Colette et « L’Entrave » : vers une signification du titre.

 

Introduction


Si Colette est marginale par rapport à d’autres écrivains qui lui sont contemporains, » L’Entrave » est sans doute parmi les moins cités, les moins étudiés, voire les plus oubliés de tous ses écrits, manquant souvent même des listes complètes de ses ouvrages’.

Pourquoi avons-nous donc choisi d’étudier ce court roman, quasiment obscur, de Colette ?
Admettons, d’abord, que c’est par nostalgie. En effet, ce roman nous a rendue nostalgique à cause des liens qu’il entretient avec les souvenirs de l’année que nous avons passée comme étudiante à Paris et à Genève, en 1997-1998.

C’est en rentrant aux Etats-Unis, l’année suivante, que nous avons étudié ce livre pour la première fois; nous avons été ravie, éblouie de retrouver, évoqués dans un roman du début du siècle, des endroits – Nice, Genève, Paris – qui nous avaient tant impressionnée et qui nous étaient restés si chers après nos voyages de l’année précédente. Ainsi, le texte nous était déjà connu, et c’est en partie le souvenir du plaisir que nous avions éprouvé à lire le roman autant que la pertinence du livre par rapport à nos propres expériences qui nous ont fait songer à Colette au moment où il a fallu choisir le sujet de notre mémoire.


Cependant, la nostalgie n’explique qu’en partie notre choix. La vie de l’auteur, la psychologie inhérente à son texte – outre le français, nous terminions alors une spécialisation en psychologie – nous étaient aussi connues et restaient fascinantes. L’existence de Colette elle-même, peu orthodoxe pour son temps, le contraste entre cette existence et certaines de ses attitudes très traditionnelles, ses descriptions de la relation amoureuse – bouleversantes pour ce qu’elles ont de

« réalisme réussi »…dans le sens que ses descriptions d’endroit, de caractère, et d’objets suscitent dans le lecteur ce choc de reconnaissance qui résulte de l’articulation précise d’une réalité connue ou intensément plausible »

– tout cela nous avait déjà fait vibrer de curiosité, de compréhension, de respect, de fierté devant l’audace de cette femme-écrivain, d’étonnement voire, parfois, de dégoût, mais jamais d’ennui.

Nous savions alors que nous aurions plaisir à traiter de cet écrivain et de ce roman. Toutefois, nous n’avions pas de thèse à avancer à leur propos, et nos deuxième – et troisième ! – lectures du livre n’ont fait que multiplier le nombre de thèmes, de symboles, d’allusions qui nous paraissaient importants, voire indispensables, à une étude approfondie qui serait digne du livre. En revanche, une question nous avait continuellement préoccupée depuis notre première lecture de L’Entrave : qu’est-ce que Colette voulait désigner par « L’Entrave ? Qu’est-ce que de multiples allusions, analyses psychologiques, appels au sens, apportent à la signification du titre ? Qu’est-ce qui relie les deux amants à la notion d’entrave ? Est-ce l’allusion au mythe de Psyché ou les multiples allusions à la littérature et à l’écriture mêmes ?

Ce sont là des questions vastes, auxquelles nous essayerons néanmoins de répondre dans les prochaines pages.

Deux définitions d' »entrave »

Pour aborder la signification de certains aspects du livre dans leur rapport au titre, il faut d’abord définir le mot qui compose ce dernier :

Entrave :  Ce qu’on met aux jambes de certains animaux pour gêner leur marche. Fig. : Ce qui retient, gêne. Empêchement, obstacle 3 . »

Entraver : En langage familier, cela signifie « comprendre » , et « entravage » veut dire « intelligence », ce qui est intéressant étant donné que ce dernier verbe implique « saisir », « entourer », « prendre » pour en déduire le sens,
« empêcher » d’être flou ou insaisissable. Le substantif « entrave » pourrait donc être ce qui « entrave », ce qui « com-prend ».

Tenant compte de ces définitions, nous allons maintenant aborder les thèmes de l’amour, de la recherche féminine de l’identité, de la littérature et de la difficulté de représenter la réalité par l’écriture, ainsi que du rapport qu’entretiennent le mythe de Psyché et le concept platonicien de la beauté et de la sublimation de l’âme avec le livre. Bien qu’il y ait un grand nombre de thèmes traitables, un tel choix nous permettra d’examiner la dynamique qui conduit, dans le roman, d’un sens d’ « entrave » à l’autre ; nous verrons que cette dynamique se définit par une deuxième, très pertinente dans le livre : passer d’ « entrave » (premier sens) à « entraver » (deuxième sens), c’est aussi passer du sensible à l’intelligible. Comme c’est souvent le cas dans l’écriture de Colette, ces thèmes n’ont pas toujours entre eux de frontières naturelles ; ils se chevauchent, mais nous tenterons de les traiter séparément par souci de méthode, sans nuire pour autant, espérons-nous, à leur sens d’ensemble.

  1. L’amour comme entrave…et liberté

« Est-ce que l’amour peut se produire sans soumission totale et sans perte d’identité ? Est-ce que la liberté vaut la solitude qui en est le prix ? »  La difficulté, et donc une des « entraves » qu’expérimente Renée par rapport à l’amour, vient de ses tendances contradictoires à vouloir être désirée mais sans vouloir se donner, et à vouloir se réfugier dans la volupté tout en la trouvant honteuse, insuffisante. Comment évoluer de l’amour simplement sensible pour parvenir à un amour intelligible ? Renée va commencer le chapitre de son histoire qui constitue « L’Entrave » en se réfugiant dans la chasteté ; ensuite, elle cherchera à être désirée, mais évaluera à chaque fois ce qu’elle gagne par rapport à ce qu’elle donne ; en même temps, elle limitera sa relation amoureuse à la volupté en « objectifiant », si l’on peut dire, son amant, tout en trouvant la volupté seule insuffisante et dégradante. Ce qui résoudra ces conflits, c’est le fait de vouloir plus, d’apprendre ce que c’est que le véritable amour; c’est aussi de perdre, presque, ce qui lui est si précieux; elle « terminera » en découvrant qu’à se donner complètement elle peut regagner toute la beauté de la vie. Ainsi, son amant, qui a débuté en « entrave » négative (parce qu’il commence par représenter uniquement la volupté) et peu significative (franchissable), devient « entrave » positive : la limite de son univers, le but jamais atteint, toujours renouvelé, de son existence.

Récemment « libérée » et son ancien amant et de la nécessité de gagner sa vie, la Renée du début du livre se moque d’elle-même sur un ton badin et peu sincère, critique les passants, méprise ses compagnons, et vante, au moins à un niveau superficiel, les qualités d’une existence oisive, indépendante des exigences des autres, chaste et solitaire. Mais, par delà ses comparaisons, ses analyses, sa constatation généralisante que les hommes éprouvent « tous » du « plaisir… à nous trahir subtilement dans le moment qu’ils nous étreignent  le mieux« , le lecteur discerne, derrière les mots de cette femme qui se veut autonome, une blessure et une amertume profondes, qui la font reculer devant des relations trop personnelles. Comme nous l’avons déjà vu à travers les discours qu’elle tient sur les autres, Renée n’est pourtant pas isolée de l’extérieur, ni sur le plan relationnel ni sur le plan concret de son environnement immédiat. D’ailleurs, ce qu’elle appréhende du monde, par exemple la rencontre des cygnes sur le lac Léman (p. 53) ou d’ « une maison obscure » (p. 77), la pénètre et lui inspire de l’amour. De plus, il est significatif que l’amour qu’elle voit représenté, qu’elle admire, qu’elle guette, c’est l’amour « abrité…l’isolement précieux et permis » (p. 77). Elle admire donc les limites qui servent peut-être à entraver, mais aussi à protéger, à inspirer. Il est facile de comprendre cette réaction de sa part,vu la combinaison de son penchant pour s’émouvoir avec « intensité », sa vulnérabilité et le « voeu muet » — d’être désirée, à notre avis — qui la « délabre . (p. 77). A cette étape-ci, elle appréhende par ses sens son environnement, acte qui lui permet de commencer à saisir, à intérioriser l’expérience abstraite, intangible, mais intelligible de l’amour.

Dès que Jean « réveille » en elle ce désir en lui serrant la main, le conflit amoureux — qui se déroule surtout à l’intérieur de Renée elle-même — commence. On verra que, d’un côté, elle cherche des limites qui définiront son existence et qui donneront un but et une structure à sa vie, ce qui peut se faire par rapport à un Autre, et que, d’un autre côté, elle lutte contre l’idée de sacrifier son autonomie, craignant de perdre sa liberté. A l’abondance des descriptions analytiques de Jean (elle loue le plus souvent son cou, ses narines et sa bouche : il est objet partiel), on voit qu’elle l’admire, mais aussi à quel point elle « l’objectifie » (le réifie), le décortique, donc le garde en face d’elle, n’admettant de lui que sa qualité d’être voluptueux et réduisant ainsi leur amour à une seule dimension. Néanmoins, cette femme tellement complexe et gardée craint que son amant et leur relation ne prennent trop d’ampleur, ne menacent sa propre indépendance. Elle « se sert » du corps de Jean « comme d’un coussin ou d’un coin de tapis . (p. 97), et tandis que leurs corps, véhicules de l’amour physique, sont « honnêtes », leurs âmes « s’enfermeront encore dans le même déloyal et commode silence » (p. 85). Jean n’est plus qu’un élément du paysage, « au même titre que le peuplier…que le rocher violace…que la vague verte » (p. 87). Mais en même temps que Renée le relègue dans ce statut, le lecteur ayant déjà vu sa sensibilité au monde naturel et émotionnel, est conscient des effets que Jean pourrait avoir sur elle. Elle est confiante, elle l’invité à être son « entrave », « l’écueil » qui gênera sa tranquillité, mais qu’elle croit pourvoir franchir : déjà, elle ne veut pas « l’éviter » (p. 88), elle reste quelque peu ouverte aux possibilités qu’elle pressent – que l’amour atteigne le domaine de l’intelligible, par exemple – et cela par sa propre volonté.

En revanche, en même temps que Jean lui devient un peu plus cher, elle veut davantage (sans pour autant vouloir se donner à fond) ; elle veut que leur relation prenne une signification plus digne que celle que lui confère la simple volupté. Il serait pourtant trop facile de dire qu’elle ne sait pas ce qu’elle veut, qu’elle est hypocrite : ici, en effet, Colette est en train d’aborder un domaine très délicat de l’expérience féminine de l’amour. Elle « déconstruit un mythe qui avait déjà commencé à s’écrouler au moment où elle a commencé à écrire : celui de la femme en tant que vaisseau chaste, sans Moi et dénué de volonté (propre). Le vrai caractère féminin, insiste-t-elle, a aussi ses double-murailles, et entre elles se situe une cachette sombre où règne une puanteur charnelle et où les désirs féminins défendus sont enterrés.  » D’ailleurs, Renée se critique elle-même quant à cette contradiction dans son comportement et dans ses voeux, et c’est ce qui fait d’elle un personnage vraisemblable, convaincant, touchant. Sa « tremblante audace de femme » (p. 93) la fait céder pour la première fois à l’amour physique ; elle en est consciente, et bien que l’expérience la satisfasse, elle regarde l’acte comme une chute, un péché. Elle se remet en question, elle se juge, elle attribue « ce cri indigné `vous m’aimez même pas’  » à sa « simplesse de femelle sentimentale » (p. 95) ; un peu plus tard, elle ne voudra pas entendre l’aveu d’amour de son amant, croyant préférer se réfugier dans la volupté ; cependant, sa propre « conscience » (p. 101) la fait s’obstiner dans l’idée d’une « liaison honorable »  (p. 100), elle en ressent le besoin, elle se sent obligée de la vivre, elle la réclame. Renée perçoit donc pleinement cette contradiction entre les exigences corporelles,charnelles, des désirs primitifs et cachés, et les exigences intellectuelles, qui renvoient à la raison, à l’honneur, à la morale. Elle cherche un équilibre entre le sensible et l’intelligible.

A certains moments, Renée est donc mécontente, comme lorsqu’elle constate que Jean ne lui fait « place nette que dans sa maison » et qu’il ne l’a pas « conviée à savoir  » qu’il avait rompu définitivement avec son ancienne maitresse (p. 101). Mais à d’autres moments, comme quand ils ont bien communiqué, elle , s’étire », elle prend de la place, elle est « confiante » (p. 98). Par ailleurs, il est très révélateur que ce soit à l’un de ces moments que les traits du visage de son amant lui échappent – durant un instant elle prend Jean dans son for intérieur où il n’est plus objet, et aussitôt elle le regarde avec anxiété parce qu’elle veut le garder en face (p. 98). C’est là une métamorphose dans sa conception de l’amour qui se concrétisera à la fin du roman : au fur et à mesure que son amour tend vers une fusion complète avec son amant, elle va le prendre en elle, le voir moinsNous retrouverons ainsi la dynamique sensible/intelligible. La vue est le sens qui isole l’objet et distingue le sujet, tandis que les autres sens – et aussi l’intériorisation des expériences – obscurcissent les frontières sujet/objet, les relient, et rendent leur unification intelligible.

Pour évoluer dans l’amour, pour parvenir à l’amour complet et digne qu’elle recherche, il va aussi falloir que Renée se débarrasse de sa tendance à mesurer ses échanges avec Jean, à évaluer leur relation en termes quasiment économiques, car rester au niveau économique, matériel, dans la relation, c’est rester a un niveau inférieur. Renée évoque des dettes relationnelles : « je suis fière qu’il me doive autant que je lui dois » (p. 97). Si elle s’adresse à Jean avec « considération », c’est parce qu’il est « dispensateur du plaisir » (p. 114). Comme elle a cet instinct, comparable à celui de la survie, de préserver son indépendance et qu’elle ressent la soumission et la honte inhérentes à son statut de «femme entretenue »  (p. 118), elle constate que « être équitable, c’est déjà une grande humilité pour une femme » ; elle n’a « à compter que sur la résignation de Jean » ; elle est « la débitrice » (p. 121). Elle se défend en jugeant son amant, en le repoussant en quelque sorte, et c’est une autre manière de le garder « en face », ce qui fait qu’ils restent l’un pour l’autre des inconnus. Jean s’indigne de ce comportement : « tu as l’air curieuse seulement de ce que je te prends, et non de ce que je suis ! » (p. 111). Mais elle a eu la même impression, car elle remarque plus loin : « c’est la première fois qu’il me donne directement une marque d’intérêt, ou du moins une curiosité qui n’est pas purement sensuelle  » (p. 114). Chacun est donc coupable de se cacher et de se contenter de la volupté. En effet, la volupté à laquelle Renée relègue Jean (peut-être fait-il de même, mais l’on n’est ici que dans la tête de la femme) porte en elle-même un aspect un peu économique, car « rassasiée cette volupté « porte avec elle la froideur et l’indifférence. Affamée, elle ne veut rien que ce qui la sustente » donc pas le Jean complet, « ni mystérieux, ni sensuellement inquiétant » (p. 122), qui possède tout un passé inconnu de son amante et qui l’a formé.

Cette attitude calculatrice d’économiste est « l’erreur profonde » de Renée (p. 122), un obstacle ou une « entrave » en elle-même parce que, définissant l’amour comme un échange matériel, elle l’empêche de progresser au niveau de l’intelligible. Renée franchit cette attitude trompeuse lorsqu’elle parvient à préférer « Jean « aux fragiles biens qu’une femme nomme sa dignité, l’estime de soi « (p.137). Elle constate que c’est quand elle ressent « l’humiliation d’appartenir mieux » qu’elle ne possédait, qu’elle commence « de mesurer…la place qu’il tenait en (elle]…trop tard ! II pouvait déjà user ld’elle]…et trouver en (elle] ce qu’on n’épuise point » (p. 137) parce qu’elle s’ouvre, elle se donne. Mais cette analyse de sa part n’est pas tout à fait juste car, en réalité,i elle n’a fait que peser, comparer, mesurer — et si elle s’en rend compte maintenant, c’est que son amour est devenu complet et qu’elle n’éprouve donc plus aucun besoin d’analyser ni de compter ce que cette relation lui apporte. Elle n’éprouve plus de fierté à un échange purement voluptueux et donc purement économique : « on n’échange rien dans l’étreinte » (p. 143). Masseau lui parle de son « honorée de l’écoulé » sa lettre réclamant sa partie de la relation, sa dignité, qui vient de sa « tare éternelle…l’inaptitude à posséder » (p. 149) et de son souci de garder une distance entre elle et son aimé.

C’est seulement quand Renée rejette tout calcul, quand elle ne pense plus à son image et à sa dignité, qu’elle regagne véritablement son amant (p. 152) et qu’elle devient profondément heureuse dans sa relation. A la fin du roman, elle s’inspire de la maxime de Masseau : « si l’amour que vous dédiez à votre amant l’engage envers vous, en quelque manière que ce soit, ce n’est plus le véritable amour » (p. 150). Comprendre cela permet à Renée « d’entraver » Jean, de le comprendre complètement et, de là, d’éprouver l’amour absolu. En effet, tomber véridiquement amoureux, c’est avoir l’impression que tout ce qu’on veut, tout ce qui est nécessaire à sa survie, vient d’un seul Autre, tout-puissant et à peine différencié de soi-même ; c’est ne plus être capable de faire semblant d’être détaché, ne plus se méfier de la passion, ne plus garder sa distance. C’est, au fond, être « entravé », mais au sens le plus positif du mot. C’est découvrir, éprouver les limites imposées à sa propre existence par un Autre, et par son propre amour pour cet Autre, des limites qui englobent pourtant toutes les possibilités. Réussir à atteindre un degré d’amour aussi accompli, c’est aussi comprendre, parvenir à une sorte d’intelligence émotionnelle bien supérieure à la simple volupté.

Sa prise de conscience par rapport à l’amour a un double effet sur Renée. D’abord, la sensualité qu’elle éprouve pour son amant complet, celui qu’elle avait « dédaigné de connaître » (pp. 154-155), prend dorénavant une dimension infiniment plus importante que celle de la simple volupté, parce qu’elle y gagne toute la beauté de la vie « à travers lui » et pourvu qu’elle  « le possède »  (ce qu’elle réussit à accomplir maintenant, parce qu’elle le porte en elle-même ; p. 157). Ensuite, et paradoxalement, parce qu’en voyant Jean complètement — dans le sens de le comprendre : elle le prend en elle – , il émane d’elle-même et elle ne le voit plus dans le sens uniquement physique, concret. Cela correspond bien à la constatation que fait Judith Thurman :

« Quand enfin elle se perd, c’est à l’Amour même et non pas à Jean; d’aillleurs un des paradoxes typiques de la fiction de Colette est que les hommes dissolvent en tant que personnages aussitôt que leurs femmes cèdent à eux. Le désir efface l’individualité de son objet. »

Un parallèle remarquable entre Max (l’ancien amant de Renée) et Jean renforce la différence entre, d’un côté, l’amour dont Renée se méfiait et qu’elle a fui et, de l’autre, l’amour auquel elle parvient à la fin: au début du roman, elle s’imagine la réaction probable de Max, son ancien amant, s’il l’eût vue sur la Promenade des Anglais : « il eût cherché de nouveau sur moi et autour de moi, avec une mine désappointée : ‘C’est tout ?’ »(p. 11). Mais, chez Jean, il s’agira d’un regard qui « cherche, sur moi et autour de moi, ce qu’il y a à reprendre »  (p. 151). Il cherche, comme elle, à posséder, il cherche ces banalités qui façonnent et concrétisent et renforcent quotidiennement l’amour ; en même temps, on sait que celle qui parle, qui écrit, est consciente de la signification de cette action de la part de son amant, et qu’elle en est aussi rassurée. D’abord « libre » dans la solitude, mail mécontente, elle est ensuite libérée, dans le contexte même de son « entravage », par son amant et par son besoin absolu de lui. Ces détails banals et quotidiens de la vie de deux personnes « assez ordinaires » sont justement les constituants qui leur permettront de construire un « prodigieux amour » (p. 151).

 

  1. Ecrire, c’est s’écrire – l’identité féminine comme entrave – la difficulté de se trouver une place

Les critiques de Colette ont tendance à prétendre que ses écrits sont autobiographiques et qu’elle a eu pour but quasiment « narcissique » de créer une image captivante d’elle-même. Ainsi Dominique Lafon désigne-t-il « cette image d’elle-même à laquelle [Colette] a si patiemment travaillé et dont elle est autant l’auteur que le modèle » Pour des motifs qui ne sont pourtant pas liés au but de cette étude, nous rejetons véhémentement l’idée que Renée Néré représente véritablement Colette ; pour ce qui nous concerne, en tant que produit de l’écriture féminine de cette femme-­écrivain, Renée peut être conçue comme un symbole de la difficulté de représenter la réalité de l’identité féminine. L’ouvrage nous montre qu’il est difficile pour une femme d’accomplir -et a fortiori de réussir – la quête de son identité et, par extrapolation, qu’il est difficile d’établir fidèlement l’identité d’un personnage féminin dans un texte. Perdue, dissolue, sans limites par rapport à son extérieur et mélangée avec le sensible, Renée commence informe ; sa quête sera de se dessiner une identité intelligible, de « s’entraver », de se trouver une place.

Au début de L’Entrave, le personnage de Renée Néré – qui était « La Vagabonde » dans le livre qui avait précédé L’Entrave – répond à cette définition de la femme que donnait Jacques Lacan : « toujours ailleurs, hors discours » ; Renée « marquera une place instable mais une identité définie justement comme cette instabilité même dans un espace qu’elle n’a pas, en tant que femme, cartographié. » Donc, s’agissant de l’identité féminine, l’une des « entraves » que Renée affronte est précisément ce manque de place, cette fluidité du Moi. Au cours de cette « deuxième partie de son histoire », Renée effectuera une progression dans la peinture d’elle-même. Son nom, d’ailleurs, est un anagramme – ou plutôt un palindrome – qui renvoie à la renaissance, à la réinvention du Moi. Elle commence ainsi : « Le peu qu’une femme puisse apercevoir d’elle-même, ce n’est pas la calme et ronde lumière d’une lampe, allumée tous les soirs sur la même table, qui le lui montre . » Mais « à changer » d’endroit, elle n’a pas « acquis » une identité plus solide — elle a appris que le monde se renouvelle pour elle si elle se renouvelle elle-même (p. 9). Mais comment se renouveler ? Elle va découvrir que pour une femme, du moins pour elle, cela se fait à travers un autre, plus précisement à travers son amour pour un autre.

La première étape dans le renouvellement du Moi de Renée, qui précède le début de ce livre, mais auquel elle fait référence, a ésa libération de Max, son amant dont l’amour était comme « une tombe à (sa) mesure. » Etant donné qu’elle a trouvé la force de se relever et « fuir » (p. 29), elle a déjà fait preuve d’une certaine vitalité, d’une détermination — dont elle ne se départira jamais au cours du livre malgré ses autres changements (voir p. 152). Malgré cela, au commencement du livre, Renée est consciente surtout de sa propre « fragilité » (pp. 9,10). Elle sait qu’elle est vue comme « pas tapeuse, pas donnante », que puisqu’elle « s’entête à ne coucher avec personne », elle a «l’air d’une avare » (p. 15) : cela nous rappelle sa conception d’économiste par rapport à l’amour. Mais si elle choisit une chasteté protectrice, c’est qu’elle a peur de perdre son intégrité, sa dignité. A ce stade, où elle est informe et donc vulnérable, elle a peur d’être blessée. Elle veut se distinguer de « ces gens-la »  qu’elle fréquente à Nice, « flâneurs de la Riviera » (p. 15), qui sont ses compagnons uniquement parce qu’ils partagent son « désoeuvrement  » (pp. 28, 29, 65, 68). Lors de cette première étape, elle se sent « perméable » (p. 29), oisive, elle « s’étire et s’étale » (p. 28), elle est libre mais floue, donc indéfinie, mais ouverte à des évolutions en elle-même. D’ailleurs, elle croit chercher la liberté, mais dans son état fluide elle n’est pas contente ; sa conception et sa valorisation de la liberté, si liées à la solitude, changeront au cours du roman. Quand elle veut échapper à la question envahissante et accusatoire de Jean sur son amitié avec May et donc à l’exigence d’une réponse sincère, elle fait l’expérience d' »un dédoublement pénible » qui l’éloigne de ses compagnons (p. 42). Elle se félicite, à d’autres moments, de pouvoir prendre ses distances vis-a-vis des autres, mais seulement pour se rendre compte aussitôt qu’elle est orgueilleuse, que son dédain est mal placé, car en réalité elle essaie de « sédui- re » les autres (p. 50); elle a besoin et de leur compagnie et de leur désir pour s’affirmer. Autrement dit, elle a besoin de passer par le stade du sensible pour arriver a une identité intelligible. On voit une nouvelle fois la perméabilité de ses pensées, de ses réflexions sur son propre caractère, et son ouverture vers le monde sensible, au moment orageux où son regard tombe sur une « épaisse brochure orangée » – couleur extérieure – et « la couleur (intérieure) de (s)es idées change » (p. 50). Elle a beau être « en toute liberté » (p. 51), elle est sans but, sans frontières définies.

Son observation des cygnes sur le Lac Léman touche Renée de deux manières, motive deux facettes d’elle-même. Cette expérience montre à « Renée-femme amoureuse » que son désir doit trouver un objet ; . Renée-écrivain » se rend compte que son intérieur doit trouver un véhicule pour s’exprimer. Son toucher, le monde sensuel, les cygnes qu’elle voit, lui donnent envie de s’exprimer, de trouver les « mots » (le terme est répété deux fois) pour représenter le monde extérieur. Elle analyse ce besoin presque charnel comme « la force amoureuse qui déborde ». Donc, écrire, c’est communiquer ce que les sens appréhendent, et c’est traduire en mots sa volupté (p. 53). Chez Renée, dans cet état de flux, les démarcations entre le monde extérieur et le monde intérieur, le concret et l’abstrait, le sensuel et l’émotionnel, se fondent, mais elle a envie de « se préciser ».  Un objet n’est présent dans l’espace, n’a de place, qu’en fonction des limites qui le contiennent ; Renée a donc besoin de limites, d’une « entrave », pour se connaître, pour définir son Moi.

Cependant, dans nombre d’environnements, Renée n’a pas de véritable place : ni au music-hall , « à côté de Brague et de la Carmencita »  ou, « parce que [elle] ne travaille plus, parce que [elle est] / finie…[elle] n’existe plus » (pp. 56, 59), ni entre les deux amants, à Nice. Selon sa belle soeur, Margot, qui a fait d’elle une rentière : « une vie digne, pour une femme, c’est celle qui la conduit, inaperçue de presque tous, jusqu’à son tombeau » (p. 59). Renée, elle, est découragée par cette attitude, mais non pas convaincue. D’abord « entravée » mais contente dans le monde du music-hall, où « /elle] tournait en rond au bout d’un fil  » où son métier lui accordait une identité, elle perd son « Moi » lorsque le fil casse et qu’elle découvre « la liberté totale » (p. 61), ce qui la plonge simultanément dans la solitude et dans l’indéfini. Elle re-invoque alors les cygnes et leur paysage, ce dernier « doux pour ce qu’il contient de déjà vu, de presque familier » ; en s’inspirant de son environnement physique, en cherchant un endroit où elle ait le sentiment de « rentrer » (p. 62), elle est en pleine quête de son identité. En même temps, elle a peur de se faire une place chez Jean ; bien qu’il l’invite à le faire, elle s’installe avec le « moins de bruit » possible (p. 117), parce que prendre une place chez l’homme, c’est aussi renoncer a l’idée de liberté et de solitude, idée à laquelle elle tient malgré l’incompatibilité de ce principe avec ce qu’elle cherche vraiment.

Nous voyons de plus en plus clairement qu’en réalité Renée cherche — bien qu’inconsciemment — des obstacles, des limites, et même les « autres » pour définir son univers et son Moi ; c’est la raison pour laquelle elle reste a Genève/Ouchy quand Masseau vient la chercher. Son attente d’un scénario romanesque où débutera la relation amoureuse fait renaître « la curiosité, l’intrigue, l’aventure » dans sa vie; son envie qu’on la « désire » se réveille ; de plus, elle joue « un jeu de femmes désoeuvrées » (p. 67) tout en sachant que son existence commence à exiger davantage que solitude et oisiveté. La « volonté étrangère » des autres qui amène Renée à Ouchy lui redonne la paix, la sécurité ; elle éprouve le sentiment d’une « collaboration lointaine et d’un « bienfait hypnotique » ; elle est floue, menée, indéfinie, et contente des limites qui peuvent régler cet état. Le « heurt optique l’obstacle massif » de la tour du château « l’éveille » . (p. 68). Cet objet extérieur présente un contraste frappant avec son intérieur : elle rencontre là un symbole de solidité qui contredit son état fluide et lui laisse présager son « entravage » au sein d’une histoire amoureuse.

Si la première étape de son développement consiste à se libérer de Max, la réaction de Renée à sa rencontre des cygnes et sa décision de rester déjeuner avec Masseau et Jean marque la deuxième étape dans le renouvellement, dans la « cartographie » de son Moi : son désir se réveille, elle admet la puissance de ce sentiment, et cela lui permet de pénétrer dans son intérieur, de commencer à le former. En effet, Colette conçoit « le désir comme fondamental au fait d’être, d’exister » : il faut l’expérimenter pour être véritablement en vie ; on n’est vivant qu’en désirant. Quand Renée emménage avec Jean, elle ressent pleinement le conflit entre la recherche de la solitude et de la liberté et le désir de la présence d’un Autre ; elle oscille entre l’acceptation de sa nouvelle position et une remise en question, un rejet de ce statut. Parfois elle est « ..devant une solitude » (p. 113), et « paisible, patiente, déférente, attentive » (p. 115) dans leur vie et leur amour quotidiens. Mais, presque simultanément, elle réagit contre « la chaine qu’elle porte » (p. 120) en faisant partie d’un couple. Elle réagit également contre la prise de conscience que « ce beau mot » de liberté, cet état d’être qu’elle convoitait tellement, est « décoloré » a déjà perdu « sa vie et « son vol . (p. 119) ; ces réflexions déplaisantes lui font rechercher de nouveau la solitude (p. 116).

Nous concevons comme troisième étape la consommation du désir, bien que cet état ne soit jamais atteint une fois pour toutes mais se produise et se reproduise perpétuellement tant que la relation – et la vie en général – continuent. Comme nous l’avons vu ci-dessus, Renée demeure dans un état de conflit intérieur lorsqu’elle est dans la phase où elle ne peut ni accepter pleinement la volupté ni comprendre que la volupté n’est que l’un des constituants de l’amour complet. Cette troisième étape, qui consiste à vivre sa propre volupté, est nécessaire dans le développement de Renée mais insuffisante en soi — comme elle le découvre elle-même — parce que « I’eau…de la volupté », rendue éventuellement « impure » (p. 135) par tout ce qu’elle apprend à souhaiter de l’amour, ne suffira plus pour rapprocher les amants, et, par ailleurs, n’a jamais accordé qu’une place uni-dimensionnelle à la femme amoureuse.

Le conflit né du refus de Renée de se livrer entièrement à son amant entraîne leur séparation. Ayant atteint la volupté mais entrevoyant davantage, les amants se trouvent devant une impasse dans leur relation. Cette séparation amènera Renée à la quatrième étape, l’étape que nous croyons finale, de son évolution. C’est celle qui consistera à fusionner, d’une certaine manière, avec son amant ; autrement dit, Jean devient son « entrave » la limite de son univers, mais elle réussira également à « entraver » son amant : parce qu’elle prend Jean dans son intérieur, parce qu’elle l’intériorise, elle le possède, l’entoure, le com-prend. Au premier abord, la « place » qu’elle trouve, ses limites et le fait d’être « amarrée », dont elle se réjouit, semblent correspondre au sort classique d’une femme soumise, mais d’autres aspects de la relation accomplie, telle qu’elle est décrite à la fin du livre, évoquent plus fortement l’idée d’union, l’accès à un état supérieur, exalté, entier dans un sens cosmique du mot. Ainsi ce couple — un ensemble — s’inscrit dans un monde naturel pur : « toutes les couleurs…semblent s’être assemblées dans la mer et dans le ciel pur qu’elle reflète » (p. 153).

En réalité, il ne s’agit plus ni de domination et soumission, ni d’objet et sujet, ni même d’homme et de femme, parce qu’il ne s’agit plus, véritablement, de deux titres distincts : il s’agit plutôt des deux moitiés d’un ensemble qui se complètent. Avant cette évolution, « l’étreinte » ne donnait aux amants que « lillusion d’être unis » (p. 112), et Renée attribuait à Jean l’acte — dont elle était coupable elle-même — de l’emprisonner dans une « douce forme » de créer dans sa propre tête un modèle de la personne aimée (Renée) supérieur à la personne réelle, pour ensuite contraindre l’amant à ressembler à ce modèle idéalisé (p. 120) ; mais une fois que Jean I’ «habite », elle peut reprendre sans difficulté la forme de la femme aimée, parce que la conception de la femme idéale s’est dorénavant confondue avec elle. Sa place, son identité, sont devenues intelligibles. De même, avant cette évolution, la peur que Jean ne revienne plus à elle la consommait; après, «il viendra sans se presser » parce qu’elle l’attend, et quand elle s’apercevra qu’il s’approche, elle ira «au-devant de lui » mais ne se hâtera «pas non plus, puisqu’il vient» à elle (p. 160). La réussite de ces étapes a un effet profond sur Renée, et c’est effectivement pour elle une expérience de renaissance qu’elle décrit ainsi : « Je fus prise d’un sentiment bizarre de considération extrême pour moi – pour celle que j’étais il y a quelques semaines, la Renée de la saison dernière » ( p . 1 5 8 ) . Au moment où elle fait tout ce qui est en son pouvoir pour regagner Jean, c’est «comme si j’étais parvenue à la fin de ma vie», admet-elle (p. 153). Renée est véritablement «renée »; sa métamorphose est complète; son identité a pris forme. D’ailleurs, concernant son nom, li est intéressant de noter que, pris dans son ensemble – Renée Néré ,- il comporte non seulement les concepts de renaissance et de reflet, mais qu’il est à la fois masculin et féminin, donc symbole de l’unité des amants et, plus généralement, de l’homme et de la femme: son nom, bien que nom de femme, traduit une unité cosmique qui ne fait plus cas des différences telle que celle du genre,

Une brève comparaison entre le langage employé lorsqu’il s’agit de Max et celui qui est utilisé lorsqu’il est question de Jean renforce cette idée paradoxale selon laquelle la vraie liberté – le sentiment d’identité que Renée recherche – n’est trouvée que dans un état d’ « entravage .» Et en effet, une place ne se dessine que par ses propres limites. Si Renée se sentait «supprimée »(p. 9), déjà mise au tombeau, lorsqu’elle se trouvait en présence de son ancien amant et, plus tard, «creusée par-dedans », prise par une «contraction des côtes » en l’absence de Jean (pp. 145, 146), «doucement diminué(e] » quand il ne veut pas revenir à elle (p. 152), il faut voir là, nous semble-t-il, le symbole de sa métamorphose, de son changement d’attitude envers l’amour, envers sa propre «place .» Elle éprouve un épanouissement,


            3.  Le rôle des mots dans L’Entrave

Selon Lafon, dans l’écriture de Colette « l’amour…sert souvent de prétexte pour parler d’autre chose » . Comme nous l’avons vu plus haut, le thème de l’amour est étroitement lié à celui de l’établissement de l’identité (ici de l’identité féminine). Vu l’abondance, dans ce roman, de références aux mots, et la symbolique renvoyant à la littérature, nous sommes de l’avis que cette histoire est aussi un moyen pour l’écrivain d’exprimer son ambivalence à l’égard des mots, envers l’acte d’écrire et envers la dualité écriture — réalité. En ce qui concerne la réalité féminine, pour Colette « l’essence de la femme est indicible, et convoque continuellement des paroles pour témoigner de sa réalité, cette dernière néanmoins perpétuellement absente » . L’effort pour trouver un moyen de représenter cette identité insaisissable est donc en lui-même révélateur d’une « entrave ». Les mots sont des outils, bien qu’inadéquats — comme l’est tout effort pour communiquer l’incommunicable. Bien que nous ayons soutenu plus haut que Colette n’est pas Renée, le symbole du stylographe (p. 118), dont nous parlerons ci-dessous (ce texte, p. 23), indique (à lui seul) que Renée est un écrivain ; en outre, dans la mesure ou c’est Renée qui parle, qui raconte son histoire et donne ses impressions, il nous semble permis de voir en elle un écrivain, c’est pourquoi nous nous permettrons d’assimiler Colette à Renée pour ce qui concerne la signification des mots et de l’écriture en relation avec la notion d’entrave. Nous verrons que personnage et écrivain ont une attitude ambivalente à l’égard des mots : ils les considèrent comme à la fois indispensables et insuffisants pour représenter le vécu.

  • Du mutisme a la communication

Le fait que Colette ait écrit cette histoire amoureuse d’une femme, et la manière dont cette femme raconte ses expériences à l’intérieur du roman, montrent que Colette se sentait poussée à représenter ce « quelque chose », une expérience féminine, qui ne se prête pas. aux paroles, qui n’est connaissable qu’incomplètement. L’observation des cygnes par Renée traduit chez elle un besoin plus fort qu’elle : ni sculpteur, ni peintre, la beauté qu’elle voit lui fait chercher des mots pour toucher le monde; un appétit, un désir comme le désir amoureux, fort et indéniable, motive l’art et la littérature. Mais comment parvenir à communiquer sa réalité, comment en trouver le courage et les moyens?

Le mutisme dans lequel Renée se réfugie au sein même de sa relation, au début du livre, peut être perçu comme une crainte ou une incapacité de la part d’une femme amoureuse ou d’un écrivain commençant un écrit à se connaitre, à s’exprimer, à établir un trait d’union avec son amant et/ou avec le monde sur le mode verbal. Au début de l’histoire, Renée évite les mots : elle ne veut «pas un mot amoureux » (pp. 83, 100), elle ne veut pas que son amant lui parle (p. 87), et elle valorise leur « déloyal et commode silence » . (p. 85). Mais, peu a peu, elle découvre que les moments où elle arrive à communiquer sont également les moments où elle se sent le plus épanouie. D’ailleurs, elle songe avec une nostalgie profonde a son amitié avec Hamond, fondée sur un « échange verbal » (p. 101), dont elle a toujours besoin mais qu’elle ne croit pas pouvoir vivre avec Jean, le voyant seulement comme voluptueux ; cependant, lorsqu’elle et Jean parviennent à se dire « des choses véridiques » elle est « confiante » dans leur relation (p. 98). Par contre, sa « fierté silencieuse » et leur tendance à « s’enlacer et se taire » ne leur procure que I’illusion « d’être unis » (p. 112).

Lorsqu’elle commence à s’apercevoir à quel point elle tient à Jean et combien elle veut le connaître (par exemple dans la scène de Psyché et Beauté des pages (130-131), elle commence aussi à comprendre l’importance des mots. Si les amants se taisent, ce n’est plus rassurant, c’est « une sentence » qui menace « la vie commune . (p. 133). Quand « la parole » qu’ils étaient parvenus à employer, à valoriser, « se retire » d’eux, ils tombent dans «l’obscurité » et dans le « mutisme » (p. 143), et Jean part parce qu’il ne peut pas supporter leur « silence gonflé de secrets . que Renée occupe, (p. 144) parce qu’elle n’a pas encore vaincu sa tendance a s’y réfugier. Mais elle a déjà commencé à souhaiter le contraire : elle veut que son amant lui parle (p. 130), et ce voeu ne disparaîtra plus, même lorsqu’ils se disputeront (p. 156), car désormais elle compte énormément sur les mots. Elle évolue beaucoup plus profondément lorsqu’elle abandonne son propre mutisme, son « silence supérieur…de juge »  (pp. 156, 157) au profit de la communication, qui est une façon efficace de concrétiser, de dessiner, de renouveler perpétuellement leur existence partagée. Elle cherche avant tout, et à n’importe quel prix — ce qui marque un changement profond en elle et signale une autre dimension de sa métamorphose — « des moyens de communiquer » avec cet «homme » (et non pas cette bête noire) qui est en face d’elle, dont elle n’essaie plus de se différencier mais qu’elle voit comme un égal, « un être de [son espèce et de [son age » (p. 153). Elle prend conscience qu’elle veut, qu’elle peut, qu’elle doit vivre une amitié communicative avec Jean (comme celle qu’elle avait avec Hamond) pour avoir une liaison valable à ses propres yeux et pour être véritablement unie à lui. Ainsi, à la fin, « toutes (leurs) paroles [les] enrichissent peu à peu l’un de l’autre et leurs silences deviennent « pleins et confiants » (p. 160), parce qu’ils se disent tout. Au fond, une existence humaine saine, du moins selon l’expérience de cette femme, exige que l’on vive en relation avec les autres, ce qui se réalise par la communication. C’est bien ce que Renée parvient à comprendre en renonçant à sa solitude et en s’ouvrant à un autre.

  • De l’insincère vers le sincère

Toutefois, it ne suffira pas de sortir du mutisme. Même quand elle interagit avec les autres, Renée sait, grâce à son « vieil instinct des situations théâtrales » (p. 154), manipuler les mots et les situations, jouer un rôle. II faudra apprivoiser cette habitude pour vivre pleinement sa relation et son propre Moi, pour trouver une sincérité qui lui permettra de prendre l’Autre et de se prendre elle-même au sérieux, en quelque sorte, de comprendre, d’ « entraver» son amant et sa relation avec lui.

La réticence de Renée devant la sincérité provient en partie d’une incertitude sur ce qu’est la vérité ou de l’impression que « la vérité» est en fait variable et non pas absolue. La vérité est floue, comme l’est l’image qu’a Renée d’elle-même : « Cette invite directe à ma sincérité me trouve sotte et muette… la vérité… laquelle choisir ?…tout cela est vrai, et impossible à dire... » (p.94). La ponctuation même renforce cette idée de fluidité et d’inconstance, car c’est Colette qui emploie ici (et régulièrement) des points de suspension. Un peu plus tard, les amants réussissent à être sincères, à abandonner leurs rôles trompeurs, mais uniquement en restant muets: en se tutoyant, ils mettent des « façons…mais par contre, quelle sincérité dans l’abandon […] Une confiance qu’on n’imite pas nous épanouit alors» (p. 102). Renée ne sait pas encore exprimer ses sentiments – et par extension l’écrivain n’a pas encore maîtrisé l’art de communiquer son expérience.

Renée ne parle pas comme elle pense. Son état intérieur ne correspond donc pas à l’image qu’elle présente à l’extérieur ; elle en tirera une leçon importante. Pour se montrer forte devant Masseau malgré la douleur extrême qu’elle éprouve en l’absence de Jean, elle constate que Jean et elle ne se sont «pas rivés l’un à l’autre pourla vie.. .on ne s’est rien juré d’étenel, Dieu merci ! » (p.126), tandis que le lecteur, Masseau, et bientôt Renée sont tous conscients de l’énormité de ce mensonge. Juste après, quand elle est confrontée au vrai Jean, elle se rend compte qu’il est tout pour elle, et « le contraste est si fort, entre [s]es menteuses paroles de tout à l’heure et la « brûlante vérité du moment présent » qu’elle «frissonne » (p. 129). La vérité n’est plus indicible pour elle, il n’y en a qu’une seule : son but c’est d’être la femme de cet homme, de le posséder, et ainsi, en vivant pleinement l’amour, de redécouvrir toute la beauté de la vie, de (re)gagner son Moi. Son intérieur ne peut plus détourner, reformuler son état pour présenter autre chose à l’extérieur. Cette prise de conscience entraîne un regret bouleversant, quand elle pense que Jean est perdu pour elle définitivement, « parce qu’elle n’a pas été sincère, parce qu’elle n’a pas su communiquer son amour : « Si j’avais moi-même été sincère.. . j’aurais proféré les mots démesurés que l’amour trouve tout simples » (p. 142).. .et c’est à ce moment qu’elle trouve sa place, car elle répète deux fois « Et je suis revenue chez Jean ».

Masseau, ce « diable familier » (p. 149) toujours décrit symboliquement comme lié à la littérature, représente la vilenie des mots, mais en même temps c’est lui qui permet à Renée d’« apercevoir ce que c’est que l’amour » (p. 148). Provocateur d’ambivalence, du conflit qui fait confronter, comprendre « entraver  le réel, il est judicieux que ce soit Masseau qui énonce explicitement la difficulté fondamentale, l’ « entrave » de l’écrivain qui est aussi un être humain : « Pourquoi, si l’on écrit comme on parle, ne point parler comme on écrit ? » (p. 145). Autrement dit, pourquoi, si l’écrivain se soucie de rendre une réalité quelconque fidèlement par écrit, Renée ne fait-elle pas l’effort pour s’exprimer sincèrement, pour proférer son « histoire intérieure», à haute voix, dans la vie quotidienne ? Si seulement cela était aussi facile ! Quand il s’agit de « livrer» sa « lyrique douleur», Renée cherche ses « mots comme une étrangère » (p. 147). C’est Masseau, être non-sexué, diabolique, astucieux, qui lui dessine sa place et en tant que femme amoureuse, femme cartographiée, et en tant qu’écrivain : au fond, ce sont des facettes de la même personne qu’il fallait découvrir, admettre et vivre fidèlement.

Sur ce point, on pourrait s’inquiéter à la fin : bien que Renée donne l’impression d’être parvenue à la sincérité, bien que les amants se soient « tout dit » et qu’elle soit « amarrée » (p. 160) — ils sont donc « rivés » l’un à l’autre pour la vie ! — Renée, qui n’a plus la «force pour mentir», cache toutefois que c’est son « âme » qu’elle donne à Jean. Mais pourquoi s’inquiéter ? Ils sont confiants, et puisque Jean a le droit à ses pensées inviolables, Renée se donne tout en réservant une petite partie du mystère, du miracle de l’amour, pour elle-même. En ce sens elle rejoint Colette, pour qui

« l’écriture. . . située entre la dissimulation et le dévoilement… se distingue par sa capacité à masquer en même temps qu’elle révèle [1]

Parallèlement, dans la mesure où Renée est écrivain, elle se cache et se montre à la fin; elle décide  de la façon de se dessiner… mais elle ne manque plus de se dessiner.

  • Les mots et la réalité peuvent-ils faire bon ménage ?

 

La pensée et la capacité d’analyse sont ancrées dans un corps qui appréhende le monde à travers les sens ; sensible et intelligible sont donc reliés et inséparables. Cependant, le sensible est par définition informe et subjectif, tandis que l’analyse est objective; elle part d’une notion de structure, et donne forme. Comment alors parvenir à rendre l’expérience vécue intelligible ? C’est là la difficulté fondamentale de l’écrivain. En effet, Colette problématise parfaitement cette co-existence et ce manque de cohérence simultanés entre la sensation et l’intellectualisation, sans pour autant proposer une solution (car il n’en existe aucune). D’une part, en tant qu’êtres humains, nous ressentons — mais si nous demeurions au niveau de la sensation, nous resterions « entravés », dans les ténèbres, informes. D’autre part, en tant qu’êtres humains également, nous avons accès au mots, qui sont censés être des outils qui nomment et qui délimitent, nous permettant de donner forme à notre sensible, de l’ « entraver ». Malgré cela, si les sensations, point de départ de notre vécu, appartiennent à un domaine hors langage, est-ce que les mots en traduisent la réalité?

On ne peut pas à la fois sentir et analyser, mais l’écriture le permet au moins partiellement.

 Pour examiner ce que c’est que l’amour, pour répondre à la question « qui suis-je ? Renée-Colette, l’écrivain, peut prendre ses distances avec le sensible par l’intelligible. Ainsi elle effectue un dédoublement où elle s’objective, où elle se voit regarder, afin de dessiner son vécu. Mais cela n’est jamais réalisable à cent pour-cent et demeure une quête interminable.

Dans « L’Entrave« , il y a un va-et-vient constant entre le sensuel et l’intellectuel qui illustre le fait que les deux co-existent et se prêtent sens ; de plus, en prétendant que le sensuel est hors discours Colette réussit à communiquer son mal-être par écrit. Un premier exemple en est la paix des sens qu’apporte la simple présence de Jean, une sécurité « inexplicable » ; mais Colette la décrit ainsi, d’où la compréhension du lecteur. Ensuite l’amour, idée abstraite en elle-même mais qui naît, au moins en partie, du sensuel,  est souvent décrit comme une douleur physique (pp. 129, 139, 140, 147). Pour ne citer qu’une des images : « l’amour, c’est ce choc douloureux et toujours recommencé, contre une paroi qu’on ne peut pas rompre »…les deux amants « marchent parallèlement de l’un et l’autre côté de ce cristal dur » contre lequel, en les poussant « l’un vers l’autre», l’amour va les «jeter» (p. 129). Voici que nous trouvons l’entrave sensuelle explicitement représentée par l’écriture à l’aide du vocabulaire des sens, par «paroi » et « cristal dur » . Encore une fois, les détails de l’expérience physique, analysés lors de ce dédoublement de l’écrivain, comportent pour le lecteur une vérité aussi « brûlante » (p. 129) que celle que découvre Renée. En réalité, au lieu de se « briser » contre ce cristal, elle va fusionner avec son amant en le comprenant, en l’ « entravant ». L’amour devenu intelligible fera donc se dissoudre l’obstacle, l’ «entrave », du cristal. Enfin, les mots ont parfois la capacité impressionnante à réveiller le sensuel le plus profondément caché, car il en existe qui « heurtent en nous un point mystérieux, générateur de lumière et d’images » (p. 118).

En revanche, à d’autres moments Colette suggère que les mots sont insuffisants pour traduire la réalité. Ainsi « la liberté » n’est qu’un « beau mot » (p. 119), un concept qui ne correspond pas précisément à ce qu’elle espérait de l’existence ; à la fin, ce qu’elle avait nommé sa « dignité » et son « estime de soi » (p. 137) et ensuite cherché à protéger, n’a plus une signification aussi forte par comparaison avec l’ampleur que prend son existence face à la réalité qu’elle partage avec Jean. Ce dernier lui est «plus nécessaire que l’air et que l’eau » (p. 137), leur liaison est simplement « un miracle… un prodige » ; elle s’épanouit dans la présence de Jean et s’étiole en son absence ; ce qu’elle ressent lui suffit et elle n’a plus besoin « d’explication » (p. 152).

Pourtant, avant d’arriver à ce stade, elle a commis une grosse erreur en tant qu’amante et en tant qu’écrivain : elle n’a pas essayé de connaître l’Autre, ni comme amant, ni comme sujet, se croyant le seul sujet. Mais quand elle prend conscience de ce Jean qu’elle avait « dédaigné de connaître », qui n’a ostensiblement rien à voir avec la volupté, « une sensualité sauvage. . .ineffable » naît en elle (p. 154-155): donc le charnel et l’intellectuel, l’indicible et le communicable se réconcilient dans l’amour absolu de l’Autre.

Colette insère directement dans son roman et dans la vie de Renée des symboles de cette dualité mots-réalité. « Les deux pièces essentielles » du « mobilier » de Renée – qui définissent donc, en quelque sorte, son existence – sont « un stylographe », marque de l’écrivain, du conteur, de l’intelligible, et « un très ancien… fruit de jade… usé… et suave au toucher » (p. 118), produit du monde terrestre et qui  s’appréhende par les sens. Les deux ensemble marquent son passage, sa présence dans l’environnement de Jean, l’accompagnent dans sa relation amoureuse et dans sa quête d’identité; leur combinaison sert de rappel constant de cette vérité que physique et verbal se complètent, sont interdépendants, et doivent se côtoyer et dans l’expérience et dans la représentation de cette expérience par l’écrivain.

 

  1. L’Entrave sous l’angle de Psyché, de Platon

Colette « s’appuie souvent sur un hors-texte… littéraire I ». Vu que Colette cite elle-même le mythe de Psyché (p. 130), nous avons jugé prudent de nous informer sur ce mythe pour voir ce que cette allusion apporte au sens du roman et quel lien elle tisse avec la signification du titre. Les ressemblances entre le cheminement de Renée et celui de Psyché sont frappantes et méritent notre attention :

Selon certaines versions du mythe, Vénus est jalouse de Psyché à cause de sa beauté ; selon d’autres, elle l’accuse d’orgueil parce que Psyché s’écarte de l’humanité et refuse l’amour de ses prétendants. Cela nous rappelle l’attitude de Renée à l’égard de ses compagnons, au début du roman. Psyché, sauvée de la colère de Vénus par Amour, doit épouser l’Invisible, et il est interdit à Psyché de le regarder. Il est comparable à « l’Inconnu » auquel Renée fait référence, soit en le méprisant (p. 87), soit en admirant « sa perfection anonyme » (p. 86) ; il est également ce Jean qu’elle regarde sans le connaître vraiment. L’Epoux serait un symbole platonicien instituant l’immortalité de l’âme, immortalité que Psyché-Ame-Renée va atteindre en connaissant et en acceptant Amour, son amant, complètement.

Psyché représente la Vie Intellectuelle; ses deux sœurs la Vie Végétative et la Vie Sensitive. Cela nous rappelle le voisinage constant, chez Renée et chez Colette, entre le monde extérieur, concret, naturel, et le monde intérieur, qui se divise lui-même en aspect émotif et aspect intellectuel. La jalousie entre les sœurs indique la discorde entre sensualité et raison, un conflit qui se produit dans le roman à l’intérieur de Renée elle-même. Parce qu’elle est curieuse ou parce que ses sœurs l’incitent à le faire, Psyché regarde, à la lumière d’un flambeau, la nuit, son époux endormi : malgré ce qu’elle croyait, ce n’est pas une bête, mais le bel Amour. Au moment précis, dans « L’Entrave« , où Colette fait allusion au mythe, Renée se décrit comme la bête, détournant la symbolique ; mais, à beaucoup d’autres moments, elle relègue Jean dans ce statut. Lorsqu’elle le regarde, la nuit, elle veut que son amant se révèle à elle ; elle ressent les prémisses d’un amour exalté où elle lui «préfère l’âme qui l’habite », mais « dédaigne » encore l’homme lui-même (pp. 130-131). D’une certaine manière elle convoite l’intelligible tout en voulant sauter le stade qui consiste à passer par le sensible, ce qui n’est pas possible.

Dans le mythe, l’Epoux se réveille et, voyant que Psyché a trahi sa volonté, il s’envole. Elle essaie de s’accrocher à lui, mais retombe dans le désert. Renée pressent cette issue quand May lui fait peur en parlant de la manière dont Jean délaisse toujours ses maîtresses ; quand elle se sent « lointaine et pourtant suspendue à [lui] — assez petite » pour qu’il l’emporte, « assez lourde pour gêner [son] vol puissant », mais remarque en même temps « le regret» de son amant de ne pas l’avoir « créée », regret qui l’égale « à un dieu défaillant » (p. 136) ; et quand elle éprouve une jalousie profonde provoquée par la peur que Jean puisse ne pas avoir « besoin » d’elle (p. 137). Elle vit pleinement cette période dans le « désert » lorsque Jean l’abandonne « avec révolte» après qu’ils ont fait l’amour, cette volupté « indignée » étant leur seule communication (p. 143), et lorsqu’il la laisse seule à Paris où elle prend des « habitudes d’abandonnée » et souffre «routinièrement» (p. 139). Elle se réfère à cette période de désespoir, une fois qu’elle l’a surmontée, en disant qu’elle errait (p. 158) avant de trouver sa place. Bien que Jean ne se réveille pas dans la scène où Renée fait référence à Psyché, nous croyons que le départ de Jean après que Renée lui eut dit qu’elle « n’est pas de son avis » (p. 131) correspond à ce départ mythique : l’aimée le trahit, bafoue son autonomie et son droit à ses propres pensées, viole son « imperméabilité sacrée » (p. 156) et refuse pourtant de le voir comme un être à part entière, comme autre chose qu’un objet d’amour physique. Le fait de ne pas être de son avis empêche, pour le moment, l’union de leurs esprits qui fera d’elle l’autre moitié de son amant, son complément, l’autre constituant de leur totalité.

Psyché veut se faire pardonner, mais doit d’abord subir la punition de Vénus. Dans la mesure où le but des épreuves est de rabaisser l’orgueil de Psyché, Renée devra également parvenir à cela afin de pouvoir se donner vraiment à son amant et afin de pouvoir communiquer avec lui. Psyché est livrée aux esclaves Habitude, Souci et Tristesse, ce qui nous rappelle toute la période où Renée se sent «femme entretenue » (p. 118), se retrouve dans une solitude qu’elle n’apprécie plus, éprouve « le mal de l’absence » douloureux (p. 140) et ne souhaite que le retour de son amant. Des auxiliaires interviennent pour aider Psyché dans les dures épreuves que Vénus lui impose ; parallèlement, Renée sollicite l’aide de Masseau, Victor, et Brague (p. 152) quand elle doit déployer tous ses efforts pour récupérer Jean, ce qui exige qu’elle abdique son orgueil, sa « dignité de femme » (p. 156) qui ne lui avait rapporté que la solitude. Dans le mythe, ces dieux (auxiliaires) représentent chacun un élément fondamental de l’univers, et donc en passant par ces épreuves Psyché parvient à un état d’exaltation, d’unification cosmique ; à la fin du roman, Renée connaît une renaissance, un renouvellement de soi, une union avec son amant et avec son univers comparables à « l’ascension » de Psyché.

Eros, Amour, représentent la sexualité banalisée et la sexualité sublimée. La première, consiste à ne plus chercher que la jouissance physique ; la deuxième ajoute à la liaison passagère de l’acte l’union  durable des âmes. C’est Psyché — l’Ame — Renée dans son état affaibli, dépourvue d’aspiration, qui se contente de l’amour banal et qui est donc « entravée » dans le sensuel. Si elle ne doit pas le voir, c’est que cet amour est pervers, honteux, assujettissant seulement. Tout cela fait partie de l’attitude de Renée envers l’amour avant son évolution. Mais Psyché éprouve la tentation de connaître — « d’entraver ? » — l’objet de sa passion, de sorte qu’ensuite il représentera bien plus qu’un simple objet. Psyché — l’Ame — Renée a honte de l’amour banal qui est monstrueux. Renée est « humiliée » et donc « épie » le sommeil de son amant pour en savoir plus sur lui (p. 130). Les épreuves peuvent donc être conçues aussi comme permettant au sujet féminin de se purifier de l’amour débauche, de sortir du sensuel pour donner forme à son Moi, et de devenir « digne » (p. 159) de l’amour sublime. Chez Renée, il ne s’agit pas de renoncer à la Volupté — qui renaîtra elle aussi, mais à un autre niveau — mais d’atteindre un niveau supérieur de l’existence en se laissant aller, en se donnant.

Amour finit par revenir à Psyché, et de leur union exaltée naît l’enfant Volupté. Jean revient également à Renée, et bien qu’il lui dise « Prends garde ! Ce n’est, encore une fois, que du désir… » (p. 159), nous savons, comme elle en est sûre elle-même, que le désir qui s’éveille à ce moment culminant est un désir perpétuel, une volupté qui, cette fois-ci, ne sera jamais « rassasiée » et qui, puisqu’elle s’est renforcée et a été transformée par toute une série d’épreuves relationnelles, ne va jamais s’épuiser. Le mythe est parfois interprété comme une ascension du sujet — Psyché — à la conscience, ce qui est très pertinent si l’on pense à la définition du verbe « entraver » en langage familier : non seulement Psyché et Renée ont été prisonnières de leur défaut de connaissance de l’amour sublime, mais elles parviennent finalement à l’ « entraver ». Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée qu’il faut que « l’on voi(e] dans les malheurs de Psyché une conséquence de son désir de connaître Amour » , car une telle interprétation ne prend pas assez en compte l’aspect positif du résultat final : la connaissance acquise. Nous comprenons les malheurs de Renée-Psyché comme provenant plutôt de sa mauvaise interprétation — avant qu’elle le connaisse — de qui Jean-Amour est. Par contre, nous admettons que « sa transgression » peut aussi être perçue comme simplement un désir de connaissance, ce qui ferait également d’elle un « symbole de la Philosophie ».

Psyché épouse la vision sublime de l’amour physique, et l’âme retrouve la capacité de liaison17; en aboutissant à un amour complet et à une connaissance de soi, Renée tend vers l’unification, l’harmonisation (jamais achevée) du sensible et de l’intelligible.

L’allusion que Colette fait à ce mythe met l’accent à la fois sur le thème de l’Amour et son élément paradoxal entrave – sublimation, et aussi sur le phénomène de la recherche de soi et de la prise de conscience qui permet à la femme d’aboutir à un état meilleur, exalté. En outre, la combinaison de 1) la fin du mythe, 2) la référence dans le roman à « Beauté» au lieu d’à « Amour » ou à Cupidon, et 3) l’assertion de Masseau « qu’il est donné à l’amour de tendre vers sa perfection » (p. 150) fait que Colette évoque implicitement le concept platonicien selon lequel l’âme, emprisonnée dans le corps du monde d’en-bas, retrouve le monde des Idées, parvient à « la beauté divine et idéale » en reconnaissant et en appréciant « la beauté terrestre » (18). A notre avis, Colette diffère pourtant de Platon dans la primauté qu’elle accorde au monde naturel et sensuel. Selon elle, le but n’est pas, au fond, de sortir de ce monde, mais de fusionner avec lui, de l’utiliser pour comprendre la réalité de son expérience personnelle afin de retrouver un état de complétude. L’ensemble Nature-Sens-Intellect est déjà sublime et on l’atteint en vivant pleinement la réalité terrestre. Selon Platon, seules les Idées sont « pures » et réelles ; nos sensations, inférieures parce qu’elles émanent du « corps périssable », ne nous font connaître que des apparences, des reflets du monde « éternel des Idées » qui est, lui, l’unique réalité possible (19). En revanche, chez la femme Colettienne, le fait de tenir trop aux Idées, de même que le fait de trop analyser, sont les vraies « entraves » qui bloquent l’accès à une existence épanouie et heureuse. De plus, dans la mesure où les Idées sont des pensées pures — un amour exalté et absolu, la reconnaissance de la beauté divine — pour Colette de tels buts ne sont pas forcément incompatibles avec l’existence et les sensations terrestres. L’intelligible se dégage du sensible mais n’est ensuite jamais tout à fait libéré de ce dernier, ils restent dans une relation dialectique intime.

Bien que Colette et Platon soient d’accord pour affirmer que l’âme emprisonnée peut «parfois accéder à la contemplation des Idées sans recourir au raisonnement (20) », Colette ramène l’âme vers le bas, elle  revalorise davantage le physique et le sensuel en les qualifiant d’inséparables de l’identité (féminine) même. Si, à la fin du livre, Renée trouve son foyer tant cherché, une place où se dessine son Moi, et sa sublimation dans l’Amour, elle les trouve en pleine nature, à la frontière entre mer et plage. Là-même où son amant, décrit naguère comme un dieu mystérieux et méconnu, est concret, simple, terrestre  : un « beau chasseur pour rire » (p.151). Ce n’est pas un hasard si, au moment où Renée se rend compte de « la place » que Jean  » tenait » en elle, elle se décrit comme une déesse qui a crée son amour, et qui est inséparable de l’univers naturel : «ll n’y a plus en moi, au-dessus, au-dessous de moi, que mer fouettée, pierre qui s’effrite, nuée haletante. » (p. 138). Son union avec l’univers physique la place en haut, la rend supérieure. Elle énumère les Idées pures qu’elle va réaliser en aimant Jean : « la Iumière, la musique, le murmure des arbres, le timide et fervent appel des bêtes familières, le silence fier des hommes qui souffrent » (p.157). Les éléments qui constituent la Beauté telle que Colette la conçoit ne sont ni abstraits ni impalpables.

 

Conclusion

Prenant en compte les deux définitions d’ « entrave », leur lien avec la dialectique du sensuel et de l’intelligible et un certain nombre de thèmes que nous avons jugés pertinents, nous croyons avoir quelque peu éclairé la signification — ou plutôt quelques-unes des significations possibles — du titre du roman. Nous précisons bien : possibles, car « Colette avait tendance à préférer la pluralité et le paradoxe, et montrait un dégoût pour le didactisme et les systèmes rigides de pensée et d’analyse (21)». Nous nous sommes donc souciée d’interpréter cet ouvrage sans lui attribuer une signification absolue, ce que Colette n’aurait certainement jamais fait. Nous nous risquerons, néanmoins, à avancer un certain nombre de conclusions.

Pour Colette, l’amour et la difficulté d’aimer font partie des «déterminismes profonds », psychologiques, des êtres humains, et ces déterminismes ne se distinguent guère des sens : les deux catégories sont « inexorables (22)». Le fait qu’elle pense ainsi l’aide à dessiner des personnages complexes, complets, vraisemblables. L’ « entrave » qu’elle désigne est en partie l’amour, qui emprisonne par sa puissance et par son lien étroit avec le sensuel, mais qui exige qu’on transcende le sensuel pour le vivre dans son sens absolu et pour atteindre un état supérieur dans la relation intime avec un Autre. De plus, selon Colette, cet état équivaut, paradoxalement, à la liberté. L’amour ne se divise pas, malgré l’échange économique auquel Renée essaie de le ramener : il est. En « entravant » ce fait, on réussit à établir une union avec un Autre et avec son univers.

« L’écriture est création, à partir des matériaux fournis par la mémoire, sélectionnés et travaillés par elle, d’une image du réel qui organise, assemble les morceaux d’un puzzle, en en dégageant la figure et le sens. L’histoire ainsi refabriquée… donne à connaître d’abord, à dominer ensuite, le réel (24). » 

Cependant, Colette ne nourrissait aucune illusion sur la possibilité de dominer le réel: « A aucun moment l’art n’est supérieur à la réalité ; à aucun moment l’oeuvre achevée ne devient autre chose qu’un instrument d’exploration, de pénétration, voire d’effraction dans la réalité objective ». En outre, l’œuvre « ne se substitue » pas à cette dernière « qui demeure première, et objet d’une (autre) quête toujours inachevée (24) ». Les mots, l’écriture, sont par définition inadéquats, mais cela n’empêche qu’on se sente appelé par eux, surtout si on est femme essayant de se traduire, de se représenter d’une manière quelconque. Le fait d’être femme et écrivain est effectivement une des expériences, un des éléments de l’existence que Colette désigne par « l’entrave »; le fait de parvenir, au moins partiellement, à un sentiment d’identité et à une représentation de soi-même par l’écriture correspond à l’acte d’«entraver » cette existence.

En ce qui concerne Colette et ses personnages féminins, leur « sens de soi ne se situe pas au niveau de l’esprit. » (25) Donc, bien qu’elle traite de concepts — tels que la Beauté, l’Ame, la Pureté — qui nous rappellent ceux de Platon, Colette se distingue par la primauté qu’elle accorde au sensuel jusque dans l’accès à l’intelligible. De même, en ce qui concerne les mots, la vie, selon notre auteur, n’est pas faite d’idées, elle est faite d’une combinaison d’expériences, de sensations, et de pensées. La difficulté, et donc l’ « entrave », consiste à trouver un équilibre entre les sens et l’intellect qui permette de vivre fidèlement et pleinement ses propres expériences et son propre Moi.

Pour l’auteur, représenter sa réalité fidèlement par l’écriture fut l’objet d’une lutte laborieuse. D’ailleurs Colette, si l’on en croit du moins ce qu’elle disait d’elle-même au début de sa carrière, ne se croyait pas écrivain (26) et éprouvait beaucoup de difficulté à écrire, restant souvent longtemps « amarrée » à son bureau comme Renée reste « amarrée » à la fin du livre, à travailler la langue. De plus, il est sans doute révélateur, en ce qui concerne les thèmes traités ici, que l’écriture du roman l’ait « torturée» (27). Elle a détesté l’histoire, elle vomissait les pages, elle s’est excusée auprès de ses lecteurs pour le ton, fin mais vide, d’une fin à laquelle, selon elle, les personnages même ne croient pas. Elle a essayé de la récrire, mais n’y est pas parvenue (28). Ainsi l’on voit de nouveau ici un exemple du conflit parfois déchirant qui traverse le travail et les buts de l’écrivain.

Par ailleurs, dans la mesure où Colette a été mécontente de la fin, on pourrait lire cette « fin » d’une histoire d’amour comme « une critique socio-politique implicite du manque de puissance et de souveraineté — un manque spatial, temporel, émotionnel, et financier— des femmes ». Bien que nous ayons conscience de la complexité de la situation de la femme, dans ce livre comme à l’époque où Colette l’a écrit, nous ne sommes pourtant pas vraiment convaincue par cette analyse et cette interprétation, car l’héroïne conquiert son espace, vainc son sentiment d’être inadéquate, et parvient à une certaine satisfaction. Du reste, Monsieur Stockinger montre que ce livre peut faire l’objet de thèses et d’études nombreuses et variées.

Colette ne nous propose pas une fin statique : il n’y a ni mariage, ni bonheur sucré et invraisemblable, mais simplement un sentiment de sûreté de la part de l’héroïne par rapport à sa place dans le monde. Cette fin, telle que Colette l’a voulue pour clore l’ensemble des pages du roman, pourrait ne représenter pourtant qu’une étape de plus dans le cycle de la vie de l’héroïne, car « la vie d’une femme exceptionnelle est cyclique ; des stades de renaissance et de productivité suivent des périodes de polarisation sexuelle et de stérilité » (30).

Parvenue au terme de notre étude et ayant éprouvé le même plaisir à rédiger notre travail du début à la fin, nous sommes convaincue que l’œuvre de Colette – comme la femme –    est exceptionnelle et continue de nous passionner.

 

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NOTES

 

1. Philippe van TIEGHEM, Dictionnaire des Littératures, Tome r, Paris, Presses Universitaires de France, 1968, pp. 908-909.


2. Diana HOLMES, Women Writers: Colette, London, Macmillan Education Ltd., 1991, p. 101. C’est nous qui traduisons.

3. Alain REY (rédacteur), Le Robert Micro : Dictionnaire de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998, p.473.

4. Gaston ESNAULT. Dictionnaire historique des argots français, Paris, Librairie Larousse, 1965, p. 264.

5. Judith THURMAN, Secrets of the Flesh : A Life of Colette, New York, Alfred A. Knopf, 1999, p. 197. C’est nous qui traduisons.

6. COLETTE, L’Entrave, Paris, Flammarion, 1922 (1913), p. 12. Les pages qui correspondent aux citations de ce texte seront désormais indiquées entre parenthèses dans le texte même du mémoire. Quant à une citation se situant à la tête d’une phrase ou avant une deuxième citation, la page correspondante sera toujours celle qui suit de plus près la citation en question.

7. Judith THURMAN, cit., p. 115. C’est nous qui traduisons.

8. Judith THURMAN, op. cit., p.249. C’est nous qui traduisons.

9. Dominique LAFON, « Les charmes du mirage Colette« , Etudes littéraires : Colette : Le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, p.85.

10. Ibid.

11. Jacques LACAN, Le Séminaire, XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, cité par Anne-Marie PICARD, « Le nom du corps : Lecture du manque et savoir de son sexe dans La Vagabonde, Etudes littéraires : Colette : Le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, p. 33.

12. Sylvie ROMANOWSKI, « A Typology of Women in Colette’s Novels Colette: The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania Sate University Press, 1981, p. 73. (C’est nous qui traduisons).

13. Dominique LAFON, op. cit., pp. 106-107.

14. Sylvie ROMANOWSKI, op. cit., p. 73. (C’est nous qui traduisons).

15. Dominique LAFON, op. cit., p. 106.

16. Nicole BOURBONNAIS, « Colette et la liberté d’écrire : Une luxueuse intertextualité », Etudes littéraires : Colette : Le luxe et l’écriture V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, p. 97.

17. Tout ce qui renvoie au mythe vient de Pierre BRUNEL, Dictionnaire des mythes littéraires, Editions du Rocher, 1988, pp.1201-1209.

18. André LAGARDE et Laurent MICHARD, XVIème siècle: Les grands auteurs français du programme, Paris, Bordas, 1985, p, 98

19. Ibid., p. 100.

21. Diana HOLIMES, op. ât., p. 61. C’est nous qui traduisons.

22. Pierre ABRAHAM et Roland DESNÉ, Histoire littérai?? de la France, v. II, Paris, Editions Sociales, 1979, p

23. Ibid., p. 366.

24. Loc. cit., p. 367.

25. Judith THURMAN, op. cit., p. 189.

26. «…her vehement disavowal of any literary calling », ibid., p. 93.

27 .Ibid., p. 248. 

28. Ibid., p. 253.

29. Jacob STOCKINGER, « The Test of Love and Nature: Colette and Lesbians« , in Colette : The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania State University Press, 1981, p. 81. (C’est nous qui traduisons).

30. Erica EISINGER, « The Vagabond: A Vision of Androgyny », in Colette : The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania State University Press, 1981, p. 102. (C’est nous qui traduisons).

 

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BIBLIOGRAPHIE

 

Ouvrage principal :

COLETTE, L’Entrave, Paris, Flammarion, 1922 (1913).

Biographie de l’auteur :

THURMAN, Judith, Secrets of the Flesh: A Life of Colette, New York, Alfred A. Knopf, 1999.

Dictionaires et livres de référence :

ABRAHAM, Pierre, et DESNÉ, Roland, Histoire littéraire de la France, v. II, Paris, Editions Sociales, 1979.

BRUNEL, Pierre, Dictionnaire des mythes littéraires, Editions du Rocher, 1988.

ESNAULT, Gaston, Dictionnaire historique des argots français, Paris, Librairie Larousse, 1965.

LAGARDE, André, et MICHARD, Laurent, XVIème siècle: Les grands auteurs français du programme, Paris, Bordas, 1985.

REY, Alain (rédacteur), Le Robert Micro : Dictionnaire de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1998.

Van TIEGHEM, Philippe, Dictionnaire des Littératures, Tome 1er,  Paris, Presses Universitaires de France, 1968.

Etudes critiques :

BOURBONNAIS, Nicole, « Colette et la liberté d’écrire : Une luxueuse intertextualité », Etudes littéraires : Colette : Le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, pp. 97-108.

EISINGER, Erica, « The Vagabond: A Vision of Androgyny », Colette: The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania Sate University Press, 1981, pp. 95-103.

HOLMES, Diana, Women Writers: Colette, London, Macmillan Education Ltd., 1991.

LAFON, Dominique, « Les charmes du mirage Colette », Etudes littéraires : Colette : 1.Le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, pp. 73-86.

PICARD, Anne-Marie, « Le nom du corps : Lecture du manque et savoir de son sexe dans « La  Vagabonde » », in Etudes littéraires : Colette : le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, 1993, pp. 33-46.

ROMANOWSKI, Sylvie, « A Typology of Women in Colette’s Novels », Colette: The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania Sate University Press, 1981, pp. 6674.

STOCKINGER, Jacob, « The Test of Love and Nature: Colette and Lesbians », Colette: The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania State University Press, 1981, pp. 75-94.

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TABLE DES MATIERES

 Introduction                                                                                    

Deux définitions d’ « entrave »                                                          

Les thèmes principaux :

  1. L’amour comme entrave… et liberté
  2. Ecrire, c’est s’écrire — l’identité féminine comme entrave — la difficulté de se trouver une place
  3. Le rôle des mots dans « L’Entrave »
  • Du mutisme à la communication
  • De l’insincère vers le sincère                                            
  • Les mots et la réalité peuvent-ils faire bon ménage ?
  1. L’Entrave sous l’angle de Psyché, de Platon 24
Conclusion 

 

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UNIVERSITE DE GENEVE, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Mémoire de Diplôme d’Etudes Françaises présenté par

Ms. Ashley RIGGS (Octobre 2000)

Directeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

9. Dominique LAFON, « Les charmes du mirage Colette« , Etudes littéraires : Colette : Le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, p.85.

10. Ibid.

11. Jacques LACAN, Le Séminaire, XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, cité par Anne-Marie PICARD, « Le nom du corps : Lecture du manque et savoir de son sexe dans La Vagabonde, Etudes littéraires : Colette : Le luxe et l’écriture, V. 26, No. 1, Québec, Université Laval, Eté 1993, p. 33.

12. Sylvie ROMANOWSKI, « A Typology of Women in Colette’s Novels Colette: The Woman, the Writer, University Park and London, The Pennsylvania Sate University Press, 1981, p. 73. (C’est nous qui traduisons).

13. Dominique LAFON, op. cit., pp. 106-107.

14. Sylvie ROMANOWSKI, op. cit., p. 73. (C’est nous qui traduisons).