Notre méthode

Inspirée de la linguistique structurale (1) et de la psychanalyse, notre méthode part du postulat selon lequel l’œuvre achevée d’un écrivain peut être appréhendée et étudiée comme un système de relations intra et extra-textuelles.

Ceci implique qu’à une lecture unique et linéaire du  texte nous substituions plusieurs lectures que nous appelons lacunaires. Celles-ci, par une attention flottante à ce qui s’y répète et/ou s’y inverse, nous amèneront à discerner dans le corpus de l’œuvre des relations entre différents moments signifiants.

Ces unités de signification une fois définies (2) pourront ensuite être étudiées de manière fine, ce que permet l’analyse sémiotique grâce, notamment, aux concepts de sème et de sémème.

D’autre part, la notion d’expérience opposée à celle de spectacle que propose Gaston Bachelard (3) permet de rendre compte de la constitution d’un univers sémantique propre à chaque écrivain.

En effet, il découle de la notion d’expérience, selon qu’elle se révèle agréable (euphorie) ou désagréable (dysphorie), une axiologie (4) : à la trace mnémonique sera associée une valeur positive ou négative qui sera la marque singulière d’un univers sémantique (5). C’est cette axiologie figurative qui, à l’intérieur d’un sociolecte (pour nous la langue française), caractérisera l’idiolecte de l’auteur.

Enfin, un autre outil d’analyse nous est fourni par Claude Lévi-Strauss sous la forme du triangle culinaire (6) qui permet de concilier logique binaire et logique dialectique en introduisant le terme médian, point de passage entre les deux pôles d’une opposition signifiante (7).

A titre d’exemple, nous nous référerons au texte d’Albert Camus (texte 5) que nous avons intitulé « La Baignade ».

On relèvera dans ce passage, en ce qui concerne la cénesthésie, l’opposition entre le chaud et le froid :

1./ « Derrière eux s’étageait la ville et il en venait un souffle chaud et malade qui les poussait vers la mer. »

2./  « … Rieux plongea le premier. Froides d’abord, les eaux lui parurent tièdes quand il remonta. Au bout de quelques brasses, il savait que la mer, ce soir-là, était tiède, de la tiédeur des mers d’automne qui reprennent à la terre la chaleur emmagasinée pendant de longs mois. »

3./ « Rieux s’arrêta le premier et ils revinrent lentement, sauf à un moment où ils entrèrent dans un courant glacé. »

Dans l’extrait 1, l’axiologie figurative pose le terme « chaud » comme ayant une valeur négative, ce qu’indique bien le qualificatif « malade » qui lui est accolé.

Dans l’extrait 2, les lexèmes « froides » et « glacé » s’opposent à « chaleur » et revêtent également une valeur négative car indiquant, comme le souligne le terme « glacé », l’autre pôle négatif sur l’axe sémantique de la température opposant le chaud au froid du point de vue de la cénesthésie.

Si l’on applique le modèle du triangle culinaire (extrapolation des triangles vocalique et consonantique), on obtient les schémas suivants

 

                                         Tiède (+)

 

 

                    Chaud (-)                         froid (-)

 

Il apparaît donc que c’est le terme médian : « tiède » qui représente la valeur d’équilibre (positif) entre deux extrêmes valorisés de façon négative : « chaud » et « froid ».

Cette valorisation positive du terme intermédiaire s’expliquera d’autant mieux que l’on prendra en compte un second « triangle culinaire » qui opposera la saison chaude (l’été) marquée négativement (n’oublions pas que la scène se passe en Algérie, pays de contrastes marqué par de forts écarts de température, par exemple entre le jour et la nuit) à la saison froide (l’hiver), l’ « automne » étant la saison intermédiaire caractérisée par une température plus clémente (« tiède ») donc connotée de manière positive.

On a ainsi :

Automne (+)

(Le soir)

 

                           Eté (-)                          hiver (-)

(midi)                                           (Minuit)

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(1) Plus particulièrement de la phonologie de Nikolaï Troubetzkoï et Roman Jakobson.

(2) Voir : http://beylardozeroff.org/index.php/methodologie/plan-de-lanalyse/

(3) Voir : http://beylardozeroff.org/index.php/methodologie/gaston-bachelard-experience-vs-spectacle/

(4) On pourra également regrouper sous l’opposition euphorie vs dysphorie les paradigmes plaisir vs douleur, satisfaction vs mécontentement, réjouissance vs détresse, béatitude vs mélancolie, etc.

(5) « De ce qui se passe au niveau des processus internes – et le processus de la pensée en fait partie -, le sujet ne reçoit dans sa conscience, nous dit Freud, d’autres signes que des signes de plaisir ou de peine. Comme pour tous les autres processus inconscients, rien d’autre ne parvient à la conscience que ces signes-là. »(Jacques Lacan, Le Séminaire, livre VII, L’éthique de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1986, p. 41).

(6) Claude Lévi-Strauss, « Le triangle culinaire» in revue « L’Arc » n° 26, pp.19-29.

(7) Cf. Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Paris,  Plon, 1958 :  « la pensée mythique procède de la prise de conscience de certaines oppositions et tend à leur médiation progressive » (p. 248). Et, à propos du mythe : « C’est une sorte d’outil logique destiné à opérer une médiation entre la vie et la mort. » (p. 243)

 

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY