déplaisent aux autres. En trébuchant chaque fois au même endroit de son « Credo », il se désigne comme ânon:

« Il récita d’affilée mais, ânon rétif, s’arrêta net au même tournant, l’air buté, anxieux. » (p. 122)

Mais cette image n’a pas un aspect négatif, de même que la suivante n’a pas non plus un sens dysphorique:

« La tête charmante était inerte, les jambes égratignées et sales balançaient des souliers ferrés comme les sabots d’un petit âne. » (p. 117)

Raymond est un petit enfant innocent, mais déjà rusé puisqu’il est comparé à un renard:

« La porte de la souillarde s’entrouvrit et l’enfant y glissa un museau de petit renard pris au gite. » (p. 154)

 

Marie de Lados

 

La vieille servante des Cazenave était servante de métayer dès l’âge de douze ans, domestique de domestiques. Elle a eu un destin horrible: elle était la bête de somme de son mari et la servante soumise de ses maîtres:

« Jaousèt, qui l’avait prise dans la brande un soir de l’été 47, et dont elle fut, pendant trente ans, la bête de somme, jusqu’à ce petit enfant de trois ans qu’elle avait perdu. » (p. 110)

Elle a peur de Madame Cazenave. Elle est aussi comparée à une chienne, domestiquée et obéissante. Les Cazenave l’ont « matée » elle aussi:

« Mais ses yeux craintifs de chienne couchante ne quittaient pas ceux de la maîtresse, de peur d’être en retard d’une seconde pour approuver. » (p. 109)

 
La fille de Marie de Lados

 

La fille de Marie de Lados, la mère de Raymond, est loin d’évoquer l’aspect positif de l’animal. Elle fait plutôt songer à la « volaille« .

Marie de Lados a peur de sa propre fille:

« Marie de Lados redoutait fort cette fille: landaise édentée et noire, elle trahissait, par l’oeil et par le bec, une férocité de poule. » (p. 143)

La voix de cette fille semble sortir d’un gosier bestial:

« Mais avec une horrible voix du gosier, la fille soudain hurla en patois. » (p. 145)

Fernand la voit à la cuisine comme une femme « aux yeux de volaille« :

« Le maÎtre y pénétra, vit d’abord la fille aux yeux de volaille et, derrière elle, les mains jointes et levées, Marie de Lados. » (p.153)

 

Conclusion

 

Les animaux, dans « Genitrix« , sont nombreux et variés. Chaque personnage est caractérisé par un aspect animal particulier, qui lui est propre. Ainsi on pourrait essayer de trouver un animal typique de chacun des protagonistes, comme je l’ai fait plus haut pour les personna­ges du « Baiser au lépreux« .

Félicité doit être une bête féroce qui veut dominer et posséder son entourage. Elle lutte seule contre ses adversaires. Je lui accorderais volontiers le lion, roi du règne animal, mais il lui manque la noblesse de cette bête. Elle pourrait être aussi une chatte qui joue un jeu mortel avec ses victimes. Pourtant elle est mère et chérit son fils. C’est pourquoi je me déciderai pour la louve (« vieille mère louve« ) qui est rapace et féroce pour protéger son enfant.

Fernand est une bête matée, emprisonnée. Je le vois comme un gros et lourd poisson dans la nasse tendue. Il est lent et vieux et n’a aucune chance de se libérer. Une autre bête pourrait le désigner, un vieux cheval: Il est domestiqué et possédé par deux femmes qui se sont assises sur son dos et qui lui ont passé les brides. Personnellement, je le vois comme un vieux chien domestiqué toujours enchaîné à Félicité qui a dominé et arrangé sa vie. Sans elle, il est perdu et condamné à mort.

Mathilde ressemble à une bête terrestre qui cherche à disparaître. Elle est le serpent qui s’est introduit en « se coulant » dans la famille Cazenave et qui injecte poison et malheur dans la relation entre la mère et le fils. Cependant, elle est poursuivie comme le gibier à la chasse, comme un mouton perdu par la louve Félicité. Je la désignerais comme une souris qui s’est creusé un abri dans la terre. Chaque fois qu’elle ose revenir à la lumière, la chatte Félicité s’en empare et tente de la tuer.

Raymond est le rayon de soleil dans la maison déserte des Cazenave. C’est un oiseau qui amène liberté et bonheur. Il est sauvage et s’envole quand il en a envie. Tandis que sa mère est la poule, une femme sans moeurs, sans tact ni douceur.

Enfin Marie de Lados, sa mère, a la fidélité d’une chienne. Elle s’occupe des Cazenave d’une façon humble et soumise.

 

Tableau des animaux dans « Le baiser au lépreux » et « Genitrix« 

    positif                                       le ciel


animaux de l’air                                                       corbeau, merle   animaux de la forêt                                            renard, loup, gibier  animaux des prés                grillon, bourdon, chauve-souris,guèpe  animaux domestiqués et emprisonnés        chien, chat, âne,poule                                                    volaille, mouche, poisson, cheval 

 

négatif                                  la terre


animaux terrestres                                     larve, cloporte, rat, ver    

D’un point de vue général, plus les animaux sont liés à la terre, plus ils ont un caractère négatif.

 

Conclusion

 

Les images ont des origines complexes. Elles sont le résultat d’expériences faites dans l’enfance, de l’éducation et de l’influence de l’entourage dans lequel on a vécu.

Le contexte familial et social a beaucoup marqué François Mauriac. Des éléments typiques reviennent dans chacun de ses romans. Dès ses premières années, Mauriac est orphelin de père. L’absence du père et la présence possessive de la mère dans « Genitrix » tiennent directement à l’histoire de Mauriac. Les images du gibier pourchassé, l’importance du chien ont leur origine dans la chasse des Landes à laquelle le jeune Mauriac assistait.

Ses récits ont un caractère subjectif; la plupart des images sont délibérément voulues par l’auteur, mais si tel être fait penser à une bête, la race ou l’espèce importe peu, ce qui compte c’est le concept (une bête tapie). Mauriac dépeint ses personnages à l’aide d’images violentes qui font appel à tous les sens. Il rapproche cruellement l’homme de l’animal; c’est surtout le cas de Jean Péloueyre. Une description plus forte et plus horrible n’est guère possible. Ces images apportent une intensité, un frisson qui naît seulement quand l’essence d’une âme se mêle au fond des choses.

L’image tire son origine du plus profond de l’être. Par ce canal on peut parvenir à la connaissance de la personnalité de !’écrivain. Il est évident que l’enfance a joué un très grand rôle dans la vie de Mauriac. La blessure de l’absence de son père et l’influence de sa mère dominatrice ont marqué son enfance et sont à l’origine de beaucoup d’images animales. Mauriac restera toujours enraciné dans les Landes où il a grandi. A côté de ce profond enracinement dans son terroir, ses dons d’observateur paraîtront également significatifs : « Tout entrait en moi, et rien n’en sera perdu.« 

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Bibliographie

 

BONTE Michel, Images et spiritualité dans !’oeuvre romanesque de François Mauriac, La Pensée Universelle, 1981

GLENISSON Emile, L’amour dans les romans de François Mauriac, Edition Universi­ taire, 1970

LACOUTURE Jean, François Mauriac, Editions du Seuil, 1980

MAURIAC François, Le baiser au lépreux, Bernard Grasset, 1922 (Collection du « Livre de poche »)

MAURIAC François, Genitrix, Bernard Grasset, 1923 (Collection du « Livre de poche »)

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Table des matières

Introduction

François Mauriac, abrégé de sa vie

François Mauriac, un romancier catholique

L’animal dans les deux romans « Le baiser au lépreux » et « Genitrix » Résumé des deux romans « Le baiser au Iépreux » « Genitrix » Remarque concernant la façon de procéder pour classer les animaux

L’animal dans « Le baiser au lépreux« 

Jean Noémi Les Cazenave

Conclusion

L’animal dans « Genitrix »

Félicité Fernand Mathilde Raymond Marie de Lados La fille de Marie de Lados

Conclusion

Tableau des animaux dans « Le baiser au lépreux » et « Genitrix« . Conclusion

Bibliographie

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Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

« L’animal dans « Le baiser au lépreux » et « Génitrix » de François Mauriac » : texte présenté par Mme Sabine WOODTLI pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Françaises.

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff    

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY