« Le silence de la mer » (analyse sémiotique II)

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« Le Silence de la mer » ( analyse sémiotique  )

 

Introduction

« Le silence de la mer » – l’histoire d’une famille française contrainte de loger un officier allemand francophile – n’est que le camouflage d’un vrai combat contre les forces du mal, de la lumière contre les ténèbres, de l’espérance contre le désespoir. Dans son récit, Vercors utilise le code des symboles pour décrire une trajectoire vers la dignité. Werner von Ebrennac est sur la voie qui le mènera de l’inconscience à la conscience. Est-il un vainqueur ou un vaincu ? Veut-il, par son choix de la mort, racheter son aveuglement, compenser sa naïveté ou refuse-t-il tout simplement de s’accepter soi-même tel qu’il est, avec ses défauts ? Tout de ce dont il est capable, c’est de renoncer à voir le mal. Il semble n’avoir aucune envie de reconstruire quoique ce soit sur les cendres. Son choix est-il une preuve d’extrême courage ou cache-t-il la fuite d’un poltron ?

La segmentation du texte :

Dans le récit, nous distinguons 8 blocs typographiques et XXVII Séquences.

Séquences I et II :

Le premier bloc typographique peut être segmenté en trois séquences. Les disjonctions entre la Séquence I et la Séquence II relèvent de plusieurs codes :

  • temporel (chronologique) : « quelques heures plus tard »
  • actoriel : « trois cavaliers apparurent »
  • spatial (topologique) : le jardin (Séquence I) vs la grange (Séquence II) [ = nature, englobant  vs culture, englobé]

Séquence III :

On relève des disjonctions :

  • temporelle : « puis, le matin du troisième jour »
  • spatiale : la grange ( séquence II ) vs la chambre ( séquence III ) [ = nature, extérieur, bas   vs   culture, intérieur, haut]
  • actorielle : le chauffeur et un jeune soldat (séquence II) vs un jeune soldat (séquence III)

Le deuxième bloc typographique comporte aussi deux séquences :

Séquence IV :  « Ma nièce avait ouvert la porte ».

Le passage de la IIIème à la IVème Séquence est marqué par des disjonctions

  • typographique et
  • actorielle : l’officier

– La Séquence V est annoncée à la fin de la précédente, avant l’espace blanc, par une disjonction logique :

« Mais je ne connais pas le chemin »

Séquence V : « Je les entendis traverser l’antichambre »

Le passage est marqué par des disjonctions

  • logique : « mais »
  • actorielle : l’officier part ;
  • énonciative : le monologue de l’officier ( Séquence IV ) vs le silence ( séquence V ) : «

 » nous restâmes silencieux ».

Le troisième bloc typographique comprend 5 séquences :

Séquence VI : Elle commence par « Le lendemain matin ».

Le passage est marqué par des disjonctions

  • typographique
  • temporelle ;
  • actorielle : l’officier est à nouveau présent.

Une sous-séquence est marquée par une disjonction actorielle :

« Il sortit » ( l’officier n’est plus présent).

Séquence VII :

 Elle est distinguée par des disjonctions

  • temporelle : « Les choses changèrent brusquement un soir »
  • d’ambiance : « une neige fine mêlée de pluie terriblement glaciale et mouillante »

Séquence VIII :  « L’officier apparut »

On relève des disjonctions :

  • actorielle ;
  • d’ambiance : « il était en civil » ;
  • énonciative : le monologue (séquence VIII ) vs le silence (séquence VII).

La séquence IX est annoncée à la fin de la précédente: « puis il sortit ».

Séquence IX :

Une disjonction actorielle : l’officier n’est plus présent.

Séquence X :

 Des disjonctions :

  • typographique
  • temporelle : « depuis ce jour »
  • d’ambiance : « ce fut le nouveau mode de ses visites »

Séquence XI :  « Il dit une fois ».

On note la présence de disjonctions :

  • temporelle
  • actorielle : l’officier est présent.

Sous-séquence :

  • Une disjonction logique : « mais ».

Séquence XII :

Elle est marquée par des disjonctions :

  •  typographique
  •  temporelle : « un soir ».

Séquence XIII : « Il se leva, rejoignit le feu »

 Une disjonction énonciative : monologue ( Séquence XIII ) vs le silence et la musique (Séquence XII)

Séquence XIV :

 On note des disjonctions :

  •  typographique
  •  temporelle : « Je ne puis me rappeler aujourd’hui »

Séquence XV :

Elle est délimitée par des disjonctions :

  •  temporelle : « Un jour »
  • spatiale : « dans la forêt »
  • actorielle : l’officier et une jeune fille allemande

Séquence XVI :

 On relève des disjonctions :

  •  spatiale : nous sommes de nouveau dans la maison de la nièce
  •  actorielle : l’officier, la nièce et son oncle

Séquence XVII :

Elle est signalée par des disjonctions :

  • typographique
  • temporelle : « les longs jours printaniers arrivaient »

Séquence XVIII :

 On note des disjonctions :

  •  spatiale : Paris
  • axiologique ( = ambiance et « valeur figurative du discours ») : euphorie

Séquence XIX :

 On relève des disjonctions :

  •  typographique
  •  actorielle : l’absence de l’officier

Séquence XX :

Les disjonctions sont :

  •  temporelle : « Un jour je dus aller à la Kommandantur » ;
  •  actorielle : « Werner von Ebrennac sortit de son bureau », « Il parlait au sergent » ;
  •  d’ambiance (axiologie figurative) : dysphorie ( Séquence XX ) vs euphorie (Séquence XIX) : « Il me paraissait pâle et tiré », « ( … ) Il s’enferma »

Séquence XXI :

 On note des disjonctions :

  •  actorielle : la nièce et son oncle
  •  temporelle : « tout au long de la soirée »

Séquence XXII :

 On constate la présence de disjonctions :

  •  temporelle : « ce fut trois jours plus tard »
  •  d’ambiance : « Il pleuvait durement (…), une pluie qui baignait l’intérieur même de la maison d’une atmosphère froide et moite »
  • énonciative : « Entrez, monsieur »

Séquence XXIII :

 On constate des disjonctions :

  •  actorielle : l’officier, l’oncle et sa nièce
  •  d’ambiance : « Il était en uniforme »
  •  axiologique : « Il resta ainsi quelques secondes droit, raide et silencieux le visage si froid si parfaitement impassible » ( = dysphorie).

Séquence XXIV : « J’avais un ami, c’était mon frère »

 Des disjonctions :

  • actorielle : l’officier, son « frère » et les autres
  • spatiale : Paris

Séquence XXV : « Ses yeux s’ouvrirent très grands »

 Des disjonctions :

  • actorielle : l’officier, l’oncle et sa nièce
  • spatiale : la maison de la nièce

Séquence XXVI :

 On note des disjonctions :

  •  temporelle : « soudain »
  •  d’ambiance : « Son expression sembla se détendre. Le corps perdit de sa raideur (…) Je crus voir flotter sur ses lèvres un fantôme de sourire »

Séquence XXVII :

On relève des disjonctions :

  •  typographique
  •  temporelle : « Il était parti quand, le lendemain, je descendis prendre ma tasse de lait matinale »
  •  actorielle : la nièce et son oncle
  • énonciative : le silence ( Séquence XXVII ) vs le monologue et  l’« adieu » de la Séquence XXVI.

« Dehors luisait au travers de la brume un pâle soleil. »

***

En résumé, le récit se divise en 27 séquences  et 2 épisodes successifs

a ) premier épisode :

– situation finale : le séjour à Paris

– situation initiale : l’officier à la maison

transformation successive par le silence

b ) deuxième épisode :

– situation finale : départ de l’officier pour le front russe

– situation initiale : séjour à Paris

( La situation finale du premier épisode est amenée à constituer la situation initiale du deuxième épisode par une transition : la prise de conscience de von Ebrennac)

Transformation progressive : plusieurs étapes amènent l’officier jusqu’au départ. On peut l’illustrer par le schéma suivant (axe sémantique) :

S——————t———————-S’

Transformation progressive : t

S ( = Le silence de la nièce et de son oncle———->  t1 ( = séjour à Paris)———-> S’ ( = prise de conscience)

Transformation progressive : t2

S’ ( = Séjour à Paris)———->  t2 ( = L’oncle brise le silence : « Entrez monsieur »)———-> S’’ ( = prise de décision par l’officier ; La nièce brise le silence : « Adieu »)

La structure narrative :

( = le « schéma actantiel » de A.J. Greimas) :

DESTINATEUR————> OBJET————->DESTINATAIRE

ADJUVANT—————–> SUJET <————–OPPOSANT

Dans la première partie (les séquences I à XVI ) Werner von Ebrennac agit selon l’ordre établi en croyant agir au nom du Bien.

La situation se renverse grâce au pivot que constitue le séjour à Paris (le voyage initiatique ) Désormais l’officier connaît la vérité.

Premier épisode :

  • SUJET d’état : l’officier
  • OBJET apparent : détruire la France
  • OBJET réel : aimer la France
  • SUJET de la quête : l’officier
  • OBJET de la quête : la nièce ( = l’amour de la nièce)
  • OPPOSANT : La nièce et son oncle

Werner von Ebrennac dans sa « quête » rencontre les OPPOSANTS (la nièce et son oncle). Ceux-ci ont un statut de SUJET puisqu’ils poursuivent un OBJET (résiter à l’occupant : l’officier allemand/adopter l’individu : le musicien). Comme l’OBJET qu’ils poursuivent est en même temps un SUJET, on peut les qualifier d’anti-SUJETS.

Dans la Séquence XIII, un autre « actant » (les amis de l’officier) prend l’officier comme OBJET (ils lui apportent le « savoir » sur son/leur véritable OBJET)

  • SUJET (opérateur de la transformation) : les amis de Werner
  • OBJET : l’officier

Les deux SUJETS (la nièce, les amis) tiennent le même rôle actantiel d’anti-SUJETS, mais ils se distinguent, en tant qu’acteurs, en ce sens que l’un agit par le silence (la nièce) et l’autre par la force persuasive : « C’est notre droit et notre devoir » ( Séquence XXV )

  • SUJET : la nièce, l’oncle
  • OBJET : l’officier
  • SUJET : les amis

Les amis de Werner von Ebrennac réalisent un programme répondant au rôle figuratif, qui les prédétermine à devenir l’anti-SUJET. L’officier refuse d’accepter leur véritable quête :

« Ils éteindront la flamme tout à fait ! L’Europe ne sera plus éclairée par cette lumière !« 

On assiste à une confrontation entre l’officier et ses amis. Ils se placent aux antipodes, puisque leurs programmes s’opposent :

  • SUJET : l’officier//OBJET : sauver la France vs
  • SUJET : les amis//OBJET : détruire la France

Les amis tiendront donc le rôle d’anti-SUJET, mais ils apparaissent également comme anti- DESTINATEURS en dissuadant l’officier de sa quête, en se moquant de lui :

« Ils m’ ont blâmé ».

L’intervention se situe sur le plan cognitif : elle exerce un « faire persuasif » en présentant au DESTINATAIRE-SUJET un « savoir » sur l’OBJET désiré :

« Nous ne sommes pas des fous ni des niais : nous avons l’occasion de détruire la France, elle le sera.« 

En revanche, l’OBJET se subdivise en deux aspects :

  • positif : l’officier aime la France :

« Maintenant j’ai besoin de la France je demande qu’elle m’accueille. Ce n’est rien être chez elle comme un étranger ( … ). Sa richesse, sa haute richesse, on ne peut pas la conquérir. Il faut la boire à son sein, il faut qu’elle vous offre son sein dans un mouvement et un sentiment maternel »

« je le pense avec un très bon coeur : je le pense par amour pour la France. »

  • négatif : il est déchiré parce qu’il se sent aussi allemand :

« Mais pour la musique, alors c’est chez nous : Bach, Haendel, Beethoven, Wagner, Mozart… »

La nièce et son oncle deviennent aussi le DESTINATEUR puisqu’ils l’aident à identifier son attachement pour la France.

  • DESTINATEUR : la nièce et son oncle
  • DESTINATEUR : les amis
  • OBJET :
  • – l’aspect positif : l’amour de la FRANCE.
  • -l’aspect négatif : détruire la France.
  • DESTINATAIRE : l’officierLe « savoir » sur l’aspect négatif est transmis par l’anti-DESTINATEUR, dans le but de supprimer le « vouloir » du SUJET en lui proposant une autre quête, celle qui a été jusque là la quête apparente de l’officier.Les Séquences XXI à XXIV constituent une transition entre les deux épisodes. Elles montrent que l’officier est sous le choc, dans un état d’hésitation. Il est pris entre deux « possibles narratifs », dont l’un n’est pas accepté et l’autre est impossible parce que manque la modalité du « pouvoir » : »Il n’y a pas d’espoir. »On peut schématiser la situation comme suit :
  • DESTINATEUR (1) : La nièce et son oncleOBJET (1) : La France sauvée ; l’accord avec sa propre conscience ; le désaccord avec ses compatriotes.
  • DESTINATEUR (2) : les amis
  • OBJET (2) : la France détruite. l’accord avec ses compatriotes. le désaccord avec sa propre conscience.
  • DESTINATAIRE : l’officier

Tout au long du récit, Werner von Ebrennac ne parvient à communiquer ni avec la nièce (par le langage non verbal), ni avec son « frère » et ses amis (par le langage verbal) :

On a donc : S V 0 (x, Y)

S (le SUJET) = l’officier

O (l’OBJET) = la communication x : les amis et son « frère »

y : la nièce et son oncle S V O (x), S /\ O (y)

La quête de la nièce et de son oncle, qui apparaît dans la première partie du récit, a pour but d’ignorer l’officier :

  • D’un accord tacite nous avions décidé, de ne rien changer à notre vie, fût-ce le moindre détail : comme si l’officier n’existait pas ; comme s’il eût été un fantôme.« 

L’officier veut briser ce silence :

  • Je suis heureux d’avoir trouvé ici un vieil homme digne. Et une demoiselle Il faudra vaincre ce silence. Il faudra vaincre le silence de la France.« 
  • DESTINATEUR : la nièce et son oncle
  • OBJET : le silence
  • DESTINATAIRE : l’officier
  • SUJET : La nièce

et

  • SUJET : l’officier
  • OBJET : Briser le silence ( l’amour)
  • DESTINATAIRE : la nièce et son oncle

La tentative du DESTINATEUR échoue :

« Entrez, monsieur » (la fin de la Séquence XXII) ; « Adieu » (la fin de la Séquence XXVI) S1 /\ O => S1 V 0

Où :

S1 : la nièce et son oncle 0 : le silence

L’opposition silence/ non silence traduit des rôles actantiels OPPOSANT/ ADJUVANT. Ces rôles sont assumés par l’actant anti-SUJET et ils permettent à l’officier d’atteindre l’OBJET de sa quête.

Cependant, on peut s’apercevoir que le rôle de l’oncle se distingue de celui de la nièce : « C’est peut être inhumain de lui refuser l’obole d’un seul mot » ( Séquence VIII )

L’oncle devient l’ADJUVANT en essayant de briser le silence, tandis que sa nièce n’apprécie pas son attitude. On peut en conclure, qu’elle commence à se constituer comme l’OPPOSANT non seulement de l’officier, mais aussi de l’oncle. :

« Ma nièce leva son visage. Elle haussait très haut les sourcils, sur des yeux brillants et indignes. Je me sentis presque un peut rougir. »

En ce qui concerne la situation de Werner von Ebrennac ; suite à un « faire interprétatif » (le souvenir de la conversation à Paris), le « savoir » sur l’OBJET (2) l’amène à un jugement de valeur sur ses amis et provoque un « non-vouloir » d’accepter leur quête :

« Ils feront ce qu’ils disent ! Avec méthode et persévérance ! Je connais ces diables acharnés ! »

Il doit donc prendre une décision.

A cause du silence de la nièce et de son oncle l’officier éprouve un sentiment de malaise. Dans cette situation, il éprouve un manque. On peut donc constater que grâce à ce silence il reçoit la modalité du « vouloir ». Cependant, pour accomplir une performance quelconque, il faut que le SUJET non seulement le veuille, mais qu’il en soit capable (qu’il ait un certain « pouvoir »)

ID (X) (1 y (0)] (x » & ([ X (ID)] (x »

Faire : « pouvoir-faire » + « vouloir-faire » = compétence Le vouloir est exprimé :

« 0 Dieu Montrez moi où est MON devoir ! » Comment acquiert-il le « pouvoir » ?

  • a) Il obtient la permission d’aller sur le front russe :

J’ai demandé à rejoindre une division en campagne. Cette faveur m’a été accordée. »

  • b) Il obtient un « Adieu » de la part de nièce ( Séquence XXVI)

Dans la Séquence XXVI on peut percevoir une épreuve glorifiante, puisque l’officier atteint son OBJET. Il accomplit en même temps l’épreuve principale : il est conjoint à son OBJET.

Dans l’épreuve glorifiante, son DESTINATEUR le félicite de sa performance, ce qui apparaît dans le mot « Adieu »

Conclusion

Wemer von Ebrennac est à la fois vainqueur et vaincu :

  • vaincu : il échoue sur le plan pragmatique ; il décide de mourir ; il ne parvient pas à changer la quête de ses amis
  • vainqueur : il atteint le but de sa deuxième quête et il fait échouer la quête de la nièce (il lui fait rompre le silence) :

« Et il sourit. », ce qui signifie une victoire sur le plan cognitif.

Le contenu thématique :

(le « carré sémiotique » d’A.J. Greimas) :

  • Perspective paradigmatique :
  1. L’axe sémantique S—————-S’ concerne la situation sociale de l’individu, déchiré entre la soumission à l’ordre établi et sa propre conscience (être en accord avec soi-même) :

S = Soumission à l’ordre établi

S’ = la paix intérieure

1/S = non paix intérieure

1/S’ = non soumission à l’ordre établi

Dans ce texte, la soumission de l’individu à l’ordre établi et sa paix intérieure s’opposent. L’officier doit choisir entre son identification avec la société et l’harmonie intérieure. Malgré l’intervention de l’anti- SUJET (ses amis et son « frère ») il choisit la seconde.

On peut aussi analyser la situation sous un autre angle :

S———————–t————————-S’

S = Allemagne inhumaine

S’ France humaine

1/S France non-humaine .

1/S Allemagne non-inhumaine

  • Perspective syntagmatique :

a) On reprend les termes du « carré sémiotique » ( perspective paradigmatique) et on indique à l’aide de flèches le parcours suivi par le récit ( perspective syntagmatique) :

S1 : Soumission à l’ordre établi mais

la paix intérieure S2 ( XXVI_ XXVII)

1/S1 : non-soumission à l’ordre établi  (Xl –>XXV)

Le récit commence au point S1 où l’officier accepte ( en apparence) l’ordre établi, en croyant défendre le Bien.

Une transformation s’opère lorsque l’officier obtient du savoir sur l’OBJET (2) et il le refuse : le récit nie S1 et pose 1/S1.

1/S1 implique S2 : refuser la soumission signifie opter pour un autre OBJET. Werner von Ebrennac hésite mais en fin de compte choisit l’harmonie intérieure. La Séquence XXVI se situe au point S2

S V O

S : l’officier

0 : la paix intérieure

b) Le parcours du récit aperçu sous un autre angle commence en 1/S mais

au point S1 où l’officier s’identifie en apparence avec ses amis allemands, donc avec « inhumain ».

Une transformation a lieu pendant son séjour à Paris, où sa hiérarchie de valeurs s’écroule et où il est tout à coup privé de ses illusions (deux parts se confondent et luttent en lui). Par contre, il n’est pas prêt tout de suite à supporter la lumière :

« Il dit Oh welch’ein Licht ! pas même un murmure ; et comme si en effet ses yeux n’eussent pas pu supporter cette lumière, il les cacha derrière son poignet. »

Peu après, le récit nie S1 et pose 1/S1

S’ implique S2 mais l’officier ne l’atteint pas totalement, puisqu’il n’arrive pas au point où il s’identifierait avec les Français pour lutter contre l’Allemagne. Une nouvelle âme est née, mais ce n’est pas un homme nouveau. Tout ce que von Ebrennac aime est frappé d’ambivalence. Il a deux patries en lui. Cependant son progrès vers S2 (« humaine ») est considérable.

On peut établir le schéma suivant : Allemagne = inhumain

Le récit se déroule en trois étapes : S2 France humain

S1 : non-inhumain

– 1) équilibre et euphorie :

La situation initiale est équilibrée, conforme à l’ordre établi : l’officier se croit sur la bonne voie pour accomplir sa quête avec ses compatriotes. Il est heureux :

  • « Je me réjouis d’aller à Paris ( … ) C’est un grand jour pour moi. ( … ) A Paris, je suppose que je verrai mes amis, dont beaucoup sont présents aux négociations que nous menons avec les hommes politiques, pour préparer la merveilleuse union de nos deux peuples« .

– 2) équilibre perturbé et dysphorie : L’officier apprend la vérité. Il est désespéré

  • « la voix était sourde, sourde, sourde »
  •  « Ses lèvres tremblèrent, des lèvres de malade à la fois fiévreuses et pâles. »
  •  « Il secoua la tête comme un chien qui souffre d’une oreille. ( … )II était toujours immobile, raide et droit « .

Le rythme du récit s’accélère (crescendo) afin de ralentir dans l’étape suivante :

  • » Soudain son expression sembla se détendre. »

– 3) équilibre rétabli et euphorie

L’officier trouve l’issue qui lui assure l’harmonie intérieure (diminuendo) :

  • « Le corps perdit de sa raideur. Je crus voir flotter sur ses lèvres un fantôme de sourire… »
  • « Les yeux de Wemer brillèrent. Et il sourit, de sorte que la dernière image que j’eus de lui fut une image souriante. »

La signification profonde du texte apparaît alors :

L’ordre social est très puissant (l’officier ne peut pas réaliser sa première quête). Le refus de l’accepter est très coûteux, c’est la mort :

  • « je suis autorisé à me mettre en route Pour l’enfer ( … ) vers ces plaines immenses où le blé futur sera nourri de cadavres ».

C’est le prix que Werner von Ebrennac décide de payer pour être en accord avec sa propre conscience ; le prix qu’il décide de payer pour son sourire…

Conclusion

La guerre change les hommes. On ne montre son vrai visage que dans les conditions extrêmes. Il est vrai qu’avoir la capacité de se prononcer clairement pour un des deux côtés, pourrait être une solution idéale. Néanmoins, n’oublions pas que la « duplicité » de l’âme de von Ebrennac (son ambivalence) existe et existera toujours. Il en est tout à fait conscient.

C’est pourquoi son choix est si prudent : pour ne pas tomber dans un autre extrême. N’exigeons pas de lui de dépasser sa nature. Ce n’est pas de la poltronnerie, mais c’est le maximum de sa performance psychologique. La tranquillité de son âme en est la preuve principale. Werner von Ebrennac, reste fidèle à ses principes : aimer la France et respecter l’Allemagne, par dessus tout en restant « humain ».

***

Bibliographie

 Everaert-Desmedt, N., « Sémiotique du récit », Paris, Editions Universitaires, 1988.

Greimas A. J., Courtes J., « Sémiotique, Dictionnaire raisonné de la théorie du langage », Paris, Hachette t. 1, 1979 ; t. 2 1986.

 Barthes, R., « L’aventure sémiologique », Paris, Seuil,1991.

***

Table des matières :

Introduction

Résumé de la nouvelle

La segmentation du texte

La structure narrative

Le contenu thématique

a) Perspective paradigmatique

b) Perspective syntagmatique

Conclusion

***

Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté par Mlle Aneta OLDAKOWSKA dans le cadre du séminaire d’introduction à l’analyse sémiotique (Certificat d’Etudes Françaises)

Professeur :  M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY