« La Vénus d’Ille » (analyse sémiotique)

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La Vénus d’Ille – son auteur et les origines de la nouvelle

Prosper Mérimée (1803-1870) est un écrivain français appartenant à la génération romantique. Il est connu surtout pour ses nouvelles fantastiques (Les Ames du purgatoire,1834 – La nus d ‘Ille, 1837 – Lokis,  1869 – La Chambre bleue posthume – 1873). Parmi ses autres réussites, on peut citer Colomba (1840) qui raconte une histoire d’honneur et de vendetta, et Carmen (1845), inspirée par ses voyages en Espagne, qui est une variation tragique sur le thème de la déchéance par l’amour, et qui reste son œuvre la plus connue.

Pour ses nouvelles, Mérimée puise son inspiration dans de nombreux voyages effectués dans le Midi de la France et en Espagne. En effet, en 1834, il est nommé inspecteur général des Monuments historiques et cette fonction l’amène à parcourir la France pour y recenser les monuments en péril. C’est certainement sa première tournée d’inspection, qui le mena à Perpignan, qui a sans doute inspiré La Vénus d’Ille, parue pour la première fois le 15 mai 1837 dans la Revue des Deux mondes. En effet, à cette époque-là, les archéologues des Pyrénées-Orientales recherchaient passionnément les traces du culte de la « Vénus pyrénéenne ». On sait, par exemple, que le port de Port-Vendres (en latin Portus Veneris), chef-lieu de canton des Pyrénées-Orientales en région Languedoc-Roussillon, doit son nom à la déesse Vénus. Dans l’Antiquité, le temple de Vénus se trouvait probablement tout proche de ce port.

Ce que la nouvelle doit au voyage de son auteur en Roussillon, c’est avant tout le cadre dans lequel se déroule l’action et ses personnages. Ainsi, le personnage de M. de Peyrehorade doit beaucoup de ses traits à Pierre Puiggari (1786-1854). Ce dernier, contemporain de Mérimée, fut non seulement professeur au collège de Perpignan, mais avant tout l’auteur de nombreux ouvrages de linguistique et d’archéologie catalanes que Mérimée critiqua vivement. D’ailleurs, il donna le nom de son contradicteur – en le transformant légèrement – au personnage de Mlle Puygarrig. Le nom donné au personnage de M. de Peyrehorade est celui d’un chef-lieu de canton des Landes, sur le gave de Pau, entre Pau et Bayonne.

En ce qui concerne l’histoire de la nouvelle, il s’agirait d’un plagiat, comme le dit Mérimée, lui-même[1] :

« … L ‘idée de ce conte m’est venue en lisant une légende du Moyen Age rapportée par Fréher. J’ai pris aussi quelques traits à Lucien, qui dans son « Philopseudès » parle d’une statue qui rossait les gens. J’ai entrelacé mon plagiat de petites allusions à des amis à moi, et des plaisanteries intelligibles dans une coterie où je vivais lorsque cette nouvelle a été écrite . . . »

 Même si nous ne savons pas qui était Fréher, les légendes sur les statues, qu’elles soient de Vénus ou de la Vierge, douées de pouvoirs surnaturels ne manquent pas. Une chronique latine de Hermann Corner, rédigée au XIe siècle, évoque le pouvoir surnaturel d’une statue de Vénus qui, la nuit, descend de son piédestal pour assouvir ses passions. Dans l’ « Histoire de Grégoire VII » de Villemain, on peut trouver l’histoire suivante (2)   :

« … On racontait, par exemple, vers le temps dont nous parlons, qu’un jeune Romain noble et riche, marié depuis peu, étant allé s’ébattre avec quelques amis sur la vaste place du Colisée, au moment de faire une partie de balle avait ôté de son doigt l’anneau nuptial et l’avait mis au doigt  d’une statue de Vénus. Le jeu fini, quand il vint pour reprendre son anneau, il trouva le doigt de marbre de la statue recourbé jusqu’à la paume de la main, et il ne put , malgré tous ses efforts, ni le briser, ni retirer la bague. Il ne dit mot à ses amis et s’en alla fort pensif, mais il revint la nuit avec un valet. Le doigt de la statue s’était redressé et étendu, mais plus de bague. Rentré dans sa maison et couché près de sa jeune épouse, il sentit entre elle et lui quelque obstacle palpable, mais invisible, et comme il voulait passer outre, une voix lui dit : << C ‘est à moi qu’il faut t’unir, c’est moi que tu as épousée, je suis Vénus ; c’est à mon doigt que tu as mis l ‘anneau nuptial, je ne te le rendrai pas. »

Mais on retrouve la même histoire dans bien des ouvrages du Moyen Age, ce qui nous empêche de savoir avec exactitude dans laquelle des versions Mérimée a trouvé le thème de sa nouvelle.

La Vénus d ‘Ille – résumé

Le narrateur, un parisien qui est passionné d’archéologie, se rend en compagnie de son guide dans une petite ville des Pyrénées qui se nomme Ille, et où il est attendu par un certain M. de Peyrehorade. Sur le chemin , son guide lui apprend deux nouvelles. La première concerne le mariage prochain de M. Alphonse, le fils de M. de Peyrehorade, avec une jeune femme du pays qui se nomme Mlle de Puygarrig. La deuxième concerne une statue de Vénus découverte très récemment dans les terres de M. de Peyrehorade. Il semble que cette statue porterait malheur. En effet, lors de son déterrement elle est tombée sur un des ouvriers et elle lui a cassé la jambe.

Une fois arrivé à Ille, le narrateur est reçu très chaleureusement par M. de Peyrehorade qui s’avère être, lui aussi, un passionné d’archéologie. Ce soir-là, le narrateur est le témoin d’un fait singulier : en regardant par la fenêtre de sa chambre, il voit deux polissons insulter la statue d’abord et lui jeter une pierre ensuite. Mais la pierre leur est retournée quasi instantanément. Persuadés que c’est la Vénus même qui l’a fait rebondir contre eux, il s’enfuient, apeurés, ce qui ne fait qu’amuser le narrateur .

Le lendemain, le narrateur se trouve face à face avec la statue. Il doit constater que ses formes sont parfaites, mais il reste frappé par l’expression du visage. Il le trouve méchant et effrayant à la fois. Sur le socle, il peut lire l ‘inscription « Cave amantem » qu’il traduit de la façon suivante : « Prends garde à toi, si elle t’aime ». Une autre transcription se trouve sur le bras droit, mais elle n’est pas très lisible ; en plus, il paraît que quelques lettres y ont été effacées. Il remarque aussi quelques écorchures sur la poitrine de la statue, dues certainement à la pierre jetée la veille par les deux jeunes Illois. Mais bizarrement, il trouve les mêmes écorchures aussi sur les doigts de la main droite de la statue. Plus tard dans la journée, le narrateur se retrouve en compagnie de M. Alphonse qu’il trouve par ailleurs très grossier et stupide. Ce dernier lui montre avec une grande fierté la bague de famille sertie de diamants à l’intérieur de laquelle on peut lire l’inscription en catalan : « Sempr’ ab ti », c’est-à-dire « toujours à toi ». Cette bague est destinée à sa fiancée, Mlle Puygarrig, dont le narrateur fait encore la connaissance ce soir-là, puisque un dîner est organisé dans la maison de la future Mme de Peyrehorade . Pendant le diner, le narrateur observe une certaine ressemblance entre Mlle Puygarrig et la statue de Vénus. C’est surtout son air, malicieux pour le moment, qui lui rappelle les traits de la statue.

Le jour de la noce, qui tombe comme par hasard un vendredi – qui fut autrefois le jour de Vénus -, M. de Peyrehorade se livre à une espèce de culte païen . En étalant des roses aux pieds de la statue, il lui demande des faveurs pour les jeunes mariés. Entre temps, M. Alphonse ne peut résister à sa passion pour le jeu de paume et se lance dans une partie qui oppose les Illois et les Espagnols. Comme sa bague de diamants destinée à sa fiancée le gêne pendant le jeu, il la retire de son doigt et il la passe au doigt de la statue. Une fois la partie terminée, il oublie la bague et se rend chez sa fiancée. De peur de se rendre ridicule, il met au doigt de sa fiancée une autre bague qu’une modiste lui avait offerte autrefois à Paris. Les deux repas de la noce – le déjeuner chez les Puygarrig et le souper chez les Peyrehorade – ressemblent plus à des beuveries qu’à une célébration de mariage. Une fois rentré à Ille, M. Alphonse cherche à récupérer sa bague de diamants mais, à sa grande surprise, il n’arrive pas à la retirer du doigt de Vénus. Il se confie au narrateur en lui racontant que la statue ne veut pas lui rendre sa bague . Celui-ci se montre d’abord hésitant et accepte d’aller vérifier mais, par la suite, il se persuade que M. Alphonse est victime des hallucinations dues à son état d’ivresse, et que s’il n’arrive pas à retirer la bague, c’est uniquement à cause de sa maladresse d’ivrogne. La nuit venue, le narrateur monte se coucher, mais il passe une très mauvaise nuit. Il ne cesse pas d’entendre des bruits et des pas qui montent dans la chambre nuptiale . Au petit matin, il est réveillé par des cris et des lamentations. Il se lève alors brusquement pour voir ce qu’il se passe. Il retrouve dans la chambre des jeunes mariés le cadavre de M. Alphonse gisant par terre et, à côté de lui, il remarque la bague sertie de diamants, celle qui devait se trouver au doigt de Vénus. L’enquête menée par le procureur ne permettra ni d’éclairer la cause de la mort de M. Alphonse ni de découvrir son assassin. Le seul témoin du crime est la jeune Mme de Peyrehorade, mais la nuit même du crime elle a du probablement perdre la raison puisqu’elle désigne comme coupable la statue de Vénus. Après les funérailles, le narrateur rentre à Paris.

Dans l ‘épilogue, le narrateur apprend dans une lettre qu’après la mort de M. de Peyrehorade, sa femme a fait fondre la statue pour en faire une cloche d’église. Il apprend aussi que les vignes ont gelé deux fois depuis que cette cloche sonne à Ille.

La Vénus d’Ille – analyse sémiotique

  1. La structure générale du récit

Tout récit, étant défini comme la représentation d’un événement, présente une structure générale inscrite sur un axe sémantique. Pour dégager cette structure il faut tout d’abord observer la situation finale ( S’ ) et rechercher la situation initiale ( S ) correspondante.

Dans La Vénus d ‘Ille, la situation finale est caractérisée par la frustration du narrateur causée par l’irrationnel, par l’absurde dont il vient d’être le témoin et qui mettent en cause toutes ses convictions. En effet, ce dernier essaie désespérément d’élucider le meurtre de M. Alphonse, tout en examinant toutes les pistes rationnelles possibles. Tout d’abord, il évoque les assassins à gages :

Tout d’un coup, je me souvins d’avoir entendu dire qu’à Valence des braves se servaient de longs sacs de cuir remplis de sable fin pour assommer les gens dont on leur a payé la mort (p.52).

Ensuite, ses soupçons et ceux du procureur chargé de l’affaire se portent sur l’Espagnol. Il est vrai que M. Alphonse lui avait infligé une défaite humiliante le jour de sa noce et que cela pourrait constituer le mobile du crime. Par ailleurs, il y a une certaine ressemblance entre la statue et lui, ce qui pourrait expliquer les divagations de la jeune mariée. Ainsi, logiquement, la description de l’Espagnol en fait le suspect numéro un :

C’était un homme d’une quarantaine d’années …haut de six pieds, et sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi foncée que le bronze de la Vénus… (p. 43).

 Et comme les deux mesurent environ six pieds …

...il m’était difficile de distinguer l’attitude de la statue …sa hauteur qui me parut de six pieds environ (p.29),

 … une telle accusation paraît justifiée. Mais il pourrait y avoir d’autres raisons. Certes, on pourrait de cette façon expliquer d’une façon rationnelle le crime jusque là « mystérieux », mais, d’autre part, ces explications pourraient aussi (et surtout) appuyer les convictions du narrateur. Mais l’Espagnol prouve son innocence :

enfin l‘hôtelier chez qui cet homme était logé assura qu’il avait passé toute la nuit à frotter et à médicamenter un de ses mulets qui était malade … (p. 54).

 Au fur et à mesure que l’enquête piétine (on ne saura d’ailleurs même pas quelle était la cause exacte de la mort du jeune marié), le narrateur ressent une frustration grandissante et son esprit, rationnel, objectif et logique jusque là, commence à douter. De peur de se ridiculiser, il n’admet pas publiquement que les forces surnaturelles – en l’occurrence la statue de Vénus – soient à l’origine du crime, mais il le croit. Ce changement d’état d’esprit est le plus « visible » au moment de la lecture d’une lettre dans laquelle son ami M. de P. lui apprend qu’après la mort de M. de Peyrehorade sa femme a fait fondre la statue de Vénus pour en faire une cloche de l’église locale. Il y apprend aussi que :

Depuis que cette cloche sonne à Ille, les vignes ont gelé deux fois … (p. 56).

On voit donc que son correspondant établit une relation directe entre la cloche, Vénus et les gels. Le narrateur ne conteste pas cette relation absurde et irrationnelle. Il l’aurait certainement fait au début de son séjour à Ille, mais à présent le surnaturel lui semble possible.

La situation initiale correspond à l’arrivée du narrateur à Ille. Décrit à plusieurs reprises comme « un savant », il représente Paris, la science, la modernité par opposition au milieu et aux gens qu’il y rencontre. On sent qu’il se distancie volontiers des habitants, de leur croyances et de leurs superstitions. Par ailleurs, les portraits de ses hôtes qu’il nous livre sont très négatifs, voir méchants :

 …Je me trouvais bientôt en présence de M de Peyrehorade. C’était un vieillard vert encore et dispos, poudré , le nez rouge Sa femme, un peu trop grasse, comme la plupart des Catalanes . M. Alphonse un grand jeune homme de vingt-six ans…ses mains grosses et hâlées, ses ongles courts contrastaient singulièrement avec son costume. C ‘était des mains de laboureur sortant des manches d un dandy … (p.22-24)

Son attitude supérieure transparaît de façon frappante dans son opinion à propos du « savoir archéologique » de son hôte. Effectivement, celui-ci lui fait une démonstration d’étymologie toponymique que le narrateur trouve farfelue, grotesque et ridicule. Toutefois, il ne la conteste pas ; il fait même semblant de l’approuver en essayant de la développer :

je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à mon tour faire preuve de pénétration .. (p. 37).

 Mais son opinion sur les connaissances de son hôte est assez méprisante :

Je parvins à réprimer une forte envie de rire (p. 36).

 Il porte également un regard critique « de Parisien » sur les habitudes et les traditions locales   :

L’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple (p. 39)

…Je ne sais pas pourquoi, un mariage m’attriste toujours. Celui-là, en outre, me dégoûtait un peu ... (p. 47).

 Après avoir identifié la situation finale et la situation initiale, il faut observer à quel moment a lieu la transformation . Celle-ci peut être progressive ou soudaine. Dans La Vénus d’Ille elle semble être progressive, mais le meurtre du jeune homme et ses circonstances mystérieuses sont tout de même le point critique car c’est après cet événement tragique que le rationalisme du narrateur est définitivement compromis :

 …Passant et repassant devant la statue, je m’arrêtai un instant pour la considérer. Cette fois , je l’avouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de méchanceté ironique ; et la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d’être le témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au malheur qui frappait cette maison (p. 52).

 On encore :

En questionnant cet homme, je ressentais un peu de la terreur superstitieuse que la déposition de madame Alphonse avait répandue dans toute la maison … (p. 55).    

Pour simplifier, on peut inscrire la structure générale du récit sur l’axe sémantique suivant :

Avant                                 transformation                             après

( s )  —————————->             —————————->   ( s’ )

situation initiale                                                         situation finale

Sujet d’état (+) Objet de valeur   vs   Sujet d’état (-) Objet de valeur

 

S semble détenir Obj. de valeur       vs     S a perdu Obj. de valeur

le narrateur « rationaliste »       vs            le narrateur « déstabilisé »

 le narrateur « rationaliste »  :  il ne croit qu’aux faits qui peuvent être prouvés et expliqués du point de vue logique, rationnel et objectif. Sur le moment, il adopte même un ton ironique et supérieur vis-à-vis des gens superstitieux :

Méchante ! Quelle méchanceté vous a-t-elle faite ?… (p. 22)

 … Et mes deux polissons prirent la fuite à toutes jambes. Il était évident que la pierre avait rebondi sur le métal, et avait puni ce drôle de l’outrage qu’il faisait à la déesse. Je fermai la fenêtre en riant de bon cœur… (p. 30)

… J’éprouvai un frisson subit, et j’eus un instant la chair de poule. Puis, un grand soupir qu’il fit m’envoya une bouffée de vin, et toute émotion disparut. Le mirable, pensai-je, est complètement ivre ... (p. 48)

… Je serais un bien grand sot d’aller vérifier ce que m ‘a dit un homme ivre … (p. 49)

vs

Le narrateur « déstabilisé » : à la suite du meurtre de M. Alphonse, le narrateur s’engage activement dans l’enquête, mais il n’y trouve aucune réponse logique :

… J’allais dans la maison, cherchant partout des traces d’effraction mais n’en trouvant nulle part… (p. 52)

 On amena l’Espagnol …on compara ses souliers avec les empreintes de pas dans le jardin, ses souliers étaient beaucoup plus grands … (p. 54)

... S’il avait eu cette bague au doigt, ajouta-t-il en se reprenant, je laurais sans doute remarqué … (p. 55)

Passant et repassant devant la statue, je marrêtai un instant pour la considérer.  Cette fois, je lavouerai, je ne pus contempler sans effroi son expression de chanceté ironique ; et la tête toute pleine des scènes horribles dont je venais d‘être le témoin, il me sembla voir une divinité infernale applaudissant au malheur qui frappait cette maison... (p. 52)

***

-+ le regard méprisant du narrateur sur les autres :
  • M. de Peyrehorade : l’amant ridicule de la Vénus
  • Mme de Peyrehorade : une grosse catalane et une chrétienne intolérante
  • M. Alphonse : un fiancé grossier

 vs    (transformation)

-+ le regard du narrateur est devenu plus humain :
  • M. de Peyrehorade : le père mourant de chagrin
  • Mme de Peyrehorade : une mère dont le coeur est déchiré par la perte de son fils
  • M. Alphonse : la victime d’une mort atroce

***

Après avoir dégagé la structure générale du récit, on peut procéder à une analyse à différents niveaux, plus concrets ou plus abstraits. On peut observer, de façon plus concrète, les lieux précis où se situent les personnages, les actions particulières qu’ils accomplissent, les relations entre les deux camps de personnages.

On peut aussi noter, de façon plus abstraite, les thèmes qui se dégagent du récit. On peut ainsi, au cours de l’interprétation d’un texte, remonter du niveau le plus concret au niveau le plus abstrait :

Niveaux :

 

  • Abstrait                                                       –  Thématique
                                                                         –   Narratif

on analyse les fonctions des actants et les relations qu’ils entretiennent entre eux

 

  • Concret                                                       –  Figuratif

on prend en observation les personnages et le déroulement concret de leurs actions dans des lieux et des temps donnés

 

I. Le niveau figuratif

L’analyse à ce niveau fait appel à l’observation et à un principe structuraliste élémentaire : le sens provient des différences.

 Le code topologique :

Au niveau des indications spatiales (le code topologique) on peut mettre en relation trois mouvements principaux :

  • Paris      vs      province,
  • intérieur de la maison      vs      extérieur
  • Ille      vs      Puygarrig.

Ces indications spatiales prennent du sens par leurs correspondances aux niveaux narratif et thématique :

a) Paris vs province

C’est le personnage du narrateur qui représente Paris, ville connue pour son raffinement, son modernisme, sa vie culturelle et artistique, ses mondanités. Bref, c’est la capitale de l’empire. D’ailleurs, dès son arrivée, le narrateur a des remarques et des réflexions qui prouvent qu’il se sent supérieur aux habitants du pays et qu’il cherche à se distinguer d’eux

Je ne pus m’empêcher de sourire, tant l’explication me parut tirée par les cheveux… (p. 34) …Je croyais que ces sortes d’accidents n’arrivaient qu’aux gens d’esprit, me disais-je à moi-même… (p.48).

Face à la capitale, la province apparaît à la fois comme un endroit exotique et arriéré. La langue qui y est parlée n’est pas le français mais le catalan. Or, la langue des savants et des philosophes, de l’élite, c’est justement le français, tandis que les dialectes sont parlés par les paysans et des incultes. Par ailleurs, les Espagnols qui jouent au jeu de paume avec des Illois ont un physique plutôt étrange et exotique :

sa peau olivâtre avait une teinte presque aussi foncée que le bronze de la Vénus … (p.43)

... le géant espagnol je le vis lir sous sa peau basanée (p.44)

En somme, les habitants et les coutumes ne sont pas les mêmes qu’à Paris.

Cet antagonisme est évident dans les rapports de force que les personnages masculins entretiennent entre eux. Ainsi M. de Peyrehorade cherche à éblouir par ses connaissances archéologiques son « collègue » parisien :

… « Quid dicis, doctissime ? » me demanda-t-il en se frottant les mains. Voyons si nous nous rencontrerons sur le sens de ce cave amantem … (p.34)

mais le parisien ne se laisse pas faire :

…je me gardai bien de critiquer son étymologie, mais je voulus à mon tour faire preuve de pénétration … (p.37)

Par ailleurs, d’innombrables excuses sur la modeste demeure que M. de Peyrehorade présente à son invité ne sont que de l’hypocrisie.

De même, son fils M. Alphonse envie aux parisiens leur mode de vie et cherche à leur ressembler:

… il était ce soir-là habillé avec élégance, exactement d’après la gravure du dernier numéro du Journal des Modes… (p.23) .

Aussi se mesure-t-il sans cesse avec le narrateur. Il lui expose ses meilleurs chevaux :

il me tint une demi-heure à me vanter ses chevaux, à me faire leur généalogie … (p.39)

… et une grosse bague aux diamants destinée à sa futur femme. Mais le parisien ne se laisse pas intimider et rétorque pour affirmer sa supériorité :

l’usage à Paris, lui dis-je, est de donner un anneau tout simple… (p.39)

On voit bien que l’opposition entre Paris et la province n’est pas seulement géographique mais qu’elle se reflète, négativement, dans les relations que le narrateur entretient avec ses hôtes. Par ailleurs, l’admiration que le narrateur porte à Vénus pourrait accentuer cet antagonisme géographique et détériorer sa relation avec M. de Peyrehorade. De même, la jalousie qu’il ressent en pensant à la jeune fiancée de M. Alphonse pourrait être à l’origine d’un affrontement ouvert avec le jeune homme, voire de son assassinat. Dans cette perspective, le statut du narrateur change : il n’est plus un simple observateur des événements, mais il y prend une part active puisqu’il devient à la fois le rival de M. de Peyrehorade et du jeune M. Alphonse.

Paris      ———————–>    vs       <——————–    province

vous auriez vu danser nos Catalanes… (p. 24)

un lit long de sept pieds, large de six, et si haut qu’il fallait un escabeau pour s’y guinder (p.28)

  • la province signifie aussi l’ignorance :

moi qui vous parle ... vieil antiquaire de province   (p.25)

voilà bien l’ignorance, la sainte ignorance de la province … (p.26)

  • la province représente enfin l’irrationnel :

Elle me l’a rejetée ! s ‘écria-t-il… (p.31)

un beau chef-d’œuvre quelle a fait ! casser la jambe d’un homme ! (p. 31)

 

b) l’intérieur de la maison vs l’extérieur

On peut identifier l’intérieur de la maison comme un lieu « culturel » où les personnages présents occupent une place précise en y assumant leurs devoirs. Ainsi, la cuisine et la salle à manger, symboles du foyer familial, constituent un espace réservé à l’épouse de M. de Peyrehorade qui y reçoit l’invité avec la générosité et la munificence que les coutumes locales exigent :

...sa femme fit  tuer des pigeons, frire des milliasses, ouvrit je ne sais pas  combien de pots de confiture ...(p.23)

Ensuite, il y a la chambre nuptiale, un endroit symbolique pour la célébration d’un mariage chrétien. Elle est destinée aux futurs époux pour qu’ils puissent y accomplir leur devoir, c’est-à-dire consommer le mariage et ainsi « valider » leur union :

A droite, me dit mon hôte, c’est l’appartement que je destine à la future madame Alphonse … Vous sentez bien, ajouta-t-il d’un air qu ‘il voulait rendre fin, vous sentez bien qu’il faut isoler de nouveaux mariés (p.28).

Il y a aussi la chambre du narrateur où ce dernier se livre à des réflexions sur le vandalisme et l’héritage culturel ou encore sur l’immoralité d’un mariage de convenance :

... Quelle odieuse chose, me disais-je, qu’un mariage de convenance ! Une femme peut-elle aimer un homme qu’elle aura vu grossier une fois  ? … (p.48)

Cependant, ces trois endroits hautement « culturels », subissent un renversement le soir et la nuit du mariage; ils sont comme profanés par le monde antique qui, avec la nuit tombante, commence à envahir l’intérieur de la maison. D’abord, c’est le repas de noce qui se transforme en une beuverie obscène et ressemble plus à un rituel païen qu’à une célébration chrétienne.

Ensuite, c’est au tour du narrateur qui, une fois couché, se laisse envahir par les sentiments les plus bas, telle que la jalousie et la haine, en pensant à la jeune épouse de M. Alphonse, justement la nuit de sa noce :

je pensais à cette jeune fille si belle et si pure abandonnée à un ivrogne brutal ... (p.49)

voilà la plus honnête fille du monde livrée au Minotaure ... (p.49)

…c’était probablement le cortège de la mariée qu’on menait au lit … (p. 50)

Ainsi, il ne se présente plus comme un archéologue savant de Paris, mais comme un jeune homme célibataire frustré et humilié :

ce monsieur Alphonse mérite bien d ‘être haï... (p.49)

...je me tournais dans mon lit de mauvaise humeur … un garçon joue un sot rôle dans une maison où saccomplit un mariage (p. 50).

A la fin, c’est la consommation même du mariage qui est empêchée par la présence supposée d’une déesse antique, frivole et cruelle.

On pourrait même comparer la chambre à un temple de Vénus où le lit nuptial se confondrait avec un autel païen sur lequel aurait lieu un sacrifice. Or, ce n’est pas la jeune vierge qui est sacrifiée mais le jeune homme qui a outragé la déesse. Mais, dès l’aube, le monde païen s’efface au profit du monde moderne dans lequel on contrôle ses pulsions et on assume ses responsabilités. Ainsi, le narrateur, redevenu un homme civilisé capable de réprimer ses sentiments les plus primitifs, porte ce conseil à son hôte :

Vous avez encore une fille, leur dis-je, vous lui devez vos soins ... (p.51)

Par ailleurs, il se lance avec une rigueur scientifique dans une enquête pour démasquer le meurtrier :

ces meurtrissures à la poitrine m’embarrassaient beaucoup pourtant , car un bâton ou une barre de fer n’aurait pu les produire … (p.52).

A l’intérieur de la maison s’oppose l’extérieur, qui est à la fois ludique et charnel, et qui fait beaucoup penser au monde antique. En effet, on y trouve l’écurie avec les meilleurs chevaux. Ils ont gagné de nombreux prix aux courses du département qui font penser aux courses de char dans la Rome antique. Il y a aussi le terrain où on s’adonne aux parties de jeu de paume. D’ailleurs, on peut comparer le corps musclé du jeune M. Alphonse à ceux des jeunes athlètes romains qui s’affrontaient autrefois dans des arènes :

c’était un grand jeune homme de vingt-six ans, d une physionomie belle et régulière, …sa taille et ses formes athlétiques justifiaient bien sa réputation d’infatigable joueur de paume (p.23)

Le narrateur, qui observe la partie, fait même allusion à une bataille :

... je le vis chausser à la hâte une paire de sandales, retrousser ses manches, et  dun air assuré, se mettre à la tête du parti vaincu, comme César ralliant ses soldats à Dyrrachium   . . . (p.43).

Mais, il y a aussi le jardin où est placée la fameuse statue de Vénus à laquelle M. de Peyrehorade élève même un autel pour pouvoir lui faire des offrandes.

Si l’extérieur de la maison est un endroit fortement dominé par le monde païen, qui peut être défini comme « naturel », c’est aussi l’endroit où le jeune Alphonse se sent réellement chez lui. Avec « son » écurie et « son » terrain de jeu, c’est pour ainsi dire « son espace à lui » :

alors je le trouvai vraiment beau. Il était passionné.  Sa toilette, qui l occupait si fort tout à lheure, nétait plus rien pour lui. Quelques minutes avant, il eût craint de tourner la tête de peur de déranger sa cravate. Maintenant il ne pensait plus à ses cheveux frisés ni à son jabot si bien plissé ... (p.43).

En revanche, il est évident qu’à l’intérieur de la maison, il ne se sent pas vraiment à l’aise :

M. Alphonse de Peyrehorade ne bougeait pas plus qu un Terme ... c’était un grand jeune homme...manquant d ‘expression.. ...Mais il me semblait gêné dans ses vêtements ; il était raide comme un piquet dans son col de velours … (p.23).

On s’aperçoit donc que la déesse païenne et le jeune Alphonse ont bien des points en commun; de plus, ils se partagent le même espace. Ainsi, leur union n’apparaît pas seulement comme possible mais comme probable.

l’intérieur      —————–>       vs     <——————-       l’extérieur

le lieu « culturel »                      vs                      le lieu « naturel »

***

 – Le lieu « culturel » :
  • la salle à manger :

l’espace réservé aux épouses, en l’occurrence à Mme Peyrehorade ; elle nourrit les corps :

elle courut à la cuisine … en un instant la table fut encombrée de plats et de bouteilles (p.23)

  • la chambre nuptiale :

symbolise le mariage chrétien et les obligations que cela implique

  • lieu de la mort de M. Alphonse :

il était livide, sans mouvement .. il était déjà raide et froid … (p.51)

vs

le lieu « naturel » :
  • le jardin :

réservé à Vénus – déesse des jardins et des champs – elle nourrit les esprits :

une Vénus, et dune merveilleuse beauté ... (p.31)

  • les écuries, le terrain de jeu : les lieux du culte des corps, des passions ; lieux de prédilection pour Alphonse :

… il n’hésita plus : il ôta son habit, demanda une veste, et défia les Espagnols .. si cela eût été nécessaire, il aurait, je crois fait ajourner le mariage… (p.43)

***

c) Dans le code topologique on peut relever encore deux autres lieux où se déroule l’action : la ville d’Ille où réside la famille de Peyrehorade, et Puygarrig, le village d’origine de la jeune mariée. Ces deux lieux s’opposent principalement sur deux points : par les oppositions « masculin- féminin », et « chrétien – païen ». Ainsi, quand la mariée doit se préparer à quitter son habitat pour celui de son mari, elle éclate en sanglots, et on évoque l’enlèvement des Sabines :

…M de Peyrehorade comparait cette séparation à l’enlèvement des Sabines… (p.46).

Or, selon la légende, les filles des Sabins ont été enlevées par des Romains, parce que la ville de Rome n’était habitée que par des hommes. On peut donc transposer les éléments de la légende sur Ille qui se substitue à la ville de Rome :  Mlle Puygarrig symbolise les Sabines;  le mariage symbolise l’enlèvement. Mais la ville d’Ille symbolise également le monde païen avec la statue de Vénus et toutes les intentions qu’on lui prête, tandis que la ville de Puygarrig incarne le monde chrétien avec les figures de la vierge : la jeune fiancée avec la tante dévote.

C’est d’ailleurs à Puygarrig qu’ont lieu les cérémonies religieuse et civile, tandis que le repas de noce – qui a dégénéré – a lieu à Ille.

Ille    ———————– >     vs     <———————    Puygarrig

une ville                                                                       un village

 ***

 – la ville d’Ille :
  • c’est la ville d’origine du marié et, par analogie, c’est un lieu « masculin », un espace fort, dominé par des personnages masculins : le narrateur, les Peyrehorade père et fils, l’Espagnol, les joueurs du jeu de paume :

...je connais sa maison comme la mienne… c’est la plus belle d’Ille. Il a de l’argent, oui ce monsieur de Peyrehorade… (p. 19)

  • on y trouve la statue de Vénus qui envoûte et domine les hommes :

Tenez, je parierais que vous venez à Ille pour voir l’idole… (p.20)

il est impossible de voir quelque chose de plus parfait que le corps de cette Vénus ; rien de plus suave, de plus voluptueux que son corps … (p.31)

  • c’est à Ille que le côté païen se manifeste :

…M de Peyrehorade … disposait des roses du Bengale sur le piédestal de la statue, et d’un ton tragi-comique lui adressait des vœux pour le couple… (p.42)

vs

– le village de Puygarrig :
  • c’est le village d’origine de la mariée, et de ce fait lieu« féminin» les femmes occupent cet espace : la tante dévote, les paysannes qui dansent :

c’est à Puygarrig que ça se fera : car c’est mademoiselle de Puygarrig que monsieur le fils épouse… (p.19)

  • on vient y chercher future épouse qui devra être soumise aux hommes :

vous verrez une mariée … une mariée… vous m’en direz des nouvelles… (p.25)

un joli ruban blanc et rose qu’il venait de détacher de la cheville de la mariée. On appelle cela sa jarretière. Elle fut aussitôt coupée par morceaux et distribuée aux jeunes gens, qui en ornèrent leur boutonnière (p.47)

  • c’est le lieu de célébration du mariage religieux :

les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe convenable..

 

Le code actoriel

Les oppositions spatiales sont souvent renforcées par des oppositions actorielles. Dans La Vénus d’llle les oppositions les plus intéressantes sont celles qui peuvent être faites avec la statue de Vénus. On peut la mettre progressivement en relation avec les figures de M. de Peyrehorade, Mme de Peyrehorade, Mlle de Puygarrig et M. Alphonse.

a) M. de Peyrehorade entretient une relation forte avec la statue. Quand il parle d’elle, il utilise constamment le pronom possessif «ma» :

… ma Vénus, ma statue (p.25, 26, 30, 36, 38, etc.).

Toutefois, ce n’est pas lui qui possède la statue, mais c’est la statue qui le possède. Il est totalement soumis à cette idole, prêt à subir tous les supplices :

Si ma Vénus m’avait cassé cette jambe-là, je ne la regretterais pas… (p.26)

... Qui n’a pas été blessé par Vénus … (p. 26)

Ces paroles révèlent que M. de Peyrehorade n’admire pas la statue uniquement pour sa valeur culturelle mais qu’il la désire en tant qu’idéal féminin. En effet, une infirmité physique au niveau d’une jambe fait immédiatement penser à Vulcain, dieu antique du Feu, qui était laid et boiteux mais qui était aussi l’époux légitime de Vénus. On pourrait donc interpréter les paroles de M. de Peyrehorade (..petit vieillard vert… p.22) comme le désir de s’identifier à Vulcain et, de cette façon, s’unir avec Vénus. Or, il est déjà marié, ses sentiments peuvent donc être considérés comme une infidélité et, de ce fait, comme une transgression de la morale chrétienne.

A cause des sentiments qu’il éprouve à l’égard de la déesse, il faillit aussi à son rôle de père puisqu’il choisit un vendredi pour marier son fils, sachant bien que le mot vendredi vient du latin «Veneris Dies» qui se traduit comme le «jour de Vénus» :

Vendredi  ! s’écria son mari, c’est le jour de Vénus ! Bon jour pour un mariage !…(p.41).

Il préfère donc honorer «sa» déesse plutôt que son fils. Il s’adonne même à des rites païens pour célébrer ce mariage :

avant la noce, nous lui ferons un petit sacrifice, nous sacrifierons deux palombes, et si je savais où trouver de l’encens … (p.41)

… puis il disposait des roses du Bengale sur le piédestal de la statue, et d’un ton tragi-comique lui adressait des vœux pour le couple… (p.42)

Mais M. de Peyrehorade semble oublier que Vénus n’était pas vraiment une protectrice du foyer conjugal, bien au contraire. Si elle était célèbre pour sa beauté et son charme féminin, elle l’était aussi pour sa frivolité, son infidélité, sa jalousie et sa cruauté. Elle régnait sur les cœurs et les sens des hommes et châtiait tous ceux qui ne voulaient pas lui succomber. Ses victimes étaient aussi nombreuses que ses amants.

De ce fait, l’association de Vénus et du mariage chrétien va créer une forte tension qui fait présager l’aboutissement tragique des événements car on ne peut pas associer ce qui n’est pas associable :

comment, madame, vous faites un mariage un vendredi ! A Paris, nous aurions plus de superstitions ; personne n’oserait prendre femme un tel jour ! Mon Dieu ! ne m’en parlez pas, me dit-elle, si cela n’avait dépendu que de moi, certes on eût choisi un autre jour. Mais Peyrehorade l’a voulu et il a fallu lui céder. (p.41).

Si M. de Peyrehorade est à l’origine du drame qui a lieu la nuit de noce, il en est aussi la victime car il meurt de chagrin, à peine quelques mois après la mort de son fils.

D’une certaine façon, il incarne la déchéance, car ses passions lui font transgresser les lois de la société et le précipitent vers une fin tragique. On peut résumer son parcours figuratif ainsi :

bon chrétien —> adorateur des idoles// époux —> amant fou// père du jeune marié —> père en deuil.

Vénus      ——————> vs  <—————–   M.  de Peyrehorade

***

 – Vénus :

  • « femme »
  • beauté éternelle
  • une maîtresse adorée
  • dominatrice
  • une idole païenne
  • elle a pu « renaître » grâce à M. de Peyrehorade

vs

 – M. de Peyrehorade :

  • homme
  • un petit vieillard vert
  • un amant dévoué
  • soumis
  • un catholique déchu
  • il meurt à cause de Vénus

***

b) Par la suite, on peut opposer Vénus à Mme de Peyrehorade. Les deux femmes incarnent chacune un monde différent. Mme de Peyrehorade est une chrétienne engagée pour laquelle le monde antique est avant tout le monde païen, le monde des idoles, des plaisirs charnels, le monde qu’elle perçoit très négativement, et dont elle se méfie :

Chef-d ‘œuvre ! un beau chef­ d’œuvre qu elle fait ! casser la jambe d’un pauvre homme !...(p.26).

Elle voudrait faire fondre la statue pour en faire une cloche d’église :

savez-vous que ma femme voulait que je fondisse ma statue pour en faire une cloche à notre église ?(p.26).

Mais son mari protège la statue. Par ailleurs, elle se trouve, d’une certaine façon, en concurrence avec la statue, comme le prouvent ces mots de son mari adressés au narrateur :

Voyez-vous, mon cher collègue, je ne pense qu’à ma Vénus(p.41).

En effet, c’est une épouse délaissée qui a toutes les raisons d’être jalouse. Toutefois, elle ne se laisse pas dominer par ses sentiments, bien au contraire, elle continue d’assumer ses devoirs, reste fidèle et obéissante à son mari; elle ne faillit jamais, elle appartient donc au monde « culturel« .

La relation entre ces trois figures est fort intéressante et peut s’exprimer hiérarchiquement : la statue (qui se trouve au sommet) domine le mari (au milieu) qui, lui, domine l’épouse (en bas). Les liens qui existent entre M. de Peyrehorade et Vénus peuvent être qualifiés de « naturels » puisque M. de Peyrehorade obéit à ses pulsions primitives sexuelles. Par contre, les liens qui unissent M. de Peyrehorade à son épouse sont d’ordre « culturel » puisqu’ils sont unis par le lien du mariage (union dont les conditions, les effets ou la dissolution sont régis par les lois religieuses ou civiques). Si, tout au long de l’histoire, c’est la statue qui se trouve au sommet et l’épouse en bas, à la fin, en revanche, on constate un renversement, car c’est l’épouse, et tout ce qu’elle symbolise, qui se trouve en position de force : la statue étant transformée en objet de culte chrétien et son mari étant mort.

Vénus    ——————>  vs   <—————-   Mme de Peyrehorade

***

– Vénus :

  • statue de bronze, immortelle
  • maîtresse idolâtrée
  • une beauté aux formes exquises
  • une déesse  païenne

vs

– Mme de Peyrehorade :

  • un être humain, mortel
  • épouse délaissée
  • une femme grosse, sans formes
  • une chrétienne dévote

***

c) En ce qui concerne les relations entre la Vénus et Mlle de Puygarrig, elles sont très ambiguës. Elles ont beaucoup de points communs, surtout au niveau de la ressemblance physique. Cette ressemblance est telle que la statue fait penser à la jeune femme et vice versa. Cette (con)fusion est présente surtout dans l’esprit des hommes. Ainsi, c’est d’abord le narrateur qui, en décrivant la jeune fiancée, ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec la statue :

son air de bonté, qui pourtant n était pas exempte d’une légère teinte de malice me rappela, malgré moi, la Vénus de mon hôte ... (p. 40).

Ensuite, c’est le futur marié qui, regardant le dessin de la statue, demande au narrateur de dessiner aussi sa fiancée :

Vous ferez le portrait de ma femme ? me dit-il en se penchant sur mon dessin. Elle est jolie, elle aussi … (p.42).

Et finalement, c’est M. de Peyrehorade qui s’exclame passionnément, lors du repas de noce  :

...Il y a deux Vénus sous mon toit la Vénus romaine et la Vénus catalane ...(p. 47).

Cette (con)fusion culmine la nuit de noce quand elles se partagent le même lit et le même mari. Mais si le jeune M. Alphonse est l’élément qui unit les deux femmes, c’est aussi l’élément qui les oppose car elles deviennent rivales. En outre, si les deux femmes se retrouvent dans la même chambre nuptiale, ce n’est pas pour les mêmes raisons. Tandis que la jeune mariée s’y trouve pour accomplir son devoir d’épouse, Vénus s’y invite pour assouvir son besoin de vengeance pour les outrages que le jeune homme lui a fait inconsciemment subir.

Si on schématise la relation entre ces trois personnages, on obtient le schéma suivant :

Vénus ————–>   M. Alphonse  <———–   Mlle Puygarrig.

Les liens entre Vénus et M. Alphonse peuvent être qualifiés de « naturels », puisqu’ils sont avant tout passionnels, et ceux qui unissent les jeunes fiancés de « culturels » puisqu’aux yeux de la société Mlle Puygarrig est la seule épouse légitime du jeune homme. Ce schéma ne peut qu’être linéaire car ni Vénus, ni Mlle Puygarrig ne peuvent affirmer leur supériorité, même si Vénus paraît occuper la position dominante. Celle-ci, en effet, n’est due qu’aux circonstances, la légitimé du mariage entre Mlle Puygarrig et M. Alphonse ayant été compromise du fait que la bague familiale destinée à la jeune femme revient à la déesse :

mais il me prévint, courut à la Vénus, lui passa la bague au doigt annulaire… (p.44)

les deux cérémonies civile et religieuse s’accomplirent avec la pompe convenable; et mademoiselle de Puygarrig reçut l’anneau d’une modiste de Paris… (p.45).

D’autre part, le repas de noce fait davantage penser à une fête en l’honneur de Bacchus qu’à un mariage chrétien :

… A Ille, le souper nous attendait, et quel souper ! Si la grosse joie du matin m’avait choqué, je le fus bien davantage des équivoques et des plaisanteries dont le marié et la mariée surtout furent l’objet… (p.46)

les derniers couplets ayant été chantés par l’adjoint du maire et ils étaient fort lestes, je dois le dire… (47).

Par ailleurs, grâce à l’hystérie collective des habitants d’Ille, la statue inanimée s’anime :

… Ces yeux brillants produisaient une certaine illusion qui rappelait la réalité, la vie. (p.32)

Elle n’est plus une statue antique mais on lui donne une âme et un corps capable de mouvements :

… elle a l’air méchante… et elle l’est aussi… (p.22)

… la statue qui fait des malheurs, comme celui-là… (p.26)

elle me l’a rejetée ! (p.30)

En revanche, en ce qui concerne Mlle Puygarrig, les mœurs en vigueur font qu’elle n’est pas considérée comme une femme capable de sentiments mais comme un objet de valeur. En effet, sa dot et son statut social lui donnent de la valeur aux yeux de la famille Peyrehorade :

… il marie son fils à plus riche encore… (p.19)

… la future est en deuil d’une tante dont elle hérite… (p.24);

De plus, en tant que belle jeune vierge, elle a de la valeur pour M. Alphonse puisqu’elle peut assumer le rôle d’épouse et de future mère de sa descendance :

... je ne sais pas si vous la trouverez jolie… mais tout le monde, ici et à Perpignan, la trouve charmante… (p.39)

… voici l’anneau qui je lui donnerai demain… c’est ma mère qui me l’a donnée. C’était une bague de famille très ancienne… du temps de la chevalerie. Elle avait servi à ma grand-mère, qui la tenait de la sienne… (p.39)

au départ, elle fit à sa nièce un sermon touchant sur ses devoirs d’épouse… M. de Peyrehorade comparait cette séparation à l’enlèvement des Sabines… (p.46).

Cela dit, à la fin, les deux subissent le même sort : une espèce de mort symbolique. D’abord, c’est la jeune femme qui perd la raison et ainsi s’isole du monde réel :

Cette malheureuse jeune personne est devenue folle, me dit-il en souriant tristement. Folle ! tout à fait folle… (p. 53).

Ensuite, après la mort de M. de Peyrehorade, Vénus est fondue et elle redevient un objet (une cloche d’église).

Vénus     ——————->   vs  < —————-    Mlle de Puygarrig

***

 – Vénus :

  • une païenne
  • un élément « naturel »
  • une frivole
  • une maîtresse

vs

 – Mlle de Puygarrig :

  • une chrétienne
  • un élément « culturel »
  • une vierge
  • une épouse

***

d) Pour ce qui est de la relation entre la statue et le jeune Alphonse, elle paraît sans ambiguïté. Tout au long de l’histoire on retrouve des éléments qui les rapprochent et qui les unissent.

Tout d’abord, il y a la ressemblance, l’attitude et les comparaisons. Ainsi, si l’on observe la description de M. Alphonse qui nous est donnée par le narrateur, on remarque immédiatement qu’elle convient plus à une statue qu’à un être vivant :

… ne bougeait pas plus qu’un Terme … manquant d’expression .. il était raide comme un piquet … (p.23).

Souvent, le jeune homme est comparé aux divinités, aux créatures et aux personnages réels qui ont peuplé le monde antique :

un Terme… (p. 23) … César… (p.43)… un Minotaure… (p.49).

Par ailleurs, si l’on compare le physique et l’expression de la statue avec ceux du jeune homme, on trouve de nombreuses similitudes

Vénus   <————————————->   M. Alphonse

***

Vénus :

… elle vous fixe avec ses grands yeux blancs … (p.21)

le corps de cette Vénus, rien de plus suave, de plus voluptueux… (p.31)

… quant à la figure, jamais je ne parviendrai à exprimer son caractère étrange … (p.31)

sa hauteur qui me parut de six pieds environ…

vs

 – M. Alphonse :

il me considérât de la tête aux pieds fort curieusement… (p.24)

jeune homme… d’une physionomie belle et régulière … ses formes

athlétiques… (p.23)

 ... je remarquai l’étrange altération de ses traits…(p.46)

un grand jeune homme . . (p.23)

***

Ensuite, il y a le caractère. Vénus est une frivole, une séductrice :

une bonne vierge ! ah bien oui ! … C’est une idole, vous dis-je: on le voit bien à son air… (p.21)

Te voilà donc, coquine! … (p.29)

Quant à M. Alphonse, lui aussi semble apprécier les relations légères :

cette petite bague-là, ajouta-t-il en regardant d’un air de satisfaction l’anneau… celle-là, c’est une femme à Paris qui me l’a donnée… Ah ! comme je m’en suis donné quand j’étais à Paris … C’est là qu’on s’amuse! ...Et il soupira de regret… (p.40)

De plus, comme cela a déjà été dit, ils partagent le même espace, celui de l’extérieur de la maison qui est le lieu des plaisirs, des amusements.

Leur parcours commun ressemble à une pièce de théâtre tragique. En effet, on y trouve les éléments nécessaires à une tragédie violente : la fatalité, une amante repoussée et outragée qui se venge, les jeunes fiancés qui ne s’aiment pas et qui ne s’unissent que pour obéir aux règles de la société, la mort violente, la folie.

La situation de départ de la pièce pourrait se définir ainsi : le mariage de deux jeunes gens a été planifié par leurs familles respectives. Or, tout prédestine le jeune homme à l’union avec Vénus. A l’acte suivant, on se prépare à partir pour la célébration du mariage prévu. Or, quelques instants avant le départ, le jeune homme commet une maladresse fatale. Il se laisse tenter par une partie de jeu de paume durant laquelle, par un geste aussi rapide qu’inexplicable, il passe la bague de mariage à  l’annulaire de la statue qui représente la déesse. Sans le savoir, il devient le mari de la statue. Une fois la partie terminée, il se rend finalement à la cérémonie. Le troisième acte est celui de la cérémonie même : durant la célébration, le jeune homme s’aperçoit qu’il a oublié la bague de mariage sur le doigt de la statue. Irrité, il maudit la déesse. C’est à ce moment-là qu’il décide, sans le savoir, de sa fin tragique. Non seulement il a rejeté la déesse, mais encore il a osé la maudire. Et Vénus ne pardonne jamais, au contraire, elle cherche à châtier tous ceux qui ne veulent pas lui succomber ou qui ne la vénèrent pas. Si la tension ne fait que croître à l’acte II, elle atteint, en revanche, son point critique à l’acte III. L’acte IV se déroule durant le soir de la noce quand le jeune homme comprend, après avoir vainement essayé de récupérer la bague, qui est sa véritable épouse et commence à redouter sa vengeance. Toutefois, c’est plutôt confiant qu’il entre dans la chambre nuptiale. L’acte V, qui est aussi le dernier, a lieu le lendemain et se déroule dans la chambre nuptiale. On y retrouve le corps du jeune homme, mort d’une mort atroce et la jeune femme qui a sombré dans la folie. Vénus, qui est coupable de ce double crime – car la folie de la jeune femme peut être comparée à la mort puisque son esprit est mort -, subit un châtiment comparable à la mort affreuse du mari : elle est fondue et transformée en un objet. Ainsi, elle disparaît pour toujours.

Même si la « pièce» ne respecte pas le principe des trois unités, sa structure (exposition – nœud­ – péripétie – dénouement) et ses personnages ont beaucoup en commun avec les tragédies classiques. D’ailleurs, comme les règles classiques l’exigeaient, le crime et la mort de Vénus n’y sont pas montrés, ils ne sont que mentionnés.

Alphonse      —————>      vs      <—————     Vénus

***

Alphonse :

  • l’homme
  • cherche à accomplir son devoir
  • subit le châtiment
  • la victime
  • la mort tragique

– Vénus :

  • l’idéal féminin
  • se laisse entraîner par ses sentiments
  • inflige le châtiment
  • la coupable
  • la mort ironique

***

II. Le niveau narratif (le schéma actanciel de A.J. Greimas) :

A ce niveau-là, les personnages d’un récit sont analysés du point de vue de leurs rôles narratifs et des relations réciproques.

  • les rôles sont au nombre de six : Sujet/Objet, Destinateur/Destinataire, Adjuvant/Opposant.
  • Le Sujet fait l’action, l’Objet la subit, le Destinateur l’inspire ou l’ordonne, le Destinataire en bénéficie, l’Adjuvant la favorise, l’Opposant l’entrave.
  • les axes sont ceux du désir, de la communication et du pouvoir. Le paradigme actanciel se présente donc ainsi :

axe de la communication :

DESTINATEUR ———–>  OBJET —————> DESTINATAIRE

axe du désir :

SUJET ——————-> OBJET

axe du pouvoir :

ADJUVANT —————— > SUJET <————–  OPPOSANT

 

En lisant le texte de Mérimée, on se rend compte que La Vénus d ‘Ille cache en fait deux histoires : celle du jeune M. Alphonse et celle du narrateur. C’est pourquoi l’on peut présenter deux schémas actanciels. L’histoire du jeune M. Alphonse se trouve, pour ainsi dire, à l’intérieur de celle du narrateur, c’est pourquoi on peut parler de schémas actanciels englobé et englobant.

a) le schéma actanciel englobé :

La quête du jeune Alphonse paraît évidente : il veut épouser la jeune demoiselle de Puygarrig. On peut donc affirmer qu’Alphonse est le Sujet d’état et que Mlle de Puygarrig est son Objet du désir. Mais Alphonse est aussi le Destinataire car c’est à lui que profite la quête.

Effectivement, en épousant cette jeune femme, ce qui équivaut à la réussite de la mission, il obtient sa dot, et change peut-être de statut social. Car si lui est issu de la bourgeoisie, elle fait peut-être partie de la noblesse (elle habite un château), et l’histoire se passe très probablement sous Louis XVIII. Par contre, ses parents, en décidant de le marier et en lui choisissant une fiancée assument le rôle de Destinateur, car ce sont eux qui l’envoient en mission, ils fixent le mandat, ils font faire. Mais, ils cumulent des fonctions parce qu’ils jouent aussi le rôle d’Adjuvants puisqu’ils approuvent le mariage. On pourrait également placer dans le rôle d’Adjuvants les mœurs de l’époque, car c’est aussi grâce à son statut social et à la fortune familiale que le jeune homme peut prétendre à la main de la mariée. C’est Vénus qu’on retrouve dans la fonction d’Opposant puisqu’elle jalouse la jeune femme et sabote le mariage.

DESTINATEUR—————->OBJET —————> DESTINATAIRE

les parents ————>     la jeune femme    ————>     Alphonse

ADJUVANT ——————>  SUJET <——————   OPPOSANT

les parents  ————->      Alphonse   ——————->      Vénus

On remarquera que le narrateur ne se trouve pas dans ce schéma actanciel. Pourtant, on a noté à plusieurs reprises que son rôle n’est pas toujours passif (il est celui qui rapporte les événements) mais que son état change, évolue, qu’il prend une part active aux événements. Il fait alors partie du récit englobant (c’est pour ce récit-là qu’on a constitué l’axe sémantique qui se trouve plus haut).

Il faut toutefois remarquer que c’est tout de même le récit englobé qui est à l’origine de l’englobant.

b) le schéma actanciel englobant :

La quête du narrateur est bien moins simple que celle d’Alphonse, car c’est une quête avant tout philosophique. Il doit retrouver son Objet de valeur perdu qui se présente comme le Savoir qui commence à lui échapper au fur et à mesure que les événements évoluent. S’il réussit sa quête, il en sera aussi le bénéficiaire. Or, il échoue. C’est le côté irrationnel des événements qui en est cause et qui, de ce fait, joue le rôle d’Opposant. Par contre, la science assume le rôle d’Adjuvant :

DESTINATEUR   ———->    OBJET  ———->    DESTINATAIRE

des événements tragiques     le Savoir (la vérité)        le narrateur

ADJUVANT      —————>  SUJET     <———–    OPPOSANT

le rationnel                     le narrateur                            l’irrationnel

la science                                                                  l’inexplicable

 

 III. Le niveau thématique

Au niveau thématique, nous analysons les valeurs profondes véhiculées par le texte. Pour mettre en évidence ces valeurs nous disposons d’une structure binaire : le carré sémiotique. Celui-ci se constitue sur la base d’un axe sémantique, qui s’articule en deux valeurs contraires.

Deux grandes thématiques se dégagent dans le récit, elle se présentent   ainsi :

a)

S 1 :  le rationnel                                               S 2 :  l’irrationnel

l’univers rationnel du narrateur,        la logique doit céder la place à

avec la logique, la science,                            l’irrationnel qui lui seul

la raison omnipotente                                          donne l’explication

satisfaisante des

événements récents

                                                                        S 1′ non rationnel                                                                                                                                                                                                                                                                    des événéments bizarres

se produisent et perturbent

l’univers rationnel du narrateur

 

b)

S 1  =   chrétien                                                    S 2  =   païen

S 2′   =  non païen                                      S 1′  =  non chrétien

 

S 1  :  chrétien = Ille avant la découverte de la statue

S 1′  :  non chrétien = la statue trouble les valeurs du monde dans lequel elle fait irruption

S 2   :  païen = les événements se précipitent, le monde païen semble remplacer l’univers chrétien

S 2′  :  non païen = la mort (universelle), la statue assouvit son besoin de vengeance puis s’efface

S 1  :  chrétien = la statue est transformée en un objet du culte chrétien. Ille redevient la ville qu’elle était avant la découverte de la statue.

 

La Vénus d’Ille  –  l’exploitation pédagogique

Les approches communicatives et post-communicatives exigent souvent qu’on exploite dans une classe de langue des documents authentiques, c’est-à-dire non expressément conçus pour être utilisés dans une classe de langue car ils sont souvent perçus comme plus motivants. Mais un document authentique doit aussi correspondre aux besoins des apprenants. Et, vu la syntaxe et la grammaire très littéraires de la nouvelle ainsi que son vocabulaire spécifique, elle ne semble pas exploitable au niveau des apprenants débutants ou moyens car elle ne correspondrait ni à leurs attentes ni à leurs besoins. Elle pourrait donc être exploitable dans une classe d’apprenants avancés qui ne cherchent plus à consolider les connaissances basiques du français pour pouvoir communiquer dans la vie de tous le jours – puisque c’est là chose faite-,  mais qui s’intéressent à la dimension proprement littéraire de la langue, par exemple au niveau universitaire.

L’approche des textes littéraires à ce niveau-là peut se faire selon des procédures très diverses, mais il ne s’agit jamais de proposer ces textes comme des modèles de « bon français » que les étudiants devraient chercher à imiter dans leur expression écrite.

Le professeur peut s’en servir plutôt comme appui pour initier ou former les apprenants étrangers, soit à l’histoire littéraire, soit à la civilisation française, soit aux techniques de la critique littéraire française. Une telle approche ne demande pas seulement une excellente connaissance du français car les apprenants doivent compléter l’apprentissage de la langue étrangère par l’apprentissage de divers « savoirs» qui sont en relation avec la pratique de cette langue.

La nouvelle de Mérimée est une nouvelle fantastique par excellence. Ainsi, les apprenants peuvent s’initier à la structure d’une telle nouvelle : comment se présentent l’exposition, les moments clefs et leur intérêt dramatique ? Comment se présentent le mystère et le surnaturel ? Qu’est-ce qui fait l’ambiguïté ? Ensuite, on peut chercher à comprendre comment des éléments linguistiques (le choix des adjectifs, l’utilisation des temps verbaux comme le conditionnel) aident à créer l’atmosphère fantastique de la nouvelle.

Une simple lecture de la nouvelle, suivie d’une discussion sur les superstitions et l’irrationnel dans les sociétés actuelles peut être aussi une des façons possibles d’exploiter le texte. Un tel exercice requiert des apprenants l’aptitude à organiser leurs discours : savoir poser le problème, argumenter (recourir aux connecteurs argumentatifs, réfuter, etc.)

***

[1] Prosper MERIMEE, La Vénus d ‘Ille, p. 11, coll. « Classiques Larousse », Larousse 19.., p. 12

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Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté  par Mlle Petra Hornackova dans le cadre du

séminaire de Méthodologie littéraire pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Spécialisées en didactique du Français Langue Etrangère

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY