« LE MOTIF »

INTRODUCTION

Nous proposons une lecture d’une nouvelle de Boris VIAN publiée en 1950 et intitulée < Le motif >.

Il s’agit d’une nouvelle très courte se déroulant dans un espace clos (un tribunal civil) et mettant en scène quatre personnages. Ce récit comporte ce qu’on appelle une chute, et son traitement condensé pourrait le rapprocher des gags en une page propres à la bande dessinée. On ne peut s’empêcher, en outre, de I’assimiler à un
acte d’une pièce de théâtre, tant il respecte les unités de temps, de lieu et d’action. A cela s’ajoute le fait que les dialogues occupent la plus grande partie du texte.

Résumé

Odon du Mouillet est un juge de paix travaillant dans la conciliation d’avant divorce : il reçoit aujourd’hui le couple composé de Zizine Poivre et de Jean Biquet.
Aidé de son « sous-fifre » Léonce Tiercelin, il va tenter de s’occuper de leur cas.

STRUCTURE GENERALE DU RECIT

Selon les préceptes de I’analyse sémiotique, tout récit est organisé à partir de la fin. Dans le cas particulier de cette nouvelle, cette fin est une chute : le propre de la chute est d’être inattendue et de n’intervenir qu’au tout dernier instant (ici, la dernière phrase,
sous forme de révélation, prononcée par Jean Biquet ) :

« S’il faut que je divorce, c’est que je ne peux pas vivre sans femme… »

On se doutait déjà ( depuis quelques répliques ) que la conciliation allait être difficile, les deux conjoints allant dans la même direction judiciaire ( mais pas pour les mêmes motifs ) : Zizine Poivre étant la demanderesse et Jean Biquet ayant provoqué volontairement sa demande. Pourtant, le lecteur est loin de se douter de I’ampleur du
désarroi de Jean Biquet : ce n’est pas qu’il n’aime pas les femmes, bien au contraire : il ne peut pas vivre sans elles, c’est que Zizine Poivre est décidément trop « ardente« , comme son nom I’indique d’ailleurs. A ce moment là, on se rend compte que le divorce ne peut être évité. Voilà quelle est la situation finale.

La situation initiale propose un contenu corrélé : il n’y a « que » dix-neuf divorces à traiter. De plus, on est en mesure de penser qu’Odon du Mouillet en a déjà vu de toutes les couleurs dans ce domaine.  :

« – Bon, bon, bon, bon, bon, bon, bon, dit le juge, satisfait.
II aurait ainsi plus de temps que d’habitude pour finir, polir, ébarber et Iustrer les phrases enveloppantes sur la persuasion desquelles iI comptait pour ramener dans le droit chemin conjugal, Ies brebis égarées qui allaient se présenter devant lui pour une éventuelle conciliation. »

On voit donc que I’optimisme est de rigueur du côté du magistrat, cela d’autant plus qu’à la base il est considéré comme un conciliateur à succès :

« Le juge Odon du Mouillet comptait à son actif plus de replâtrages que cinq de ses collègues réunis. »

Nous avons donc le schéma suivant :

Axe sémantique

S ————————————>   t   ———————————–> S’

  • Conciliation à obtenir                                           Conciliation impossible
  • optimisme                                                                     pessimisme
  • juge : efficace                                                              juge : impuissant

Cette transformation est de type progressif : d’un cas de routine (pour lequel les phrases peuvent être préparées à l’avance, comme le montrent les préparatifs cérébraux du juge), le cas devient compliqué et difficile :

« … il haussa le sourcil » (p. 117)

« Je m’excuse, mais votre cas me paraît si particulier que je ne peux m’empêcher de le considérer comme riche d’enseignements »  (p. 118)

 » – Que faire, dit-il. Je ne comprends rien … »  (p. 119)

et pour finir il s’avère intraitable (chute).

Le pauvre Odon du Mouillet va de surprise en surprise : d’abord, il s’aperçoit que ce n’est pas la personne qu’il croit qui demande le divorce; ensuite, la raison de l’infidélité du mari s’avère être tout autre que celle de la logique du juge; et, pour finir, il découvre que Jean Biquet avait tout prévu, faisant d’une pierre deux coups : obtenir le divorce et ne pas rester seul.

Nous voyons bien que le récit se termine sur une ellipse, le juge et le lecteur ne pouvant que constater la vanité des efforts de conciliation.

SEGMENTATION DU TEXTE

Typographiquement, la segmentation est presqu’inexistante, ce qui est assez logique étant donné la brièveté du texte. Cependant, on peut remarquer une certaine disjonction « énonciative » (repérable typographiquement) entre la première partie du texte et la deuxième : prédominance de la narration dans la première moitié et prédominance du dialogue dans la deuxième.

Pourtant, la disjonction principale entre les deux séquences est d’ordre actoriel : Odon et Léonce sont séparés de Jean et Zizine dans la première séquence et se trouvent réunis dans la séquence finale.

Première séquence : les préparatifs

De : « Odon du Mouillet, juge de paix breveté… »
jusqu’à : « Léonce, d ‘un pas majestueux, fut ouvrir. »

Les préparatifs du juge, psychiques et personnels (il réfléchit, il cogite, il se cure I’oreille, il se gratte la fesse) encadrent les préparatifs plus matériels de Léonce ( il soulève le mobilier de son supérieur, dispose des fleurs artificielles, suspend une balance au plafond et s’habille pour la circonstance). Tous ces préparatifs ont quelque chose de très théâtral : en prenant des dispositions pour le paraître, on montre l’être.

Cette première séquence constitue également un épisode. En effet,  il y a eu la transformation suivante entre le début et la fin d’icelui :

S  ———————————> t  ———————————> S’
ils ne sont pas prêts                                                                   ils sont prêts

La fin de la première séquence annonce le début de la deuxième :

« – Gardes, faites entrer les impétrants.
Léonce,d ‘un pas majestueux, fut ouvrir. »

Deuxième séquence : le vif du sujet (la tentative de conciliation)

De :  « Jean Biquet et Madame, née Zizine Poivre, entrèrent.
jusqu’à :  « S’il faut que je divorce c’est que je ne peux pas vivre sans femme... »

Disjonction actorielle, disjonction énonciative, mais également disjonction temporelle, annoncée à la fin de la première séquence :

« Lorsque le juge eut suffisamment cogité... »

Cette deuxième scène se caractérise par une subdivision interne que nous pourrions appeler une disjonction narrative d’usage (nous allons bientôt voir pourquoi). En effet, le programme narratif du juge Odon du Mouillet, qui est de « réconcilier le couple Biquet », se trouve soudain subordonné à un nouveau programme qui serait de
« comprendre l’illogisme apparent du cas ».

« Odon du Mouillet considéra sans étonnement d’abord ce couple mal
assorti, puis, se remémorant les termes de la demande, haussa le sourcil. »

Cette perplexité du juge est la conséquence directe de I’apparence physique et émotive des deux conjoints décrits quelques lignes auparavant :

« Jean Biquet était blond, mou,  neutre, pâIe et digne.
Zizine Poivre brune, ardente, mamelue, offrait tous les signes d’une nature fougueuse »

En résumé, cette nouvelle se divise en deux séquences bien différenciées.
Cependant, la segmentation en épisodes nous révèle une structure de type hiérarchisée :

début des préparatifs   ———- >   t   ———->  préparatifs achevés

transition

motif inconnu     —————–>     t     — ———–> motif dévoilé

  S  conciliation à obtenir  ——>   T —–>   conciliation impossible  S’

Effectivement, la transformation principale englobe deux transformations subordonnées et indépendantes I’une de I’autre, étant donné que la situation finale de  la première ne correspond pas à la situation initiale de la seconde. Un paragraphe de
transition se révèle donc, qui correspond à I’entrée du couple, à son installation et à sa présentation.

STRUCTURE NARRATIVE

« …les phrases sur la persuasion desquelles il comptait …  pour une éventuelle conciliation« 

Nous considérons le juge comme le Sujet de la quête, et la conciliation comme I’Objet de valeur vers lequel il tend. Interrogeons-nous maintenant sur sa compétence ou,
autrement dit, sur l’ <<épreuve qualifiante>>. En a-t-il vraiment besoin ?

Nous nous rendons compte aisément que la quête du juge Odon du Mouillet est de type répétitif et cyclique : il doit traiter dix-neuf cas de divorce en une matinée et son but est d’en négocier une issue heureuse pour un maximum d’entre eux, cela d’autant plus qu’il est tenu, volontairement ou pas, à respecter une moyenne.
Au début de chaque cas, il se retrouve donc à la case départ : il a une performance à accomplir. Pourtant, il n’est pas dépourvu d’atouts : il s’agit de son métier et nous avons vu qu’il y excelle.

« Le juge Odon du Mouillet comptait à son actif plus de replâtrages que cinq de ses collègues réunis. »

Le juge n’a donc pas besoin a priori d’un contrat de « séduction » avec le Destinateur.
Notre héros possède par conséquent le premier objet modal, à savoir le  savoir/pouvoir-faire.

D’autre part, et pour les mêmes raisons (son devoir professionnel et son goût de la compétiton que nous devinons), il est investi tout-à-fait naturellement du deuxième objet modal qui est le devoir/vouloir- faire.

Autre atout d’Odon du Mouillet, les préparatifs auxquels il s’adonne, aidé par son sous-fifre dont on peut sans conteste dire qu’il joue un rôle d’adjuvant, sont impressionnants. Nous pouvons sans doute considérer que toute la première séquence du texte représente une partie de l’épreuve qualifiante, l’ultime partie de I’acquisition
du pouvoir-faire (un supplément en quelque sorte). Nous ne sommes bien sûr pas dupes concernant I’efficacité de ce procédé de style qui consiste à faire croire que tous les éléments sont réunis dans un but qui ne sera jamais atteint, bien au contraire. C’est
là un procédé utilisé bien souvent dans le domaine du comique, entre autres.

En résumé, le couple Biquet est susceptible au début de I’histoire d’être réconcilié, et le juge Odon compte bien en être le moteur :

S2                                                          (S1                               ^                              0 )

le juge                                       le couple                                                 conciliation

Sujet opérateur                  Sujet d’état                                     Objet de valeur

Nous avons donc établi I’axe du désir, qui relie le Sujet à son Objet de valeur.

Occupons-nous à présent de I’axe de la communication. Qui est le mandant de la quête, autrement dit le Destinateur dans le « schéma actantiel » ? Celui-ci transmet le savoir et les modalités à Odon du Mouillet dans le but de mener à bien cette mission. Dans ce
cas, nous savons que le juge Odon du Mouillet est un « juge de paix breveté« , ce qui le place parmi une certaine élite étatique, malgré I’ironie que nous croyons percevoir dans cette qualification. D’autre part, on note qu’il « usait ses culottes sur les bancs du cours
Ia Reine » (!), et l’apparition de cette précision dans le premier paragraphe n’est pas gratuite, Odon est un pur produit de la société établie.
Ce juge est l’instrument de I’Etat, de la Société et même du clergé, si I’on se réfère à l’attribut religieux que représentent « les brebis égarées » du deuxième paragraphe.

LE SCHEMA ACTANTIEL

DESTINATEUR  —————>  OBJET  ————>  DESTINATAIRE
La Société                                      La conciliation                                 Le couple

ADJUVANT  ————— >        SUJET     <————        OPPOSANT

Le sous-fifre                                Le juge                Jean Biquet + Zizine Poivre

Il faut noter un passage important du dialogue de la deuxième séquence : celui où le juge tente, malgré tout, de convaincre Zizine Poivre de faire

« un effort de compréhension (qui) vous rapprocherait certainement l’un de I’autre…
Zizine regarda Jean avec espoir et se lécha les lèvres.

Mon Jeannot, murmure-t-elle d’une voix enrouée.
Jean Biquet frissonna et le juge aussi. »

Nous considérons Jean Biquet comme le principal opposant à la quête du juge, attendu que Zizine, opposant malgré elle car elle a déposé la demande de divorce par principe, semble avoir encore un espoir, alors que Jean n’en peut plus et refuse d’entrer en matière.

Jean Biquet poursuit une quête opposée à celle du juge du
Mouillet : il brigue le divorce ou, si I’on préfère, il cherche à être en disjonction avec I’Objet de valeur du magistrat.

Le juge  —————————————>    (JeanBiquet   ^   mariage)

(Jean Biquet   mariage)      —————–>   (JeanBiquet    v    mariage)

Première séquence

Dans la première séquence, apparaît un premier programme narratif d’usage (donc nécessaire au programme narratif principal) qui consiste à < être prêt >. Le Sujet opérateur de ce programme est le même que le Sujet d’état, c’est-à-dire le couple de
magistrats, qui entreprennent cette transformation pour eux-mêmes. On parle donc ici d’une opération réflexive. Quant au Destinateur, il demeure le même que dans le programme narratif principal. Néanmoins, celui-ci doit jouer normalement le rôle d’évaluation de la performance du Sujet, ce qui n’est pas le cas ici, Odon s’évaluant lui-même

« Lorsque le juge eut suffisamment cogité… »

Deuxième séquence

Nous nous rendons compte au début de la deuxième séquence et comme nous I’avons vu précédemment, que la quête d’Odon du Mouillet rencontre un obstacle, un programme narratif d’usage qu’il n’avait pas prévu : <<comprendre le motif d’une situation à première vue illogique >.
A I’Objet principal O1 de sa quête vient se greffer un Objet d’usage O2 nécessairement intermédiaire. En effet, les deux Objets sont liés en ce sens que la quête de 01 passe obligatoirement par celle de 02. A première vue, pour Odon du Mouillet la situation n’est pas compromise, et il se lance dans la recherche du motif.
Il se heurte néanmoins au refus de coopérer de Jean Biquet.

« – Ca ne vous regarde pas, dit Jean Biquet. »

Jean Biquet commence par jouer le rôle de I’Opposant à cette quête, mais il se rend vite compte, en constatant que Zizine collabore avec le juge, qu’il a plutôt intérêt à jouer cartes sur table pour dissuader Zizine de faire marche arrière. De plus, comme Odon joue son rôle de persuasion avec application,

 » – Continuez,cher monsieur, insista Odon.
Je m’excuse mais votre cas me paraît si particulier que je ne peux
m’empêcher de le considérer comme riche d’enseignements. »

et que Zizine I’appuie dans ses révélations,

« – Exactement ! répondirent d’une même voix les deux conjoints« 

Jean décide de donner le coup de grâce à sa femme et par là même aux prétentions conciliatrices du juge.

DESTINATEUR  —————-> OBJET ————–> DESTINATAIRE
Le juge                                                  Le motif                                               Le juge

SUJET
Le couple

LE NIVEAU FIGURATIF

Au niveau des récurrences intra-textuelles, autant dans la première séquence que dans la deuxième, I’utilisation fréquente des verbes pronominaux et des expressions du visage tiennent lieu de description émotive des personnages

  • Le juge :

« il se cura » (décontraction), « il se gratta » (tranquillité),
« il haussa le sourcil » (étonnement)

  • Le sous-fifre :

« il se moucha »  (incrédulité, étonnement)

  • La femme :

« elle se lécha les lèvres »  (espoir), (elle mit) « I’ongle sur les dents » (peur)

Si l’on s’attache au code sensoriel de ces récurrences, il apparaît évident que le personnage du juge Odon du Mouillet est régi par les sens auditif (sonore) et visuel, les principaux instruments de sa profession.

(il) « se cura déIicatement I’oreille… »

(iI) « haussa le sourcil« .

Léonce Tiercelin fait une spectaculaire intervention sonore et nasale au milieu de la deuxième séquence. L’odorat dominerait-il son personnage ?

« Abasourdi, LéonceTiercelin se moucha et fit sursauter la compagnie.« 

En ce qui concerne Zizine Poivre, son personnage est caractérisé par la bouche, et plus particulièrement par le sens du goût. N’est-elle pas goulue et avide de son homme ?

(elle) « se lécha les lèvres. »

(eIIe mit) « I’ongle sur les dents. »

Le seul qui n’est pas décrit émotivement est Jean Biquet, présenté justement comme une figure neutre. Il est détenteur du secret et s’exprime à la fin,

« d’une voix calme et posée »

VS

« une voix de garage » (!) de Léonce Tiercelin au début de la séquence.

VS

« une voix enrouée » de Zizine Poivre au milieu de la séquence.

VS

« la parole onctueuse » d’Odon du Mouillet dans la première séquence.

Cette nouvelle met en scène un parcours figuratif assez stéréotypé, celui de la relation des citoyens avec le pouvoir judiciaire où les rôles sont définis assez clairement :

Le magistrat : questionner, suggérer, juger.
Les impétrants (!) : répondre, justifier, accepter.

LE CONTENU THEMATIQUE

Cette courte nouvelle recèle un contenu thématique des plus essentiels, car ce qui se joue entre les lignes, dans son organisation profonde n’est rien moins que la problématique du progrès, que l’on devine derrière l’opposition :

continuité/rupture

De fait, ce n’est pas tant la question du mariage qui travaille les méninges de nos héros, ni celle du divorce (qui n’apparaît pas si terrible après tout : il y a une vingtaine de cas par matinée), encore moins la recherche  de la liberté (puisque Jean ne veut pas vivre sans femme) mais bien plutôt le pas qu’il faut franchir lorsqu’on prend une décision importante, une décision qui va modifier fondamentalement une vie.
Car il faut être conscient que le progrès, bien que versatile, vient souvent des ruptures (ou révolutions), mais le courage des changements, des nouveaux départs, n’est pas décision facile.

Complexifions cet axe sémantique en un carré sémiotique, cher à A.J. Greimas :

décision
CONTINUITE                                                                               RUPTURE

NON-RUPTURE                                                      NON-CONTINUITE
non-décision

Dans une perspective paradigmatique, ce schéma illustre les possibilités qui s’offrent aux individus en général dans leur approche de la vie, dans la conduite de leur vie. Il propose deux oppositions de contraires, deux oppositions de contradictoires et deux
relations d’ implication.

Maintenant, dans une perspective syntagmatique, intéressons nous au texte qui nous occupe et qui a suscité le questionnement existentiel cité ci-dessus.

Quel est le parcours du <<Motif >> ?

l) La nouvelle débute au point <<continuité>>: en effet, le couple est encore marié, ils ne se sont pas encore présentés devant le juge et les perspectives sont plutôt bonnes en ce qui concerne les conciliations.

2) Nous nous retrouvons au point <<non-continuité>>: le couple se présente devant le juge du Mouillet pour une demande de divorce, l’intention est donc bel et bien réelle et à aucun moment on ne pense que le juge va réussir à inverser la tendance, malgré une belle tentative (et une préparation hors du commun !)

3) La fin du texte ne souffre d’aucune discussion, le point final est < rupture>>: la ténacité de Jean Biquet, associée à un sens tactique certain, prennent de court autant le juge que le lecteur.

CONTINUITE                                                                        RUPTURE

NON-RUPTURE                                              NON-CONTINUITE

Ce texte possède une signification profonde. Le juge Odon du Mouillet et son sous-fifre Léonce Tiercelin représentent la volonté de statu quo en général, le conservatisme et le caractère réactionnaire bourgeois et clérical, ici la continuité.

Zizine Poivre représente, quant à elle, le peuple <<moutonnier >>, qui est toujours prêt à suivre les recommandations ou les injonctions de la classe dirigeante, ayant abdiqué son libre-arbitre.

Jean Biquet, enfin, cache bien son jeu, il n’est ni caprin (il n’est de toute évidence pas cocu), ni ovin (n’en déplaise à Gilbert Pestureau). Monsieur Biquet symbolise le courage de la rupture avec le passé, le progressisme de quelques visionnaires ou intellectuels qui se démarquent de la masse.

Relativisons cependant tout de suite ce dithyrambe, car il ne peut nous échapper que Jean Biquet choisit une rupture <<sans rupture >> : il échange une femme contre une autre qui convient mieux à son tempérament. En un mot, il est plus opportuniste que réellement
volontaire ; son option tient plutôt de la rupture dans la continuité.

CONCLUSION

Boris Vian est un auteur particulièrement transparent au travers de son oeuvre, son imagination a beau battre la campagne – ou justement à cause de cela – on retrouve son essence humaine à travers tous les signes typographiques qui parcourent ses textes.

Dans cette nouvelle, les aberrations, les incongruités, le surréalisme dont Vian est coutumier sont laissés à I’arrière-plan, comme le démontre un certain respect du parcours figuratif esquissé plus haut. Néanmoins, et à propos de ce point précis, I’ironie de I’auteur est bien présente au travers du traitement <<théâtral>>de cette histoire. En effet, ce juge est trop philanthrope pour être vrai, et son « adjoint » qualifié comiquement de <<sous-fifre >>, est trop zélé et dramatique pour ne pas prêter à sourire.
Finalement, le personnage le plus réaliste de I’histoire est bien Jean Biquet malgré ce qui ressort de prime abord de I’analyse du scénario : la chute vient de lui, les problèmes du juge (l’illogisme apparent) aussi.

On sait que Boris Vian était un grand amateur de théâtre, il a écrit de nombreuses pièces, un grand amateur de femmes aussi, comme on ne peut s’empêcher d’en percevoir l’évidence à travers ses écrits. Il ressort de cette nouvelle,  pourtant mineure dans I’oeuvre de I’auteur, que ces deux passions s’y joignent à I’humour, qui est omniprésent, de toutes façons, dans tous ses écrits, parfois de manière faussement occulte.

Cette analyse sémiotique, à laquelle nous nous sommes livrés avec bonheur, révèle un aspect moins évident de son écriture, à savoir I’implicaton politique et sociale d’un homme qui n’a jamais vraiment roulé sur I’or.

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Bibliographie

VIAN,  Boris, « Le Motif » in Le Ratichon Baigneur et autres nouvelles inédites, Paris, France-Loisir, 1981.

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Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté par M. Daniel GAJARDO dans le cadre du séminaire de Méthodologie Littéraire du D.E.S.F.L.E.

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY