LA FONTAINE sous le regard de Renaud Matignon

 

« … L’enfance, chez La Fontaine, est insignifiante, on le sait.

D’où la mesure, et la sobriété, dans ses écrits, des émotions qu’inspire la nature. La nature est là, pourtant. Deux vers y suffisent, dans les fables. Parfois moins : un vers, un membre de phrase, un adjectif :

« L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours. »

C’est une interruption du récit, qui vient à peine de commencer. Juste le temps d’une pause. Une respiration. Ainsi la narration chez La Fontaine épouse-t-elle le corps et ses rythmes, plus importants encore puisque les personnages sont des animaux : pensées ou sentiments sont des réalités de l’organisme ; la perception du monde est ici toute païenne. Cet arrêt sur image, cette « onde transparente » signalent le plaisir d’une seconde d’oisiveté. L’hédonisme est suggéré. Puisqu’il va de soi, on n’y insiste pas. Mais on l’a remarqué au passage. Ce regard distrait est un regard discret. Pourtant la distraction aura la vie dure, et c’est elle qu’on retiendra, alors que cette ellipse, au contraire, suppose une extrême attention. Valéry le fera remarquer : « Même un fabuliste est loin de ressembler à ce distrait, que nous formions distraitement naguère : le La Fontaine des fables est plein d’artifices. »

Renaud MATIGNON, La liberté de blâmer, Bartillat, 1998, p.329.

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY