SOMMAIRE
Introduction
PRESENTATION DES OUTILS D’ANALYSE
I. PSYCHANALYSE ET LITTERATURE
A) DE L’INCONSCIENT VERS LE CONSCIENT
- De l’inconscient vers le conscient
- Exemple de retour de souvenirs refoulés
- Désirs refoulés et art
B) LE COMPLEXE D’OEDIPE
- Naissance des névroses
- Le complexe d’Oedipe
2.1. Définition du complexe d’Oedipe
2.2. Le dépassement du complexe d’Oedipe : l’angoisse de la castration
2.3. Le surmoi, héritier du complexe d’Oedipe
2.4. Le complexe d’Oedipe chez la femme
3. Complexe d’Oedipe et littérature
Il. GUY DE MAUPASSANT : PSYCHANALYSE
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- Vie de Guy de Maupassant
- Oeuvre de Guy de Maupassant
- Rencontre de deux inconscients
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ANALYSE D »APPARITION » DE GUY DE MAUPASSANT
l. ANALYSE SEQUENTIELLE
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- Délimitation des séquences
- Analyse graphique de l’organisation des séquences
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Il. ANALYSE ACTANTIELLE
A) LE SUJET, LE DESTINATAIRE, L’OBJET ET LE DESTINATEUR
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- Le sujet
- Le destinataire
- L’objet
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3.1. L’ami de jeunesse du marquis et son épouse
3.2. Le marquis et l’apparition
3.3. Le vieux marquis de la Tour-Samuel
4. Le destinateur
B) LES ADJUVANTS ET LES OPPOSANTS
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- Laure de Maupassant, Adjuvante et Opposante
- Mélanie Klein : amour, haine et besoin de reparation
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III. MELANIE KLEIN ET LA RELATION ENFANT-MERE DANS ”APPARITION » : LA REPETITION D’UN TRAUMATISME
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- Désirs, frustration et culpabilité : l’ami de jeunesse du marquis et son épouse
- La crainte de la mère et l’échec des désirs de réparation : le marquis et l’apparition
- L’agressivité : le marquis et le jardinier
- La petite Rita
- L’expérienoe traumatique dans « Apparition«
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IV. STRUCTURE SOUS-JACENTE DANS « APPARITION«
A) LA REPETITION D’UNE EXPERIENCE TRAUMATIQUE, VUE PAR FREUD
B) STRUCTURE SOUS-JACENTE DANS « APPARlTlON”
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- La répétition d’un traumatisme
- L’annonce du danger et la répétition abrégée du traumatisme
- La fuite
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C) ANALYSE GRAPHIOUE DE LA STRUCTURE SOUS-JACENTE D' »APPARITION »
Conclusion
Annexes
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INTRODUCTION
Avant de débuter ce travail, il importe de préciser quelques points. Cette recherche. dans son élaboration, a été considérée comme s’intègrant dans un cadre pédagogique. Elle s’adresse donc à un groupe d’étudiants, ne possédant pas forcément des connaissances psychanalytiques. C’est pourquoi, la technique psychanalytique étant à la base de ce travail, dans une première partie on en présentera quelques principes élémentaires.
Puis ces connaissances seront appliquées dans les chapitres consacrés à l‘analyse d »Apparition » de Guy de Maupassant. On tentera, dans ce cadre, de dégager la structure apparente de cette nouvelle, puis sa structure sous-jacente.
Les concepts développés par deux psychanalystes seront mis en évidence dans ce travail : Freud, bien sûr, fondateur de Ia psychanalyse, et Mélanie Klein qui – on espère que ce travail contribuera à le démontrer – prolonge l’oeuvre de Freud.
Pourquoi avoir choisi « Apparition » de Guy de Maupassant comme objet d’étude ? Tout d’abord, bien sûr, pour la qualité littéraire de ce texte ; et, ensuite, parce que celui-ci se prête bien, comme on le verra, à l’approche psychanalytique.
PRESENTATION DES OUTILS D’ANALYSE
I. PSYCHANALYSE ET LITTÉRATURE
A) DE L’INCONSCIENT VERS LE CONSCIENT
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De l’inconscient vers le conscient
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Dans ce premier chapitre, on présentera quelques points d’ancrage de la psychanalyse, tels qu’ils ont été développés par Freud, puis on verra quelles peuvent en être les applications dans le domaine de l’étude littéraire. Rappelons toutefois que l’on s’adresse ici à un public de non-spécialistes en matière de psychanalyse.
En premier lieu, voyons comment Freud définit l' »inconscient », et comment il explique le mécanisme du « refoulement ».
Freud écrit : « Nous n’avons jusqu’à présent aucun meilleur vocable pour désigner ces processus psychiques qui demeurent actifs sans atteindre cependant la conscience de l’intéressé que le mot inconscient. » (1)
« Le refoulement est (…) le processus grâce auquel un acte susceptible de devenir conscient (…) devient inconscient. » (2)
« Schématiquement, voici comment les choses se passent : l’événement crée une exigence pulsionnelle qui veut être satisfaite. Le moi s’oppose à cette satisfaction soit parce qu‘il se trouve paralysé par la grandeur excessive de l’exigence, soit parce qu‘il Ia trouve dangereuse (…). Le moi se défend contre ce danger en utilisant le phénomène du refoulement ; l’émoi pulsionnel est, d’une manière quelconque, entravé, et l‘incitation, ainsi que les perceptions et les représentations concomitantes, sont oubliées.“ (3)
A cela, on peut ajouter le concept de « résistance », que Freud définit comme étant la force qui empêche les souvenirs refoulés de devenir conscients. II précise donc : « Les souvenirs ne sont pas perdus. Mais il existe une force qui les empêche de devenir conscients (…). Ces forces qui, aujourd’hui, s’opposent à la réintégration de l’oublié dans le conscient sont assurément les mêmes que celles qui ont, au moment du trauma, causé cet oubli et qui ont refoulé dans l’inconscient les accidents pathogènes.” (4)
Le mécanisme du refoulement n’est cependant pas terminé car, comme l’explique Freud, les pulsions refoulées conservent toute leur puissance et cherchent, malgré les résistances, à se frayer un chemin jusqu’au conscient de l’individu.
« Mais le processus n’est pas pour autant achevé; car en effet, ou bien la pulsion (refoulée) a conservé sa force, ou bien elle tend à la récupérer, ou bien enfin, elle est ranimée par quelque incident nouveau. Elle redevient ainsi exigeante, mais comme la voie de la satisfaction normale reste barrée du fait de ce que nous appelons la « cicatrice » du refoulement, elle se fraye quelque part, en un point mal défendu, un autre accès vers une soi-disant satisfaction substitutive, ce qui apparaît sous la forme d’un symptôme, et tout ceci sans l’assentiment ni la compréhension du moi. Tous les phénomènes de la formation des symptômes peuvent être considérés comme des « retours du refoulé« . (5)
Dans son ouvrage « Métapsychologie« , Freud précise encore ce mécanisme du retour de la pulsion refoulée vers le conscient.
« Mais si nous regardons encore une fois le refoulement (…), nous constatons qu’on ne saurait soutenir qu’il tient tous les rejetons du refoulé originaire à l’écart du conscient. Quand ces rejetons se sont suffisamment éloignés du représentant refoulé, soit parce qu’ils se sont laissés déformer, soit parce que se sont intercalés plusieurs intermédiaires, alors, sans plus d’obstacles, ils peuvent accéder librement au conscient. C’est comme si la résistance du conscient à leur endroit était fonction de leur éloignement par rapport au refoulé originaire. »
Freud poursuit : « On ne peut évaluer d’une façon générale jusqu’où doivent aller la déformation et l’éloignement par rapport au refoulé pour que soit supprimée la résistance du conscient. ll intervient là une subtile pondération, dont le jeu nous échappe mais dont le mode d’action nous laisse deviner qu’il s’agit de ne pas dépasser une certaine intensité de l’investissement de l’inconscient, intensité au-delà de laquelle celui-ci s‘ouvrirait la voie vers la satisfaction . » (6)
2. Exemple de retour de souvenirs refoulés
Pour illustrer ce mécanisme subtil du retour des pulsions refoulées vers le conscient, on peut citer un cas évoqué par Freud. On y voit bien ici les divers niveaux à travers lesquels des souvenirs refoulés identiques peuvent se manifester dans les récits.
Freud se rend alors compte que son patient lui avait déjà auparavant mentionné cet épisode, quoique sous une forme moins développée, alors que la cure psychanalytique était moins avancée.
« Nous nous rappelâmes alors tous les deux qu’à diverses reprises et sans pouvoir en tirer profit pour l’analyse, il m’avait apporté le banal souvenir suivant : « Un jour, mon oncle, partant en voyage, demanda à ma sœur et à moi ce que nous désirions qu’il nous rapportât. Ma soeur demanda un livre et moi un couteau de poche. » Nous comprimes dès lors que cet épisode, dont le souvenir avait été fréquemment évoqué depuis des mois (…), dissimulait un souvenir refoulé : le patient avait essayé, sans y réussir, la résistance l’en empêchant, de me raconter la perte imaginaire de son petit doigt équivalent évident de son pénis. Le couteau. que lui donna réellement son oncle, était, il s’en souvenait avec certitude, le même que celui de l’épisode de la perte du petit doigt <coupé par le canif> » (7)
On le voit bien dans ces deux récits, le passage des souvenirs refoulés vers le conscient répond à un mécanisme extrêmement subtil, qui peut lui-mème évoluer en fonction de l’état du patient.
3. Désirs refoulés et art
La question qui se pose dès lors est de savoir dans quelle mesure on peut estimer que ce type de souvenirs refoulés, tels l’exemple ci-dessus, se retrouvent, à l’insu de leur auteur, dans des textes littéraires, ou plus généralement dans les oeuvres d’art.
Freud écrit à ce sujet : ”Le royaume de l’imagination est une ”réserve » organisée (…) afin de permettre un substitut à la satisfaction des instincts à laquelle il faut renoncer dans la vie réelle. L’artiste s’est retiré loin de la réalité insatisfaisante dans ce monde imaginaire (…) tout en s’attendant à trouver le chemin du retour et à reprendre pied dans la réalité. Ses créations, les œuvres d’art, sont des satisfactions imaginaires de désirs inconscients tout comme les rêves, avec lesquels elles ont d’ailleurs en commun le caractère d’être un compromis, car elles doivent éviter le conflit à découvert avec les puissances du refoulement. Mais à l’inverse des productions asociales narcissiques du rêve. ces satisfactions imaginaires peuvent compter sur la sympathie des autres hommes, étant capables d‘éveiller et de satisfaire chez eux les mêmes aspirations inconscientes de désir. » (8)
B) LE COMPLEXE D’OEDIPE
A partir des notions psychanalytiques présentées jusqu’ici, nous pouvons maintenant aborder la théorie des névroses. telle qu’elle a été développée par Freud. On constatera en particulier que le complexe d Oedipe y tient une plaœ très importante.
1.Naissance des névroses
Freud explique la naissance des névroses de la manière suivante : « Il semble que les névroses ne s’acquièrent qu‘au cours de la prime enfance (jusqu’à l’âge de six ans), bien que leurs symptômes puissent être plus tardifs (…). La névrose ultérieure a, en tout cas, son point de départ dans l’enfance. »
« (…) Nous comprenons facilement pourquoi les névroses naissent de préférence durant la première enfance. Elles sont, nous le savons, des affectations du moi; il n’est donc pas surprenant que le moi, tant qu’il demeure faible, inachevé, incapable de se défendre, cherche à se tirer d’affaire par des tentatives de fuite (refoulements), moyens inefficaces et qui, ultérieurement, opposeront à tout développement éventuel un obstacle permanent. » (9)
2.Le complexe d’Oedipe
Pour simplifier les explications, on fera référence, dans cette section, non plus seulement à Freud, mais également à d’autres spécialistes de psychanalyse, tels que Daniel Lagache, J.-B. Pontalis, Jean Laplanche ou André Green.
A propos du rôle joué par le complexe d’Oedipe dans l’acquisition des névroses, Daniel Lagache écrit : « Selon la conception de Freud, le complexe d’Oedipe est le noyau de la névrose. Le complexe d’Oedipe fait partie du développement normal de l’individu, mais il est en principe dépassé et ne peut se manifester que dans certaines conditions favorables, comme le rêve. Chez le névrosé, cependant, il n’est pas liquidé, en raison de l’intensité particulière des pulsions, des affects et des défenses qui le composent. » (10)
a. Définition du complexe d’Oedipe
Freud définit le complexe d’Oedipe de la manière suivante : « Un fait a le droit plus que tout autre à notre attention, c‘est que l’enfant oriente régulièrement ses désirs sexuels sur ses plus proches parents, donc en premier lieu sur son père et sa mère et par la suite sur ses frères et soeurs. Pour le garçon, la mère est le premier objet d’amour, pour la fille c’est le père (…). L’autre partie du couple parental est ressentie comme un rival gênant et il n’est par rare qu’elle soit l’objet d’une forte hostilité. Comprenez-moi bien, je ne veux pas dire que l’enfant ne désire de la part du parent préféré que cette sorte de tendresse dans laquelle, nous adultes, voyons si volontiers l’essence des relations parents-enfants. Non, l’analyse ne laisse aucun doute sur le fait que les désirs de l’enfant tendent, au-delà de cette tendresse, à tout ce que nous entendons par satisfaction sensuelle, dans les limites de la capacité de représentation de l’enfant. Il est aisé de comprendre que l’enfant ne devine jamais ce qu’est en réalité l’union des sexes; il y substitue d’autres représentations qui découlent de ses expériences et sensations. Ses désirs culminent habituellement dans l’intention de mettre un enfant au monde ou – d’une manière indéterminable – de l’engendrer. Le petit garçon, dans son ignorance, ne se prive pas non plus du désir de mettre un enfant au monde. Toute cette construction psychique, nous l’appelons, d’après la légende grecque bien connue, le complexe d’Oedipe. Elle doit normalement, quand se termine la première période sexuelle, être abandonnée, détruite et transformée de fond en comble. et les résultats de cette transformation sont destinés à de grandes réalisations dans la vie psychique ultérieure. Mais, en règle générale, cela ne se réalise pas de façon assez approfondie et la puberté suscite alors une reviviscence du complexe, qui peut avoir de graves conséquences. » (11)
b. Le dépassement du complexe d’Oedipe : l’angoisse de la castration
Comment l’enfant peut-il dépasser le complexe d’Oedipe ? Nous étudierons en premier le cas du garçon. Jean Laplanche et J.-B. Pontalis écrivent à ce sujet : « L’enfant ne peut dépasser l’Oedipe (…) que s’il a traversé la crise de castration, c’est-à-dire qu’il s’est vu retirer l’usage de son pénis comme instrument de son désir pour la mère. » (12)
Freud explique les origines de la crise de castration, chez le garçon, de cette manière : « Le petit garçon perçoit certainement la différence entre les hommes et les femmes mais, dans un premier temps, il n’a pas l’occasion de la mettre en relation avec une diversité de leurs organes génitaux. Il lui est naturel de supposer chez tous les autres étres vivants, humains et animaux, l’existence d’un organe génital semblable à celui qu’il possède lui-même. Cette partie (…) du corps si riche en sensations occupe au plus haut point l’intérêt du garçon et assigne constamment de nouvelles tâches à sa pulsion d’investigation. ll voudrait le voir aussi chez d’autres personnes afin de la comparer avec le sien propre (…). Bien des actes d’exhibition et d’agression que l’enfant commet et que, à un âge plus avancé, on considérerait sans hésitation comme manifestations de lubricité s’avèrent pour l’analyse être des expériences au service de l’investigation sexuelle. »
Freud pousuit : « Au cours de ces recherches, l’enfant parvient à cette découverte que le pénis n‘est pas un bien commun à tous les êtres qui lui ressemblent. La vue fortuite des organes génitaux d’une petite soeur ou d’une compagne de jeu en fournit l’occasion (…). Il essaie alors de répéter ses observations dans des conditions susceptibles d’apporter un éclaircissement. On sait comment il réagit aux premières impressions provoquées par le manque de pénis . Il nie ce manque et croit voir malgré tout un membre; il jette un voile sur la contradiction entre observation et préjugé, en s’imaginant qu’il est encore petit et qu’il grandira sous peu, et il en arrive lentement à cette conclusion d’une grande portée affective : auparavant, en tout cas, il était bien là ; et par la suite il a été enlevé (…). Nous savons toute la dépréciation de la femme qui découle chez l’homme de cette conviction que la femme n’a pas de pénis (…). »
Freud ajoute : « Pourtant, il ne faut pas croire que l’enfant soit disposé à généraliser si rapidement l’observation qui lui a montré que quelques personnes féminines ne possèdent pas de penis : déjà, ce qui suffit à l’en dissuader, c’est l’hypothèse selon laquelle l’absence de pénis est la conséquence de la castration comme punition. Loin de généraliser, l’enfant croit que seules des personnes féminines indignes ont payé amende de I’organe génital (…). Mais les femmes respectées, comme sa mère, gardent encore longtemps le pénis. Pour l’enfant, être femme ne coïncide donc pas encore avec manque de pénis. Plus tard, lorsque l’enfant s’attaque aux problèmes de l’origine et de la naissance des enfants, lorsqu‘il devine que seules les femmes peuvent enfanter, alors seulement la mère est, elle aussi, dessaisie du pénis (…). Le manque du pénis est alors conçu comme le résultat d’une castration et l’enfant se trouve maintenant en devoir de s’affronter à la relation de la castration avec sa propre personne (…) : car si la femme est châtrée, une menaœ pèse sur la possession de son propre pénis à lui. »
A qui le garçon attribue-t-il dès lors cette menace de castration ? Freud précise : « Le garçon craint aussi la castration de la part du père, mais pour lui la menace émane la plupart du temps de la mère. »
Freud conclut : « Si la satisfaction amoureuse sur le terrain du complexe d’Oedipe, doit coûter le pénis, alors on en vient nécessairement au coniiit entre l’intérêt narcissique pour cette partie du corps et l’investissement libidinal (…). Dans ce conflit, c’est normalement la première de ces forces qui l’emporte : le moi de l’enfant se détourne du complexe d’Oedipe (…) : le complexe d’Oedipe sombre du fait de la menace de la castration. » (13)
c. Le surmoi, héritier du complexe d’Oedipe
Nous avons vu que le garçon se détourne du complexe d’Oedipe du fait de la menace de la castration.
Voyons maintenant comment il peut surmonter l’angoisse de la castration elle-méme. Michael Grant l’explique de la manière suivante : « Le successeur et le vainqueur du complexe d’Oedipe < et de la crise de castration> est le surmoi, qui représente la barrière contre les instincts inœstueux (…), avec l’aide de tout l’ordre social. de la morale et de la religion. » (14)
Freud précise à propos de la formation du surmoi : « Le surmoi dérive de l’influence exercée par les parents, les éducateurs, etc… En général, ces derniers se conforment, pour l’éducation des enfants, aux prescriptions de leur propre surmoi (…). Le surmoi de l’enfant ne se forme donc pas à l’image des parents, mais à l’image du surmoi de ceux-ci; il s’emplit du même contenu, devient le représentant de la tradition, de tous les jugements de valeur qui subsistent ainsi à travers les générations. » (15)
Il faut noter également chez le garçon. le rôle particulier joué par le père dans la naissance du surmoi : il y perpétue l’interdit de l’inceste et aide ainsi l’enfant à surmonter son angoisse de la castration.
Freud explique : « Les investissements d’objets <c’est-à-dire les désirs amoureux envers Ia mère> sont abandonnés et remplacés par une identification. »
L’autorité du père ou des parents, introjectée dans le moi, y forme le noyau du surrnoi, lequel emprunte au père la rigueur, perpétue son interdit de l’inceste et ainsi, assure le moi contre Ie retour de l’investissement Iibidinal de I’objet <c’est-à-dire le retour des désirs amoureux envers la mère> (…). Ainsi, la relation du surmoi au moi ne s’épuise pas dans le précepte : tu dois être ainsi (comme le père), elle comprend aussi l’interdiction : tu n’as pas Ie droit d’être ainsi (comme le père), c’est-à-dire tu n’as pas le droit de faire tout ce qu‘il fait; certaines choses lui restent réservées (…). » . Freud ajoute : « Les tendances Iibidinales appartenant au complexe d’Oedipe sont alors en partie désexualisées (…), et changées en motions de tendresse. »
Les conséquences de ce processus sont alors importantes, comme l’explique Freud : » Le processus dans son ensemble a d’un côté sauvé l’organe génital, il a détourné de lui le danger de le perdre mais, d’un autre côté, il l’a paralysé, il a supprimé son fonctionnement. Avec lui, commence le temps de latence, qui vient interrompre le développement sexuel de l’enfant <jusqu’à la puberté>. »
Freud définit ensuite le lien entre la fin du complexe d’Oedipe et la notion de refoulement : « Je ne vois aucune raison de refuser le nom de « refoulement » au fait que le moi se détourne du complexe d’Oedipe (…). Mais le processus que nous avons décrit est plus qu’un refoulement, il équivaut, si les choses s’accomplissent de manière idéale, à une destruction et à une suppression du complexe. Nous sommes portés à admettre que nous sommes tombés ici, sur la ligne frontière, jamais tout à fait tranchée, entre le normal et le pathologique. Si vraiment le moi n’est pas parvenu à plus qu’un refoulement du complexe alors, ce demier subsiste, inconscient (…) et il se manifestera plus tard son effet pathogène « . (16)
Une dernière question reste maintenant en suspens : qui était à l’origine de la castration (fictive) de la mère ? André Green nous en donne la réponse : » progressivement, la castration < de la mère> est associée à la scène primitive, qui est (à la maniére des bêtes sauvages), évocatrice d’un coït anal, régulièrement prolongé par des projections de sadisme sur la personne du père (…). L »étiologie » <l’origine> de la castration est là : celle-ci est subie par la mère du fait de la pénétration phallique du père. Celui-ci tranche le pénis maternel et pénètre celle-ci analement. » (17)
c. Le complexe d’Oedipe chez la femme
Freud parle plus souvent dans ses travaux du complexe d’Oedipe de l’homme que de celui de la femme. Il avoue en effet qu’il n’est pas parvenu à expliquer d’une manière totalement satisfaisante le complexe d’Oedipe chez la femme. Il souligne toutefois l’importance de l »envie du pénis » chez celle-ci : lorsque la fille se rend compte qu’elle ne possède pas de pénis, comme le garçon, elle désire en obtenir un substitut. Ce processus enclenche le complexe d’Oedipe : la fille désire le pénis du père, puis espère avoir un enfant avec lui, la mère étant dès lors considérée comme une rivale.
Freud explique dans un premier temps pourquoi la voie vers le complexe d’Oedipe est plus compliquée chez la fille que chez le garçon : « Dans la phase du complexe d’Oedipe (…), nous trouvons l’enfant tendrement attaché au parent du sexe opposé tandis que, dans sa relation avec le parent du même sexe, prédomine l’hostilité. ll ne nous est pas difficile d’aboutir à ce résultat pour le garçon. Sa mère était son premier objet d’amour, elle le reste (…). Il en va autrement pour la petite fille. Elle avait pour objet premier sa mère : comment trouve-t-elle son chemin jusqu’à son père ? Comment, quand et pourquoi s’est-elle détachée de sa mère ? »
Freud poursuit son explication : « Nous allons maintenant diriger notre intérêt sur la question de savoir ce qui provoque la disparition de ce puissant attachement à la mère chez la petite fille. Nous savons que c’est là son destin habituel, il est destiné à céder la place à l‘attachement au père. Nous tombons alors sur un fait qui nous indique le chemin à suivre. Il ne s’agit pas, pour cette étape du développement, d’un simple changement d’objet. Cet éloignement par rapport à la mère se produit sous le signe de l’hostilité, l’attachement à la mère se termine en haine. Une telle haine peut devenir très frappante et persister toute la vie; elle peut être, par la suite, soigneusement surcompensée; en général une partie en est surmontée, une autre partie subsiste. »
D’où proviennent ces sentiments hostiles de la fille envers sa mère ? Freud explique : « Un motif spécifique qui pousse à se détourner de la mère résulte de l’influence du complexe de castration. Un jour ou l’autre la petite fille fait la découverte de son infériorité organique <l’absence du pénis>; elle le fait plus ou moins tôt si elle a des frères ou si elle est proche de garçons (… ). Elle se sent alors gravement lésée, déclare souvent qu’elle voudrait « aussi avoir quelque chose comme ça » et succombe à l’envie du pénis qui laisse des traces indélébiles dans son développement et la formation de son caractère et qui, même dans le cas le plus favorable, n’est pas surmontée sans une lourde dépense psychique. »
Freud poursuit à propos des effets de l’envie du pénis chez la femme : « Même lorsque l’envie du pénis a renoncé à son objet particulier, elle ne cesse pas d’exister mais persiste, avec un léger déplacement, dans le trait de caractère de la jalousie. Certes, la jalousie n’est pas l’apanage d’un seul sexe et elle se fonde sur une base plus large, mais je pense qu’elle joue un rôle bien plus grand dans la vie psychologique de la femme, parce qu’elle tire un énorme renforcement du détournement de l’envie du pénis. L’effet de l’envie du pénis est encore impliquée dans la « vanité » corporelle de la femme, dans la mesure où elle doit estimer d’autant plus haut ses attraits en tant que dédommagement tardif de son infériorité sexuelle initiale (…). »
L’envie du pénis a une autre conséquence, fondamentale chez la fille : elle l’éloigne de sa mère et la rapproche de son père, ouvrant ainsi la voie vers le complexe d’Oedipe. Freud écrit : « Une (…) conséquence de l’envie du pénis semble être un relâchement de la relation tendre à la mère (…). On ne comprend pas trés bien cet enchaînement, mais on se convainc qu’en fin de compte c’est presque toujours la mère qui est rendue responsable du manque de pénis, cette mère qui a lancé l’enfant dans la vie avec un équipement aussi insuffisant (…), qui l’a fait naître femme. »
Du fait de son hostilité naissante envers la mère, la fille se tourne alors vers son père pour essayer de trouver chez lui un substitut à son pénis absent : « Le désir avec lequel la petite fille se tourne vers son père est sans doute, initialement, le désir du pénis, dont la mère l’a frustrée et qu’elle attend maintenant de son père. Mais la situation féminine ne se trouve instaurée que lorsque le désir du pénis est remplacé par celui de l’enfant (…). La libido de la petite fille glisse le long de ce qu’on ne peut appeler que l’équation symbolique : pénis=enfant, jusque dans une nouvelle position. Elle renonce au désir du pénis pour le remplacer par le désir d’un enfant et, dans ce dessein, elle prend le père comme objet d’amour (…). Le bonheur est grand lorsque ce désir d’enfant trouve plus tard son accomplissement réel, et tout particulièrement quand l’enfant est un petit garçon, qui apporte avec lui le pénis désiré. »
Freud conclut : » Avec le transfert du désir de l’enfant-pénis sur le père, la petite fille est entrée dans la situation du complexe d’Oedipe. La mère (…) devient la rivale, qui obtient du père tout ce que la petite fille désire de lui. »
Une dernière question se pose maintenant : comment le complexe d’Oedipe se termine-t-il chez la fille ? Rappelons que chez le garçon, l’apparition du surmoi lui permet de dépasser les angoisses de la castration, nées de l’absence de pénis qu‘il constate chez sa mère. Pour la fille les choses se passent différemment. Freud écrit : » Chez la fille, le complexe d’Oedipe (…) est précédé et préparé par les séquelles du complexe de castration . En ce qui concerne la relation entre complexe d’Oedipe et complexe de castration, il y a une opposition fondamentale entre les deux sexes. Tandis que le complexe d’Oedipe du garçon sombre sous l’effet du complexe de castration , celui de la ñlle est rendu possible et introduit par le complexe de castration . La différence qui réside dans cette part du développement sexuel de l’homme et de la femme est une conséquence naturelle de la différenciation des organes génitaux et de la situation psychique qui s’y rattache; elle correspond à la différence entre castration accomplie et simple menace de castration. »
Freud poursuit : « Avec la suppression de l’angoisse de castration , le motif principal qui avait poussé le garçon à surmonter le complexe d’Oedipe disparaît (…). Le motif de la destruction du complexe d’Oedipe chez la fille fait défaut. La castration a déjà produit son effet qui a consisté à la contraindre à la situation oedipienne . Le complexe d’Oedipe échappe donc au destin qui l’attend chez le garçon; il peut étre abandonné lentement, être liquidé par un refoulement, ses effets peuvent être longuement différés dans la vie mentale normale de la femme. »
Le surmoi ne participant plus pour la fille au dépassement du complexe d’Oedipe, comme c’est le cas chez le garçon (le surmoi l’aide à surmonter l’angoisse de la castration, grâce au tabou de l’inceste), Freud en conclut qu‘il a un caractère différent chez la femme, ce qui lui attirera, comme il le reconnaît, de nombreux reproches de la part des « féministes ». Freud admet toutefois qu’il existe encore d’importantes lacunes dans la compréhension de l’évolution oedipienne de la fille. Il écrit : « On hésite à le dire, mais on ne peut se défendre de l’idée que le niveau de ce qui est moralement normal chez la femme est autre . Son surmoi ne sera jamais si inexorable, si impersonnel, si indépendant des ses origines affectives que ce que nous exigeons de l’homme (…). Nous ne nous laisserons pas détourner de telles conclusions par les arguments des féministes qui veulent nous imposer une parfaite égalité de position et d’appréciation des deux sexes; mais nous accorderons volontiers que la plupart des hommes demeurent bien en deça de l’idéal masculin (…). Dans l’ensemble il faut avouer toutefois que notre intelligence des processus de développement chez la fille est peu satisfaisante, pleine de lacunes et d’ombres.” (18)
d. Compiexe d’Oedipe et littérature
Etant donnée l’importance du complexe d’Oedipe dans le développement psychologique de l’indivrdu, il etait normal que celui-ci réapparaisse dans les textes litteraires, souvent sans que l’auteur lui-même en soit conscient.
A titre d‘exemple, on peut relever l’Oedipe-Roi de Sophocle, cité plus haut par Freud. Sophocle décrit ainsi le moment où Oedipe apprend de l’oracle le terrible destin qui l‘attend, destin qui est en fait une transposition du conflit psychologique que tout homme a dû affronter dans son enfance : « Je pars pour Pytho; et là Phoebus <l‘oracle> me renvoie sans même avoir daigné répondre à ce pourquoi j‘etais venu, mais non sans avoir en revanche prédit à l’infortuné que j’étais le plus horrible, le plus lamentable destin : j’entrerai au lit de ma mère, je ferai voir au monde une race monstrueuse, je serai l‘assassin du père dont j’étais né ! » (19)
Sophocle propose en outre dans son oeuvre une solution au conflit oedipien lorsque Jocaste, la mère-épouse d’Oedipe, lui dit : « Ne redoute pas l’hymen d’une mère : bien des mortels ont déjà, dans leurs rêves, partagé le lit maternel. Celui qui attache le moins d’importance à pareilles choses est celui qui supporte le plus aisément la vie » (20)
II. GUY DE MAUPASSANT PSYCHANALYSÉ
Les notions de psychanalyse qui ont été développées jusqu’ici seront plus tard utilisées pour l’analyse détaillée d »Apparition » de Guy de Maupassant. Mais nous devons encore, auparavant, nous intéresser à la personnalité et à l’oeuvre de Maupassant, non pas, comme le titre de ce chapitre le suggère pompeusement, pour en faire la psychanalyse, ce serait d’ailleurs impossible techniquement, les données étant trop lacunaires, mais plutôt pour tenter d’y découvrir des indices qui nous permettront de mieux comprendre le texte étudié plus loin.
1. Vie de Guy de Maupassant
Guy de Maupassant a connu une enfance difficile. Ses parents ne s’entendaient guère et finiront par se séparer, une première fois en 1856 (Guy est né en 1850), puis définitivement en 1860. Marie-Claude Bancquart écrit à ce sujet : « 1860 : séparation des parents de Maupassant. Laure (mère de Guy) vit à Etretat. Un abbé s’occupe de l’éducation de Guy et d’Hervé (frère de Guy), très attachés à leur mère avec laquelle ils vivent. » (21) Quant aux parents de Guy, Philippe de Bonnefis les décrits de la manière suivante : « Tous les témoignages concordent, la mère de l’écrivain, Laure de Maupassant, est une névropathe. Dès 1878, elle ne pouvait plus voir la lumière sans crier de douleur. Et c’est pour traiter cette maladie qu’elle fit l’emploi excessif que l’on sait de certains narcotiques. Pour le père, c’est un velléitaire, un être incertain. Lointain. Comme l’écrit Alberto Savinio, « Gustave de Maupassant était blanc. il était blanc. ll était blanc. » Blanc, en somme, comme un passage à vide. Car Guy, déclare Armand Lanoux, a « un trou à la place du père ». (22)
Cette enfance difficile conditionnera le comportement de Guy adulte, comme l’écrit Marie-Claire Bancquart qui évoque de cette manière le train de vie de Maupassant au début des années 80, alors qu’il avait trente ans : « En 1880, il hésite entre le théâtre, la poésie et la nouvelle; il tente de s’agréger à des groupes divers, naturalistes, hydropathes; il court les filles, il canote, il tire le diable par la queue. En 1883-84, il est bien plus prospère; il s’est définitivement orienté vers le récit en prose et le roman, qui lui font une aisance âprement gérée. Occupant dans la littérature une place de choix, il a cessé de tenter de s’agréger à des groupes d’écrivains. Toujours noceur, il connaît aussi une aggravation des tristesses et des névroses qui ont constamment été l’accompagnement noir de sa vie de « bon vivant ». Il est malade, parfois gravement. ll manifeste la manie ambulatoire de ceux qui se sentent mal dans leur peau : la Normandie, Paris, Cannes. ll s’attache à la fameuse comtesse Potocka, entrant dans le cercle érotique et sadique de ses « Macchabées ». Lui qui a tant souffert de la désunion de ses parents reproduit, selon une conduite bien connue des psychiatre, la situation dont il a souffert : un premier enfant naturel lui naît, qu’il ne reconnait pas. Une accélération de tous ses régimes. Une confirmation de son excellence d’écrivain. (…) » (23)
De cette vie décousue Guy de Maupassant récoltera des désagréments graves pursqu’à la fin des années 70. Il est atteint de la syphilis. Dans une lettre à un ami, Guy évoque avec humour sa maladie : « J’ai la vérole ! enfin ! la vraie !! pas la méprisable chaude-pisse, pas l’ecclésiastique christaline, pas les bourgeoises crêtes de coq, ou les légumineux choux-fleurs, non. non, la grande vérole, celle dont est mort François ler. » (24) Ce mal le tourmentera jusqu’à sa mort, en 1893.
2. L’oeuvre de Guy de Maupassant
Si la vie adulte mouvementée de Guy de Maupassant semble trouver une correspondance dans son enfance difficile, il en est de même pour ses oeuvres. De nombreuses allusions y rappellent, parfois d‘une manière évidente, la relation complexe que Guy, enfant, entretenait avec ses parents. Antonia Fonyi résume ainsi la situation : « Dans les profondeurs psychotiques de l’univers de Maupassant il n’y a pas de père, pas de tiers qui transforme une précaire relation duelle entre la mère et l’enfant en triangle oedipien pour l’empêcher de régresser en relation fusionnelle » (25). Etant donnés les éléments biographiques que nous avons évoqués plus haut, cette constatation n’est guère surprenante.
Mais Danielle Haase-Dubosc va plus loin et découvre dans l’oeuvre de Maupassant de nombreux indices qui lui permettent d‘interpréter avec plus de précision la relation entre Guy enfant et ses parents. Lors des Colloques de Cerisy, elle développe l‘hypothèse suivante : « Dans l’oeuvre de Maupassant, le « père paternel » est toujours malheureux, dépossédé et ridicule. Il existe mais il n’y a pas d’ordre dans lequel il puisse s’inscrire (…). C’est parce que la relation au père est si mutilée ou absente que la relation à la mère est omniprésente (et dévorante) (…). Dans la plupart des nouvelles il est abondamment clair qu’il n’y a pas d’identification paternelle, ni d’interdiction du corps de la mère qui passe par le père. Le complexe d’Oedipe n’est jamais résolu, et si, dans certains cas, il semble possible d’attribuer le mal de vivre a une menace de la castration mal vécue, le plus souvent on peut se demander si nous ne sommes pas rejetés vers une région qui aurait plus d‘attaches au « pré-oedipien » qu’à « l’oedipien » proprement dit. »
Danielle Haase-Dubosc reprend ce thème un peu plus loin et le développe plus longuement . »Dire que le père (imaginaire, symbolique et réel) existe mal (dans les nouvelles de Maupassant), existe peu, ou est considéré comme n’existant pas, revient à dire que l’on se situe mal, ou peu, ou « pas tout le temps » dans le complexe d’Oedipe. Où sommes-nous alors ? Dans le pré-oedipien, dans la relation duelle avec la Mére, la mère qui donne la vie et donne la mort, source de toutes les joies et de toutes les menaces. Le fils est seul avec. Doit « faire avec ça ». C’est cette relation forte et non médiatisée, si ce n’est par le processus de clivage entre Bonne Mère et Mauvaise Mère, qu’il faut maintenant examiner. » (26)
Danielle Haase-Dubosc précise qu’elle se réfère ici aux concepts psychanalytiques développés par Mélanie Klein. A propos de la Bonne et de la Mauvaise Mere, on peut relever un extrait de l’ouvrage « L’Amour, Ia culpabilité et le besoin de réparation« , de Mélanie Klein : « Le premier objet d’amour et de haine du bébé, sa mère, est à la fois désiré et haï avec toute l’intensité et toute Ia force qui sont caractéristiques de ses besoins primitifs. Tout au début, il aime sa mère <la « Bonne Mère »> au moment ou elle satisfait son besoin d’être nourri, lorsqu’elle soulage sa faim. Cette satisfaction est un élément essentiel de la sexualité de l’enfant; il s’agit en fait de son expression initiale. Lorsque cependant le bébé a faim et que ses désirs ne sont pas satisfaits, ou bien lorsqu’il éprouve une douleur physique ou de l’inquiétude, Ia situation change brusquement. Haine et agressivité s’éveillent. Le bébé est alors dominé par des tendances à détruire la personne même <la « Mauvaise Mére »> qui est l’objet de tous ses désirs et qui, dans son esprit, est étroitement liée à tout ce qu’il éprouve, ‘le bon comme le mauvais. » (27)
Danielle Haase-Dubosc poursuit ainsi son explication de l’oeuvre de Maupassant : « Envers la Mauvaise Mère, celle dont on est « la chose », celle qui a le pouvoir de manipuler l’enfant, de lui donner (ou de lui refuser) toutes les gratifications, il y aura très souvent des sentiments de haine violente. La rage de ne pas pouvoir « contenir » la Mauvaise Mère, la peur de sa propre destruction aux mains de cette Mère toute puissante, va s’exprimer à travers toutes les projections dévoratrices et morcelantes de l’enfant pré-oedipien. Le dégoût de la femme qui accouche et qui représente la sexualité, souvent animale, de la mère, les images des femmes écrasées, contaminées, violées, jetées dans des sacs, transformées en bouillie, sont autant de tentatives pour se débarrasser de la Mauvaise Mère qui revient toujours. »
« Mais la Mauvaise Mère est doublée de la Bonne, que l’on veut posséder et dont on veut jouir… » (28) Cette relation avec la Bonne Mère est cependant ambiguë puisqu’elle engendre la rivalité avec des prétendants éventuels. Danielle HaaseDubosc conclut : « Mais n’est-ce pas plutôt que la mère, dans le désir de l’enfant non soumis à la castration, est éternellement la belle fille qui devient « putain » puisqu’elle « accepte » de coucher avec … le père ? » (29)
3. La rencontre de deux inconscients
Comme Danielle Haase-Dubosc vient de nous le montrer, la production de Maupassant se prête bien à une interprétation psychanalytique. En fait, les nouvelles de Maupassant attirent sans doute non seulement par leurs qualités littéraires indéniables, mais également parce que leur contenu sous-jacent fait référence à des problèmes que les lecteurs eux-aussi ont dû affronter étant enfants ou même en tant qu’adultes, en cas d’Oedipe mal démêlé. Pierre Glaudes précise cette idée, en la généralisant au texte littéraire : « Le texte <littéraire> résulte d’une force illocutionnaire qui, en donnant à l’énoncé son statut fictionnel, permet à deux inconscients de se rencontrer dans Ia clôture de cet espace conventionnel : d’un côté, l’inconscient du texte, dans lequel repose « l’inconscient énonciateur (…) de l’écrivain »; de l’autre « l’inconscient énonciateur du lecteur » qui vient le vivifier. » (30)
A cela on peut ajouter une citation de Freud où on lit : ”Chacun de nous possède dans son propre inconscient l’instrument avec lequel il est capable d‘interpréter les manifestations de l’inconscient chez les autres. » (31) On peut dès lors en déduire que la lecture d’oeuvres chargées de souvenirs émotionnels refoulés, comme le sont les nouvelles de Maupassant, réveille inconsciemment chez le lecteur, grâce à la rencontre entre son inconscient et celui de l’écrivain, toute une série d’images enfouies, parfois censurées par les résistances internes, suscitant chez lui surprise, puis enthousiasme. Il existe donc une interaction inconsciente entre l’inconscient de l’auteur, manifesté dans le texte et ceiui du lecteur : l’inconscient du lecteur, tributaire de ses inhibitions et de ses résistances, interprète constamment l’inconscient de l’auteur, sous-jacent dans le texte. Dans une seconde partie du travail, nous pouvons maintenant passer à l’analyse proprement dite d »Apparition“, de Guy de Maupassant; mais tout en gardant bien à l’esprit ce qui précède. En effet, durant la lecture de cette analyse, il ne faudra pas oublier que celle-ci dépend, en tout cas en partie, des interactions entre l’inconscient de l’auteur de ce travail et celui de Maupassant, manifesté d’une manière sous-jacente dans son texte.
ANALYSE D' »APPARITION » DE GUY DE MAUPASSANT
I. ANALYSE SEQUENTIELLE
Dans cette première partie de l’analyse, on essaiera de diviser la nouvelle en plusieurs séquences, c’est-à-dire en sous-ensembles qui par leur thème, leur mode d’énonciation, leur unité de lieu, de temps ou de personnage forment un tout cohérent (tout en restant dépendant de l’ensemble du texte, qui forme lui-même un système organisé).
Cette démarche peut paraître anodine à première vue, mais en réalité nous verrons que l’organisation des séquences d »Apparition » n’est pas fortuite et qu’elle répond à des préoccupations précises de Guy de Maupassant.
Chaque séquence sera délimitée en fonction de la numérotation des lignes (voir texte en annexe) et aura un nom qui sera utilisé dans un graphique, à la fin du chapitre.
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Délimitation des séquences
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Séquence 1 : le vieux marquis de la Tour-Samuel introduit son récit (1-34)
Cette première séquence, dominée par la présence du marquis de la Tour-Samuel, peut être divisée en deux sous-séquences.
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- Sous-séquence a (1-7)
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Nous y apprenons que lors d’une soirée intime, le marquis de la TourSamuel, âgé de quatre-vingt-deux ans, est sur le point de prendre la parole, pour raconter une histoire qu’il affirme véridique.
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- Sous-séquence b (8-34)
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Le marquis prend la parole et annonce à ses auditeurs qu’ils seront les premiers à entendre le récit d’une aventure qui, il le souligne longuement, l’a profondément marqué.
L’aventure du marquis occupe dès lors la majeure partie du reste de la nouvelle. Il faut remarquer toutefois que lorsqu’il termine son récit, le marquis apporte un commentaire, quoique très bref, sur l’expérience qu’il vient de relater. il précise, dans les deux dernières phrases de la nouvelle : « Et depuis cinquante-six ans, je n’ai rien appris. Je ne sais rien de plus. » Grâce à ces deux phrases, apparemment anodines, Guy de Maupassant crée cependant une boucle : le récit du marquis, qui occupe l’essentiel de la nouvelle (de la deuxième à l’avant-dernière séquence), est encadré, dans la première et la dernière séquence, par des commentaires de ce même marquis.
Séquence 2 : la rencontre de l’ami de jeunesse (35-85)
Le marquis débute son récit en relatant une rencontre fortuite, vieille de 56 ans. En 1827, il retrouve par hasard un vieil ami de jeunesse. Celui-ci, très ému, lui confie alors une mission peu ordinaire : il lui demande de ramener des lettres qui se trouvent dans une chambre de son château. Lui-mème ne souhaite pas y retourner car il y a vécu avec sa fiancée, récemment décédée. Le marquis accepte.
On remarquera ici que le thème de l’ami de jeunesse, qui ouvre le récit du marquis, le clôt également. La dernière séquence de ce récit (258-275, avant-dernière séquence de la nouvelle) nous rapporte en effet que cet ami de jeunesse a disparu. Si, comme nous l’avons vu, les commentaires du marquis forment une boucle autour de son récit, nous constatons donc que ce récit lui-même contient une boucle : il débute avec l’apparition de l‘ami de jeunesse et se termine avec la disparition de celui-ci.
Cette structure de la nouvelle, très complexe mais significative, comme on le verra plus loin, sera illustrée dans un graphique, à la fin de ce chapitre.
Séquence 3 : hésitations (86-102)
Le marquis quitte son ami et se met en route pour accomplir ce qu’il appelle sa « mission » (86). Il hésite pourtant et songe à rebrousser chemin lorsqu’il constate avec irritation que la lettre qu‘il doit remettre au jardinier de son ami est cachetée. Finalement, il se raisonne et estime que son ami a peut-être agi par inadvertance.
Séquence 4 : avertissements (104-136)
Lorsque le marquis parvient à destination, le jardinier du château essaie de le dissuader de se rendre dans la chambre où habitait autrefois son ami et sa fiancée, maintenant décédée. Le marquis s‘en irrite et écarte violemment le jardinier.
Séquence 5 : approche (137-158)
Le marquis pénètre dans la chambre de son ami, puis, après s’être habitué à l’obscurité, se dirige vers le secrétaire où se trouvent les lettres qu’il est venu chercher.
Séquence 6 : l’apparition (159-230)
Cette séquence qui, comme on le verra plus loin dans le graphique, constitue le coeur de la nouvelle. peut elle-même être divisée en deux sous-séquences.
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- Sous-séquence a : l’apparition (159-199)
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Le marquis constate soudainement, et avec effroi, que derrière lui, une femme vêtue de blanc le regarde. Il est à noter ici que Maupassant ne précise pas, ni dans cette sous-séquence, ni dans le reste de la nouvelle, l’identité de cette femme. On ne sait pas, en particulier, si celle-ci a été enfermée par mégarde dans cette pièce, ou s’il s’agit du spectre de l’épouse de l’ami du marquis, décédée récemment.
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- Sous-séquence b ; dialogue avec l’apparition (200-230)
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La femme demande au marquis de lui brosser les cheveux car elle souffre affreusement, dit-elle. Le marquis lui obéit, malgré la sensation très désagréable qu’il ressent au contact de ces cheveux. Finalement, la femme lui arrache le peigne et s’enfuit.
Séquence 7 : la fuite (231-247)
Lorsque le marquis se rend compte que la porte par laquelle la femme semblait s’être enfuie est fermée et inébranlable, il est saisi de panique. il prend les lettres qu’il était venu chercher et se sauve, effrayé.
Séquence 8 : le doute (247-257)
De retour chez lui, le marquis s’enferme dans sa chambre et se demande s’il n’a pas été victime d’une hallucination. Mais soudain, il découvre sur sa veste des cheveux de femme. ce qui infirme l’idée d’une vision.
Séquence 9 : la disparition de l’ami de jeunesse (258-275)
Le marquis fait apporter le jour même à son ami les lettres qu’il a ramenées du château. Le lendemain, il se rend chez lui pour lui raconter son aventure. mais celui-ci a disparu. Toutes les recherches sont inutiles, l’ami ne réapparaît pas. Quant au château, malgré une fouille minutieuse, aucun indice n’y révèle une femme cachée.
……….
2. Analyse graphique de l’organisation des séquences
Pour visualiser l’organisation des séquences d »Apparition“, un graphique va maintenant être présenté. Celui-ci est important car il révèle un élément essentiel pour la suite de l’interprétation : l’épisode de l’apparition (séquence 7) occupe le centre de la nouvelle et est entouré par plusieurs séquences, que l’on pourrait appeler de « protection ».
a. Graphique de la structure séquentielle d' »Apparition »
b. Commentaire du graphique séquentiel
Ce graphique met bien en évidence le fait que, comme déjà mentionné, l’épisode de l’apparition occupe le centre de la nouvelle. il est en effet entouré en amont par des séquences qui annoncent cette apparition (séquences 3,4,5 : hésitations, avertissements, approche) et, en aval, par des séquences qui en sont la conséquence (séquences 7,8 : la fuite, le doute).
Ces diverses séquences sont ensuite elles-mêmes englobées dans deux boucles qui se superposent : la boucle de l’ami de jeunesse (séquences 2 et 9), ami de jeunesse qui apparait au début et à la fin du récit du marquis, et la boucle du vieux marquis de la Tour-Samuel (séquences 1 et 10), celui-ci apportant des commentaires sur son récit, au début et à la fin de la nouvelle.
Tout se passe donc comme si, par la structuration séquentielle de la nouvelle, Maupassant essayait, probablement inconsciemment, d’isoler l’épisode de l’apparition en l’entourant de plusieurs zones de protection, tant en amont qu’en aval. Pourquoi autant de précautions ? C’est ce que nous allons essayer d’élucider dans les parties suivantes de ce travail.
II. ANALYSE ACTANTIELLE
Dans le chapitre précédent, nous avons conclu que l’analyse séquentielle ne répondait pas à toutes les questions que pose l’organisation structurelle d‘ »Apparition“. Dans cette nouvelle section, on tentera donc d’approfondir l’investigation en recourant à d’autres outils, en particulier à la grille actantielle conçue par Greimas.(32) Cette analyse permettra de dégager les actants (Sujet, Destinataire, Destinateur, Adjuvant et Opposant), ainsi que l’Objet d »Apparition« .
A) LE SUJET, LE DESTINATEUR, L’OBJET ET LE DESTINATAIRE
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Le SUJET
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Dans son ouvrage « Métapsychologie« , Freud affirme : « Nous savons que le rêve est absolument égoïste et que la personne qui joue le rôle principal dans les scènes s’avérera toujours être la personne propre . C’est là une conséquence évidente du narcissisme de l’état de sommeil. » (33)
Transposant ce raisonnement de Freud, il sera considéré ici que dans “Apparition« , comme dans un rêve, le Sujet, c’est-à-dire le personnage principal de la nouvelle, n’est autre que son auteur, Guy de Maupassant, qui y apparaît successivement sous les traits du vieux marquis de la Tour-Samuel, de ce même marquis au moment de l’apparition et de l’ami de jeunesse du marquis. Dans la suite du travail, nous tenterons de justifier cette approche ainsi que les hypothèses qui sont émises dans le reste de l’analyse actantielle. Notons toutefois que cette « multipersonnalité » de l’individu est un phénomène courant dans les rêves, utilisé pour déjouer la censure créée par les résistances internes de l’individu.
2. Le DESTINATAIRE
Si l’on admet que Guy de Maupassant est présent dans sa nouvelle par l’intermédiaire des principaux personnages masculins, le Destinataire (qui reçoit du Sujet, Guy de Maupassant, l’Objet, défini ci-dessous) est alors sa mère, Laure de Maupassant qui, comme on le verra plus loin, se manifeste d’abord à travers l’épouse de l’ami de jeunesse du marquis, récemment décédée, puis à travers l’apparition elle-même. Il reste maintenant à préciser la nature de l’Objet transmis par le Sujet, Guy de Maupassant, à sa mère, qui en est le Destinataire.
3. L’OBJET
Pour définir cet Objet, il est nécessaire d’analyser séparément les trois personnages masculins qui constituent le Maupassant Sujet, ainsi que leur relation avec le Destinataire, Laure de Maupassant.
a. L’ami de jeunesse du marquis et son épouse
Reprenons dans un premier temps la définition du complexe d’Oedipe, telle qu’elle est donnée par Jean Laplanche et J.-B. Pontalis : « Ensemble organisé de désirs amoureux et hostiles que l’enfant éprouve à l’égard de ses parents (…) Le complexe se présente comme dans l’histoire d’Oedipe-Roi : désir de la mort de ce rival qu’est le personnage du même sexe et désir sexuel pour le personnage du sexe opposé. » (34)
Ce désir Oedipien, dans le cas qui nous occupe, celui de Maupassant envers sa mère, Laure, est clairement exposé lorsque nous est présentée dans « Apparition » la relation entre l’ami de jeunesse du marquis et son épouse. On y lit : « Devenu follement amoureux d’une jeune fille, il (l’ami de jeunesse du marquis) l’avait épousée dans une sorte d’extase de bonheur« . Ce mariage très réussi débute alors dans une « félicité surhumaine » et une « passion inapaisée » (46-48). Les mots choisis par Maupassant expriment d’une manière heureuse le lien privilégié qui unit, durant la période oedipienne, l’enfant, ici Maupassant lui-même, à sa mère.
Nous essaierons plus loin d’analyser les raisons conduisant malgré tout à l’échec de cette idylle, qui se termine par la mort soudaine de l’épouse de l’ami du marquis (49). Pour l’instant, on se bornera à constater que l’Objet que le Sujet (ami de jeunesse du marquis/Maupassant enfant) transmet au Destinataire (épouse de l’ami du marquis/Laure de Maupassant) est le désir amoureux qui unit l’enfant à sa mère, en période oedipienne.
b. Le marquis et l’apparition
Dans la relation entre le marquis et l’apparition, l’Objet est, comme précédemment, le désir oedipien de l’enfant, c’est-à-dire celui de Maupassant envers sa mère. Cela transparaît, entre autre, aux lignes 207-210 où l’on peut lire . « Et elle (l’apparition), s’assit doucement dans mon fauteuil (celui du marquis). Elle me regardait : « Voulez-vous ? » Je fis « Oui ! » de la tête, ayant encore le voix paralysée. »
Cette relation se termine cependant d’une manière abrupte, puisque l’apparition s’enfuit sans donner d’explication. On remarque ainsi que les deux transpositions de la relation entre Maupassant enfant et sa mère prennent fin d’une manière négative, d’abord avec la mort soudaine de l’épouse de l’ami du marquis, puis avec la fuite inattendue de l’apparition.
c. Le vieux marquis de la Tour-Samuel
On relèvera enfin le rôle particulier joué par le vieux marquis. Ce personnage est sans doute un moyen technique que Maupassant utilise pour pouvoir relater plus facilement un récit chargé émotionnellement, en l’occurrence la relation oedipienne avec sa mère. Le vieux marquis, à 82 ans, n’est en effet plus tourmenté (ou moins tourmenté) par les exigences pulsionnelles et peut donc sans trop de précautions parler de ses problèmes émotionnels d’enfance. Il affirme d’ailleurs avant de débuter son récit : « Oh ! je n’aurais pas avoué cela avant d’être arrivé à l’âge où je suis. Maintenant je peux tout vous dire. » (19-20)
4. Le Destinateur
ll s’agit ici d’étudier la force qui pousse le Sujet (Maupassant enfant) à transmettre l’Objet (l’amour oedipien) au Destinataire (sa mère). A cet égard, on peut citer un extrait de Freud : « Les forces dont l’action met en mouvement l’appareil psychique (…) expriment les grands besoins corporels. Nous appelons ces besoins corporels (…), « Triebe” (instincts ou pulsions) . Et que veulent ces instincts ? La satisfaction, c’est-à-dire que soient amenées des situations dans lesquelles les besoins corporels puissent s’éteindre. La chute de la tension du désir est ressentie, par l’organe de notre perception consciente, comme un plaisir: une croissance de cette même tension comme un déplaisir. De ces oscillations naît la suite des sensations « plaisir-déplaisir » qui règle l’activité de tout l‘appareil psychique. » (35)
Si l’on se réfère à cet extrait, on peut alors considérer que dans « Apparition » le Destinateur équivaut aux forces pulsionnelles qui à travers l’amour oedipien de l’enfant envers sa mère cherchent à être satisfaites. On verra plus loin que chez Maupassant, du fait de complications survenues dans la relation avec sa mère, ces forces pulsionnelles ne pourront obtenir entièrement satisfaction, ce qui engendre, comme l’explique Freud, tension et déplaisir.
B) LES ADJUVANTS ET LES OPPOSANTS
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Laure de Maupassant, Adjuvante et Opposante
Cette deuxième partie de l’analyse actantielle tentera de cerner les forces et les personnages qui facilitent la transmission de l’Objet (l’amour oedipien), du Sujet (Maupassant enfant) au Destinataire (mère de Maupassant) (ces forces et ces personnages sont des Adjuvants), et les forces et les personnages qui s’y opposent (les Opposants).
On se concentrera donc à nouveau sur les deux relations que nous avons déjà en partie analysées plus haut, celle de l’ami de jeunesse avec son épouse et celle du marquis avec l’apparition. Cela nous permettra de constater une similitude troublante entre elles : dans les deux cas, le personnage féminin qui représente la mère de Maupassant (l’épouse de l’ami du marquis et l’apparition), joue un double rôle, celui d’Adjuvant et celui d’Opposant.
L’épouse de l’ami du marquis est en effet Adjuvante puisque c’est elle qui offre à son époux une « extase de bonheur » et une « félicité surhumaine » (47-48). Mais elle est également Opposante car, par sa mort soudaine, elle rompt cette relation idyllique (49). De même, l‘apparition est Adjuvante lorsqu’elle tend le peigne au jeune marquis pour qu’il lui brosse les cheveux et la guérisse de ses douleurs (211-214). Puis elle devient Opposante. lorsqu’elle lui arrache ce peigne des mains et s’enfuit sans explication (228-230).
Comment expliquer l’ambiguité de ces deux relations avec la mère qui, à travers l’épouse de l’ami de jeunesse du marquis et l’apparition, semble dans un premier temps accepter I’amour oedipien de son fils, puis le rejeter brusquement ? Pour cela nous devons nous référer aux concepts développés par Mélanie Klein où celle-ci rend compte des conflits qui naissent inévitablement entre les désirs de l’enfant envers sa mère et la satisfaction nécessairement partielle qu’il en obtient.
2. Mélanie Klein : amour, haine et besoin de réparation
Dans le chapitre qui suit vont être présentées les grandes lignes de la démarche psychanalytique de Mélanie Klein. Cela nous permettra, dans un premier temps, d’élucider l’énigme du personnage de la mère dans « Apparition« , à la fois Adjuvante et Opposante, et nous aidera ensuite à approfondir l’analyse du texte.
A propos du rôle qu’a joué Mélanie Klein dans l’évolution de la psychanalyse, on peut citer Nicolas Abraham et Maria Tarok : « La plus grande figure de la psychanalyse après Freud : tel est le titre que, des adeptes aux adversaires, tous les psychanalystes, ou à peu prés, s’accordent pour reconnaître à Mélanie Klein (…). Si Freud centrait ses recherches sur l’Oedipe, (…) Mélanie Klein, elle, les complète par l’étude des conflits plus précoces (…). » (35)
Comme point de départ à la présentation de Mélanie Klein, on reprendra un extrait, déjà en partie cité plus haut (voir « Oeuvre de Guy de Maupassant« , sous « Guy de Maupassant psychanalysé« ), où celle-ci évoque les désirs et les frustrations du bébé à l’égard de sa mère : « Le premier objet d’amour et de haine du bébé, sa mère, est à la fois désiré et haï de toute l’intensité et de toute la force qui sont caractéristiques de ses besoins primitifs. Tout au début, il aime sa mère au moment où celle-ci satisfait son besoin d’être nourri, lorsqu’elle soulage sa faim et qu’elle lui donne ce plaisir sensuel qu’il éprouve quand sa bouche est stimulée par la succion du sein. Cette satisfaction est un élément essentiel de la sexualité de l’enfant : il s’agit en fait de son expression initiale. Lorsque cependant le bébé a faim et que ses désirs ne sont pas satisfaits, ou bien lorsqu’il éprouve une douleur physique ou de l’inquiétude, la situation change brusquement. Haine et agressivité s’éveillent. Le bébé est alors dominé par des tendances à détruire la personne même qui est l’objet de ses désirs et qui, dans son esprit, est étroitement liée à tout ce qu’il éprouve, le bon comme le mauvais.“ (37) Mélanie Klein poursuit plus loin : « Ces fantasmes de destruction sont équivalents à des souhaits de mort; une de leurs particularités, très importante, c’est que le bébé éprouve le sentiment que ce qu‘il désire dans ses fantasmes est vraiment arrivé : c’est-à-dire qu’il a le sentiment d’avoir réellement détruit l’objet de ses pulsions destructrices et de continuer à le détruire. » (38)
L’agressivité que Ie bébé ressent envers sa mère du fait de ses désirs frustrés ne reste cependant pas sans conséquence : le bébé craint en effet que sa mère ne cherche à le punir de ses pulsions agressives envers elle, comme le précise Mélanie Klein : « Les tendances agressives, stimulées et renforcées par la frustration, transforment, dans la pensée de l’enfant, les victimes de ses fantasmes agressifs en figures meurtries et vengeresses qui le menacent d’attaques sadiques identiques à celles qu’il lance contre ses parents. » (39)
D’autre part, les impulsions agressives que le bébé ressent à l’égard de sa mère engendrent également chez lui un fort sentiment de culpabilité que Mélanie Klein évoque de la façon suivante . « Nous savons tous que si nous décelons en nous-mêmes des pulsions de haine à l’égard d’une personne que nous aimons, nous éprouvons un sentiment d’inquiétude ou de culpabilité. Ainsi que Coleridge l’exprime : « (…) la colère contre l’être aimé torture l’esprit comme la démence. » (40)
Les sentiments de culpabilité que l’enfant éprouve dans la relation avec sa mère deviennent rapidement insupportables. Pour contrer leurs effets, il n’a alors d’autre ressource que d’essayer de réparer, par l’intermédiaire de fantasmes, le tort qu’il croit avoir occasionné à sa mère. Mélanie Klein écrit à ce sujet : « Le corollaire essentiel de l’angoisse, de la culpabilité et des sentiments dépressifs est le besoin de réparation. Poussé par sa culpabilité, le petit enfant est contraint de détruire l’effet de ses tendances sadiques par des moyens libidinaux (…). Les fantasmes réparateurs constituent, même dans les plus petits détails, l’inverse des fantasmes sadiques; au sentiment de toute-puissance sadique correspond un sentiment de toute-puissance réparatrice. Par exemple, l’urine et les fèces sont des agents destructeurs lorsque l’enfant éprouve de la haine (…). Mais lorsqu’il se sent coupable et qu’il est amené à faire réparation, les « bons » excréments se transforment dans son esprit en moyens de réparer les dommages faits par ses excréments « dangereux« . (41)
Dès lors, c’est cette impulsion à la réparation qui, si elle est satisfaite, redonne la tranquilité à l’enfant, tranquilité que son agressivité envers la mère avait momentanément ébranlée. Mélanie Klein poursuit : »(…) Par le besoin de réparation, le petit enfant pense que l’objet blessé peut être réparé, que le pouvoir de ses propres tendances agressives est réduit, que ses tendances d’amour peuvent se déployer, et que sa culpabilité peut s’apaiser. » (42)
Après ces explications données par Mélanie Klein, on comprend mieux pourquoi la mère de Maupassant est présentée dans « Apparition » à la fois comme Adjuvante et comme Opposante dans la relation oedipienne avec son fils : elle est Adjuvante dans la mesure où elle est source des désirs de son fils et satisfait une partie de ces désirs (l’épouse de l’ami du marquis, qui offre à son mari une « félicité surhumaine »; l’apparition qui donne un peigne au marquis pour que celui-ci lui brosse les cheveux et la guérisse de ses maux). Mais la mère de Maupassant est aussi Opposante car les désirs de l’enfant ne sont pas entièrement satisfaits (la mort de l’épouse de l’ami du marquis; le retrait du peigne par l’apparition et sa fuite), ce qui suscitera chez lui d’intenses réactions, comme nous allons l’analyser dans le chapitre suivant.
MELANIE KLEIN ET LA RELATION ENFANT-MERE DANS « APPARITION » LA REPETITION D’UN TRAUMATISME
Afin de compléter l’analyse actantielle que nous venons de présenter et pour préparer le chapitre consacré à la structure sous-jacente d »Apparition”, nous pouvons maintenant tenter de retrouver les différentes étapes du schéma kleinien dans le texte de Maupassant.
Les étapes de ce schéma, que nous avons étudié dans le chapitre précédent, peuvent être résumées de la façon suivante :
- les désirs de l’enfant : l’enfant éprouve des désirs à l’égard du premier objet, le sein maternel. (43)
2. la frustration : une partie de ces désirs sont frustrés lorsque la mère interrompt l’allaitement, momentanément ou définitivement, lors du sevrage.
3. l’agressivité : l’enfant réagit à cette frustration par une forte agressivité contre l’objet désiré qui lui est refusé (le sein maternel).
4. la crainte : l’enfant craint que la victime de son agressivité (la mère dans notre exemple), ne cherche à se venger et à le punir.
5. la culpabilité : l’enfant pense avoir détruit, par ses pulsions agressives, l’objet désiré (le sein maternel), ce qui engendre chez lui un puissant sentiment de culpabilité.
6. Ie désir de réparation : la culpabilité pousse l’enfant à tenter de réparer, par des processus psychologiques, l’objet qu’il croit avoir détruit (le sein maternel). Si cette démarche est couronnée de succès, un nouvel équilibre est alors créé, cet objet (souvent appelé « le bon objet“ par Mélanie Klein) étant définitivement intégré dans le psychisme de l’enfant, ce qui lui permet de passer à l’étape suivante du complexe oedipien. (44)
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Désirs, frustration et culpabilité : l’ami de jeunesse du marquis et son épouse
Les étapes des désirs, de la frustration et de la culpabilité apparaissent clairement dans la relation ami de jeunesse du marquis-épouse (46-54).
Les désirs de l’enfant se manifestent à travers l’amour immodéré du jeune homme à l’égard de son épouse. Mais, comme le suggère le schéma kleinien, les désirs démesurés du jeune homme/Maupassant enfant, ne peuvent être totalement satisfaits et sont en conséquence frustrés par la disparition de l’objet aimé, l’amante/mère de Maupassant.
Le jeune homme se retire alors dans son château, éperdu de douleur, angoissé à l’idée que son amour excessif ait pu causer la disparition de l’amante, tel l’enfant qui craint, par son agressivité, avoir détruit l’objet de ses désirs.
Voici l’extrait en question : « Devenu follement amoureux d’une jeune fille, il (l’ami de jeunesse du marquis-Maupassant enfant) l’avait épousée dans une sorte d’extase de bonheur. Après un an d’une félicité surhumaine et d’une passion inapaisée, elle était morte subitement d’une maladie de coeur, tuée par l’amour lui-même, sans doute. Il avait quitté son château le jour même de l’enterrement, et il.était venu habiter son hôtel de Rouen. Il vivait là, solitaire et désespéré, rongé par la douleur, si misérable qu‘il ne pensait qu‘au suicide. » (46-54)
2. La crainte de la mère et l’échec des désirs de réparation : le marquis et l’apparition
Comme nous avons vu plus haut, les impulsions agressives du bébé, mécontent de voir ses désirs frustrés, provoquent chez lui un sentiment de culpabilité. Mais l’enfant craint également que la victime de ses impulsions agressives, sa mère, ne cherche à se venger. Ceci induit chez lui un fort sentiment de crainte. Cette peur-panique de la mère est explicitée dans l’épisode de l’apparition, notamment à partir de la ligne 177. On y lit : « Une grande femme (l’apparition) vêtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil où j’étais assis une seconde plus tôt. Une telle secousse me courut dans les membres que je faillis m’abattre à la renverse ! Oh l personne ne peut comprendre, à moins de les avoir ressenties, ces épouvantables et stupides terreurs. L’âme se fond; on ne sent plus son coeur; le corps entier devient mou comme une éponge, on dirait que tout l’intérieur de nous s’écroule. »
L’angoisse du marquis apparaît encore en maints endroits durant l’épisode de l’apparition (198-199, par exemple : « car je vous assure que, dans l’instant de l’apparition, je ne songeais à rien. J’avais peur. »); et surtout, on peut se demander si ce n’est pas la crainte de la vengeance de la mère qui angoisse le marquis lorsqu’il s’apprête à brosser les cheveux de l’apparition, le forçant ainsi à créer une représentation rassurante par l’intermédiaire des cheveux transformés en serpents, symbole phallique de lutte contre la peur de la castration. (45) Ce passage débute à la ligne 215 : « Ses cheveux (ceux de l’apparition) dénoués, très longs, très noirs, me semblait-il, pendaient par-dessus le dossier du fauteuil et touchaient Ia terre. Pourquoi ai-je (« je » se référe au marquis) fait ceci ? Pourquoi ai-je reçu en frissonnant ce peigne, et pourquoi ai-je pris dans mes mains ses longs cheveux qui me donnèrent à la peau une sensation de froid atroce comme si j’eusse manié des serpents ? Je n’en sais rien. »
Il est à noter également, qu’une fois que le marquis-Maupassant enfant a commencé à brosser les cheveux de l’apparition, son angoisse diminue progressivement, probablement apaisée par le caractère pacifique de la mère qui ne cherche pas à le punir. Ainsi, celui-ci devient plus audacieux et, après avoir saisi avec appréhension la chevelure de « glace », il la tord, la renoue, la dénoue, Ia tresse, « comme on tresse la crinière d’un cheval”, alors que l’apparition, visiblement satisfaite, soupire, penche la tête et semble heureuse (224-227). Que se passe-t-il ? Conformément au schéma kleinien, l’enfant paraît tenter, en brossant les cheveux de sa mère, de réparer le mal qu‘il craint lui avoir fait, de la « guérir ». N’oublions pas en effet les paroles de l’apparition qui dit plus haut dans le texte :
« Peignez-moi, oh ! peignez-moi, cela me guérira; il faut que l’on me peigne. Regardez ma tête … Comme je souffre; et mes cheveux comme ils me font mal ! “ (212-215)
Malheureusement, l’apparition rompt le fragile équilibre créé, puisque, brusquement et sans explication, elle retire le peigne des mains du marquis, détruisant ainsl chez l’enfant tout espoir de réparer le mal qu’il croit lui avoir fait. (46)
3. L’agresslvité : le marquis et le jardinier
Si l’on n’a pas mentionné jusqu’ici l’étape kleinienne de l’agressivité de l’enfant à l’égard de se mére, agressivité résultant de la frustration de ses désirs, c‘est parce que celle-ci n’apparaît pas clairement, comme les autres éléments du schéma, dans les relations ami du marquis-épouse ou marquis-apparition. L‘agressivité se manifeste auparavant, dans la conversation entre le marquis et le jardinier, de la ligne 107 à la ligne 136. Les termes utilisés par le marquis sont éloquents et témoignent abondamment de son animosité à l’égard du jardinier : lignes 119-120 : « Parbleu ! Mais est-ce que vous auriez l’intention de m’interroger, par hasard ? »; lignes 126-127 : « Ah ! ça, voyons, vous fichez-vous de moi ? »; lignes 134-135 : « Maintenant, taisez-vous, n’est-ce pas ? ou vous aurez affaire à moi. »
Finalement, le marquis, excédé, s’emporte et écarte violemment le jardinier, qui tente de le dissuader d’entrer dans la chambre où a vécu l’épouse de l’ami de jeunesse, récemment décédée (136).
Pourquoi cette agressivité du marquis-Maupassant enfant se marque-t-elle à l’égard du jardinier, plutôt qu’à l’égard de l’épouse de l’ami du marquis ou de l’apparition? Probablement parce qu’il s’agit là d’un sujet douloureux, qu’inconsciemment le Maupassant écrivain, pris de remords, refoule fortement et n’ose pas introduire directement dans la relation mère-fils, comme cela s‘est passé dans la réalité.
Ce puissant refoulement de l’agressivité, et l’échec de la réparation, tel qu’il nous a été présenté dans la relation marquis-apparition, constitueront dès lors le coeur de la névrose au sens kleinien, que la cure analytique devra restituer à la conscience du patient et élaborer, comme l’expliquent Nicolas Abraham et Maria Torok : « L’objectif de la cure (pour Mélanie Klein), se définit avec une remarquable simplicité : développer l’aptitude à réparer le bon objet (ce que l’enfant ne peut faire correctement tant que les sentiments de culpabilité et de crainte sont trop forts) et, conjointement, élaborer par le transfert (sur la personne de l’analyste) des pulsions agressives jusque là projetées ou refoulées,” (47)
Mélanie Klein explicite cela d’une manière plus précise dans un texte paru en 1950, « Sur les critères à utiliser pour mettre fin à une psychanalyse« , définissant par la même occasion deux termes essentiels de sa théorie : la position schizoparanoïde et la position dépressive. Elle écrit : « Mes travaux sur le développement des enfants en bas âge m’ont permis de distinguer deux formes d’angoisse : l’angoisse de la persécution (…), qui est à la source de la « position schizoparanoïde » et l’angoisse dépressive (…), à l’origine de la « position dépressive » (…). L’angoisse de la persécution est liée principalement aux dangers perçus comme menaçant le sujet (c’est-à-dire l’enfant); l’angoisse dépressive, aux dangers perçus comme menaçant l’objet aimé, en premier lieu par l’agression du sujet lui-mème (…). La crainte d’être dévoré, d’être empoisonné, d’étre castré, la crainte d’attaques contre « l’intérieur’ de son corps , appartiennent à l’angoisse de la persécution (…). Le sentiment de culpabilité, lié à l’angoisse dépressive, se réfère aux dommages causés par les désirs cannibales et sadiques (de l’enfant). La culpabilité donne naissance au désir de réparation de l’objet aimé ainsi endommagé (…), désir qui approfondit le sentiment d‘amour et facilite les relations objectales (…). Selon ma thèse, la condition préalable pour un développement normal est que tant les angoisses de la persécution que les angoisses dépressives aient été amplement réduites et modifiées. En conséquent (…), le problème de la finalisation des analyses d’enfants et d’adultes peut se définir ainsi : il faut que l’angoisse de la persécution et l’angoisse dépressive aient été suffisamment réduites.“ (48)
4. La petite Rita
Afin d’illustrer les concepts psychanalytiques élaborés par Mélanie Klein et que l’on a repris pour l’étude d »Apparition« , le cas de la petite Rita va maintenant être présenté. On verra que dans cette analyse, Mélanie Klein reprend fidèlement les étapes que nous avons énoncées au début de ce chapitre (désirs-frustrationagressivité-culpabilité-crainte-désir de réparation).
Mélanie Klein débute par une description du comportement de Rita : « Rita avait deux ans et neuf mois au début de son analyse . Elle avait des angoisses diverses, était incapable de supporter les frustrations et se sentait souvent très malheureuse. Elle passait d’une « bonté“ exagérée, accompagnée de remords, à des accès de « méchanceté » où elle essayait de dominer les personnes de son entourage (…). Elle pleurait souvent, sans raison apparente. Sa culpabilité et sa détresse s’exprimaient dans les questions incessantes qu’elle posait à sa mère : “Est-ce que je suis gentille ? « Est-ce que tu m’aimes ? Elle ne supportait aucun reproche et lorsqu’on la réprimandait, elle fondait en larmes ou prenait une attitude de défi (…). Bien qu’elle fût très intelligente, le développement et l’intégration de sa personnalité étaient entravés par la force de sa névrose.“ (49)
Mélanie Klein analyse le comportement de Rita de la façon suivante : « Les sentiments dépressifs de Rita étaient un des traits marquants de sa névrose. Elle avait des accès de tristesse, pleurait souvent sans raison, demandait sans cesse à sa mère si celle-ci l’aimait : c’étaient là les signes de ses angoisses dépressives. L’origine de ces angoisses se trouvaient dans son rapport aux seins de sa mère. Ses fantasmes sadiques, dans lesquels elle avait attaqué le sein et le corps maternel tout entier, avaient entraîné chez Rita une peur qui la dominait et agissait profondément sur sa relation avec sa mère. D’une part, elle aimait sa mère comme un objet indispensable et bon, et se sentait coupable de l’avoir mise en péril par ses fantasmes agressifs; d’autre part, elle la détestait et la redoutait en tant que mauvaise mère persécutrice : elle avait peur qu’une mére vengeresse n’attaquât son corps (…). Rita était incapable d’affronter ces angoisses aiguës. »
Mélanie Klein poursuit : « Un épisode tiré de la partie initiale de son analyse est significatif à cet égard. Elle griffonnait avec vigueur sur une feuille de papier qu’elle noircit tout entière. Elle la déchira ensuite en petits morceaux qu’elle jeta dans un verre d’eau, et approcha le verre de sa bouche, comme pour boire. Elle s’arrêta alors et dit à mi-voix : « Femme morte ». Une autre fois, elle fit les mêmes gestes et prononça les mêmes paroles. » Mélanie Klein interprète ainsi cet épisode : « Le papier noirci, déchiré et jeté dans l’eau représentait sa mère, détruite par des moyens oraux, anaux (les excréments) et urétraux (les urines). » (50)
Du fait du tort qu’elle croit avoir fait à sa mère, Rita se voit obligée, pour contrer ses fortes angoisses dépressives, de tenter de réparer ses pulsions destructrices. Mais cela a également comme conséquence de fausser la relation avec son père. Mélanie Klein explique : « La relation de Rita à son père dépendait largement des situations d’angoisse centrées sur sa mère (…). Ces angoisses qui, un peu plus tôt, avaient détérioré sa relation avec sa mère, jouaient un rôle important dans l’échec du développement oedipien . Elles avaient pour effet de renforcer son désir de posséder un pénis (celui du pére). Rita pensait en effet que le seul moyen de réparer les dommages faits à sa mère et de remplacer les bébés que dans ses fantasmes elle lui avait volés, était de posséder un pénis à elle, qui lui permettrait de donner des enfants à sa mère (…). »
Heureusement, grâce à l’analyse faite par Mélanie Klein, Rita parvient progressivement à élaborer et à dépasser les conflits qui jusqu’alors la tourmentaient : « A mesure que les angoisses (de Rita) décrurent, elle devint capable de supporter ses désirs oedipiens et put parvenir progressivement à une attitude féminine et maternelle. Vers la fin de son analyse, la relation de Rita avec ses parents et son frère s’était améliorée (…); son ambivalence à l’égard de sa mère diminue, et des rapports plus stables et plus amicaux s’établirent entre elles. » (51)
5. L’expérience traumatique dans « Apparition«
Le but de ce chapitre, où l’on a abondamment utilisé et commenté l‘oeuvre de Mélanie Klein, était d’étayer une des hypothèses de base de ce travail : à savoir que dans « Apparition« , les relations ami du marquis-épouse et marquis-apparition. sont des répétitions inconscientes de la part de Maupassant d’une expérience traumatique qu’il a vécue dans son enfance, dans sa relation avec sa mère; et que cette expérience traumatique provient, en tout cas en partie, du fait que Maupassant, étant enfant, n‘est pas parvenu à gérer d’une manière satisfaisante sa position schizo-paranoïde (qui se manifeste par la crainte de la vengeance de la mère) et sa position dépressive (caractérisée par la culpabilité issue de l’agressivité dirigée contre la mère).
Si l‘on admet cette hypothèse, on peut alors faire ressortir une nouvelle structure d »Apparition« , sous-jacente, qui complète le découpage séquentiel fait plus haut. (52)
STRUCTURE SOUS-JACENTE D »APPARITION«
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La répétition d’une expérience traumatique, vue par Freud
Pour dégager la structure sous-jacente d »Apparition« , nous devons nous référer à un texte de Freud, où sont distinguées les différentes phases qui surviennent lors de la répétition d’une expérience traumatique. Freud écrit : « Lorsque l’on a vécu un traumatisme, on prête attention à l’approche de situations analogues, et on signale le danger par une répétition abrégée des impressions ressenties au cours du traumatisme, par un affect d’angoisse. Cette réaction à la perception du danger introduit alors une tentative de fuite, qui exercera une action salvatrice jusqu’à ce qu’on soit suffisamment affermi pour affronter ce qu’il y a de dangereux dans le monde extérieur, d’une façon plus active. » (53)
A partir de cet extrait, on peut distinguer trois étapes lors de la répétition d’une expérience traumatique :
(1) Le sujet perçoit l’approche d’une situation où le traumatisme va se répéter et, sous l’effet de l’angoisse, signale ce danger par une répétition abrégée des impressions ressenties lors du traumatisme.
(2) La répétition du traumatisme
(3) Le sujet, incapable de gérer cette situation, tente de s’en éloigner par la fuite.
Si nous revenons maintenant au texte d »Apparition« , qui est rappelons-le, selon l’hypothèse de ce travail, la répétition d’une expérience traumatique vécue par Maupassant dans son enfance, nous pourrons constater que l’on peut y retrouver les trois phases décrites par Freud.
2. Structure sous-jacente d »Apparition«
a. La répétition du traumatisme
Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’épisode central d »Apparition”, celui de la rencontre entre le marquis et l’apparition, constitue, selon l’hypothèse de ce travail, la répétition d’un traumatisme dont Maupassant a été victime dans son enfance (159-230). La division en deux sous-séquences que nous avions faite dans l’analyse séquentielle ne se justifie plus ici, puisque c’est toute la rencontre entre le marquis et l’apparition qui constitue une transposition du traumatisme infantile de Maupassant.
b. L’annonce du danger et la répétition abrégée du traumatisme
L’approche du danger que représente pour le marquis la rencontre avec l’apparition, (la répétition du traumatisme), est déjà annoncée au début du texte, par le vieux marquis de la Tour-Samuel, qui avoue n’avoir jamais osé raconter son aventure auparavant, tellement elle l’a effrayé (8-34); puis par les hésitations du marquis, sur le point de rebrousser chemin lorsqu’il constate que son ami a cacheté la lettre qu’il lui a remise (96-102); et enfin par le jardinier du manoir, dont les mises en garde visent à dissuader le marquis de pénétrer dans la chambre de son ami (103-136).
Le danger est en outre signalé par la relation ami de jeunesse du marquis-épouse (46-54). Cette relation est une première répétition abrégée de l’expérience traumatique vécue par Maupassant dans son enfanœ, qui a pour but. comme l’explique Freud, d‘annoncer une répétition plus élaborée et plus menaçante, celle de la relation marquis-apparition. Ceci explique que ces deux relations, ami du marquis-amante, marquis-apparition, se terminent d’une manière identique, avec la disparition soudaine du personnage féminin.
Cette section de l‘annonce du danger, qui constitue une approche prudente vers la répétition de l’expérience traumatique, commence donc au début du texte et fait place, dès la ligne 158, à la deuxième section, celle de la rencontre entre Ie marquis et l’apparition.
c. la fuite
La fuite, qui est la conséquence de l’incapacité du marquis-Maupassant enfant, à gérer le traumatisme né dela relation avec l’apparition-mère, se manifeste immédiatement après la disparition de l’apparition. Le marquis, pris de panique, s’enfuit du manoir et ne s’arrête que lorsqu’il parvient à un lieu qui le calme, sa chambre, où il s’enferme. Le passage en question est le suivant (237-246) :
« Alors une fièvre de fuite m’envahit, une panique, la vraie panique des batailles. Je saisis brusquement les trois paquets de lettres sur le secrétaire ouvert; je traversai l’appartement en courant, je sautai les marches de l’escalier quatre par quatre, je me trouvai dehors, je ne sais par où, et, apercevant mon cheval à dix pas de moi, je l’enfourchai d’un bond et partis au galop.
Je ne m’arrétai qu’à Rouen, et devant mon logis. Ayant jeté la bride à mon ordonnance, je me sauvai dans ma chambre où je m’enfermai pour réfléchir. »
Mais la fuite se marque également par la disparition de l’ami de jeunesse du marquis-Maupassant enfant (257-270), ce qui équivaut probablement à un refoulement de l’expérience traumatique, puis à la fin du texte, par le retour au vieux marquis de la Tour-Samuel qui, on l’a vu plus haut, du fait de son âge avancé, constitue une figure rassurante pour Maupassant (276-277).
La section de la fuite débute donc immédiatement après la disparition de l’apparition, à la ligne 231, et se poursuit jusqu’à la fin du texte.
c. Analyse graphique de la structure sous-jacente d »Apparition«
Après ces considérations, nous pouvons maintenant représenter dans un graphique la structure sous-jacente d »Apparition« , comme nous l’avons fait dans le chapitre consacré à l’analyse séquentielle (voir page suivante). On constatera alors que, loin de s’opposer, ces deux schémas se complètent : la structure sous-jacente se superpose à la structure séquentielle.
Ceci met bien en évidence le fait que la structure séquentielle d »Apparition« , élaborée consciemment par Guy de Maupassant, est dépendante de sa structure sous-jacente, organisée par l’inconscient de l’auteur.
Conclusion
En conclusion de ce travail, rappelons la démarche que nous avons suivie dans l’analyse d »Apparition ».
Après avoir présenté quelques principes psychanalytiques élémentaires, nous avons étudié Ia structure séquentielle d »Apparition« . Nous nous sommes alors rendu compte que celle-ci semblait révéler des préoccupations inconscientes de l’auteur.
A travers l’analyse actantielle, et avec l’aide des concepts théoriques élaborés par Mélanie Klein, nous avons ensuite pu constater que dans « Apparition« , Maupassant, probablement, répétait inconsciemment un traumatisme vécu lors de son enfance, dans sa relation avec sa mère.
Enfin, avec l’aide de Freud, nous avons vu que la répétition inconsciente de cette expérienœ traumatique organisait la structure sous-jacente d »Apparition« .
Il serait maintenant intéressant d’étudier d’autres textes littéraires, en reprenant les outils proposés dans ce travail, afin de pouvoir juger si le modèle de structure sous-jacente développé (signalisation du danger que représente la répétition imminente d’un traumatisme, répétition abrégée de ce traumatisme du fait de l’angoisse, répétition du traumatisme, fuite due à l’incapacité de gérer cette situation) se retrouve ailleurs que dans « Apparition« . « La Gradiva » de Jensen, déjà analysée en partie par Freud (54) semblerait un texte particulièrement approprié, puisque la Gradiva est elle-même une apparition.
Pour terminer, à propos du déterminisme que semble révéler l’analyse psychanalytique, associant presque automatiquement les problèmes émotionnels infantiles à des troubles psychologiques et à des anomalies du comportement, on peut relever un extrait du “Grand Message d’Amour« . Ce petit ouvrage rapporte les conversations qu’aurait eues une religieuse catholique avec une voix divine, à la fin des années 60. Cette voix proclame : « Rien dans la vie de l’univers, pas plus que dans la vie de l’homme, n’est dû au hasard, tout parle d’amour. » (55)
***
NOTES
(1) FREUD, Sigmund, « Délire et rêves dans la Gradiva de Jensen » in Freud, Psychanalyse : textes choisis, Paris, PUF, 1963, pp.30-31.
Dans les citations, les éléments entre crochets sont des ajouts de ma part.
(2) FREUD, Sigmund, « Introduction à la psychanalyse”, Ibid., p.34.
(3) FRUD, Sigmund, « Moïse et le monothéisme« , Ibid., p.32.
(4) FREUD, Sigmund, « Cinq leçons sur la psychanalyse« , Ibid., pp.36-37.
(5) FREUD, Sigmund, « Moïse et le monothéisme » Ibid., p.32.
(6) FREUD, Sigmund, « Métapsychologie« , Gallimard, 1968, pp.50-52.
(7) FREUD, Sigmund., « De la fausse reconnaissance au cours du traitement psychanalytique » in FREUD, Sigmund, La technique psychanalytique, Paris, PUF, 1953, pp. 76-77.
(8) FREUD, Sigmund, « Ma vie et la psychanalyse“ in FREUD, Psychanalyse : textes choisis, op.cit., p.129.
(9) FREUD, Sigmund, « Abrégé de psychanalyse » in FREUD, Psychanalyse : textes choisis, op.cit., p.103.
(10) LAGACHE, Daniel, « La psychanalyse”, Paris, PUF, Collect. « Que sais-je ? » No 660, 1989, p.63.
Pour des compléments sur les principes de base de la psychanalyse voir cet ouvrage de Daniel Lagache.
(11) FREUD, Sigmund, « La question de l’analyse profane« , Paris, Gallimard, 1985, pp.75-76.
(12) LAPLANCHE, Jean et PONTALlS Jean-Bertrand, « Le complexe de castration » in LAPLANCHE, Jean et PONTALIS, J.-B., Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, PUF, 1968, pp. 77-78.
(13) Les extraits de Freud cités dans cette section consacrée aux angoisses de la castration chez le garçon sont tirés de FREUD, Sigmund, « L’organisation génitale infantile » (1923) », « La disparition du complexe d’Oedipe » (1923) » et « Sur la sexualité féminine » (1931) in FREUD, Sigmund, La vie sexuelle, Paris, PUF, 1969, pp. 112-116, 117-122 et 146.
(14) GRANT, Michael, « Myths of the Greeks and Romans« , New York, New American Library, 1986, p.204.
(15) FREUD, Sigmund, « Nouvelles conférences sur la psychanalyse » in FREUD, Sigmund, Psychanalyse : textes choisis, op.cit., p.163.
(16) Depuis Ia note 15, les extraits de Freud cités ont été tirés de FREUD, Sigmund, « La vie sexuelle« , op.cit., p.120 et FREUD Sigmund, « Le Moi et Ie ça » (1923), in FREUD, Sigmund, Essais de psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1981, pp.246-247.
(17) GREEN, André, « Le complexe de castration chez Freud« , in GREEN, André, Le complexe de castration, Paris. PUF, « Que sais-je ? » , p.43.
Pour des compléments sur le complexe de castration voir cet ouvrage d’André Green.
(18) Les extraits de Freud cités dans ce chapitre sur le complexe d’Oedipe chez la femme ont été tirés de FREUD, Sigmund, « La disparition du complexe d’Oedipe » (1923), « Quelques conséquences psychiques de la différence anatomique entre les sexes » (1925), « Sur la sexualité féminine » (1931), in FREUD, Sigmund, La vie sexuelle, op. cit., pp. 117-122, 123-132 et 139-155, ainsi que de FREUD, Sigmund, « La féminité » in FREUD, Sigmund, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Gallimard, Collect. « Folio », 1984, pp. 150-181.
Pour plus de précisions sur ce sujet, voir GREEN, André, « La sexualité féminine et le complexe de castration » in GREEN, André, Le complexe de castration, op. cit., pp. 107-116.
(19) SOPHOCLE, « Oedipe Roi« , traduction Paul Mazon, Paris, Société d’éditions Les Belles Lettres, 1972, p. 101.
(20) Ibid., p. 107.
(21) BANCQUART, Marie-Claire, « lndications chronologiques » in MAUPASSANT, Guy, Boule de suif, Paris, Le Livre de Poche, Albin Michel, 1984, p. 267.
(22) BONNEFIS, Philippe, « Biobibliographie » in MAUPASSANT, Guy, « Le Horla« , Paris, Le Livre de Poche, Albin Michel, 1993, pp. 206-207.
(23) BANCQUART, Marie-Claire, « Commentaires » in MAUPASSANT, Guy, Boule de Suif, op.cit., p. 240.
(24) BONNEFIS, Philippe, « Biobibliographie » in MAUPASSANT, Guy, « Le Horla« , op.cit., p. 207.
(25) FONYI, Antonia, « La nouvelle de Maupassant : le matériau de la psychose et l’armature du genre » in Colloque de Cerisy, Maupassant, Miroir de la nouvelle, op.cit., p. 75.
(26) HAASE-DUBOSC, Danielle, ”La mise en discours du feminin-sujet« , op.cit., p.134.
(27) KLElN, Mélanie, « L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation » (1937) in KLEIN, Mélanie et RIVIERE, Joan, L’amour et la haine : le besoin de réparation, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1973, pp. 76-77. Les concepts évoqués dans cet extrait seront encore précisés plus loin.
(28) HAASE-DUBOSC, Danielle, « La mise en discours du féminin-sujet« , op.cit., p. 134.
(29) Ibid., p. 137.
(30) GLAUDES, Pierre, « Le contre-texte« , Littérature, N° 90, mai 1993. p.93.
Pierre Glaudes commente dans cet extrait un texte de J. Bellemin-Noël. La référence donnée par Pierre Glaudes en est Ia suivante : BELLEMlN-NOEL, J., « Psychanalyse et pragmatique« , Critique, N° 420, mai 1982, p.416.
(31) FREUD, Sigmund, « La disposition à la névrose obsessionnelle » in FREUD, Sigmund, Névroses, psychoses et perversions, Paris. PUF, 1973, p.192.
(32) GREIMAS, Algidras-Julien, « Sémantique structurale« , Paris, Larousse. 1966. pp.176-181.
(33) FREUD, Sigmund, « Métapsychologie« , op.cit., p.125.
(34) LAPLANCHE, Jean et PONTALIS, J.-B., « Le complexe d’Oedipe » in LAPLANCHE, Jean et PONTALIS, J.-B., Vocabulaire de psvchanalvse, op.cit., p.79.
(35) FREUD, Sigmund, « Ma vie et la psychanalyse » in FREUD, Sigmund, Psychanalyse : textes choisis, op. cit., p.158.
(36) ABRAHAM ,Nicolas et TOROK, Maria, « Introduction à l’édition française » in KLElN, Mélanie, Essais de psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 1968, p. 7.
(37) KLEIN, Mélanie, « L’amour, la culpabilité et le besoin de réparation » (1937), in op.cit., pp. 76-77 .
(38) Ibid., p.80.
(39) KLEIN, Mélanie, « Le complexe d’Oedipe éclairé par les angoisses précoces » (1945) in KLEIN, Mélanie, Essais de psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 1967, p. 412.
(40) Ibid., p. 81.
(41) Ibid., pp. 413-414.
(42) Ibid., p. 414.
(43) J.-B. Pontalis définit l‘objet de cette manière : « Dans le registre psychanalytique (…), l’objet désigne ce par quoi la pulsion trouve sa satisfaction. » tiré de PONTALIS J.-B., « Nos débuts dans la vie selon Mélanie Klein« , in Après Freud, Paris, Gallimard, 1968. p. 195.
Mélanie Klein fait débuter le complexe d‘Oedipe beaucoup plus tôt que Freud. lors de l’allaitement, moment à partir duquel se déclenchent les conflits décrits plus haut. Pour Freud, par contre, le complexe d‘Oedipe ne débute véritablement qu’à partir de treize ans environ. C’est ce qui fera dire à Hanna Segal : « Freud découvre chez l’adulte l’enfant refoulé, Mélanie Klein découvre chez l’enfant ce qui était déjà refoulé, à savoir le nourrisson. » SEGAL Hanna, « Mélanie Klein: développement d’une pensée« , Paris, PUF, 1982, p. 45.
Pour une comparaison entre le complexe d’Oedipe tel qu’il est envisagé par Freud (présenté plus haut dans les sections « définition du complexe d’Oedipe », « Ie dépassement du complexe d’Oedipe », « le rôle du Surmoi“, « le complexe d’Oedipe chez la femme ») et l’analyse qu‘en fait Mélanie Klein, voir KLEIN Mélanie, « Le complexe d’Oedipe éclairé par les angoisses précoces« , op.cit., pp.419423.
Mélanie Klein précise au début de ce passage que son analyse du complexe d’Oedipe complète celle de Freud plutot qu’elle ne s’oppose à elle.
Pour plus de détails sur le rôle joué par l’allaitement et le sevrage dans le développement psychologique de l’enfant, voir KLEIN Mélanie, « A propos du sevrage » (1936) in KLEIN, Mélanie, Essais de psychanalyse (1921-1945), op.cit.
(44) L’intégration du « bon objet » dans le psychisme de l’enfant est étudiée par Mélanie Klein notamment dans KLEIN, Mélanie, « Notes sur quelques mécanismes schizoides » (1946) in KLEIN, Mélanie, HEIMAN Paula, lSAACS Susan, RIVIERE Joan, Développements de la psychanalyse, Paris, PUF, 1966, pp. 274-300. Elle y développe en outre les concepts, parfois complexes, d’introjection et de projection. J.-B. Pontalis apporte des commentaires et des critiques sur l’analyse que fait Mélanie Klein de ces concepts dans PONTALIS J.-B., « Nos débuts dans la vie selon Mélanie Klein“, op.cit., pp. 194-202.
Pour les problèmes que suscite chez l’adulte l’absence d’intégration du « bon objet » durant l’enfance et les sentiments d’envie que cela suscite chez lui, voir KLEIN, Mélanie, « Envie et gratitude » (1957) in KLEIN, Mélanie, Envie et gratitude et autres essais, Paris, Gallimard, 1968.
Voir en particulier les pages 46-49. Mélanie Klein explique : « La personne enviée (par celle qui n’a pas intégré le bon objet durant son enfance) possède ce qui est fondamentalement le bien le plus précieux et le plus désirable, à savoir un bon objet, ce qui signifie aussi avoir bon caractère et jouir d’une bonne santé mentale. »
Plus loin, Mélanie Klein poursuit en introduisant l’idée de la critique destructive, utilisée par les personnes envieuses à l’encontre de celles qui ont intégré le bon objet durant leur enfance : « La critique destructive (…) est sous-tendue par une attitude envieuse et destructrice à l‘égard du sein maternel (…). Nous retrouvons chez Chaucer des références fréquentes à cette médisance et à cette critique destructrice dont usent les sujets envieux. Chaucer décrit le péché de médisance comme résultant à la fois de l’incapacité de l’envieux à tolérer la bonté et la prospérité des autres, et de la satisfaction qu’il trouve dans leurs malheurs. Ce comportement (…) se retrouve chez “ celui qui loue son voisin, mais avec une mauvaise intention. car il ajoute toujours un mais suivi d’un reproche plus considérable que la louange qu’il prodigue. Si un homme est bon et dit des choses (ou les fait) dans une bonne intention, le médisant retournera toute cette bonté en vue de ses propres fins pernicieuses. Si d’autres disent du bien de cet homme, le médisant renchérira en disant plus de bien encore, mais il parlera aussitôt de quelqu’un qui est encore meilleur et dénigrera ainsi celui dont d’autres disent du bien. »
Mélanie Klein conclut : « L’individu qui peut se réjouir (…) du bonheur des autres ne souffre pas des tourments de l’envie (…). Quand Goethe écrit : « Celui qui peut réconcilier la fin de sa vie avec son commencement est le plus heureux des hommes », je suis tentée d’interpréter ce « commencement » comme étant la première relation heureuse à la mère qui, tout au long de sa vie, atténue la haine et l’angoisse, et continue a dispenser son réconfort et son appui au sujet âgé. Un enfant qui a pu instaurer son bon objet avec sécurité peut également trouver des compensations aux pertes et aux privations de l’âge adulte. Tout ceci (par contre) paraîtra comme quelque chose d’inaccessible à la personne envieuse, qui ne pourra jamais être satisfaite et verra en conséquence ses sentiments d’envie se renforcer. »
Mélanie Klein précise également que lors des traitements analytiques, si ceux-ci sont conduits avec succès, le sentiment d’envie fait place, chez le patient, à de la gratitude, qui lui permet d’avoir des relations plus positives avec son entourage. Voir à ce sujet KLEIN, Mélanie, « Envie et gratitude”, op.cit., pp. 50-52.
(45) Pour Mélanie Klein, la peur de la castration débute très tôt chez l’enfant. Celui-ci craint que, pour se venger de ses impulsions agressives. la mère ne cherche à le priver de son pénis.
Pour les cheveux transformés en serpents et leur caractère phallique rassurant, voir le mythe de la Méduse et l‘interprétation qu’en fait Freud dans « ‘La tête de Méduse » (1922) in FREUD, Sigmund, Résultats, idées, problèmes, tome II, Paris, PUF, 1985, pp. 49-50.
Freud écrit notamment dans ce texte : « (…) L’effroi devant la Méduse est donc effroi de la castration (…). Si les cheveux de la tête de la Méduse sont si souvent figurés par l’art comme des serpents, c’est que ceux-ci proviennent à leur tour du complexe de castration et, chose remarquable, si effroyables qu’ils soient eux-mêmes, ils servent pourtant, en fait, à atténuer l’horreur, car ils se substituent au pénis dont l’absence est la cause de l’horreur. »
(46) Sur le question de la chevelure, voir également une autre nouvelle de Maupassant, « La chevelure » précisément : la découverte d’un reste de chevelure de femme, dans un vieux meuble, permet au personnage principal (incarcéré depuis lors comme étant atteint de folie érotique et macabre) de recréer l’lmage d’une femme idéale, qui l’accompagne d’une manière obsessive dans ses nuits.
En voici un extrait : « Une nuit je (le personnage principal) me réveillai brusquement avec la pensée que je ne me trouvais pas seul dans ma chambre. J’étais seul pourtant. Mais je ne pus me rendormir; et comme le m’agitais dans une fièvre d’insomnie, je me levai pour aller toucher la chevelure. Elle me parut plus douce que de coutume, plus animée. Les morts reviennent-ils ? Les baisers dont je la réchauffais me faisaient défaillir de bonheur; et je l’emportai dans mon lit, et je me couchai, en la pressant sur mes lèvres, comme une maîtresse qu’on va posséder.
Les morts reviennent ! Elle est venue. Oui, je l’ai vue, je l’ai tenue, je l’ai eue, telle qu’elle était vivante autrefois, grande, blonde, grasse, les seins froids, la hanche en forme de lyre; et j‘ai parcouru de mes caresses cette ligne ondulante et divine qui va de la gorge aux pieds en suivant toutes les courbes de sa chair.
Oui, je l‘ai eue, tous les jours, toutes les nuits. Elle est revenue, la Morte, la belle Morte, l’Adorable, la Mystérieuse, l’inconnue, toutes les nuits. Mon bonheur fut si grand, que je ne l‘ai pu cacher. J‘éprouvais près d’elle un ravissement surhumain, la joie profonde, inexplicable de posséder l’lnssaisissable, l’Invisible, la Morte ! Nul amant ne goûte des jouissances plus ardentes, plus terrible ! » MAUPASSANT, Guy, « La chevelure« , in MAUPASSANT, Guy, Boule de suif, Paris, Albin Michel, 1984, pp. 118-119. Ce récit est paru pour la première fois en 1884. soit un an après “Apparition« .
Pour les cas de fétichisme tels ceux que semble décrire Maupassant dans « La chevelure« , voir FREUD, Sigmund, « Le fétichisme » (1927), in FREUD, Sigmund, La vie sexuelle, Paris. PUF, 1969, pp. 133-138.
Freud écrit (pp.133-f 35) : « Le fétiche est un substitut du pénis de la mère (…). Le processus est celui-ci : l’enfant s’est refusé à prendre connaissance de la réalité de la perception : la femme (et la mère) ne possèdent pas de pénis. Non, ce ne peut être vrai, car si la femme (et la mère) sont châtrées, une menace pèse sur la possession de son propre pénis à lui (…). Il n’est probablement épargné à aucun être masculin de ressentir la terreur de la castration, lorsqu’il voit l‘organe génital féminin, ce contre quoi se hérisse ce morceau de narcissisme (le fétiche, substitut du pénis de la mère) ( ..). Le fétiche demeure le signe d’un triomphe sur la menace de castration et une protection contre cette menace. »
(47) ABRAHAM, Nicolas et TOROK, Maria. op..cit.. p.14.
(48) traduit de KLEiN, Mélanie, « Sobre los criterios para la terminacion de un psicoanàlisis » (1950), in KLEIN, Mélanie, Obras completas. volumen tres : envidia y gratitud y otros trabajos, Barcelona, ediciones Paidos, 1988, pp. 52-54.
Dans ses travaux tardifs, surtout à partir de « Notes sur quelques mécanismes schizoides » (1946), Mélanie Klein distingue les positions schizo-paranoïde et dépressive. La position schizo-paranoïde débute, selon elle, à la naissance de l’enfant et se poursuit jusqu’au quatrième ou au cinquième mois; la position dépressive suit la position schizo-paranoïde, et se termine vers le huitième mois. Si les angoisses de persécution (dues à la crainte de la vengeance de la mère) sont trop fortes et empêchent l’enfant de dépasser sa position schizo-paranoïde.,celui-ci sera dès lors également dans l’incapacité de faire face d‘une manière appropriée aux angoisses dépressives de la position dépressive.
La séparation entre les phases schizo-paranoïde et dépressive n’est pas hermétique : le passage de l’une à l’autre est progressif et, durant un certain temps intermédiaire, les deux phases interagissent entre elles.
Durant la position schizo-paranoïde, le nouveau-né, dans sa relation avec la mère, divise l’objet, le sein maternel, en deux : le « bon objet ». qu’il cherche à intégrer à sa propre personnalité, et qui en facilitera la synthèse; le « mauvais objet », qui cherche à le punir de ses impulsions agressives et que le nouveau-né essaie d’isoler afin de mieux pouvoir s’en protéger. Pour faire face à l’angoisse que fait naître chez lui la crainte d’être puni par le « mauvais objet », le nouveau-né utilise alors des mécanismes de défense, qui seront présentés plus bas (le « ‘morcellememt » et l »idéalisation »).
A partir de la position dépressive l’enfant, dont la personnalité est mieux intégrée, considère comme objet la mère dans sa totalité, non plus seulement son sein comme auparavant. L’objet ne peut donc plus être partagé d‘une manière nette entre une partie bonne et une partie mauvaise. La mère étant désormais aimée pour elle-même, les sentiments de culpabilité à son égard se trouvent fortement renforcés. L’angoisse de l’avoir blessée ou même détruite par des pulsions agressives devient dès lors dominante chez l’enfant, créant ainsi une situation de deuil que celuici doit parvenir à surmonter par les mécanismes de la réparation.
Voir à ce sujet KLEIN, Mélanie, « Sobre los criterios para la terminacion de un psicoanalisis » (1950), op.cit., KLEIN, Mélanie, « Préface de la troisième édition anglaise » (1948), in KLEIN, Mélanie, La psychanalyse des enfants (1932), PUF, 1962. pp. 5-6. KLEIN, Mélanie, « lntroduction » et « Relation entre les phénomènes schizoïdes et maniaco-dépressifs » in KLEIN, Mélanie, « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes« , op.cit., pp. 274-276, 291-293 et KLEIN, Mélanie, « Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés« , in Développements de la psychanalyse, op.cit. pp. 187-222.
Dans « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » (1946), Mélanie Klein examine les moyens de défense utilisés par l’enfant pour faire face aux angoisses de la position schizo-paranoïde (qui s’étend de la naissance au cinquième mois). Parmi ces mécanismes, on peut citer en premier lieu Ie morcellement (ou la fragmentation).
En morcelant sa propre personnalité (son « moi »), l’enfant peut lutter contre ses angoisses de persécution (il craint la vengeance du « mauvais sein ») en fragmentant ses impulsion agressives à l’égard de l’objet (le sein maternel). Autrement dit, par la fragmentation de ses impulsions agressives, l’enfant espère réduire leur effet destructeur à l’égard de l’objet (le sein maternel) et ainsi se protéger de sa vengeance. Ce mécanisme du morcellement du moi est possible du fait du peu d’intégration de la personnalité de l’enfant à cet âge.
Il faut noter cependant que le mécanisme de fragmentation présente des dangers lorsqu’il est trop prononcé. La fragmentation exagérée gène en effet la synthèse de la personnalité de l’enfant et l’empêche de manifester ses émotions, celles-ci étant elles-mêmes fragmentées. Cette impossibilité d’exprimer les émotions constitue dès lors un des traits caractéristiques des patients adultes souffrant de troubles schizoïdes.
La fragmentation trop forte du moi de l’enfant a encore d’autres conséquences négatives, réunies sous le terme d »identification projective » par Mélanie Klein : pour se débarrasser de son moi morcelé. l’enfant le projette en effet à l’extérieur, vers sa mère. Cela a des conséquences importantes toutefois, car en faisant cela, l’enfant rejette également vers sa mère la haine qu’il ressent envers sa propre personnalité, du fait de son incapacité à en intégrer les fragments. Cette projection de haine vers la mère est normalement contrecarréé lorsque l’enfant peut également projeter vers elle le « bon objet » (le sein maternel), non morcelé et source de bien-être lors de l‘allaitement. Si cela n’est pas possible, la relation avec la mère se complique et, à l’âge adulte, la projection vers l’extérieur des parties du moi haïes par l’individu du fait de leur non intégration. contribuera à l‘intensité de la haine dirigée contre autrui.
Mélanie Klein présente dans « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » (1946) un autre mécanisme de défense utilisé par l’enfant durant la position schizo-paranoïde, pour faire face à ses angoisses : l‘idéalisation.
Par ce mécanisme, l’enfant idéalise l’objet (le sein maternel), ce qui lui permet de nier les frustrations et les angoisses de persécution dont il est la source. Pour ce faire, l’enfant utilise le processus décrit précédemment, Ie morcellement : il fragmente les pulsions de vengeance qu’il croit discerner dans le « mauvais sein », dans le but de diminuer leur intensité.
Le mécanisme d’idéalisation, cependant, s’il est trop puissant (cette puissance est proportionnelle à la force des angoisses de persécution) est dangereux, car il conduit l’enfant à nier une partie de sa personnalité, celle le reliant à l’objet réel, non idéalisé, source de frustrations et d’angoisses de persécution. L’intégration dans le moi de la réalité extérieure, morcelée et menaçante, est en conséquence difficile, et risque de provoquer un morcellement du moi lui-méme.
Remarquons, pour terminer, que les mécanismes de défense présentés dans cette note n’ont rien de pathologique en eux-mêmes : ils permettent à l’enfant d’affronter ses angoisses précoces. Ils deviennent cependant pathologiques lorsque les angoisses, trop fortes, ne peuvent être élaborées par l’enfant, ce qui le force à recourir d’une manière systématique à ces mécanismes et empêche l’intégration de sa personnalité.
Mélanie Klein ajoute que ces mécanismes de défense de la position schizo-paranoïde (morcellement, idéalisation) jouent un rôle similaire au refoulement, qui sera utilisé par l’enfant plus tard, d’une manière progressive, dès l’âge de deux ans environ, une fois que sa personnalité est déjà bien intégrée.
A propos des mécanismes de défense de la position schizo-paranoïde, voir KLEIN, Mélanie, « Quelques conclusions théoriques au sujet de la vie émotionnelle des bébés« , op.cit., ainsi que KLEIN, Mélanie, « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » (1946), op.cit.
Pour ce travail, nous avons utilisé la version espagnole de « Notes sur quelques mécanismes schizoïdes » (1946) (Editorial Paidos, Barcelona, 1975). Dans les traductions françaises, il est en effet difficile de savoir à quels processus se réfère le terme de « clivage ». La note de traduction de « La psychanalyse des enfants » (1932) précise que le « clivage » équivaut à la division de l’objet en une partie « bonne » et une partie « mauvaise » et qu’il est traduit de l’anglais « splitting », alors que le « morcellement » est traduit de l’anglais « splitting into bits ». La traduction de « Notes... », par contre, semble utiliser le terme de « clivage » à la fois pour désigner les processus de division de l’objet en une partie « bonne » et une partie « mauvaise” et pour ceux du morcellement du moi ou de l’objet, ce qui créé une confusion.
Les processus de « morcellement » et d »idéalisation » décrits dans cette note sont à mettre en rapport avec les notions de « corps morcelé » et de « corps propre » (le corps de l’enfant perçu dans sa totalité, notamment grâce au miroir) de Lacan. Voir FAGES, J.-B., « Comprendre Lacan« , Toulouse, Privat. 1971, pp. 13-16.
Pour plus de détails sur Mélanie Klein et son oeuvre, voir SEGAL, Hanna, « lntroduction à l‘oeuvre de Mélanie Klein« , Paris, PUF, 1969, 165 p., et SEGAL, Hanna. « Mélanie Klein : développement d’une pensée« , Paris, PUF,1982, 173 p.
(49) KLElN, Mélanie, « ‘Le complexe d’Oedipe éclairé par les angoisses précoces” in op.cit.. p.400
(50) Ibid., pp. 407-408.
(51) Ibid., pp. 408-409.
(52) L’hypothèse selon laquelle « Apparition » serait la répétition d’un symptôme est également adoptée par Philippe Lejeune qui écrit : « On ne peut vraiment commencer à comprendre quelque chose (dans « Apparition ») qu’en reculant d’un cran, en s’attachant moins à l’histoire qu’au texte, pris comme symptôme, ou comme la mise en scène d’un symptôme. » LEJEUNE, Philippe, « Maupassant et le fétichisme« , in COLLOQUES DE CERISY, Maupassant, Maupassant Miroir de la nouvelle, op.cit., p. 92. L’interprétation complète d »Apparition » faite par Philippe Lejeune se trouve en annexe.
La question se pose également de savoir si « La chevelure » (voir note 46) est-elle aussi la mise en scène d’un symptôme (le fétichisme), dont souffre Maupassant. Ceci est débattu par Philippe Lejeune dans l‘article cité. ll n’apporte toutefois pas de réponse définitive.
Il paraît opportun, à ce point, de préciser la notion de « compulsion de répétition » développée par Freud. Celle-ci aide en effet à expliquer pourquoi Maupassant semble, sans s’en rendre compte, répéter dans « Apparition » un traumatisme vécu dans son enfance. Freud écrit : « Le patient (névrosé) n’a aucun souvenir de ce qu’il a oublié et refoulé et ne fait que le traduire en acte. Ce n‘est pas sous forme de souvenir que le fait oublié reparaît, mais sous forme d’action. Le malade répète cet acte, évidemment, sans savoir qu’il s’agit là d’une répétition. La répétition est alors le transfert du passé oublié (…) à tous les domaines de la situation présente (…). ll faut donc nous attendre à ce que le patient cède à la compulsion à la répétition qui a remplacé l’impulsion au souvenir et cela non seulement dans ses rapports avec le médecin mais également dans toutes ses occupations et relations actuelles. On finit par comprendre que c’est là sa manière de se souvenir. Mais qu‘est-ce qu’exactement le patient répète ou met en action ? Eh bien, il répète tout ce qui, émané des sources du refoulé, imprègne déjà toute sa personnalité : ses inhibitions. ses attitudes inadéquates, ses traits de caractère pathologiques. »
ll est intéressant de relever également que ces répétitions compulsives deviennent l‘élément moteur de la cure psychanalytique. Freud poursuit : « Le patient répète, pendant le traitement, tous ses symptômes. L’analyse répète au lieu de se souvenir et cela par l’action de la résistance (qui empêche le refoulé de devenir conscient). Plus la résistance sera grande, plus la mise en actes ( la répétition) se substituera au souvenir (…). »
Freud poursuit : « Laisser s’effectuer des répétitions pendant le traitement, comme le fait la technique nouvelle, c’est évoquer un fragment de vie réelle, évocation qui, par cela même ne peut être partout considérée comme inoffensive et dénuée de risques. C’est à elle que se rattache le problème de l’aggravation, souvent inévitable des symptômes su cours du traitement. »
Les répétitions compulsives, si elles provoquent une aggravation des symptômes durant la cure, permettent également au médecin de découvrir les résistances du patient, qui s’opposent à ce que les pulsions refoulées deviennent conscientes. La tâche du médecin consiste dès lors à révéler au patient ces résistances et à l’aider à les surmonter. Freud conclut : « La suppression des résistances a lieu après que le médecin les ayant découvertes les ait révélées à ce dernier (…). Mais en donnant un nom à la résistance, on ne la fait pas pour cela immédiatement disparaître. Il faut laisser au malade le temps de bien connaître cette résistance qu’il ignorait, de la perlaborer, de la vaincre (…). Cette perlaboration des résistances peut, pour l’analyse, constituer une tâche ardue et être pour le psychanalyste une épreuve de patience. De toutes les parties du travail analytique, elle est pourtant celle qui exerce sur les patients la plus grande influence modificatrice. »
FREUD, Sigmund, « Remémoration, répétition et perlaboration”, in FREUD, Sigmund, La technique psychanalytique, op.cit., pp. 108-111 et pp. 114-115.
(53) FREUD, Sigmund, » La question de l’analyse profane”, Paris, Gallimard, 1985. p. 58.
(54) FREUD, Sigmund, « Délire et rêves dans la « Gradiva » de Jensen« , Paris, Gallimard, 1949.
(55) « Le grand Message d‘Amour”, Paris, Téqui, 1976. p.32.
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ANNEXE :
« Apparition » (avril 1883) est une nouvelle fantastique jouant de manière classique sur l’hésitation entre deux registres d’interprétation, l’un réaliste (il s’agirait d’une histoire de séquestration, mais telle qu’elle est racontée l’histoire est, de ce point de vue-là, incompréhensible), l’autre surnaturel (ce serait une apparition). En fait le tourniquet dans lequel le lecteur est pris est un leurre : l’interprétation surnaturelle suppose, comme l’autre, l’adhésion à la réalité de ce qui est raconté, et toutes deux défient la vraisemblance. On ne peut vraiment commencer à comprendre quelque chose qu’en reculant d’un cran, en s’attachant moins à l’histoire qu’au texte, pris comme symptôme, ou comme la mise en scène d’un symptôme. C’est l’histoire d’une contagion. Le marquis de la Tour-Samuel se trouve, à la fin de la nouvelle, dans l’état où il s’étonnait de voir son ami au début : les deux personnages semblent être les deux faces d’une personnalité clivée, à elle-même opaque. On ne sait quelle expérience a rendu l’ami désespéré; et quand le marquis assume à son tour l’expérience traumatisante, il la vit comme absurde : une femme, qui ne lui est de rien, et qui sort d’on ne sait où, demande plaintivement à être peignée… Du deuil tenace de l’un à l’apparition qui effraie l’autre, il doit bien y avoir un rapport, puisque le premier disparait après avoir transmis sa terreur. Etrange histoire, ou la communication a du mal à se faire : mari forclos d’un château funèbre, papiers secrets enfermés dans un secrétaire, lettre d’introduction qui suscite la méfiance, portes et fenêtres qui s’ouvrent et se ferment à contretemps, comme un sas qui servirait à l’osmose obscure de deux mondes, enfin double rendez-vous manqué… Mais en même temps, la communication se fait bien, puisque le mari et la femme tiennent le même langage (« Je souffre. Vous pouvez me rendre un grand service »), et, une fois le service rendu, disparaissent, laissant le marquis porteur du symptôme… Et peut-être que, comme dans La Lettre volée, le message est en évidence. On ne le voit pas du premier coup parce qu’il est réparti entre deux expériences (le deuil et l’apparition) et parce qu’il est formulé à l’envers. Etrange, tout de même, cette jeune épousée morte d’une maladie de cœur, « tuée par l’amour lui-même, sans doute ». On pense à l’Alberte du Rideau cramoisi, à la Véra de Villiers de l’Isle Adam. Vers 1870-1880, semble-t-il, les femmes mouraient d’amour pour de bon. Mais dans Apparition, la morte n’est pas morte, puisqu’elle revient hanter le château, insatiable, en quête d’apaisement… On devine bien que c’esr plutôt le mari qui est menacé de mort par le désir tenace de sa femme. Pour s’en convaincre, et dissiper l’angoisse dans un éclat de rire, il suffit de superposer Apparition (avril 1883) avec Un Sage (décembre 1883) qui raconte, parfois mot pour mot, la même histoire, mais dans le registre grivois : un mari, prématurément vieilli par l’ardeur érotique de sa jeune femme, n’échappe au trépas qu’en se trouvant un remplaçant. La scène centrale d’Apparition exprime la terreur qu’inspire le désir de l’autre : le marquis de la Tour-Samuel, apparemment frigide, est en quelque sorte violé par l’apparition. La transposition en termes sexuels est facile : cette douleur calmée, ces soupirs de satisfaction… Mais on peut méconnaître ce dont il s’agit parce que ce rapport sexuel est déplacé du sexe à la chevelure, déplacement propre au fétichisme. »
Texte extrait de LEJEUNE, Philippe, « Maupassant et le fétichisme« , in COLLOQUE DE CERISY, Maupassant, Miroir de la Nouvelle, Presses Universitaires de Vincennes, 1988, pp. 91-93.
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UNIVERSITE de GENEVE, Faculté des Lettres, E.L.C.F.
Texte présenté par M. Philippe COTTER dans le cadre du cours de « Méthodologie littéraire » de M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff
pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Spécialisées en didactique du Français Langue Etrangère (D.E.S.F.L.E.)
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