Marguerite YOURCENAR (1903-1987) avait minutieusement programmé ses propres obsèques sur l’île des Monts-Déserts (dans le Maine, aux Etats-Unis).
Il y a omniprésence de la mort dans son oeuvre (comme l’indiquent les titres :
- La mort conduit l’attelage (1984)
- La Nouvelle Eurydice (1931)
- Le coup de grâce (1939)
- Feux (1936) où l’on trouve cette citation qui conviendrait bien à Zénon :
« Solitude…Je ne crois pas comme ils croient, je ne vis pas comme ils vivent, je n’aime pas comme ils aiment…Je mourrai comme ils meurent.« - Mémoires d’Hadrien (1951) qui ont fait la célébrité de Yourcenar poursuivent une longue méditation sur la mort d’Antinoüs, sur le triomphe posthume de Trajan, mais aussi sur la mort imminente du narrateur.
- L’Oeuvre au Noir (1968) propose, à l’ombre de Dürer, une métaphore de la mort : le « opus nigrum » de l’alchimie, qui n’exclut ni les renaissances ni les transfigurations.
- Souvenirs pieux (1974) honorent la terre et les
morts de M. Yourcenar en dénombrant les deuils et les désastres qui précèdent sa naissance - Quoi, l’éternité? récit de son enfance
- Mishima, ou la Vision du vide (1981) interroge le suicide de l’écrivain samouraï (suicide rituel)
- La voix des choses (1987) est composée de citations de maîtres spirituels choisies par M. Yourcenar en hommage à un jeune collaborateur disparu.
En somme, la mort a toujours triomphé par cette voix étrange, à moins que l' »éternité pliée » n’ait été retrouvée et reconquise.
L’oscillation entre un classicisme rassurant et un baroque funèbre marque cette écriture, et le trouble inquiétant qu’elle engendre.
L’élection à l’Académie Française a surtout révélé l’ironie impériale avec laquelle M. Yourcenar accepta la démarche des académiciens.
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Désormais M. Yourcenar va réviser, réécrire, postfacer, annoter ses oeuvres passées. Paratexte parfois bien encombrant. On regrette le temps des textes nus, ouverts à la lecture plurielle.
« Oeuvres romanesques« , dans la Pléiade, fut entièrement régie par M. Yourcenar : La Nouvelle Eurydice en est éliminée (il s’agit d’une littérature de confession que dénonce précisément Yourcenar dans ses commentaires).
M. Yourcenar s’avance masquée : l’élection à l’Académie aura pour fonction de protéger le cours tranquille de l’oeuvre vers la subversion. Car cet univers romanesque est peuplé de marginaux, d’insoumis, d’aventuriers et, accessoirement, de sodomites : tout sentiment d’appartenance y est récusé.
Seule règle pour cette nomade des cultures, la boutade de son père : « Ca ne fait rien, on s’en fout, on n’est pas d’ici, on s’en va demain. »
Les alibis du néo-classicisme et de l’académisme ne peuvent abuser les vrais lecteurs de Yourcenar. Elle avance masquée : en témoigne son pseudonyme, anagramme de son second patronyme (Cleenewerck de Crayencour) choisi sur la suggestion de son père. Le nom Yourcenar fait étranger (cf. Brasillach : baroque et balkanique ou Jean d’Ormesson : turc).
Les héros de ses récits ne sont jamais français, ni même francophones.
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Marguerite Yourcenar, écrivain secret pour amateurs éclairés est devenue célèbre par la diversité des genres dans lesquels elle a excellé :
- versification classique pour commencer, aphorismes et poèmes en prose dans Feux ;
- traduction anthologique du grec ancien : La Couronne et la lyre (1979) ;
- traduction des negro-spirituals : Fleuve profond, sombre rivière (1964);
- théâtre comique : Rendre à César/Qui n’a pas son Minotaure ((1972) (pièces qui valent bien celles de Cocteau ou de Giraudoux);
- essais : Sous bénéfice d’inventaire (1962), Le temps, ce grand sculpteur (1983) où elle fait preuve d’une culture infinie ;
- nouvelles : Nouvelles Orientales (1938) Comme l’eau qui coule (1982);
- roman historique, dont elle renouvelle complètement le genre : Mémoires d’Hadrien (mémoires fictifs), L’Oeuvre au Noir ;
- essais de type biographique : sur Pindare, Caillois, Mishima ;
- traduction-présentation d’écrivains de toutes cultures : Henry James, Virginia Woolf, James Baldwin, « nô » moderne de Mishima, Constantin Cavafy, Hortense Flexner : tout ceci constitue un « musée imaginaire » de la culture mondiale ;
- une trilogie prévue, reste inachevée : Le labyrinthe du Monde ; On a seulement : Souvenirs Pieux (la jeune mère belge),
Archives du Nord (1977) (le père flamand et français. Il manque le récit d' »une petite fille apprenant à vivre entre 1903 et 1912 sur une petite colline de la Flandre française« . Il s’agit là d’un nouveau genre,
le roman généalogique (qui dissimule le genre autobiographique). Davantage tourné vers la nouvelle histoire que vers le « nouveau roman », il remonte à la préhistoire et à la Flandre médiévale. Le récit d’enquête, qui se veut authentique, subordonne la poésie à la vérité, mais, à la fin d’Archives du Nord, fait place à l’étonnant récit des aventures de Michel C. de Crayencour, père
de la narratrice. - C’est le « nom du père » qui engendre la vocation de l’écrivain : on constate un jeu complexe des déplacements et des identifications à l’oeuvre dans le texte biographique comme dans le texte romanesque.
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Marguerite Yourcenar est née en 1903.
L’essentiel de son oeuvre a été écrit entre trente et soixante-dix ans. Elle a vécu la majeure partie de sa vie aux Etats-Unis.