Un texte de Paul RICOEUR
« C’est avec le modèle actantiel de Greimas que la corrélation entre intrigue et personnage est portée à son niveau le plus élevé de radicalité, antérieurement à toute figuration sensible. C’est pourquoi on ne parle pas ici de personnage mais d’actant, afin de subordonner la représentation anthropomorphique de l’agent à sa position d’opérateur d’actions sur le parcours narratif. La radicalisation se poursuit sur deux lignes : du côté de l’actant, du côté du parcours narratif. Sur la première ligne, à la liste encore empirique des personnages du conte russe selon Propp est substitué un modèle établi sur la base de trois catégories : de désir (principe de la quête d’un objet, d’une personne, d’une valeur), de communication (principe de tout rapport de destinateur à destinataire), d’action proprement dite (principe de toute opposition entre adjuvants et opposants). Voilà donc un modèle où, à l’inverse de Propp, on procède des relations possibles entre actants en direction de la riche combinatoire des actions, que celles-ci s’appellent contrats, épreuves, quêtes, luttes. Sur la seconde ligne, celle des parcours narratifs, j’aimerais insister sur la place qu’occupent à un plan médian entre structures profondes et plan figuratif une série de notions qui n’ont de place que dans une conception narrative de la cohésion intime de la vie : d’abord celle de programme narratif; puis celle de relation polémique entre deux programmes, d’où résulte l’opposition entre sujet et anti-sujet. Nous retrouvons là ce que nous avons précompris au plan de la simple intelligence narrative, à savoir que l’action est interaction, et l’interaction, compétition entre projets tour à tour rivaux et convergents. Ajoutons encore toutes les translations ou transferts d’objets-valeurs qui narrativisent l’échange. Il faudrait enfin rendre compte de la topologie sous-jacente au changement de « lieux » – lieux initiaux et lieux terminaux de transfert -, à partir de quoi il peut être parlé de suite performantielle (1). »
Paul RICOEUR, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 173.
(1) Les termes ou expressions soulignés en gras le sont par l’auteur du site.
***
Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.
Séminaire de Méthodologie Littéraire de M. J-L. Beylard-Ozeroff