Analyse sémiotique d’un conte de Marcel AYME, « Le Cerf et le Chien »

 

I INTRODUCTION

BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR : Marcel Aymé

Ecrivain, dialoguiste, scénariste (1902 – 1967)

1902 – Naissance le 29 Mars à Joigny (France). Il est le dernier d’une famille de 6 enfants. Il fut élevé à la campagne, puis entreprit des études de mathématiques à Besançon, qu’il dût interrompre pour des raisons de santé.

1925 – Arrive sur Paris et y exerce différents métiers (il fut notamment employé de banque, agent de change et journaliste).

1926Publie son premier roman « Brûlebois ».

1933 – Publie le roman « La Jument verte », récit satirique fondé sur une analyse de la sexualité, qui connaît un vif succès. La même année, il commence à écrire des textes de commande pour le cinéma, activité qu’il continue sous l’occupation, sans pour autant cesser de publier des romans et des nouvelles dans les journaux de l’époque

1941 – Il publie  « Travelingue » qui est le premier volet d’une trilogie romanesque d’histoire qui se situe au début du Front populaire. Cette étude de mœurs comique, qui met en scène des personnages pittoresques, comme le jeune boxeur Milou, poids mouche protégé par un vieux pédéraste, inaugure une fresque sociale fantaisiste et réaliste qui se poursuivit avec « Le Chemin des écoliers » (1946), tableau humoristique de la France sous l’occupation, et qui s’acheva avec « Uranus » (1948), dont l’action se déroule dans les mois qui suivirent la Libération.

1967 – Décède le 14 octobre 1967 à Paris (France)

Adaptations cinématographiques :

  1. « La rue sans nom », 1934, réalisé par Pierre Chenal.
  2. « Le Passe-muraille », 1950, réalisé par Jean Boyer.
  3. « La table aux creves », 1951, réalisé par Henri Verneuil.
  4. « La traversée de Paris », 1956, réalisé par Claude Autant-Lara
  5. « Le chemin des écoliers », 1958, réalisé par Michel Boisrond
  6. « La jument verte », 1959, réalisé par Claude Autant-Lara
  7. « Clerembard », 1969, réalisé par Ives Robert.
  8. « La vouivre », 1989, réalisé par Georges Wilson.
  9.  « Uranus », 1990, réalisé par Claude Berri.
  10. « La montre, la croix et la manière », 1993, réalisé par Ben Lewin.

Marcel Aymé et les « gendelettres »

Dans le domaine de ses relations professionnelles, il a su aussi se contraindre et, quoi qu’il en ait dit, il n’a jamais été un solitaire dans le monde des lettres. Dès les années trente, non seulement il y est reconnu, mais aussi accepté. Il appartient désormais, qu’il le veuille ou non, à l’univers français des  » gendelettres « , comme il l’écrira plus tard. Il ne faut surtout pas prendre pour argent comptant ses dénégations à ce propos. Certes, il cultive sa différence et veille constamment à ne pas se laisser entraîner enfermer dans telle ou telle chapelle littéraire. Mais il les connaît bien et sait s’y faire recevoir le cas échéant, sans être gêné le moins du monde par leurs diverses étiquettes. D’ailleurs, il affiche un mépris complet pour les exclusions de toute nature.
L’un des premiers avec lequel il se soit lié est un homme réservé, discret et aussi silencieux que lui, Emmanuel Bove. De leurs premières rencontres naîtra une amitié que les divergences politiques n’altéreront pas.

Les origines enfantines

L’enfance de Marcel et de Suzanne Aymé à la tuilerie de Villers-Robert fut un bonheur pour leur imagination déjà fertile. Tout les portait à croire à l’existence d’un monde merveilleux, peuplé de fées, de bêtes faramineuses et d’animaux doués de parole… Ne disait-on pas alors que, la nuit de Noël, les bêtes se mettaient à parler. Le bestiaire de Marcel Aymé se constitua peu à peu durant ces années d’enfance. Bœufs, canards, vaches, poules, chiens, chats, firent partie de son univers quotidien. Le loup même était présent car il rôdait non loin de la forêt. On évoquait sa présence le soir venu, devant les grandes flammes du four qui réconfortaient et inquiétaient à la fois.

Ainsi Marcel vécut de sa deuxième à sa huitième année à Villers-Robert, chez ses grands-parents qui exploitaient une tuilerie. Le village était assez semblable à celui qu’il décrivit plus tard dans La Jument verte et les habitants y connaissaient des passions politiques et religieuses (et antireligieuses) fort vives. La grand-mère attendit la mort du grand-père, en 1908, pour faire baptiser son petit-fils, celui-ci avait alors sept ans.

En 1912, Marcel réussit le concours des Bourses et le regretta vite car, chaque fois qu’il obtenait de mauvaises notes, on lui reprochait de gaspiller l’argent de l’Etat. Il retournait maintenant au village chaque samedi et y passait ses grandes vacances, pendant lesquelles il gardait les vaches avec d’autres bergers.

 

Le bestiaire des Contes du chat perché

Depuis 1934, Marcel Aymé avait en effet publié plusieurs histoires de Delphine et Marinette qui avaient beaucoup plu. Il n’y avait guère eu qu’André Rousseaux, dans Le Figaro, pour faire la fine bouche et oser écrire :  » Ce sont moins des contes pour enfants que des fables, sans le génie de La Fontaine, étirées en prose, saupoudrées d’ironie et de gentillesse pseudo-poétiques « . C’est pourquoi on lit, dans la prière d’insérer d’un recueil de 1939 :  » […] un critique distingué a déjà fait observer, avec merveilleusement d’esprit, que si les animaux parlaient, ils ne le feraient pas du tout comme ils le font dans Les Contes du chat perché. Il aurait bien raison. Rien n’interdit de croire en effet que si les bêtes parlaient, elles parleraient de politique ou de l’avenir de la science dans les îles Aléouliennes. Peut-être même qu’elles feraient de la critique littéraire avec distinction. « 

Son œuvre 

Or son œuvre s’affirme comme une des plus neuves, des plus fortes et probablement des plus durables de notre époque. Elle est très variée, tantôt d’inspiration réaliste, tantôt d’inspiration satirique et tantôt d’inspiration fantastique. Mais il passe parfois d’un registre à l’autre dans le même ouvrage en maintenant une unité de ton. Il est bon peintre de la campagne, des petites villes et de la capitale. Parmi ses romans campagnards, on citera La Table aux crevés (1929) et La Vouivre (1943). Parmi les romans de la province, Le Moulin de la sourdine (1936). Parmi les œuvres parisiennes, Le Bœuf clandestin (1939) et Travelingue (1941). Ce dernier roman est le premier volet d’une trilogie d’histoire contemporaine, dont le deuxième volet s’appelle Le Chemin des écoliers (1946) et se situe pendant l’Occupation, et dont le troisième volet, Uranus (1948), décrit les lendemains de la Libération.

Les recueils de nouvelles d’Aymé sont tous de premier ordre, tels Le Passe-muraille (1943) et Le vin de Paris (1947). Et il faut mettre hors de pair Les Contes du chat perché qui commencèrent de paraître en 1934 sous forme d’albums pour enfants. Ils firent tout de suite les délices des parents. Bon observateur des mœurs, Marcel Aymé est un ami de la fantaisie qui nous délivre de la pesanteur du quotidien. Il ne nous donne aucune leçon, ne nous adresse aucun message et on lui a cherché une mauvaise querelle en lui attribuant les pensées d’un des personnages du Confort intellectuel (1949) où il se plaçait dans une pure tradition moliéresque. De même, dans La Tête des autres, qui déclencha un scandale, il ne cherchait pas à prouver quoi que ce soit : il mettait en lumière certains aspects du monde contemporain. Il s’est toujours voulu absent de son œuvre, mais y est toujours présent par son style inimitable.

II ANALYSE SEMIOTIQUE

1 La structure générale du récit : L’AXE SEMANTIQUE

Faire l’analyse sémiotique d’un conte, c’est pouvoir reconnaître et décrire les différences dans le texte grâce auxquelles nous pouvons faire l’interprétation des sens du conte, puisque « le sens est fondé sur la différence ».

Le récit est la représentation d’un événement. Un événement est une transformation, un passage d’un état S à un état S’.

La structure générale du récit s’inscrit sur un axe sémantique du type :

S __________________________           t         ________________________________ S

Enoncé d’état initial        / Enoncé de faire/             Enoncé d’état final

en conjonction ou           /Faire opérateur                  en conjonction ou

disjonction                       de la transformation                           disjonction

S^O ou SVO                                                                                         S^O ou SVO

L’axe sémantique s’insère dans une suite temporelle. Les articulations S et S’ correspondent aux situation finale et initiale, et la transformation se produit à un moment donné « t ». Tout récit s’organise en fonction de sa fin : c’est la situation finale qui commande toute la chaîne des événements antérieurs.

Pour constituer l’axe sémantique de notre texte nous comparons la situation finale (contenu posé, où l’auteur veut arriver à la fin du conte) avec la situation initiale (contenu inversé).

La situation finale résulte d’une chaîne de transformations qui, à partir de la situation initiale, progressivement, détermine la situation finale. Le résultat d’une première transformation constitue une nouvelle situation initiale sur laquelle agit la transformation suivante et ainsi progressivement jusqu’à la fin.

AXES SEMANTIQUES DES TRANSFORMATIONS

Au cours de la lecture, notre conte présente plusieurs transformations intégrées dans la transformation globale.

  1. Delphine et Marinette jouent tranquillement quand tout à coup un cerf apparaît chez elles. Il demande de l’aide et elles le cachent dans la maison.

S _________________________________t________________________________ S’

Le cerf est en péril                 Sujet opérateur :                    Le cerf est caché

S V O                                                    les filles                                                           S ^ O

Sujet d’état : le cerf

Objet de valeur : la sécurité

Le Sujet opérateur (les filles) fait passer le Sujet d’état (le cerf) d’un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (la sécurité) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (la sécurité).

  1. Le chien arrive à la maison et demande où est le cerf. Les filles nient sa présence dans la maison mais, à cause du poussin, il finit par découvrir qu’il est caché.

S _________________________________t___________________________________ S’

Le chien cherche le cerf        /Sujet opérateur/    Le chien trouve le cerf

S V O                                                   le poussin                                                      S ^ O

Sujet d’état : le chien

Objet de valeur : trouver le cerf

Le Sujet opérateur (le poussin) fait passer le Sujet d’état (le chien) d’un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (il ne trouve pas le cerf) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (il le trouve dans la maison).

  1. La meute arrive et les filles parviennent à distraire les chiens de façon qu’ils perdent la trace du cerf.

S ___________________________________t___________________________________ S’

Les chiens sont                      Sujet opérateur:                  Les chiens perdent

dans la trace du cerf.               L’astuce des                               la trace du cerf.

S ^ O                                                      filles                                                              S V O

Sujet d’état: les chiens

Objet de valeur: la trace du cerf

Le Sujet opérateur (l’astuce des filles) fait passer le Sujet d’état (les chiens) d’un état de conjonction avec son Objet de valeur (ils sont sur la trace du cerf) à un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (ils perdent sa trace).

  1. Les parents de Delphine et Marinette n’ont pas réussi à trouver un bœuf à acheter à la foire. Ils rentrent à la maison de très mauvaise humeur. Le lendemain, le cerf se présente chez eux pour offrir son travail.

S ____________________________________t__________________________________S’

Les parents ont besoin       Sujet opérateur :          Les parents prennent

d’un boeuf                                  le chat, qui parle           le cerf pour travailler                                                                avec le cerf                               chez eux

S V O                                                                                                                              S ^ O

Sujet d’état : les parents

Objet de valeur : avoir un animal pour travailler à la ferme.

Le Sujet opérateur (le chat) convainc le cerf de se présenter pour travailler à la ferme.

Le Sujet opérateur (les parents), qui était en état de disjonction avec son Objet de valeur (ils n’avaient pas de bœuf), est maintenant en conjonction avec son Objet de valeur (ils ont trouvé quelqu’un pour remplacer le bœuf).

  1. Le cerf est accepté à la ferme, et travaille bien. Il se fait des amis mais ne supporte pas la vie à la ferme. Il décide de partir.

S _____________________________________t_________________________________ S’

Le cerf se sent mal à l’aise        Sujet opérateur:           Le cerf retourne à

à la ferme                                          la décision de               son milieu : la forêt.

                                                                         partir

S V O                                                                                                                            S ^ O

Sujet d’état: le cerf

Objet de valeur: sa liberté.

Le Sujet opérateur (la décision de partir) fait passer le Sujet d’état (le cerf) d’un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (il est mal à l’aise, privé de liberté) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (il se sent bien dans la forêt, où il se sent libre).

  1. Le chien, qui travaillait comme chasseur, décide de quitter son métier et essaye d’être accepté à la ferme. Il arrive avec la mauvaise nouvelle que le cerf est mort.

S _________________________________t____________________________________ S’

Le chien chasseur                 Sujet opérateur:                       Le chien reste à

                                                          la décision de                                           la ferme

S V O                                       quitter son maître                                             S ^ O

Sujet d’état: le chien.

Objet de valeur: avoir un métier qui lui plaise.

Le Sujet opérateur (la décision de renoncer à la chasse) fait passer le Sujet d’état (le chien chasseur) d’un état de disjonction avec son Objet de valeur (il n’aime pas son métier) à un état de conjonction avec son Objet de valeur (il préfère rester avec les filles à la ferme).

AXE SEMANTIQUE GÉNÉRAL DU CONTE

S ___________________________________t__________________________________ S’

Le cerf veut vivre                  /Sujet opérateur/                        Le cerf est tué

S ^ O                                                  le chasseur                                                    S V O

Sujet d’état : le cerf

Objet de valeur : sa vie

Le Sujet opérateur (le chasseur) fait passer le Sujet d’état (le cerf) d’un état de conjonction avec son objet de valeur (il est en vie) à un état de disjonction d’avec son Objet de valeur (il perd la vie).

2 La segmentation du texte

La segmentation du texte va nous permettre d’organiser celui-ci différemment de la segmentation en paragraphes proposée par l’auteur. A ce propos, nous faisons intervenir les disjonctions spatiales, temporelles, actorielles et énonciatives.

Nous proposons de segmenter le conte « Le cerf et le chien » en 5 séquences. Pour simplifier, la délimitation de chaque séquence sera exprimée par le numéro de la ligne et de la page entre parenthèses (ligne/page).

  1. « L’arrivée du cerf » : (1/29 → 24/40). Cette première séquence comporte 7 sous-séquences qui se déroulent au même endroit et durant la même journée (il n’y a pas de disjonctions temporelles ni spatiales). On peut distinguer les sous-séquences à partir des disjonctions actorielles : le cerf, le chien Pataud, la meute et les parents. Les filles sont les uniques personnages qui sont présents dans toutes les sous-séquences.

  1. « Le cerf à la ferme» : (25/40 → 15/45). La deuxième séquence a lieu dans la ferme, soit dans la cour, soit dans l’écurie ou dans les champs, selon les 5 sous séquences proposées, qui s’étalent sur plusieurs jours. Nous avons alors des disjonctions actorielles (les filles, les parents, le cerf, le bœuf et les bêtes de la ferme), spatiales (la cour, les champs, l’écurie) et temporelles (le lendemain de l’arrivée du cerf et les jours suivants).

  1. « La promenade du dimanche » : (15/45 → 31/48). Cette troisième séquence est l’unique qui ne comporte pas de disjonctions : elle se déroule le même jour, avec les mêmes acteurs (le cerf, les filles, le chien Pataud et les animaux de la forêt) et dans le même endroit. Les parents n’y participent pas.

  1. « La fuite » : (32/48 → 31/50). La quatrième séquence présente une disjonction spatiale qui permet de proposer une segmentation en 3 sous-séquences : dans la cour, dans le champ et dans la forêt. La disjonction actorielle est présente sous la forme de la disparition des parents de la scène. Les filles ne participent pas à cette séquence.

  1. «La mauvaise nouvelle de Pataud» : (32/50 → 13/52). Nous n’avons pas segmenté cette cinquième séquence car il s’agit d’une séquence trop courte. Il y a une disjonction temporelle : au début, les parents regrettent la perte du cerf le jour même de la fuite, ensuite l’auteur raconte les semaines suivantes (« Mais les semaines passèrent et le cerf ne revenait pas… ») et, finalement, « un matin », où Pataud arrive avec la mauvaise nouvelle.

  • LES DISJONCTIONS ACTORIELLES

Dans tout le conte il y a 6 acteurs principaux et 3 acteurs secondaires (les animaux de la forêt) :

  1. Les filles Delphine et Marinette : elles sont les protectrices du cerf. Elles apparaissent dans toutes les séquences, sauf la . Les activités des filles sont le jeu ou manger (elles sont à table avec leurs parents dans la séquence 1G). L’auteur ne mentionne pas l’école ni d’autres activités.

  1. Le cerf : il apparaît dans toutes les séquences, à l’exception des sous-séquences 1C et 1D (où il est caché dans la maison des filles). Il éprouve toujours l’angoisse soit d’être persécuté par la meute soit de devoir vivre à la ferme, à laquelle il ne se sent pas appartenir. Il est toujours en conflit avec sa situation.

  1. Le chien Pataud : il apparaît dans les séquences 1C, 1E, 3 et 5. Il veut toujours aider le cerf. Il travaille pour le chasseur mais il n’aime pas son métier, car il n’aime pas tuer.

  1. Les parents : ils sont présents dans les séquences 1F, 2, 4 et 5. Ils ne pensent qu’à travailler et faire travailler les animaux, car ils ont la responsabilité de nourrir une famille.

  1. Le bœuf : il est présent dans les séquences 2 et 4. Au début, il se moque du cerf mais plus tard il devient son ami. Il voudrait s’enfuir dans la forêt avec le cerf mais il se rend compte que sa vie est à la ferme.

  1. La meute : les chiens chasseurs arrivent à la ferme dans la séquence 1D. Ils cherchent le cerf mais sont trompés par les filles.

  1. Les animaux de la forêt : une vieille carpe au bord d’un étang, un lapin qui avançait ou bord d’un trou et deux autres lapins qui sortirent derrière le premier lapin apparaissent dans la séquence 

    1. Le niveau figuratif

L’analyse du niveau de surface a pour objet la forme et le contenu du discours.

Au niveau figuratif, les « personnages » sont pris en considération en tant qu’ « acteurs », et l’on observe le déroulement concret de leurs actions, dans des lieux et des temps déterminés.

  • L’ESPACE TEXTUEL

Le code topographique :

Le conte se déroule dans une ferme, à la campagne. Nous ne savons pas dans quel pays, mais pouvons supposer qu’il s’agit de la campagne française.

A l’exception de la séquence 3 (qui se déroule dans le bois), toutes les séquences se déroulent dans la ferme, généralement à l’extérieur de la maison, dans la cour.

On peut distinguer, au niveau topographique, l’opposition :

Nature                                                       vs                                                        Culture

(la forêt)                                                                                                          (les champs)

Dans la séquence 1 nous trouvons sept sous-séquences, séparées par des disjonctions spatiales ou actorielles :

  • A ((1/29 → 6/30) : dans la cour. Le cerf, en fuite, arrive dans la cour de la ferme pendant que les filles jouent.

  • B (7/30 → 19/30) : à l’intérieur de la maison. Les filles cachent le cerf dans leur chambre.

« Delphine courut ouvrir la porte de la maison et Marinette, précédant le cerf, galopa jusqu’à la chambre qu’elle partageait avec sa sœur ». (7 – 8 – 9 – 10 / 30)

Les sous séquences C, D, E et F se déroulent dans la cour. La séparation en 4 différentes sous-séquences se fonde sur des disjonctions actorielles

  • C (20/30→ 5/35) : le chien Pataud arrive, cherchant le cerf. Il fait partie de la meute de chiens chasseurs qui poursuit le cerf.

  • D (6/35 → 24/37) : le chien Pataud reste caché dans le jardin tandis que la meute qui poursuit le cerf arrive à la ferme.

  • E (24/37 → 22/38) : le chien Pataud et le cerf sortent de leur cachette. Tous les deux partent, le chien pour rejoindre la meute et le cerf vers les buissons de la rivière.

« Quand elle eut disparu dans les bois, le chien Pataud sortit du jardin où il était resté caché et demanda qu’on fît venir le cerf » (24 – 26 / 37)

  • F (23/38 → 24/40) : les parents rentrent de la foire.

  • G (15/40 →24/40 : deux actions se déroulent au même moment dans des endroits différents : pendant que la famille mange à table à l’intérieur de la maison, le chat sort pour aller trouver le cerf près de la rivière.

Dans la séquence 2 nous avons défini 5 sous-séquences au niveau spatial :

  1. Sous-séquence A : dans la cour, le cerf se présente aux parents pour leur offrir son travail. Il est accepté.

  2. Sous-séquence B : le cerf commence à travailler avec le bœuf aux champs.

  3. Sous-séquence C : en rentrant à la ferme, le cerf joue dans la cour.

  4. Sous-séquence D : le soir, à l’écurie le cerf et le bœuf ont de longues conversations.

  5. Sous-séquence E : cette sous-séquence ne se déroule pas dans un endroit défini parce qu’il s’agit d’un discours qui raconte ce qu’étaient la vie du cerf, son travail, ses week-ends.

Dans la séquence 3 le cerf se promène dans la forêt le dimanche.

Dans la séquence 4 nous avons 3 sous-séquences :

  1. Sous-séquence A : dans la cour, le cerf refuse de se mettre en route vers le travail.

  2. Sous-séquence B : en arrivant au champ, le cerf et le bœuf commencent à travailler.

  3. Sous-séquence C : le cerf et le bœuf prennent la fuite vers la forêt. Mais le bœuf n’arrive pas à marcher dans la forêt et il décide de retourner au travail.

Dans la séquence 5 le chien Pataud arrive à la ferme avec la mauvaise nouvelle. Les filles jouent dans la cour.

L’ancrage spatial :

Le conte se déroule dans une ferme et dans une forêt.

Pour le cerf, la ferme signifie la sécurité (le chasseur n’y a pas accès) mais aussi un travail dur, auquel il n’est pas adapté. La ferme est un ancrage spatial à la fois positif et négatif. Positif à cause de la sécurité qu’elle signifie (la maison et la cour) et négatif par l’ennui et la douleur du travail (les champs). La forêt, au contraire, représente la liberté aussi bien que l’insécurité. C’est pour cela que nous la considérons comme ambiguë : elle représente la liberté mais aussi le danger.

La maison

La cour

Les champs

La forêt

  • Sécurité

  • Protection

  • POSITIF

  • Sécurité

  • Plaisir du jeu

  • POSITIF

  • Travail

  • Ennui

  • Douleur

  • NÉGATIF

  • Liberté

  • Danger

  • Mort

  • AMBIGUË

Culture                                                              vs                                                  Nature

(les champs)                                                                                                          (la forêt)

Travail                                                               vs                                                    Liberté

(protection)                                                                                                           (danger)

Les champs                                                    vs                                                    La cour

(le travail)                                                                                                                  (le jeu)

Séquences

1

2

3

4

5

Sous-séq.

A B

C

D

E

F G

A B C D E

A B C

Ancrage

spatial

C – M

C

C

C

C M/F

C Ch C E X

F

C Ch F

C

C : la cour

M : la maison

Ch : les champs

F : la forêt

E : l’écurie

X : partout dans la ferme et la forêt

 

                          L’ancrage spatial

                         la campagne française

                          la ferme                                                                        la forêt

                            (culturelle)                                                                               (naturelle)

clos                                                       ouvert

(la maison)

                                         les champs                                     la cour

            (espace culturel                                                (espace des filles

              du travail,                                                               et des animaux :

             responsabilité                                                                le jeu)

             des parents)

  • LA TEMPORALITÉ TEXTUELLE

Le code chronologique : 

La séquence 1 se déroule le même jour.

Dans la séquence 2, les sous-séquences A et B le lendemain et les sous-séquences C, D et E se déroulent dans les jours suivants, sans préciser combien de jours plus tard. On pourrait supposer qu’il s’agit de trois ou quatre semaines (ces dernières sous-séquences racontent la vie du cerf dans la ferme).

La séquence 3 se déroule en une journée : un dimanche.

La séquence 4, le lendemain de ce dimanche.

La séquence 5 représente le temps suivant la fuite du cerf : « Mais les semaines passèrent et le cerf ne revenait pas ». Mais « Un matin qu’elles écossaient des petits pois sur le seuil de la maison, le chien Pataud entra dans le cour » pour raconter ce qui était arrivé au cerf.

Nous pensons que tout le conte se déroule en environ deux mois.

L’ancrage temporel:

t  : le temps actuel, celui où l’auteur raconte l’histoire.

: le jour de l’arrivée du chien Pataud : la dernière scène du conte.

t  : le temps après la fuite du cerf.

t : le jour de la fuite du cerf.

t : le jour de la promenade dans la forêt.

t   : les trois ou quatre semaines où le cerf travaille à la ferme.

t  : le jour de l’arrivée du cerf à la ferme.

Séquences : 1 2A 2B 2C 2D 2E 3

Le premier jour/ Le lendemain/ Les semaines suivantes/ Un dimanche

(l’arrivée du cerf) (les parents) (trois ou quatre) dans la forêt

4 5 5

Quelques jours/ Le jour de l’arrivée du chien Pataud

Le lendemain (le cerf habite dans la forêt) (la fin du conte)

Voici quelques exemples relevés dans le texte :

Séquence 2, 25/40 : « Le lendemain matin, de bonne heure, le cerf entra dans le cour de la ferme… ».

Séquence 2, 13/42 : « En effet, après qu’ils eurent labouré ensemble une demi-journée, ils ne pensaient plus à s’étonner de la forme de leurs cornes ».

Séquence 2, 26/43 : « Le soir, à l’écurie, el avait de longues conversations avec le bœuf. ».

Séquence 2, 25/44 : « Le dimanche, le cerf quittait l’écurie dès le matin et s’en allait passer la journée en forêt. Le soir, il rentrait avec des yeux brillants …, mais le lendemain il était triste et… ». Ici l’auteur utilise le récit pour raconter la monotonie de la vie du cerf.

Séquence 4, 32/48 : « Le lendemain, le cerf était attelé avec le bœuf dans la cour da la ferme… ».

Séquence 5, 9/51 : « Un matin qu’elles écossaient des petits pois sur le seuil de la maison, le chien Pataud entra dans la cour ».

Dans le texte, la valeur figurative du temps apparaît clairement : les temps qui représentent la joie et le plaisir sont très courts (la séquence 7 spécialement, où les filles se promènent avec le cerf dans la forêt) et les temps de souffrance plus longs (les séquences de l’arrivée du cerf, de sa fuite ou du travail).

LA SEMAINE                                              vs                                     LE DIMANCHE

le travail                                                                                                                     le repos

(dysphorie)                                                                                                       (euphorie)

  • LES CODES SENSORIELS

  • L’ouïe

Le sens de l’ouïe a une valeur figurative positive quand la fille chante pour le chat ou quand le chat ronronne sous les caresses de Delphine. La chanson et le ronronnement sont l’expression du plaisir et de la joie.

1/29 : « …et Marinette chantait une petite chanson à un poussin jaune qu’elle tenait sur les genoux ».

3/31 : « Marinette lui chanta Su l’pont de Nantes et, … ».

5/31 : « Le chat lui-même ronronnait sous les caresses de Delphine… ».

Les aboiements des chiens sont un vif exemple de la peur, de l’angoisse et de l’incertitude.

26/33 : « …mais il se déroba et, l’oreille tendue à des aboiements qui semblaient venir de la lisière du bois….. ».

5/34 : « J’entends aboyer mes compagnons de meute ».

10/35 : « … elle vit poindre la meute annoncée par ses aboiements ».

CHANT + RONRONNEMENT vs ABOIEMENTS

le plaisir la peur

(euphorie) (dysphorie)

  • Le toucher

1/29 : « Delphine caressait le chat de la maison… ».

18/29 : « Les petites le prirent par le cou, appuyant leurs têtes contre la sienne, mais le chat se mit à leur fouetter les jambes avec sa queue et à gronder : – C’est bien le moment de s’embrasser ! ».

5/31 : « Le chat lui-même ronronnait sous les caresses de Delphine… ».

16/33 : « A la fin, il toucha le mollet de Delphine avec son nez et dit en soupirant : ».

28/39 : « A midi, pendant qu’elles déjeunaient, je me chauffais au soleil sur le rebord de la fenêtre ».

Dans ces exemples, les caresses des filles et le chat se chauffant au soleil nous donnent une impression de plaisir et de tendresse.

31/47 : « Si tu savais comme le travail est ennuyeux et comme la plaine est triste par ces grands soleils, alors qu’il fait si frais et si doux dans nos bois ».

Le cerf manifeste son approbation vis-à-vis du bois (il y fait frais et doux) et le contraire à l’égard de la plaine.

LE BOIS                                                           vs                                             LA PLAINE

la joie                                                                                                                       la tristesse

la liberté                                                                                                                   le travail

(euphorie)                                                                                                        (dysphorie)

  • La vision

2/29 : « …un poussin jaune… »

14/31 : « Le chien les regarda l’une après l’autre et, les voyant rougir, se remit à flairer le sol ».

12/35 : « Ils étaient huit d’une même taille et d’une même couleur avec de grandes oreilles pendantes ».

5/36 : « Vraiment, on n’a jamais vu d’aussi beaux chiens… ».

1/37 : « Ils prenaient plaisir à s’admirer les uns les autres ».

22/43 : « Il y avait un canard bleu et vert avec lequel il s’entendait très bien… ».

Les couleurs sont très peu mentionnées dans le texte : seulement le jaune pour le poussin et le bleu et vert pour le canard. Dans les deux cas, les couleurs n’ont aucune valeur positive ou négative. Mais la couleur rouge est mentionnée pour indiquer la peur des filles devant le chien Pataud.

Pour ce qui est des chiens de la meute, l’auteur insiste sur leur beauté : ils sont beaux mais aussi méchants (ils veulent chasser le cerf). Cette « beauté » est utilisée par les filles, pour gagner leur confiance car ils acceptent les compliments.

  • L’odorat

3/32 : « Je sens ici une odeur de cerf, dit-il en se tournant vers les petites ».

6/33 : « Mon flair ne me trompe jamais ».

12/37 : « Le parfum de l’œillet, du jasmin, de la rose et du lilas, qui lui venait à pleines narines lui masquait en même temps l’odeur de la bête ».

Le flair des chiens est déterminant : la meute parvient jusqu’à la ferme en traquant le cerf grâce à son flair. Mais les filles, par leur astuce, arrivent à dérouter les animaux grâce au parfum des fleurs. L’odorat joue un rôle très important pour le sort du cerf.

  • LES PARCOURS FIGURATIFS

Dans le conte nous voyons clairement les activités sociales des personnages : les parents doivent travailler et font travailler le bœuf et le cerf. Les filles et les animaux préfèrent jouer. Le cerf, qui préfère jouer, est obligé de travailler s’il veut la sécurité.

Adultes                                                         vs                                                        enfants

Travail                                                             vs                                                             jeu

Les adultes doivent travailler pour gagner leur pain. Les parents de Delphine et Marinette cultivent les champs avec l’aide des animaux de la ferme et le chasseur doit chasser les animaux sauvages.

Travailler les champs                              vs                                                     Chasser

vie sédentaire                                                                                                   vie nomade

    1. Le niveau narratif

  • LE SCHÉMA ACTANTIEL

Pour le niveau narratif nous utilisons le modèle actantiel de Greimas. Ce modèle simplifie celui de Vladimir Propp, qui affirme que dans tous les contes ce qui change ce sont les noms et les attributs des personnages mais non leurs actions ou leurs fonctions. Il a recensé 31 fonctions dans sept sphères d’action différentes : celles de l’agresseur, du donateur, de l’auxiliaire, de la princesse et de son père, du mandateur, du héros et du faux héros.

Greimas substitue à la notion trop vague de « fonction » la formulation plus rigoureuse de l’énoncé narratif (EN) :

EN = F ( A1, A2,…)

F = une fonction, au sens logique de « relation » 

A1, A2, … = les actants.

Greimas dit : « Le modèle actantiel est en premier lieu l’extrapolation d’une structure syntaxique. Un actant s’identifie donc à un élément (lexicalisé ou non, un acteur ou une abstraction) qui assume dans la phrase de base du récit une fonction syntaxique……  ; le destinateur dont le rôle grammatical est moins visible et qui appartient si l’on peut dire à une phrase antérieur (D1 veut que S…) ou, selon la grammaire traditionnelle, à un complément de cause. »

Nous représentons les six rôles et leurs relations dans notre conte par les schémas suivants :

SCHÉMA 1 :

DESTINATEUR

Le chasseur

     OBJET

              Le cerf

DESTINATAIRE

      Le chasseur

ADJUVANTS

Le flair des

chiens

                SUJET

                                     La meute

OPPOSANTS

Les filles

Pataud

Le chat

  • AXE DU SAVOIR :

DESTINATEUR ____________       OBJET _______________DESTINATAIRE

Le chasseur                                       Le cerf                                            Le chasseur

Le chasseur doit chasser pour vivre. C’est son métier. Il a besoin pour proie d’un animal de la forêt, il choisit le cerf. Le chasseur est à la fois le Destinateur et le Destinataire car l’objet de la chasse est destiné à lui-même.

  • AXE DU VOULOIR :

SUJET ______________________________________ OBJET

La meute                                                                          Le cerf

La meute est envoyée chasser le cerf. Les chiens sont le Sujet du Destinateur : ils doivent servir au chasseur dans son métier.

  • AXE DU POUVOIR :

ADJUVANTS _______________ SUJET ____________________ OPPOSANTS

Le flair des chiens                   La meute                                             Les filles

                                                                                                                             Pataud

                                                                                                                             Le chat

L’axe du pouvoir concerne la réalisation du mandat. Grâce à l’intervention des Adjuvants, le Sujet peut vaincre les Opposants. La meute a besoin de son flair pour chasser le cerf. Les Opposants sont les filles, Pataud et le chat : ils essayent de dérouter les chiens pour qu’ils ne puissent pas trouver le cerf.

Au début du conte, les Opposant sont vainqueurs : le Sujet n’arrive pas à réaliser le désir du Destinateur.

SCHÉMA 2 :

DESTINATEUR

Le cerf

      OBJET

                 Sa vie

DESTINATAIRE

Le cerf

ADJUVANTS

Les filles

Pataud

Le chat

                SUJET

                                       La fuite

                                  L’instinct de

                                         survie

  OPPOSANTS

       Le chasseur

          La meute

  • AXE DU SAVOIR :

DESTINATEUR _______________  OBJET ______________ DESTINATAIRE

Le cerf                                                       Sa vie                                            Le cerf

Le cerf veut conserver sa vie. Il ne veut pas être tué par le chasseur.

  • AXE DU VOULOIR :

SUJET ____________________________________________ OBJET

La fuite

L’instinct de survie                                                                     La vie

L’instinct de survie va aider le cerf à s’enfuir. Il doit conserver sa vie.

  • AXE DU POUVOIR :

ADJUVANTS __________________ SUJET _________________ OPPOSANTS

Les filles                                             L’instinct                                      Le chasseur

Pataud                                               de survie                                        La meute

Le chat                                                  La fuite

Grâce à l’intervention des Adjuvants (les filles, Pataud et le chat), l’instinct de survie peut l’emporter sur les Opposants (le chasseur et la meute).

    1. Le niveau thématique

Au niveau thématique, nous analysons les valeurs profondes, véhiculées implicitement par les textes :

  • PERSPECTIVE  PARADIGMATIQUE : Les oppositions de valeurs.

Le carré sémiotique se constitue sur la base d’un axe sémantique, qui s’articule en deux valeurs contraires : S1 et S2.

S1 = Vie _________________________________ S2 = Mort

S1 = La ferme (culture) ___________________ S2 = La forêt (nature)

S1 = Le travail _____________________________ S2 = La liberté

  • PERSPECTIVE SYNTAGMATIQUE : Les parcours thématiques.

Les carrés sémiotiques de notre conte :

S1 ___________________________ S2

(vie)                                                 (mort)

S1 _____________________________ S2

(non-vie)                                  (non-mort)

Dans ce premier carré sémiotique la vie et la mort sont présentées comme des valeurs opposées : le cerf doit lutter pour sa vie, qui est son Objet de valeur. L’échec de sa lutte aura pour résultat la mort.

S1 _______________________________ S2

(la culture)                                      (la nature)

S1 __________________________________ S2

(la non-culture)                        (la non-nature)

Dans ce deuxième carré, les valeurs opposées sont la culture et la nature. Pour le cerf, la culture représente la sécurité, l’amitié des filles et des animaux de la ferme. La nature, c’est la forêt, où il a vécu toute sa vie, où il se sent soi-même.

S1 _________________________________ S2

(le travail)                                             (la liberté)

S1 ___________________________________ S2

(le non-travail)                                  (la non-liberté)

Pour finir, dans le troisième carré sémiotique, nous avons les valeurs opposées travail et liberté. Le travail signifie pour le cerf la sécurité mais aussi le manque de liberté.

Mais, pour les parents, le travail est l’unique moyen de gagner sa vie.

III ESSAI D’HERMENEUTIQUE

« L’herméneutique a d’abord désigné la science des règles d’interprétation des textes bibliques, puis l’art d’interpréter les textes en général puis l’art de comprendre, de déceler ce qui n’est pas manifeste. On l’emploie souvent aujourd’hui comme synonyme d’interprétation, mais comme synonyme enrichi. Ce qu’il ajoute, c’est l’idée que l’interprétation doit franchir la distance culturelle qui nous sépare des textes en même temps que l’écart qui sépare le discours de ce qu’il doit dire.» Henri Bouillard, Exégèse, Herméneutique et Théologie.

SÉQUENCE 1 :

Marinette et Delphine, deux fillettes qui habitent dans une ferme de la campagne française, jouent tranquillement dans la cour de leur maison quand, tout à coup, apparaît un cerf qui est en train de fuir un chasseur.

« Ses flancs haletaient, ses pattes frêles tremblaient et il étais si essoufflé qu’il ne put parler d’abord ».

Le cerf est désespéré. Il est en péril de mort et demande l’aide des fillettes en suppliant :

« Cachez-moi. Les chiens sont sur ma trace. Ils veulent me manger. Défendez-moi ! ».

Le péril dans la forêt                         vs                     La sécurité dans la ferme

Les hommes qui chassent              vs                 Les hommes qui protègent

Les adultes                                              vs                                 Les enfants

qui utilisent les animaux                 vs                          qui sont leurs amis

(animal = moyen de vivre)              vs                    (animal = ami pour jouer)

La réaction des fillettes est de l’apaiser, de le cajoler, mais le chat, qui est le personnage le plus raisonnable du conte, leur ordonne de cacher le cerf dans la maison le plus rapidement possible.

« C’est bien le moment de s’embrasser ! Quand les chiens seront sur lui, il en sera bien plus gras !… »

Les sentiments                                             vs                                               La raison

(les filles)                                                                                                               (le chat)

C’est le chien Pataud qui arrive le premier, avant la meute. Au début, les fillettes veulent lui faire croire qu’elles n’ont pas vu le cerf. Mais, à cause de son flair, on ne peut pas le tromper. Finalement, c’est le poussin qui va dire la vérité. Le poussin est un personnage innocent, il ne veut pas faire de mal mais, comme les enfants, il ne sait pas cacher la vérité.

Quelle est la valeur du mensonge ? Nous savons que la société condamne le mensonge mais nous voyons que, parfois, mentir est accepté quand il s’agit de sauver la vie de quelqu’un.

La vérité                                        vs                                     La non-vérité justifiée

A l’arrivée de la meute, les filles, le chat et Pataud ont déjà décidé de la façon de les dérouter : par la flatterie elles gagnent la confiance des chiens et, trompés par l’arôme des fleurs, ils ne trouveront pas les traces du cerf. L’astuce des fillettes sauve la vie du cerf à ce moment là.

« Vous êtes si beaux, dit Marinette, que je veux vous faire un cadeau de mes fleurs. Jamais chiens ne les auront mieux méritées ».

SÉQUENCE 2 :

Etant donné que les parents n’ont pas trouvé un bœuf à acheter, le chat a la bonne idée de proposer au cerf de se présenter le lendemain à la ferme.

« Il faudrait d’abord savoir ce que tu sais faire, répondirent les parents ».

Pour les parents, avoir un cerf à la place d’un bœuf n’est pas un problème. Ils ont besoin d’un animal pour le travail, qui soit capable de jouer le même rôle que le bœuf. Le cerf a le courage de changer totalement sa façon de vivre en échange de la sécurité. Cela lui va coûter très cher car son corps n’est pas adapté au travail des champs. Il tient le plus longtemps possible mais un jour décide de s’en aller.

A la ferme, le cerf éprouve des sentiments opposés : il se sent très bien en compagnie des fillettes et des animaux, avec lesquels il se lie d’amitié. Mais il ne supporte pas le dur travail.

Etre                                                                 vs                                                     Avoir

(l’amitié,                                                                                                           (la sécurité,

la joie,                                                                                                             la nourriture

le bonheur)                                                                                                une demeure)

SÉQUENCE 3 :

« Delphine et Marinette n’eurent jamais non plus la permission d’accompagner le cerf, mais un dimanche après-midi, sous prétexte d’aller cueillir le muguet, elles le rejoignirent dans un endroit de la forêt où ils s’étaient donné rendez-vous. »

Les fillettes font une chose interdite : elles vont dans la forêt en sachant qu’elles n’ont pas l’autorisation de leurs parents. Elles mentent pour la deuxième fois, mais cette fois non pour sauver la vie de personne, mais pour le plaisir. Elles risquent les dangers de la forêt mais c’est leur choix.

Cette sortie-fugue est très intéressante pour les filles, qui apprennent beaucoup de choses et rencontrent quelques animaux très sympathiques, comme, par exemple, la carpe, qui connaît leur mère depuis qu’elle était petite.

Le chien Pataud apparaît : « il fut très content d’apprendre qu’il travaillait à la ferme ». Il conseille au cerf de rester à la ferme pour toujours :

« Toujours ? protesta le cerf. Non, ce n’est pas possible. Si tu savais comme le travail est ennuyeux et comme la plaine est triste par ces grands soleils, alors qu’il fait si frais et si doux dans nos bois. »

Le chien veut le bien du cerf, mais le cerf doit choisir lui-même son destin. C’est comme les parents qui donnent des conseils à leurs enfants, mais pour ceux-ci le plus important est de vivre leur vie, de faire leurs expériences et leurs choix personnels.

Suivre des conseils                        vs                     Faire sa propre expérience

Pour sa part, le chien manifeste son malheur :

« Ah ! quel métier ! depuis que je vous connais, je ne peux pas dire combien il m’est pénible. Si je pouvais, moi aussi, quitter la forêt pour aller travailler dans une ferme… »

Le chien a changé dans sa façon de considérer les animaux qu’il doit chasser : maintenant il éprouve des sentiments pour eux et il lui est difficile de les tuer. Son métier ne lui plait plus et il désire en changer, mais il ne voit pas comment il pourrait le faire :

« Je ne peux pas, soupira Pataud. Quand on a un métier, il faut bien qu’on le fasse. C’est ce qui compte d’abord. ».

Etre                                                           vs                                                       Avoir

(en accord avec                                                                                         (un métier,

sa conscience)                                                                                          une position

                                                                                                                      dans la société)

SÉQUENCE 4 :

Dans cette séquence, le cerf doit prendre une décision : il ne supporte plus le travail et il doit choisir entre la sécurité de la ferme et le danger de la forêt. Il sait bien qu’il sera certainement chassé dans la forêt mais il décide d’y retourner. Le bœuf tente de s’enfuir avec lui mais il ne parvient pas à marcher dans la forêt. On voit que :

Le cerf appartient à la forêt          vs             Le bœuf appartient à la ferme

Le cerf ne peut pas travailler       vs              Le bœuf ne peut pas habiter

comme un bœuf à la ferme                               dans la forêt comme le cerf

Chacun a sa place dans le monde et on ne peut pas changer de position.

SÉQUENCE 5 :

« Les petits ne voulaient pas croire que leur ami le cerf fût parti pour toujours. – Il reviendra, disaient-elles, il ne pourra pas toujours se passer de nous ».

Les fillettes sont très tristes après le départ du cerf. Elles pensent qu’il va revenir. Elles pensent que l’amour qu’il a pour elles est trop grand pour qu’il les abandonne comme ça. Elles ne comprennent pas qu’il ne puisse pas vivre à la ferme.

L’espoir                                                      vs                                                      La réalité

Quand Pataud arrive avec la nouvelle de la mort du cerf, les fillettes pleurent, inconsolables. Mais elles ont un réconfort : elles sont sûres maintenant que le cerf avait de l’ affection pour elles : il a donné à Pataud une marguerite « Pour les petites », il m’a dit ». Le cerf va rester pour toujours dans la mémoire des fillettes.

Finalement, après la mort du cerf, le chien prend la décision d’abandonner son métier et de rejoindre les fillettes à la ferme. C’est ce qu’il voulait faire au début, quand il avait rencontré les fillettes. Mais il n’en avait pas alors le courage. Il a fallu la mort de son ami pour qu’il puisse prendre la décision de changer de vie.

Le courage de changer                        vs                             l’inertie de la vie ( ? )

IV CONCLUSION

Dans « Le cerf et le chien », Marcel Aymé nous présente des problèmes que les hommes rencontrent dans leur vie quotidienne : ils doivent prendre des décisions, s’adapter à différents milieux sociaux, mentir, souffrir de la disparition d’un ami, faire un travail sans plaisir, prendre des risques pour un ami, avoir le courage de vaincre l’inertie de la vie …

Sa façon d’écrire est simple et claire. Ses contes sont destinés aux enfants mais seuls les adultes peuvent en trouver le sens profond.

Marcel Aymé a vécu son enfance à la campagne et c’est pour cette raison que ses contes se déroulent dans une ferme où les animaux sont des personnages humanisés.

***

Université de Genève, Faculté des Lettres, E.LC.F.

Texte présenté par Mme Oriana ROMERO PEREIRA et M. Elton KAPPLA dans le cadre du séminaire d’introduction à l’analyse sémiotique pour l’obtention du Certificat d’Etudes Françaises (C.E.F.)

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY