Autour du « Silence de la mer » de Vercors (quelques textes de référence)

1940

Nous sommes très loin en nous-mêmes
Avec la France dans les bras,
Chacun se croit seul avec elle
Et pense qu’on ne le voit pas.

Chacun est plein de gaucherie
Devant un bien si précieux,
Est-ce donc elle, la patrie,
Ce corps à la face des cieux ?

Chacun le tient à sa façon
Dans une étreinte sans mesure

Et se mire dans sa figure
Comme au miroir le plus profond.

Jules SUPERVIELLE, 1939-1945, Poèmes de la France malheureuse

***

RICHARD II QUARANTE

Ma patrie est comme une barque
Qu’abandonnèrent ses haleurs
Et je ressemble à ce monarque
Plus malheureux que le malheur
Qui restait roi de ses douleurs

Vivre n’est plus qu’un stratagème
Le vent sait mal sécher les pleurs
Il faut haïr tout ce que j’aime
Ce que je n’ai plus donnez-leur
Je reste roi de mes douleurs

Le cœur peut s’arrêter de battre
Le sang peut couler sans chaleur
Deux et deux ne fassent plus quatre
Au Pigeon-Vole des voleurs
Je reste roi de mes douleurs

Que le soleil meure ou renaisse
Le ciel a perdu ses couleurs
Tendre Paris de ma jeunesse
Adieu printemps du Quai-aux-Fleurs
Je reste roi de mes douleurs

Fuyez les bois et les fontaines
Taisez-vous oiseaux querelleurs
Vos chants sont mis en quarantaine
C’est le règne de l’oiseleur
Je reste roi de mes douleurs

Il est un temps pour la souffrance
Quand Jeanne vint à Vaucouleurs
Ah coupez en morceaux la France
Le jour avait cette pâleur
Je reste roi de mes douleurs

Louis ARAGON, (1941),  Le Crève-Cœur.

***

PRESENTATION DE LA BEAUCE À NOTRE-DAME DE CHARTRES

Étoile de la mer voici la lourde nappe
Et la profonde houle et l’océan des blés
Et la mouvante écume et nos greniers comblés,
Voici votre regard sur cette immense chape

Et voici votre voix sur cette lourde plaine
Et nos amis absents et nos coeurs dépeuplés,
Voici le long de nous nos poings désassemblés
Et notre lassitude et notre force pleine.

Étoile du matin, inaccessible reine,
Voici que nous marchons vers votre illustre cour,
Et voici le plateau de notre pauvre amour,
Et voici l’océan de notre immense peine.

Un sanglot rôde et court par-delà l’horizon.
À peine quelques toits font comme un archipel.
Du vieux clocher retombe une sorte d’appel.
L’épaisse église semble une basse maison.

Ainsi nous naviguons vers votre cathédrale.
De loin en loin surnage un chapelet de meules,
Rondes comme des tours, opulentes et seules
Comme un rang de châteaux sur la barque amirale.

Deux mille ans de labeur ont fait de cette terre
Un réservoir sans fin pour les âges nouveaux.
Mille ans de votre grâce on fait de ces travaux
Un reposoir sans fin pour l’âme solitaire.

Vous nous voyez marcher sur cette route droite,
Tout poudreux, tout crottés, la pluie entre les dents.
Sur ce large éventail ouvert à tous les vents
La route nationale est notre porte étroite.

Nous allons devant nous, les mains le long des poches,
Sans aucun appareil, sans fatras, sans discours,
D’un pas toujours égal, sans hâte ni recours,
Des champs les plus présents vers les champs les plus proches.

Vous nous voyez marcher, nous sommes la piétaille.
Nous n’avançons jamais que d’un pas à la fois.
Mais vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois,
Et toute leur séquelle et toute leur volaille

Et leurs chapeaux à plume avec leur valetaille
Ont appris ce que c’est que d’être familiers,
Et comme on peut marcher, les pieds dans ses souliers,
Vers un dernier carré le soir d’une bataille.

Nous sommes nés pour vous au bord de ce plateau,
Dans le recourbement de notre blonde Loire,
Et ce fleuve de sable et ce fleuve de gloire
N’est là que pour baiser votre auguste manteau.

Nous sommes nés au bord de ce vaste plateau,
Dans l’antique Orléans sévère et sérieuse,
Et la Loire coulante et souvent limoneuse
N’est là que pour laver les pieds de ce coteau.

Nous sommes nés au bord de votre plate Beauce
Et nous avons connu dès nos plus jeunes ans
Le portail de la ferme et les durs paysans
Et l’enclos dans le bourg et la bêche et la fosse.

Nous sommes nés au bord de votre Beauce plate
Et nous avons connu dès nos premiers regrets
Ce que peut recéler de désespoirs secrets
Un soleil qui descend dans un ciel écarlate

Et qui se couche au ras d’un sol inévitable
Dur comme une justice, égal comme une barre,
Juste comme une loi, fermé comme une mare,
Ouvert comme un beau socle et plan comme une table.

Un homme de chez nous, de la glèbe féconde
A fait jaillir ici d’un seul enlèvement,
Et d’une seule source et d’un seul portement,
Vers votre assomption la flèche unique au monde.

Tour de David voici votre tour beauceronne.
C’est l’épi le plus dur qui soit jamais monté
Vers un ciel de clémence et de sérénité,
Et le plus beau fleuron dedans votre couronne.

Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix,
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir.

C’est la gerbe et le blé qui ne périra point,
Qui ne fanera point au soleil de septembre,
Qui ne gèlera point aux rigueurs de décembre,
C’est votre serviteur et c’est votre témoin.

C’est la tige et le blé qui ne pourrira pas,
Qui ne flétrira point aux ardeurs de l’été,
Qui ne moisira point dans un hiver gâté,
Qui ne transira point dans le commun trépas.

C’est la pierre sans tache et la pierre sans faute,
La plus haute oraison qu’on ait jamais portée,
La plus droite raison qu’on ait jamais jetée,
Et vers un ciel sans bord la ligne la plus haute.

Celle qui ne mourra le jour d’aucunes morts,
Le gage et le portrait de nos arrachements,
L’image et le tracé de nos redressements,
La laine et le fuseau des plus modestes sorts.

Nous arrivons vers vous du lointain Parisis.
Nous avons pour trois jours quitté notre boutique,
Et l’archéologie avec la sémantique,
Et la maigre Sorbonne et ses pauvres petits.

D’autres viendront vers vous du lointain Beauvaisis.
Nous avons pour trois jours laissé notre négoce,
Et la rumeur géante et la ville colosse,
D’autres viendront vers vous du lointain Cambrésis.

Nous arrivons vers vous de Paris capitale.
C’est là que nous avons notre gouvernement,
Et notre temps perdu dans le lanternement,
Et notre liberté décevante et totale.

Nous arrivons vers vous de l’autre Notre-Dame,
De celle qui s’élève au coeur de la cité,
Dans sa royale robe et dans sa majesté,
Dans sa magnificence et sa justesse d’âme.

Comme vous commandez un océan d’épis,
Là-bas vous commandez un océan de têtes,
Et la moisson des deuils et la moisson des fêtes
Se couche chaque soir devant votre parvis.

Nous arrivons vers vous du noble Hurepoix.
C’est un commencement de Beauce à notre usage,
Des fermes et des champs taillés à votre image,
Mais coupés plus souvent par des rideaux de bois,

Et coupés plus souvent par de creuses vallées
Pour l’Yvette et la Bièvre et leurs accroissements,
Et leurs savants détours et leurs dégagements,
Et par les beaux châteaux et les longues allées.

D’autres viendront vers vous du noble Vermandois,
Et des vallonnements de bouleaux et de saules.
D’autres viendront vers vous des palais et des geôles.
Et du pays picard et du vert Vendômois.

Mais c’est toujours la France, ou petite ou plus grande,
Le pays des beaux blés et des encadrements,
Le pays de la grappe et des ruissellements,
Le pays de genêts, de bruyère, de lande.

Nous arrivons vers vous du lointain Palaiseau
Et des faubourgs d’Orsay par Gometz-le-Châtel,
Autrement dit Saint-Clair ; ce n’est pas un castel ;
C’est un village au bord d’une route en biseau.

Nous avons débouché, montant de ce coteau,
Sur le ras de la plaine et sur Gometz-la-Ville
Au-dessus de Saint-Clair ; ce n’est pas une ville ;
C’est un village au bord d’une route en plateau.

Nous avons descendu la côte de Limours.
Nous avons rencontré trois ou quatre gendarmes.
Ils nous ont regardé, non sans quelques alarmes,
Consulter les poteaux aux coins des carrefours.

Nous avons pu coucher dans le calme Dourdan.
C’est un gros bourg très riche et qui sent sa province.
Fiers nous avons longé, regardés comme un prince,
Les fossés du château coupés comme un redan.

Dans la maison amie, hôtesse et fraternelle
On nous a fait coucher dans le lit du garçon.
Vingt ans de souvenirs étaient notre échanson.
Le pain nous fut coupé d’une main maternelle.

Toute notre jeunesse était là solennelle.
On prononça pour nous le Bénédicité.
Quatre siècles d’honneur et de fidélité
Faisaient des draps du lit une couche éternelle.

Nous avons fait semblant d’être un gai pèlerin
Et même un bon vivant et d’aimer les voyages,
Et d’avoir parcouru cent trente-et-un bailliages,
Et d’être accoutumés d’être sur le chemin.

La clarté de la lampe éblouissait la nappe.
On nous fit visiter le jardin potager.
Il donnait sur la treille et sur un beau verger.
Tel fut le premier gîte et la tête d’étape.

Le jardin était clos dans un coude de l’Orge.
Vers la droite il donnait sur un mur bocager
Surmonté de rameaux et d’un arceau léger.
En face un maréchal, et l’enclume, et la forge.

Nous nous sommes levés ce matin devant l’aube.
Nous nous sommes quittés après les beaux adieux.
Le temps s’annonçait bien. On nous a dit tant mieux.
On nous a fait goûter de quelque boeuf en daube,

Puisqu’il est entendu que le bon pèlerin
Est celui qui boit ferme et tient sa place à table,
Et qu’il n’a pas besoin de faire le comptable,
Et que c’est bien assez de se lever matin.

Le jour était en route et le soleil montait
Quand nous avons passé Sainte-Mesme et les autres.
Nous avancions déjà comme deux bons apôtres.
Et la gauche et la droite était ce qui comptait.

Nous sommes remontés par le Gué de Longroy.
C’en est fait désormais de nos atermoiements,
Et de l’iniquité des dénivellements :
Voici la juste plaine et le secret effroi

De nous trouver tout seuls et voici le charroi
Et la roue et les boeufs et le joug et la grange,
Et la poussière égale et l’équitable fange
Et la détresse égale et l’égal désarroi.

Nous voici parvenus sur la haute terrasse
Où rien ne cache plus l’homme de devant Dieu,
Où nul déguisement ni du temps ni du lieu
Ne pourra nous sauver, Seigneur, de votre chasse.

Voici la gerbe immense et l’immense liasse,
Et le grain sous la meule et nos écrasements,
Et la grêle javelle et nos renoncements,
Et l’immense horizon que le regard embrasse.

Et notre indignité cette immuable masse,
Et notre basse peur en un pareil moment,
Et la juste terreur et le secret tourment
De nous trouver tout seuls par devant votre face.

Mais voici que c’est vous, reine de majesté,
Comment avons-nous pu nous laisser décevoir,
Et marcher devant vous sans vous apercevoir.
Nous serons donc toujours ce peuple inconcerté.

Ce pays est plus ras que la plus rase table.
À peine un creux du sol, à peine un léger pli.
C’est la table du juge et le fait accompli,
Et l’arrêt sans appel et l’ordre inéluctable.

Et c’est le prononcé du texte insurmontable,
Et la mesure comble et c’est le sort empli,
Et c’est la vie étale et l’homme enseveli,
Et c’est le héraut d’arme et le sceau redoutable.

Mais vous apparaissez, reine mystérieuse.
Cette pointe là-bas dans le moutonnement
Des moissons et des bois et dans le flottement
De l’extrême horizon ce n’est point une yeuse,

Ni le profil connu d’un arbre interchangeable.
C’est déjà plus distante, et plus basse, et plus haute,
Ferme comme un espoir sur la dernière côte,
Sur le dernier coteau la flèche inimitable.

D’ici vers vous, ô reine, il n’est plus que la route.
Celle-ci nous regarde, on en a bien fait d’autres.
Vous avez votre gloire et nous avons les nôtres.
Nous l’avons entamée, on la mangera toute.

Nous savons ce que c’est qu’un tronçon qui s’ajoute
Au tronçon déjà fait et ce qu’un kilomètre
Demande de jarret et ce qu’il faut en mettre :
Nous passerons ce soir par le pont et la voûte

Et ce fossé profond qui cerne le rempart.
Nous marchons dans le vent coupés par les autos.
C’est ici la contrée imprenable en photos,
La route nue et grave allant de part en part.

Nous avons eu bon vent de partir dès le jour.
Nous coucherons ce soir à deux pas de chez vous,
Dans cette vieille auberge où pour quarante sous
Nous dormirons tout près de votre illustre tour.

Nous serons si fourbus que nous regarderons,
Assis sur une chaise auprès de la fenêtre,
Dans un écrasement du corps et de tout l’être,
Avec des yeux battus, presque avec des yeux ronds,

Et les sourcils haussés jusque dedans nos fronts,
L’angle une fois trouvé par un seul homme au monde,
Et l’unique montée ascendante et profonde,
Et nous serons recrus et nous contemplerons.

Voici l’axe et la ligne et la géante fleur.
Voici la dure pente et le contentement.
Voici l’exactitude et le consentement.
Et la sévère larme, ô reine de douleur.

Voici la nudité, le reste est vêtement.
Voici le vêtement, tout le reste est parure.
Voici la pureté, tout le reste est souillure.
Voici la pauvreté, le reste est ornement.

Voici la seule force et le reste est faiblesse.
Voici l’arête unique et le reste est bavure.
Et la seule noblesse et le reste est ordure.
Et la seule grandeur et le reste est bassesse.

Voici la seule foi qui ne soit point parjure.
Voici le seul élan qui sache un peu monter.
Voici le seul instant qui vaille de compter.
Voici le seul propos qui s’achève et qui dure.

Voici le monument, tout le reste est doublure.
Et voici notre amour et notre entendement.
Et notre port de tête et notre apaisement.
Et le rien de dentelle et l’exacte moulure.

Voici le beau serment, le reste est forfaiture.
Voici l’unique prix de nos arrachements,
Le salaire payé de nos retranchements.
Voici la vérité, le reste est imposture.

Voici le firmament, le reste est procédure.
Et vers le tribunal voici l’ajustement.
Et vers le paradis voici l’achèvement.
Et la feuille de pierre et l’exacte nervure.

Nous resterons cloués sur la chaise de paille.
Et nous n’entendrons pas et nous ne verrons pas
Le tumulte des voix, le tumulte des pas,
Et dans la salle en bas l’innocente ripaille.

Ni les rouliers venus pour le jour du marché.
Ni la feinte colère et l’éclat des jurons :
Car nous contemplerons et nous méditerons
D’un seul embrassement la flèche sans péché.

Nous ne sentirons pas ni nos faces raidies,
Ni la faim ni la soif ni nos renoncements,
Ni nos raides genoux ni nos raisonnements,
Ni dans nos pantalons nos jambes engourdies.

Perdus dans cette chambre et parmi tant d’hôtels,
Nous ne descendrons pas à l’heure du repas,
Et nous n’entendrons pas et nous ne verrons pas
La ville prosternée au pied de vos autels.

Et quand se lèvera le soleil de demain,
Nous nous réveillerons dans une aube lustrale,
À l’ombre des deux bras de votre cathédrale,
Heureux et malheureux et perclus du chemin.

Nous venons vous prier pour ce pauvre garçon
Qui mourut comme un sot au cours de cette année,
Presque dans la semaine et devers la journée
Où votre fils naquit dans la paille et le son.

Ô Vierge, il n’était pas le pire du troupeau.
Il n’avait qu’un défaut dans sa jeune cuirasse.
Mais la mort qui nous piste et nous suit à la trace
A passé par ce trou qu’il s’est fait dans la peau.

Il était né vers nous dans notre Gâtinais.
Il commençait la route où nous redescendons.
Il gagnait tous les jours tout ce que nous perdons.
Et pourtant c’était lui que tu te destinais,

Ô mort qui fus vaincue en un premier caveau.
Il avait mis ses pas dans nos mêmes empreintes.
Mais le seul manquement d’une seule des craintes
Laissa passer la mort par un chemin nouveau.

Le voici maintenant dedans votre régence.
Vous êtes reine et mère et saurez le montrer.
C’était un être pur. Vous le ferez rentrer
Dans votre patronage et dans votre indulgence.

Ô reine qui lisez dans le secret du cœur,
Vous savez ce que c’est que la vie ou la mort,
Et vous savez ainsi dans quel secret du sort
Se coud et se découd la ruse du traqueur.

Et vous savez ainsi sur quel accent du chœur
Se noue et se dénoue un accompagnement,
Et ce qu’il faut d’espace et de déboisement
Pour laisser débouler la meute du piqueur.

Et vous savez ainsi dans quel recreux du port
Se prépare et s’achève un noble enlèvement,
Et par quel jeu d’adresse et de gouvernement
Se dérobe ou se fixe un illustre support.

Et vous savez ainsi sur quel tranchant du glaive
Se joue et se déjoue un épouvantement,
Et par quel coup de pouce et quel balancement
L’un des plateaux descend pour que l’autre s’élève.

Et ce que peut coûter la lèvre du moqueur,
Et ce qu’il faut de force et de recroisement
Pour faire par le coup d’un seul retournement
D’un vaincu malheureux un malheureux vainqueur.

Mère le voici donc, il était notre race,
Et vingt ans après nous notre redoublement.
Reine recevez-le dans votre amendement.
Où la mort a passé, passera bien la grâce.

Nous, nous retournerons par ce même chemin.
Ce sera de nouveau la terre sans cachette,
Le château sans un coin et sans une oubliette,
Et ce sol mieux gravé qu’un parfait parchemin.

Et nunc et in hora, nous vous prions pour nous
Qui sommes plus grands sots que ce pauvre gamin,
Et sans doute moins purs et moins dans votre main,
Et moins acheminés vers vos sacrés genoux.

Quand nous aurons joué nos derniers personnages,
Quand nous aurons posé la cape et le manteau,
Quand nous aurons jeté le masque et le couteau,
Veuillez vous rappeler nos longs pèlerinages.

Quand nous retournerons en cette froide terre,
Ainsi qu’il fut prescrit pour le premier Adam,
Reine de Saint-Chéron, Saint-Arnould et Dourdan,
Veuillez vous rappeler ce chemin solitaire.

Quand on nous aura mis dans une étroite fosse,
Quand on aura sur nous dit l’absoute et la messe,
Veuillez vous rappeler, reine de la promesse,
Le long cheminement que nous faisons en Beauce.

Quand nous aurons quitté ce sac et cette corde,
Quand nous aurons tremblé nos derniers tremblements,
Quand nous aurons raclé nos derniers raclements,
Veuillez vous rappelez votre miséricorde.

Nous ne demandons rien, refuge du pécheur,
Que la dernière place en votre Purgatoire,
Pour pleurer longuement notre tragique histoire,
Et contempler de loin votre jeune splendeur.

CHARLES PEGUY, (1913)

***

Les références shakespeariennes
dans « Le Silence de la Mer » de VERCORS

MACBETH
 Angus

"Now does he feel
 His secret murders sticking on his hands ;
 How minutely revolts upbraid his faith-breach;
 Those he commands move only in command,
 Nothing in love ; now does he feel his title
 Hang loose about him, like a giant's robe
 Upon a dwarfish thief."

***

OTHELLO

Othello

« Put out the light, and then – put out the light !« 

***

MACBETH
 " Maintenant il sent ses crimes secrets coller à ses
 mains. A chaque minute des hommes de coeur révoltés
 lui reprochent sa mauvaise foi. Ceux qu'il commande
 obéissent à la crainte et non plus à l'amour. Désormais
 il voit sont titre pendre autour de lui, flottant comme la
 robe d'un géant sur le nain qui l'a volée. "

***

Les références shakespeariennes dans « Le Silence de la Mer » de VERCORS

OTHELLO« Eteignons cette lumière, pour ensuite éteindre celle de sa vie. »

William ShakespeareWilliam Shakespeare naquit à Stratford-on-Avon, entre le 20 et le 26 avril 1564. Il était le fils d’un notable, alors prospère, qui, en 1568, fut bailli ou maire de la petite ville. Il fit donc d’abord des études dans une des Grammar school qui dispensaient une éducation démocratique. Mais, à partir de 1577, la fortune familiale déclina. On ne sait ce qu’il advint alors du fils, que nous ne retrouvons qu’à la fin de novembre 1582, épousant une femme de huit ans son aînée, Anne Hathaway.Shakespeare arriva à Londres en 1587. Ce sont des années de grands événements. En 1587, Marie Stuart, retenue prisonnière depuis 20 ans et en faveur de qui des complots catholiques s’ourdissent périodiquement, est décapitée. Le théâtre élisabethain fait au même moment une entrée fracassante dans l’époque et dans l’histoire culturelle.En 1594, Shakespeare est non seulement acteur, mais aussi actionnaire de la troupe dite « du Lord Chambellan ». L’acteur en lui, ne semble pas avoir beaucoup compté; d’ailleurs, le métier ne payait pas.En 1596, le fils de Shakespeare, Hamnet, est mort, et, peut-être, le personnage de Hamlet en sera-t-il assombri. Mais, en 1597, on voit Shakespeare se retrouver de Londres à Stratford, où il achète New Place, une très belle maison. En 1598, sa troupe s’installe au nouveau théâtre du Globe, auquel son nom reste le plus associé.Il meurt le 23 avril 1616, des suites, dit-on, d’un banquet avec Ben Jonson.Aujourd’hui, les oeuvres de Shakespeare sont jouées partout dans le monde.

Peter Brook :« … in the second half of the twentieth century in England, we are faced with the infuriating fact that Shakespeare is still our model ».

Beaucoup d’écrivains se sont inspirés des personnages de Shakespeare qui a influencé les dramaturges et les metteurs en scène hors de l’Angleterre.

  • Macbeth

Tragédie en cinq actes, en vers et en prose, écrite probablement en 1605-1606. Macbeth et Banco, généraux de Duncan, roi d’Ecosse, revenant d’une campagne victorieuse contre les rebelles, rencontrent sur une lande trois sorcières, qui prophétisent que Macbeth sera « thane » (titre de noblesse écossais que portent les compagnons du roi, correspondant, à peu de chose près, à celui de baron), de Camdor et, par la suite, roi, et que Banco engendrera des rois, bien que lui-même ne soit jamais appelé à le devenir. Aussitôt après, arrive la nouvelle que Macbeth a été nommé « Thare » de Cawdor. Tenté en partie par la prophétie qui s’est à moitié réalisée, mais aussi par lady Macbeth qui l’y pousse, Macbeth assassine Duncan pendant son sommeil, alors qu’il est son hôte. Cependant, il est aussitôt pris de remords. Les fils de Duncan, Malcom et Donalbain s’enfuient et Macbeth s’empare de la couronne. Mais il reste encore un obstacle sur sa route : les sorcières ; n’ont-elles pas prophétisé que le royaume irait aux descendants de Banco ?Aussi Macbeth décide-t-il de le tuer, ainsi que son fils Fléandre, mais ce dernier réussit à s’enfuir. Poursuivi par le spectre de Banco, qui lui apparaît au cours d’une scène demeurée célèbre, pendant un banquet – Macbeth consulte les sorcières, qui lui disent de se garder de Macduff, le  » Thaneu de Fife « ; qu’aucun être né d’une femme n’a le pouvoir de nuire à Macbeth, et qu’il ne sera vaincu que lorsque la forêt de Birnam viendra à Dunsinane. Apprenant que Macduff s’est uni à Malcom, lequel rassemble une armée en Angleterre, Macbeth fait assassiner Lady Macduff et ses enfants. Lady Macbeth, à qui le poignard était tombé des mains lorsqu’elle avait tout d’abord tenté d’assassiner Duncan pendant son sommeil, Lady Macbeth perd la raison et cherche vainement à ôter de ses mains une tache imaginaire, puis elle meurt. L’armée de Macduff et de Malcom se prépare à attaquer Macbeth. En passant dans la forêt de Birnam, chacun des soldats coupe une branche, et derrière ce rideau de feuillage, ils se mettent en marche vers Annsinane. Macduff, qui a été arraché au sein maternel par les gens avant terme, tue Macbeth. La prophétie s’est réalisée et Malcom devient roi.

Dans « Le silence de la mer » on trouve Macbeth cité à la page 53 :

« Il descendit un soir, tenant un livre refermé sur l’index.. il dit : – J’ai descendu ceci pour vous. C’est une page de Macbeth. Dieux! Quelle grandeur! … Et il lut lentement, avec une pesanteur pathétique :

ANGUS

« Maintenant il sent ses crimes secrets coller à ses mains. A chaque minute des hommes de coeur révoltés lui reprochent sa mauvaise foi. Ceux qu’il commande obéissent à la crainte et non plus à l’amour. Désormais il voit son titre prendre autour de lui, flottant comme la robe d’un géant sur la main qui l’a volée. « 

En lisant ce passage, Werner von Ebrennac fait allusion au Maréchal Pétain qui a accepté de collaborer avec les Allemands pendant la guerre. Il l’identifie à Macbeth. Macbeth, le traître à son roi, le traître à son peuple, c’est, dans son esprit, le vieux maréchal, le traître à la France. Macbeth, possédé par le mal, poussé à commettre des crimes : le vieux maréchal : « un bien misérable mannequin« , « un morne ambitieux. » (1)

  • OTHELLO

Tragédie en cinq actes, en vers et en prose, de W. Shakespeare, écrite aux environs de l’année 1604.Le Maure Othello, général au service de Venise, a conquis le coeur de Desdémone, fille du sénateur vénitien Brabautio, par le récit de ses exploits. Il a épousé Desdémone secrètement. Bratautio l’accuse donc devant le Doge d’avoir séduit et enlevé sa fille. Mais Othello explique comment il a loyalement conquis le coeur de Desdemone et celle-ci confirme ses paroles. Cependant, arrive la nouvelle que les Turcs sont sur le point d’attaquer l’île de Chypre et l’on requiert le bras d’othello pour les repousser. Barvantion cède à contre-coeur sa fille au Maure, qui part avec elle pour Chypre. Othello a un ennemi en la personne du cornette Iago, qui est jaloux d’avoir vu nommer Cassio lieutenant à sa place, de plus, Iago nourrit une haine profonde à l’égard du Maure.Le bruit ayant courru que celui-ci avait obtenu les faveurs d’Emilie, la femme, camériste de Desdémone, Iago commence donc par discréditer Cassio dans l’esprit d’Othello, en l’ennivrant et en lui faisant troubler l’ordre public à la suite d’une altercation qu’il a avec Rodrigue : épris de Desdémone, Rodrigue en vient à provoquer le lieutenant. Comme ce dernier se voit relevé de son grade, Iago le pousse perfidement à prier Desdémone d’intercéder en sa faveur, alors que dans le même temps il instille dans l’âme d’Othello le soupçon que sa femme le trahit avec le lieutenant disgracié. Le zèle que met Desdémone à intervenir en faveur de Cassio semble confirmer les soupçons d’Othello dont l’âme sera désormais en proie à la plus furieuse des jalousies. Poussant ses avantages, Iago s’arrange pour qu’un mouchoir, donné par Othello à Desdémone comme un précieux gage d’amour et recueilli par Emilie quand sa maîtresse l’eût perdu, soit retrouvé chez Cassio. Aveuglé par la jalousie, Othello étouffe Desdémone dans son lit. Peu après, Cassio, qui devait être tué par Rodrigue, à l’instigation de Iago, est retrouvé blessé. Mais sur Rodrigue, poignardé par Iago afin que nul ne puisse découvrir son plan, on trouve des lettres qui prouvent la perfidie de Iago et l’innocence de Cassio. Othello, foudroyé de douleur en apprenant qu’il a tué sa femme innocente, retrouve toute sa lucidité d’esprit et se tue stoïquement.

Dans « Le Silence de la mer« , au début du dernier chapitre, Vercors écrit :

OTHELLO « Eteignons cette lumière, pour ensuite éteindre celle de sa vie. « 

Ce sont les paroles d’Othello, celles qu’il prononça juste avant de tuer Desdémone. Othello est ravagé par la douleur, il est DESILLUSIONNE, il ne croit plus à l’amour.

Werner von Ebernac est comme Othello, quand il revient de Paris : transformé, sans espoir. Comme Othello il apparaît au début du livre, calme et serein. Il a, comme Othello, une imagination de poète. Vercors fait de Werner von Ebrennac un personnage Shakespearien.

Desdémone souffre passivement, sans parole, torturée sans cause par l’être qu’elle aime. Son innocence et sa pureté représentent la victoire du Bien. Mais, en même temps, elle révèle le mystère de la souffrance humaine. Desdémone, c’est la France.

***

Note

(1) « A voir ainsi associer le premier Verdun au second Rethondes, le souvenir du sacrifice intégral à la capitulation totale, comme si l’un justifiait l’autre, nous distinguions avec épouvante, ainsi que les ombres dans la nuit, les complicités mystérieuses orientées vers un but commun : la ruine du prestige français, la démission de la France.« 

Georges BERNANOS, Le Chemin de la Croix-des-Ames in  Essais et écrits de combat, vol. II, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1995, p. 209.

***

Bibliographie

Vercors, « Le Silence de la mer« 

Dictionnaire des personnages, Laffont-Bompiani

Encyclopaedia Brittannica

Encyclopédie de la littérature.

***

Nevermore

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent.
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant
 » Quel fut ton plus beau jour?  » fit sa voix d’or vivant,Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.

– Ah ! les premières fleurs, qu’elles sont parfumées !
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

Paul VERLAINE
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Université de GenèveFaculté des lettresEcole de Langue et de Civilisation Françaises

Textes complémentaires proposés par M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY