Textes 1 et 2 : similitudes et différences (résumé sous forme de tableau)

 Les codes Similitudes Différences
Texte 1 Texte 2 Texte 1 Texte 2
 

Les thèmes :

le rapport à

 – la mort

l’Autre

 

idem

Code spatial (topologique)
Algérie

(englobant)

France

(englobant)

Plage

(«nature»)

Pont

(«culture»)

(englobé) (englobé)
Code temporel

(chronologique)

Jour d’été

(englobant)

Nuit d’hiver

(englobant)

Midi

(englobé)

Minuit

(englobé)

Code actoriel Deux personnages :

l’un est défini par son patronyme, l’autre est désigné par un terme générique

idem Meursault

vs

l’Arabe

 

Clamence

vs

la Jeune femme

Code symbolique Le feu

(le soleil)

L’eau

(la Seine)

 Code sensoriel Chaleur Froid
Visage de l’Autre

 

indiscernable

idem l’Arabe fait

 

  face à

 

Meursault

( mais,  à cause des ombres, Meursault ne distingue pas son visage )

la jeune femme

 

tourne le  dos à

Clamence

( qui ne voit d’elle que sa nuque )

 

Code actionnel Donner la mort Laisser mourir Meursault

actif

Clamence

passif

L’Arabe

 

passif :

il est tué par Meursault

 

( il s’agit d’un meurtre )

La jeune femme

active :

elle se  donne la mort

 

( Clamence  inerte devant ce suicide )

Code social Le rapport

dominant

vs

dominé

idem  

le colon

vs

le colonisé

 

l’homme

vs

la femme

 

Comparaison entre le texte 1 et le texte 2

TEXTE 2

Clamence et le suicide de la jeune femme

Ah ! Je ne mets aucune complaisance, croyez-le bien, à vous raconter cela. Quand je pense à cette période où je demandais tout sans rien payer moi-même, où je mobilisais tant d’êtres à mon service, pour les avoir un jour ou l’autre sous la main, à ma convenance, je ne sais comment nommer le curieux sentiment qui me vient. Ne serait-ce pas la honte ? La honte, dites-moi, mon cher compatriote, ne brûle-t-elle pas un peu ? Oui ? Alors, il s’agit peut-être d’elle, ou d’un de ces sentiments ridicules qui concernent l’honneur. Il me semble en tout cas que ce sentiment ne m’a plus quitté depuis cette aventure que j’ai trouvée au centre de ma mémoire et dont je ne peux différer plus longtemps le récit, malgré mes digressions et les efforts d’une invention à laquelle, je l’espère, vous rendez justice.

Tiens, la pluie a cessé ! Ayez la bonté de me raccompagner chez moi. Je suis fatigué, étrangement, non d’avoir parlé, mais à la seule idée de ce qu’il me faut encore dire. Allons ! Quelques mots suffiront pour retracer ma découverte essentielle. Pourquoi en dire plus, d’ailleurs ? Pour que la statue soit nue, les beaux discours doivent s’envoler. Voici. Cette nuit-là, en novembre, deux ou trois ans avant le soir où je crus entendre rire dans mon dos, je regagnais la rive gauche, et mon domicile, par le pont Royal. Il était une heure après minuit, une petite pluie tombait, une bruine plutôt, qui dispersait les rares passants. Je venais de quitter une amie qui, sûrement, dormait déjà. J’étais heureux de cette marche, un peu engourdi, le corps calmé, irrigué par un sang doux comme la pluie qui tombait. Sur le pont, je passai derrière une forme penchée sur le parapet, et qui semblait regarder le fleuve. De plus près, je distinguai une mince jeune femme, habillée de noir. Entre les cheveux sombres et le col du manteau, on voyait seulement une nuque, fraîche et mouillée, à laquelle je fus sensible. Mais je poursuivis ma route, après une hésitation. Au bout du pont, je pris les quais en direction de Saint-Michel, où je demeurais. J’avais déjà parcouru une cinquantaine de mètres à peu près, lorsque j’entendis le bruit, qui, malgré la distance, me parut formidable dans le silence nocturne, d’un corps qui s’abat sur l’eau. Je m’arrêtai net, mais sans me retourner. Presque aussitôt, j’entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s’éteignit brusquement. Le silence qui suivit, dans la nuit soudain figée, me parut interminable. Je voulus courir et je ne bougeai pas. Je tremblais, je crois, de froid et de saisissement. Je me disais qu’il fallait faire vite et je sentais une faiblesse irrésistible envahir mon corps. J’ai oublié ce que j’ai pensé alors. « Trop tard, trop loin… » ou quelque chose de ce genre. J’écoutais toujours, immobile. Puis, à petits pas, sous la pluie, je m’éloignai. Je ne prévins personne.

Mais nous sommes arrivés, voici ma maison, mon abri ! Demain ? Oui, comme vous voudrez. Je vous mènerai volontiers à l’île de Marken, vous verrez le Zuyderzee. Rendez-vous à 11 heures à Mexico-City. Quoi ? Cette femme ? Ah, je ne sais pas, vraiment, je ne sais pas. Ni le lendemain, ni les jours qui suivirent, je n’ai lu les journaux.

 

La Chute in Œuvres complètes, tome 3, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2008, pp. 727-729.

Comparaison entre le texte 1 et le texte 2

TEXTE 1

Meursault et le meurtre de l’Arabe

J’ai pensé que je n’avais qu’un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J’ai fait quelques pas vers la source. L’Arabe n’a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l’air de rire. J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant. Et cette fois, sans se soulever, l’Arabe a tiré son couteau qu’il m’a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui m’atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d’un coup sur les paupières et les a recouvertes d’un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C’est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j’ai touché le ventre poli de la crosse et c’est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage ou j’avais été heureux. Alors, j’ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s’enfonçaient sans qu’il y parût. Et c’était comme quatre coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.

 

L’Etranger in Œuvres complètes, tome 1, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2006, pp. 175-176.

La sémiotique littéraire en classe de FLE

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La sémiotique littéraire en classe de FLE

 

L’analyse sémiotique propose une démarche qui centre son attention sur la signification du texte et non pas, comme dans la méthode diachronique, sur l’intention signifiante de l’auteur. Elle soumet le texte à un travail de déchiffrement pour faire apparaître son sens ou plutôt ses sens multiples. Le document littéraire, lieu où, par excellence, la langue travaille de manière non linéaire et non univoque, se prête particulièrement à des lectures plurielles.

 

Cette approche, en niant l’unicité du sens d’un texte, le désacralise. Le texte littéraire devient un produit relatif, ni sacré ni absolu, bien que ses spécificités ne doivent pas être négligées.

 

Une telle méthode paraît spécialement apte à être utilisée dans une classe de langue étrangère où les représentations et les conceptions « esthétiques » concernant l’objet littéraire peuvent être extrêmement variées, selon les spécificités propres aux différentes cultures. Ce concept provoque, en outre, le refus du texte conçu comme « discours orné » ou comme réservoir de travaux sur la langue. Le texte devient, selon l’image de Barthes, un « espace de langue », « un espace à observer, à interroger, comme révélateur du fonctionnement multiple du système de la langue (1) ». La sémiotique permet alors de percevoir les circuits multiples de significations qui parcourent un texte.

 

Un concept intrinsèquement lié à cette approche critique est celui d’intertextualité. Cette théorie, qui est devenue par la suite l’un des principaux outils critiques dans les études littéraires, s’est développé pendant les années soixante. Elle reste liée aux travaux théoriques du groupe « Tel Quel », et plus précisément aux œuvres de Julia Kristeva (2).

 

Cette idée s’oppose à « l’image d’un texte plein et figé, clos sur la sacralisation de sa forme et de son unicité (3) . » L’intertextualité à emprunté au critique russe Mikhael Bakhtine (4) l’idée que tout texte peut se lire comme l’intégration d’un ou de plusieurs autres textes.

 

Il faut souligner à ce propos que ce concept ne doit pas être confondu avec l’une des pratiques typiques de la méthode historique, c’est-à-dire l’établissement des sources. L’intertextualité se situe, quant à elle, dans une autre dimension. Il est évident qu’elle aussi renvoie à un savoir culturel, mais elle ne peut pas être considérée comme un simple emprunt. On pourrait plutôt la définir comme un phénomène d’écriture ou réécriture.

 

Un texte se constitue effectivement à travers l’absorption et la transformation successive d’autres textes. C’est sur l’idée de transformation qu’il faudra mettre l’accent.

 

Selon cette théorie, tout texte assimile et métamorphose des textes antérieurs. A la suite de ce double mouvement, on assiste à la reconstruction d’un nouvel univers dont les sens qui en résultent son modifiés : « l’intertextualité (…) n’est pas uniquement une transplantation, mais elle se définit par un travail d’appropriation et de réécriture qui s’applique à récréer le sens, en invitant à une lecture nouvelle (5). »

 

Ce concept se précise aussi par sa dimension polyphonique et par la capacité de traduire plusieurs voix qui s’équilibrent et se fondent dans l’œuvre. A ce propos, « le roman possède structurellement une prédisposition à intégrer, sous forme polyphonique, une grande diversité de composants linguistiques, stylistiques et culturels (6). »

 

En réalité, l’intertextualité ne se réfère pas exclusivement à la reprise de textes littéraires. On assiste aussi à la ré-élaboration des divers langages qui correspondent au différents domaines de la culture. Un texte littéraire peut en effet renvoyer à d’autres langages comme celui des Beaux-Arts et de la musique, celui de la Bible et de la Mythologie. La lecture d’un texte se présente donc sous la forme d’un décodage, d’un repérage de ces intégrations, de ces élaborations qui lui donnent sa dimension polysémique.

 

Le concept d’intertextualité nous présente un texte comme une « œuvre ouverte ». Le texte ne se définit pas par sa clôture structurale, par son signifié « canonique », mais par son ouverture en direction du lecteur qui l’interprète. Un texte est rempli d’indices, de traces dont la valeur sémantique pour le lecteur échappe souvent au narrateur lui-même. Cette approche donne effectivement aux apprenants un grand nombre de pistes possibles de lecture qu’ils peuvent eux-mêmes suggérer et proposer selon leur différentes cultures. L’apprenant doit être amené à faire un travail personnel d’observation, de description et de découverte de ces traces de signification présentes dans le texte.

 

Il est évident, par ailleurs, que ce type d’étude ne peut faire appel à la simple sensibilité des élèves ou à un présupposé esthétique. On remarque en effet qu’il est nécessaire de faire acquérir progressivement aux apprenants la capacité d’utiliser certains concepts et procédés typiques de l’analyse sémiotique.

 

 

Voir ma fiche de travail ainsi que le plan de l’analyse sémiotique que je propose à mes étudiants.

***

(1) PEYTARD, J. (1986), Didactique, sémiotique, linguistique, in Syntagmes 3, Paris, p. 247.

(2) KRISTEVA, J. (1969), Séméiôtiqué, recherche pour une sémanalyse, Paris, Plon.

(3) De BIASI, P., Théorie de l’intertextualité in Encyclopedia Universalis, 1989, vol. 12, p. 514.

(4) EIGELDINGER, M. (1987), Mythologie et intertextualité, Genève, éd. Slatkine, p. 11.

(5) De BIASI, op. cit., p. 515.

 

 

REGARDS sur l’ŒUVRE d’Albert CAMUS

Quelques relations intra-textuelles : étude de textes

 

  1. L’ETRANGER

 

Le thème de ce récit est l’éveil philosophique, c’est-à-dire l’éveil à la conscience. Cette prise de conscience s’effectue par la rencontre de la limite.

 

 

  • Pour l’être humain, la limite, c’est d’abord et par excellence celle de la mort, limite liée au passage du temps.

Ce récit va donc s’articuler autour de trois morts qui vont scander la prise de conscience du héros, Meursault, et son éveil philosophique.

 

  • Une seconde limite à l’existence de l’être humain – et donc à celle de Meursault – est liée à son insertion dans l’espace.

 

  • La troisième limite à laquelle Meursault, comme tout être humain, se trouve confronté est celle du corps.

 

Nous pouvons observer la conjonction de ces trois thèmes dans l’Etranger.

 

La structure de l’œuvre

 

La structure de l’œuvre – composée de deux parties homologues séparées par la césure que représente, dans la vie de Meursault, le meurtre de l’Arabe – reflète le passage du personnage principal de l’inconscience à la conscience.

 

Meursault est arraché à sa vie « végétative », rythmée par les seuls impératifs physiologiques (qui sont la loi du corps) pour s’élever, dans la seconde partie du texte, à la vie de l’esprit, c’est-à-dire à la conscience.

Cette transformation l’amène à passer d’un temps cyclique, caractérisé par l’incessant retour du même, à un temps vectorisé (cf. « l’être-pour-la-mort » chez Heidegger) désormais orienté vers la limite que représente, à la fin du texte, sa propre mort.

 

 

L’éveil philosophique ou éveil à la conscience

 

La prise de conscience s’effectue par le biais de la réflexion, c’est-à-dire par le retour du sujet (Meursault) sur lui-même qu’initie l’introspection.

 

On remarquera que la condamnation de Meursault suivie de son incarcération sont à l’origine de sa prise de conscience des limites qui lui sont désormais imposées , d’une part, par l’imminence de son exécution (limite temporelle à son existence) et, d’autre part, par les murs de sa prison (limite spatiale imposée à son corps).

 

Au passage du temps cyclique qui régit « l’éternel retour » de jours identiques au temps orienté vers (et par) la mort, correspond, du point de vue de l’espace, le passage de lieux ouverts (« naturels ») à un lieu fermé (« culturel ») : la prison.

 

Ce retour du sujet sur sa propre vie (la réflexion) est provoqué par un événement qui est indépendant de sa volonté propre (voir texte n° 4).

 

Par là-même est introduit le thème du déterminisme ou, plus précisément, des deux déterminismes auxquels est soumise l’existence humaine. Il s’agit, pour reprendre les termes de Claude Lévi-Strauss, du déterminisme naturel (ici symbolisé par le soleil, cause indirecte du meurtre de l’Arabe) et du déterminisme culturel (ici symbolisé par le juge qui condamnera Meursault à mort).

 

Il nous paraît intéressant de comparer deux extraits de l’œuvre de Camus qui semblent se répondre aux deux extrémités de son œuvre et marquer une évolution concernant sa pensée sur la mort et sur la culpabilité (Textes 1 et 2).

 

Les textes 3 et 4 pourront illustrer les thèmes de la prise de conscience et de l ‘éveil philosophique.

 

Enfin, les textes 5 et 6 permettront de mettre en évidence l’aspect militant de la pensée de Camus relativement au totalitarisme, à son emprise mortifère sur la société et à la solidarité entre les individus comme résistance à lui opposer.

 

L’Etranger, structure de l’oeuvre :

 

PREMIERE PARTIE DEUXIEME PARTIE
Meurtre de l’Arabe
Meursault dans des espaces « naturels » ouverts Meursault dans un espace « culturel » fermé
Vie selon le corps Vie selon l’esprit
Temps cyclique

 

(absence de limite : perpétuel recommencement de jours à l’identique)

Temps orienté

 

(limité par la mort :

Meursault conscient du passage des jours

Déterminisme « naturel »

(le soleil)

Déterminisme « culturel »

(le juge)

Meursault inconscient « éveil philosophique » Meursault conscient