Analyse sémiotique du conte « Le loup » de Marcel AYMÉ extrait des « Contes bleus du chat perché »

INTRODUCTION

Le loup, animal presque magique, figure dans plusieurs récits littéraires comme le personnage du méchant. Quand nous écoutons parler du loup, nous imaginons immédiatement des histoires d’enfants et d’animaux qui ont été dévorés par cet animal. Plusieurs cauchemars enfantins entretiennent une relation avec la peur causée par la cruauté du loup.

Nous proposerons ci-dessous une analyse du conte “Le loup” de Marcel Aymé, qui fait partie du livre “Les contes bleus du chat perché”. Ces contes ont été publiés à partir de 1943 sous forme d’albums pour enfants. Il s’agit d’un conte simple qui se déroule à l’intérieur de la maison de Delphine et Marinette, protagonistes des tous les « contes du chat perché”.

L’auteur a utilisé le conte pour transmettre aux lecteurs en général et aux enfants en particulier un message très clair : le modèle de comportement “naturel” (comportement instinctif) d’une espèce (dans notre cas le loup), ne va pas changer pour des raisons culturelles. Chez l’animal, l’instinct ou les comportements naturels sont dominants.

Pour bien comprendre le message de ce conte, nous proposerons trois niveaux d’analyse : d’abord, l’analyse sémiotique, pour décrire les étapes de la création de la signification dans le récit. Ensuite, une interprétation du conte, afin de comprendre le cadre historique et culturel du texte ; enfin, une lecture psychocritique, pour analyser l’ enchaînement des idées sous-jacentes aux structures conscientes du texte.

I. BIOGRAPHIE DE MARCEL AYME

 

D’origine jurassienne, Marcel Aymé est né à Joigny en 1902.  Orphelin de mère à l’âge de deux ans, il a été confié à ses grands-parents côté maternel. Après une enfance campagnarde  pleine de conflits religieux dans le sein de sa famille, il rentre à Paris à partir de 1925.  D’une santé plutôt faible qui l’oblige à interrompre ses études, il essaie divers métiers dont celui de journaliste.

En 1928, il présente son roman  “Aller-retour” à un grand éditeur, Gallimard.  En 1929, il remporte le prix Théophraste Renaudot pour “La table aux Crevés”, ce qui lui permet de se faire connaître du grand public. Après le succès de “La Jument verte” (1933),  « où la sexualité est  source d’un comique satirique [1] »  il se consacre  entièrement à la littérature.

Pendant la guerre, il publie divers articles, des nouvelles, dont “Le passe – Muraille” , des romans (« La Belle image« , « Travelingue« , « La Voivre« )..  Il collabore à trois films de  Louis Daquin (« Nous les gosses », « Madame et le mort », « Le Voyageur de la Toussaint »). C’est au cours de cette période qu’il écrit “Les contes du chat perché

L’oeuvre d’Aymé est ample et comprend divers genres littéraires : des romans, des nouvelles, des essais, des contes. Il s’est aussi intéressé au théâtre et au cinéma pour lesquels quelques-uns de ses récits ont été adaptés.

L’œuvre d’Aymé dresse le constat pessimiste d’un monde médiocre. Elle est  caractérisée  par la clarté et la précision de la pensée et du  langage. L’auteur se distingue par « un grand classicisme qui n’exclut jamais le pittoresque, l’humour et l’ironie [2] ». Il a toujours  travaillé à préserver son indépendance d’esprit pour se maintenir éloigné des groupes politiques et littéraires.

Les compilations de nouvelles d’Aymé  sont toutes de premier ordre tels “Le Passe-muraille” et “Le vin de Paris”. Nous en trouvons des équivalents pour la littérature enfantine dans  “Les contes du chat perché” qui ont commencé à paraître en 1943 sous forme d’ albums. C’est dans ces contes qu’Aymé devient un ami de l’imagination et qu’il nous débarrasse de la lourdeur de la vie quotidienne.

Marcel Aymé est mort à Paris le 14 octobre 1967.

 

II.    LES CONTES DU CHAT PERCHE

 

Les « Contes du chat perché » sont parus pendant le période de la deuxième guerre mondiale. Ils sont destinés à un public plutôt enfantin. Les histoires qui sont racontées dans ces contes se déroulent dans des univers en même temps réels et imaginaires. Nous pouvons retrouver les endroits, les relations familières et les personnages humains dans le monde réel. Mais, les situations, les événements, les relations hors de la famille et les personnages des animaux sont issus du monde de l’imagination.

Ce sont les histoires de deux petites paysannes, Delphine et Marinette, qui grandissent à la ferme entre les conseils de leurs parents et l’amitié des animaux.  Il s’agit d’un monde presque paradisiaque car les animaux et les humains peuvent se parler et partager leurs intérêts et leurs sentiments. Ils peuvent même en arriver à l’amitié.

Les parents se trouvent à un niveau plus élevé que leurs filles et les animaux.   Ils conservent toujours leurs caractéristiques humaines et leur pensée reste toujours dans la logique des hommes.

Les fillettes sont des personnages ambigus. D’une part, elles représentent des personnages réels (ce sont les filles d’une famille d’agriculteurs, qui vont à l’école). Et, d’autre part, elles jouent le rôle de personnages de contes : elles vont changer le monde réel en celui de la fantaisie. Elles vont faire qu’une poulette devienne éléphant (L’éléphant) ou qu’un âne soit le représentant de la sagesse (Le mauvais jars). Elles-mêmes vont souffrir des conséquences de leur imagination quand elles se transformeront en âne et en cheval (L’âne et le cheval)

Les animaux conservent leurs caractéristiques “typiques” : le loup obéit à son instinct, le cheval et l’âne sont des bêtes de charge. Cependant, ils possèdent toujours, dans chaque conte, quelques signes distinctifs de l’être humain.  Ils peuvent parler, communiquer entre eux et avec les hommes. Ils réfléchissent et, dans plusieurs histoires, ils résolvent des problèmes.

Ces contes représentent un regard sur un monde dans lequel le quotidien se mêle au merveilleux et ils nous transportent au règne des rêves.

 

RESUME DU CONTE « LE LOUP »

Après la sortie des parents, les deux protagonistes du conte, Delphine et Marinette, restent toutes seules dans la maison. Le loup profite de cette situation pour aborder les enfants.

Malgré la mise en garde des parents, et après avoir réfléchi aux périls que le loup représente, les deux enfants le laissent entrer. Le loup devient un véritable camarade de jeu et un ami inconditionnel.

A l’heure de la rentrée des parents, le loup doit partir. Il s’en va, sans oublier de fixer un rendez-vous pour la semaine suivante.

De retour des champs, les parents n’imaginent pas ce qui s’est passé avec le loup. Comme ils ont le pressentiment de sa présence, ils insistent pour avertir leurs enfants de la méchanceté de l’animal. Néanmoins, Delphine et Marinette n’arrêtent pas de parler du loup ni de se rappeler leurs jeux avec leur « ami ».

A la prochaine sortie des parents, le loup se présente chez les petites. Sans aucune appréhension, les fillettes attendaient leur ami sur le pas de la porte. Tout va bien au début de cette nouvelle séance de jeu. Malheureusement, la décision de jouer “au loup” bouleverse la situation. L’animal retrouve son instinct et dévore les deux sœurs.

A leur retour, les parents trouvent le loup prisonnier dans la cuisine, la panse bien remplie. Ils lui ouvrent le ventre et laissent sortir leurs enfants. Après qu’on lui eut recousu le ventre, le loup est laissé en liberté. L’animal part en promettant qu’à l’avenir il se gardera de manger des enfants.

***

ANALYSE SEMIOTIQUE

 

L’objectif de l’analyse sémiotique est d’étudier les étapes de la création de la signification dans le récit.

1. STRUCTURE GENERALE DU RECIT

1.1. L’axe sémantique

 

La relation entre deux termes situés sur l’axe sémantique constitue la structure élémentaire de la signification.

 

                                    S____________________t____________________S’

 

Sujet d’état                                                             =             Le loup

Objet de valeur                                                 =             Les fillettes

Sujet opérateur de la transformation       =             La nature animale du loup (l’instinct)

 

                          S                                                                                            S’

               Dégradation                                                                 Dégradation

     [ (S V O) – (S V O) ]                                                           [ (S V O) – (S V O ) ]

 

La situation initiale “S” du conte est de disjonction car le sujet d’état est privé de son objet de valeur. Le loup (Sujet d’état) se trouve dans la forêt, son habitat traditionnel. L’animal est conforme à sa nature car il reste sauvage. Tant que l’animal demeurera dans sa condition primitive, il sera empêché de s’approcher de son objet de valeur.

Les fillettes (Objet de valeur) restent chez elles, à l’abri de leur maison et en compagnie de leurs parents. Tant que les fillettes seront avec leurs parents, elles resteront séparées du loup.

Tant que la situation restera telle qu’elle est dans la vie courante, il n’y aura aucun moyen pour passer à un état de conjonction. Le Sujet d’état (le loup) restera séparé de son Objet de valeur (les fillettes).

Si nous analysons le dénouement du conte, nous observons que la situation finale “S’ ” reste de disjonction. A la fin de l’histoire, le loup retrouve son état naturel (perdu pendant le déroulement du récit) et regagne la forêt. Les fillettes retournent à leur vie traditionnelle et restent à la maison avec leurs parents. Le Sujet opérateur n’a pas obtenu son Objet de valeur.

1.2. L’architecture du conte

 

A l’intérieur du conte “le loup”, nous avons trouvé cinq séquences différentes.

 

  1. a)

S1____________________t____________________S2

 

b)

S2____________________t____________________S3

 

Sujet d’état                                                            =             le loup

Objet de valeur                                                =            les fillettes

Sujet opérateur de la transformation       =             l’arrivée des parents

 

           S2                                                                                        S3

Conjonction                                                                 Disjonction             

[ (S V O) – (S ^O) ]                                                 [ (S ^ O) – (S V O) ]

 

La deuxième séquence se développe à partir d’une situation conjonctive car le loup détient son Objet de valeur. Au cours du déroulement du récit, la situation va se transformer en une situation disjonctive, parce qu’au moment où les parents arrivent le loup va sortir de la maison. Dans cette séquence, le Sujet d’état (le loup) est séparé de nouveau de son Objet de valeur (les fillettes)

 

c)

S3____________________t____________________S4

 

Sujet d’état                                                            =             le loup

Objet de valeur                                                =            les fillettes

Sujet opérateur de la transformation                        =             le retour du loup (amitié)

 

            S3                                                                                                 S4                 

Disjonction                                                                            Conjonction                       

       [ (S ^ O) – (S V O) ]                                                        [ (S V O) – (S ^ O) ]           

 

La troisième séquence se caractérise par le retour à une situation de conjonction. Grâce à l’amitié obtenue par le loup dans la première séquence, le Sujet d’état obtient de nouveau son Objet du désir.

d)

S4____________________t____________________S5

 

Sujet d’état                                                            =             le loup

Objet de valeur                                                =            les fillettes

Sujet opérateur de la transformation                        =             récupération de la nature

animale du loup

 

              S4                                                                                      S5                 

Remédiation                                                                Remédiation                        

[ (S V O) – (S ^ O) ]                                                   [ (S ^ O) – (S ^ O) ]           

 

Dans la quatrième séquence, le loup va perdre son “humanité” et va récupérer son instinct animal. Malgré ce changement, la situation de conjonction continue car l’action de dévorer les petites va faire que le Sujet d’état va obtenir son Objet de valeur. Bien que la situation soit dysphorique, elle continue à être de conjonction.

e)

S5____________________t____________________S6

 

Sujet d’état                                                            =             le loup

Objet de valeur                                                =            les fillettes

Sujet opérateur de la transformation       =             l’arrivée des parents

 

           S5                                                                                                  S6                 

Remédiation                                                                         Dégradation                      [ (S V O) – (S ^ O) ]                                                            (S ^ O) – (S V O) ]                                                            

La cinquième et dernière séquence va d’un état de conjonction vers un état de disjonction. Le loup, après avoir obtenu son Objet de valeur (les petites, car il les a dévorées), va le perdre. L’arrivée des parents va transformer de nouveau la situation, et cette fois, de façon définitive. Après avoir ouvert le ventre du loup et fait sortir les fillettes, les parents vont faire que le loup va se séparer des petites et retourner à son habitat naturel. La séparation finale du Sujet d’état de son Objet de valeur marque la fin du conte.

Si nous analysons l’architecture de l’ensemble du conte, nous trouvons que durant toutes les séquences le Sujet d’état et l’Objet de valeur ne se transforment pas. Le Sujet opérateur de la transformation est le seul élément qui connaît une évolution qui va avec le développement de l’histoire.

L’architecture de l’ensemble du conte se présente de la façon suivante :

 

S1_____t_____S2

S V O     S ^ O

 

S2_____t_____S3

S ^ O     S V

 

S3_____t_____S4

 S V O     S ^ O

 

S4_____t_____S5

 S ^ O     S ^ O

 

S5_____t_____S6                                           

S ^ O       S V O    

 

Le graphique représente l’évolution séquentielle du conte. La structure de l’histoire revêt la forme d’une échelle dans la mesure où la fin de chaque séquence marque le début de la suivante.

1.3. La segmentation du texte ( le code séquentiel)

 

Dans le récit, nous pouvons trouver une transformation générale qui apparaît si nous comparons la situation finale et la situation initiale. Néanmoins, nous pouvons distinguer d’autres transformations au cours de la lecture, cela veut dire qu’il y a des récits qui sont intégrés dans le texte global. L’intérêt de la segmentation est d’abord, qu’elle nous aide à analyser systématiquement le récit. Ensuite, elle fait apparaître une organisation du texte complémentaire, elle devient donc une première analyse. Enfin, la segmentation nous révèle le rythme du texte.

Dans le conte “le loup” nous trouvons à l’intérieur du récit une suite de transformations : « la situation résultant d’une première transformation constitue la nouvelle situation initiale sur laquelle agit la transformation suivante [1] »

Dans le conte d’Aymé, nous avons distingué six séquences.

Le passage de la première à la deuxième séquence est marqué par le changement d’une situation disjonctive à une situation de conjonction. Il s’agit du moment où Delphine crie par la fenêtre: « – Loup! on n’a plus peur… Venez vite vous chauffer [2] ».

Le passage d’une séquence à l’autre est également marqué par une disjonction spatiale car les enfants sont sorties de la maison et le loup va entrer dans la maison.

Le passage à la troisième séquence du conte se situe au moment de la séparation des trois amis : « Enfin, lorsque la plus blonde lui eut noué un ruban bleu autour du cou, le loup gagna la campagne et s’enfonça dans le bois… En rentrant à la maison, les parents reniflèrent sur le seuil de la cuisine [3] ».

Cette segmentation est marquée par trois disjonctions : la première est une disjonction actorielle car le loup sort de la maison et les parents y rentrent. La deuxième est une disjonction spatiale parce que le loup va retourner dans le bois. La situation qui était de conjonction va se transformer en situation de disjonction. La dernière est une disjonction logique marquée par l’opposition qui apparaît dans le texte sous la forme du connecteur “mais”.

La phrase qui marque la coupure entre la troisième et la quatrième séquence du conte est la suivante : « Le loup avait passé toute la matinée à laver son museau, à lustrer son poil et à bouffer la fourrure de son cou [4] ». Dans cette phrase, nous trouvons le loup dans son habitat naturel mais nous relevons aussi les marques de sa transformation. Ce segment se caractérise pour le retour à une situation de conjonction. Ceci nous amène à la séquence suivante.

La cinquième séquence commence au moment de la rencontre du loup avec les filles. “En arrivant à la maison, le loup n’eut pas besoin de cogner au carreau; les deux petites l’attendaient sur le pas de la porte[5].

Cette coupure est signalée par deux disjonctions. La première est une disjonction spatiale marquée par le franchissement de la porte de la maison. La deuxième est une disjonction actorielle parce que le loup rentre dans la maison. Durant cette séquence, le récit se poursuit dans une situation de conjonction.

La sixième séquence est signalée par le retour du loup à sa nature sauvage. Bien qu’il s’agisse d’une situation dysphorique, elle reste de conjonction. Il s’agit du moment où le loup obtient son Objet de valeur “naturel” (les petites comme nourriture).

Le paragraphe qui justifie la segmentation est le suivant : “Les petites n’avaient pas encore eu le temps de prendre peur, qu’elles étaient déjà dévorées… En rentrant les parents n’eurent qu’à lui ouvrir le ventre[6].

La disjonction qui marque cette coupure est uniquement actorielle : les petites, au moment où elles sont dévorées, quittent la scène, tandis que les parents reviennent.

La dernier segment est constitué par le dernier paragraphe du conte qui sert à introduire l’épilogue ou la morale de l’histoire.

 2. ANALYSE DU TEXTE

 2.1. Le niveau de surface (l’aspect textuel) : le niveau figuratif

 

Le niveau figuratif présente les personnages concrets dans un espace et un temps déterminé. “Au niveau figuratif les personnages sont mis en considération en tant qu’auteurs et l’on observe le déroulement concret de leurs actions, dans les lieux et les temps déterminés. Il représente des éléments reconnaissables dans le monde extérieur[7].

Au niveau figuratif, on aborde le contenu du texte tel qu’il est présenté dans le monde réel, cela veut dire tel qu’il serait accessible à nos sens : vue, odorat, ouïe, goût, toucher.

2.1.1. Les oppositions figuratives

 

L’analyse des oppositions figuratives se base sur l’observation et sur le principe structuraliste : “le sens provient des différences[1] L’analyse portera sur les traits figuratifs qui s’opposent.

2.1.1.1. L’espace textuel

 

Le code topographique dans le conte est marqué par deux espaces qui désignent chacun un monde différent.

D’un côté, nous avons l’espace extérieur, qui représente le monde naturel. Le loup appartient à cet espace. Tant que l’animal reste sauvage, il restera à l’extérieur. Dans l’histoire, nous trouvons un loup qui vient du dehors, qui appartient à la campagne et qui habite dans les bois.

L’espace extérieur du conte comporte une subdivision : le bois réel et un bois imaginaire.

Le bois réel, d’où vient le loup, est habité par d’autres animaux comme lui. La seule chose qui oblige le loup à sortir du bois est sa faim. Au moment de sa rencontre avec Delphine et Marinette, il était en train de chercher de la nourriture. La sortie du “bois réel” implique pour le loup, dans le conte, une transformation de sa nature.

Le bois imaginaire est le bois des comptines et des jeux d’enfants : le bois où habite le loup qui s’habille pour sortir et aller manger. Dans le conte, le loup va sortir du bois de la fantaisie (monde culturel) pour retourner à sa véritable nature. C’est le moment où il va manger les deux petites.

 

Sortir du bois réel                                     Entrer dans le monde de l’amitié

Monde naturel                                                                Monde culturel

 

 

Sortir du bois de la fantaisie                   Entrer dans le monde réel                          Monde culturel                                                Monde naturel

 

 

De l’autre côté, nous avons l’espace intérieur qui est représenté par la maison. L’endroit exact de la maison où se déroule l’histoire est, paradoxalement, la cuisine. Cet espace, qui représente la sécurité pour les enfants et qui est l’endroit où l’on prépare la nourriture des êtres humains, est le même espace où les petites seront dévorées par le loup.

Dans le jeu des espaces externes et internes, il y a deux traits d’union entre les deux mondes : la fenêtre, premier endroit où s’établit le contact entre le loup et les fillettes, est un point de communication qui reste fermé et qui, malgré sa transparence, empêche la rencontre des deux mondes. Néanmoins, c’est à travers la fenêtre que se noue le dialogue entre les petites et le loup. La fenêtre procure aux petites filles un sentiment de sécurité en même temps qu’elle permet le contact visuel et auditif.

Le deuxième point de rencontre est la porte qui, au contraire de la fenêtre, ne permet pas de voir l’autre monde, mais est le point de contact réel. Tant que la porte reste fermée, il n’y a pas de véritable conjonction entre les protagonistes. La porte s’ouvre pour accueillir le loup. Ce qui signifie qu’il est admis dans le monde culturel. A la fin de l’histoire, c’est la porte qui va empêcher le loup de sortir le ventre bien plein. La porte joue une double fonction : la porte ouverte est synonyme de contact et la porte fermée symbolise l’obstacle à la communication.

Dans le conte nous trouvons trois classes d’espaces :

 

Espace culturel                                               Espace naturel

  • La maison                                                            Les abords de la maison
  • La cuisine                                                             La campagne
  • Le carreau                                                           Les bois
  • Au coin du feu                                                   La forêt
  • Sous la table                                                       La plaine

 

Espaces neutres ou de contact

  • La porte
  • Le pas de la porte
  • Le seuil de la porte
  • La fenêtre
  • Derrière la vitre

 

La relation entre les espaces est la suivante :

 

  • Intérieur                                                  Extérieur
  • Culturel                                                   Naturel
  • Maison                                                     Bois

 

Point de contact fermé :

Fenêtre

 

  • Intérieur                                                     Extérieur
  • Culturel                                                      Naturel
  • Maison                                                        Bois

 

Point de contact ouvert :

Porte ouverte

 

  • Intérieur                                                           Extérieur
  • Culturel                                                            Naturel
  • Maison                                                               Bois

 

Point de contact fermé :

Porte fermée

 

2.1.1.2 Le code sensoriel

 

Le conte “Le loup” utilise très fréquemment des références aux cinq sens pour décrire les situations et les actions. Tout au long de l’histoire, l’évolution que connaissent les sens pour la transformation des personnages est hautement importante.

Le langage que l’auteur utilise pour décrire le loup change radicalement selon le moment du récit. Lorsque le loup est « bon », Aymé emploie le langage qui est celui que l’on utilise pour décrire les êtres humains. Par exemple, quand le loup va parler il va avoir une “voix douce de basse”. Par contre, au moment où le loup retrouve sa nature animale, le lexique employé pour le décrire est typiquement celui qui caractérise les animaux. Par exemple, il va « ricaner », il va « humer » les petites filles et, pour finir, il va cesser de parler pour pousser un grand « hurlement ».

Au fil du conte nous trouvons des références à tous les sens. Nous trouvons une opposition entre le sens de la vision et celui de l’odorat. La plupart du temps, le langage qui fait référence au sens de la vision est euphorique ; par contre, celui qui renvoie au sens de l’odorat est dysphorique. Ainsi se manifeste une opposition entre les deux perceptions.

 

La Vision :                                                                                 L’Odorat :

Euphorique                                                                                Dysphorique

 

Satisfaction de voir les parents sortir       vs     Les parents reniflèrent

sur le seuil de la cuisine

 

…se regardent avec un peu de surprise

 

Delphine regarda le loup bien en face

 

…rien vu d’aussi joli depuis long temps        vs    …avant de déjeuner

Tu vois bien qu’il n’est pas méchant

une petite fille bien fraîche

 

 

Tu guetteras leur départ et tu viendras      vs           Nous sentons ici

comme une odeur a loup

 

Je vais voir mes amis

Il ne voyait plus les jambes                     vs                           il les humait

 

  • L’ Ouïe :                                   

Euphorique                                                                                  Dysphorique

 …n’ouvrir la porte à personne qu’on nous prie         vs          ou qu’on nous menace

 …demanda pardon et essaya la prière       vs             il ne gagnerait rien par des paroles

d’intimidation

 Loup faire entendre qu’il était là            vs                        On n’a pas entendu dire qu’il ait

mangé de petite fille

Le loup sut avoir une voix aussi douce     vs                On ne veut entendre la voix de la

réalité

La voix de loup devenait suppliante           

                       

Il chantait avec une belle voix de basse   vs      …dit-il d’une voix rauque

La voix étranglée par le rire         vs                          …poussant un grand hurlement           

 

Il ne fait pas croire tout ce qu’on dit

 

Je vous raconterai des histoires          vs                    parlons-nous un peu du petit

Chaperon Rouge

 

In commença de raconter des histoires       vs             …profiter pour conter une fois de plus

l’histoire du petit Chaperon Rouge

 

C’était un vacarme de rires               vs                                 des grands cris

 

Nos parents ne diront rien                   vs                             …fut indigne qu’on osât parler du loup

avec autant de perfidie.

…éclatèrent d’un grand rire         vs                             Elles riaient de la naïveté de leurs

parents

…éclata d’un rire bref

 

La maison demeure silencieuse             vs                        Le bruit leur cassait les oreilles

 Les corneilles bayaient maintenant    vs        Une veille pie jacasserie, d’admiration                                                                        ne peut s’empêcher de ricaner

 

  • Le Toucher :

Euphorique                                                                        Dysphorique

 

Venez-vous vite te chauffer           vs                                   Ne fait pas chaud

 

Comme il est bon d’être assis au coin du feu    vs         J’ai froid

 

Exposé son ventre et son dos à la chaleur    vs            Transi par le froid

 

Main chaude                        

 

Réchaufferez                          vs                                              Avait froid

 

S’embrassant longuement

 

Caresser                              vs                                                       Gifles                                               

 

Léché la patte endolorie

 

Une patte qui me fait mal

*

  • Le Goût :

Euphorique                                                                                       Dysphorique

 

J’avais une petite fille bien fraîche     vs                         Souvenir d’une gamine potelée et

fondant sous la dent

 

Au souvenir de repas de chair fraîche    vs                     On en me prendra plus à être aussi gourmand

 

Tu auras su les choisir bien dodues et bien tendres     vs    si jamais je

             remange de l’enfant ce sera par votre faute

 

2.1.1.3. La temporalité textuelle

 

Nous pouvons analyser la temporalité textuelle de deux façons différentes :

Premièrement, en fonction de l’ancrage temporel et de la façon dont le texte nous renseigne sur le déroulement supposé du temps. Ce sont des lignes de base de la construction du texte, à savoir : comment le texte est organisé par rapport au temps.

Le conte “Le loup” se déroule pendant une durée d’une semaine. La première séquence temporelle est marquée par le “jeudi, après-midi”. C’est le moment où le loup et les fillettes font connaissance. Cette séquence est divisée en divers moments :

  1. la sortie des parents
  2. l’arrivée du loup
  3. la conversation du loup avec les fillettes
  4. la rencontre physique des protagonistes
  5. la séparation
  6. Le retour des parents.

Toutes les sous-séquences se déroulent dans un ordre chronologique dans l’ensemble du conte. Il s’agit d’une séquence fermée car à la fin de la séquence on retrouve les mêmes situations et personnages qu’au début.

La séquence intermédiaire se passe pendant la semaine. Cette partie du texte est destinée a réunir les deux séquences principales. Cette séquence est plutôt courte et comporte deux sous-séquences :

  1. Le jeu au loup.
  2. L’interdiction de jouer au loup.

La séquence finale se déroule le jeudi après midi suivant et c’est le moment où culmine le conte. Les sous-séquences de cette partie sont les suivantes :

  1. la préparation du loup à sa rencontre avec les fillettes
  2. la rencontre des fillettes avec le loup
  3. le jeu au loup
  4. le loup mange les enfants
  5. le retour des parents
  6. la sortie des enfants du ventre du loup
  7. la sortie du loup de la maison.

 

Le code chronologique peut être représenté de la façon suivante :

1er temps        //          2eme temps    //        3eme temps

a b     c         d     e       f    //      a     b //         a b     c       d    e       f       g

 

Deuxièmement, la conception du temps dans le conte. L’histoire du loup se passe dans le temps de l’imaginaire. Il n’est question ni d’une année définie ni d’une saison déterminée. Néanmoins, nous savons qu’il faisait froid dehors et que le printemps était proche.

Le temps verbal utilisé dans ce conte est un temps du passé, sauf dans l’avant-dernier paragraphe qui est au futur et qui expose la morale que le loup tire des événements : « à l’avenir on me prendra à être aussi gourmand. Et d’abord, quand je verrai des enfants je commencerai par me sauver [1] ».

Le temps, dans ce conte, est suggéré sous la forme d’un contraste entre un temps général, indéfini et un temps concret, défini.

Le temps général est plusieurs fois utilisé pour désigner l’arrière plan du conte et pour indiquer des actions qui se passent dans la vie courante. Il s’agit plutôt de descriptions d’événements. Les expressions de temps les plus utilisées dans le récit sont : jamais, toujours, plus jamais, tous les jours, éternellement.

Le temps concret est utilisé pour décrire les différentes actions du conte. Il est employé surtout dans les moments où les filles et le loup se trouvent ensemble. Les expressions les plus utilisées sont : en un moment, vers le soir, le jeudi suivant, cette après midi, cette semaine.

 

Temps général                  vs                                      Temps concret

(indéterminé)                                                               (déterminé)

jamais                                                                                 une fois

éternellement                                                             cette après midi

toujours                                                                           le troisième jour

depuis longtemps                                                     le jour du rendez-vous

longtemps                                                                     toute la matinée

plus jamais                                                                    au début de l’après-midi

tous les jours                                                              cette semaine

En un moment

Vers le soir

le jeudi suivant

 

2.1.1.4. L’axiologie figurative

 

Mettre en évidence l’axiologie figurative consiste à analyser comment les différents écrivains utilisent le vocabulaire. La valeur que chaque écrivain donne aux mots est particulière car elle est liée à son expérience personnelle. Des expériences, associées plutôt à la première enfance, vont marquer d’une valeur positive ou négative un vocabulaire déterminé. Les expériences de chaque écrivain vont créer un univers sémantique qui va se manifester à travers son vocabulaire.

Dans le conte “Le loup”, l’univers sémantique d’Aymé établit une différence essentielle entre le monde des parents et celui des enfants et des animaux. Le monde des parents, où domine la raison, est réel et restrictif. Il s’agit d’un endroit gouverné par la raison, ordonné à la vie pratique et qui est le reflet de la société réelle.

Aymé oppose au monde des parents celui de la fantaisie, où les enfants et les animaux entrent dans une même catégorie. C’est le monde de l’utopie et de la liberté, dominé par l’imaginaire et l’inattendu. “Malheureusement”, à la fin du conte “le loup” , la raison finit par s’imposer. Cette victoire de la rationalité à la fin de l’histoire est une variable présente dans tous les « Contes du Chat Perché”.

 

La dichotomie présentée par Aymé est la suivante :

 

Parents                                                            Enfants et animaux

 Monde réel                                                   Monde de la fantaisie

Raison                                                              Imagination

Imposition de règles                                Liberté

Univers limité                                               Conduites imaginaires inattendues

Pas d’imprévu                                                Fantaisie

Travailler                                                          Jouer – poésie.

 

Les similarités de comportements et d’actions entre le loup et les fillettes que nous trouvons dans le conte « Le loup » sont les suivantes :

 

Le loup                                                            Les fillettes

(Monde naturel)                                       (Monde culturel)

 

Habite dans les bois                                    Habitent dans une maison

 

Doit survivre                                                   Doivent survivre

 

les règles du bois                                          les règles de la maison

 

nature                                                                  culture

 

A besoin de                                                      Ont besoin de

“nourriture naturelle”                               “nourriture culturelle”

 

manger                                                                jouer

 

Prend sa proie                                                Se font un ami

 

Mange                                                                Jouent

 

A cause de la culture                                  A cause de la nature

 

perd sa nourriture.                                     perdent leur ami.

 

2.2 Le niveau profond : Le niveau narratif

 

Vladimir Propp, en comparant les contes folkloriques russes entre eux, constate que les actions et les fonctions des personnages ne changent pas ; ce qui change, ce sont les noms et les attributs. Cela veut dire que, dans les différents contes, les mêmes actions sont réalisées par des personnages différents. C’est ainsi que nous pourrions étudier les contes à partir des fonctions des personnages. Par fonctions, nous entendons « l’action d’un personnage définie du point de vue de sa signification dans le déroulement de l’intrigue [1] »

Propp propose 31 fonctions qui se groupent dans des sphères qui correspondent aux fonctions accomplies par des personnages. Ce sont des sphères d’action. A partir de ces sphères, A.J. Greimas élabore son modèle actantiel.

2.2.1. Le schéma actantiel de A.J. Greimas

Le modèle actantiel est un plan de “sphères d’action”. Ce modèle « simplifie considérablement l’inventaire proppien et substitue à la notion trop vague de fonction la formulation plus rigoureuse de l’énoncé narratif (EN)… L’énoncé narratif est une relation entre les actants [2] »

Les actants sont des “personnages” considérés du point de vue de leurs rôles narratifs (leurs fonctions, leurs sphères d’action) et des relations qu’ils entretiennent entre eux.

Les rôles sont au nombre de six et leurs relations se nouent selon trois axes : « Tout récit rapporte la quête d’un sujet qui cherche à obtenir un objet (axe du désir) ; l’objet se situe également sur l’axe de la communication : il est communiqué par le destinateur au destinataire ; l’adjuvant aide le sujet à atteindre son objet, tandis que l’opposant fait obstacle à cette quête (axe de pouvoir) [3] »

La dynamique du modèle actantiel est représentée par un schéma qui montre ces six rôles et leurs relations.

Le Schéma actantiel de Greimas

 Le schéma actantiel met en évidence les rôles et les relations des actants dans le récit.

L’axe de la Communication  :

DESTINATEUR ————>   OBJET ———->  DESTINATAIRE                       

Qui envoie le Sujet  en mission     —> But de la mission du Sujet     —> Celui à qui profite la mission

 

L’axe du Désir :

DESTINATEUR ———->   SUJET ———->         OBJET

L’axe du Pouvoir  :

ADJUVANT    ———->       SUJET      ———->     OPPOSANT

Qui aide le Sujet                 le héros du récit          Qui s’oppose au Sujet

 

L’application du schéma actantiel au conte “Le loup” pourrait être la suivante :

Schéma général du récit

 

DESTINATEUR    ———->  OBJET  ———->   DESTINATAIRE

 La faim du loup     //   Les fillettes comme nourriture //  Le loup

                                                                                            

 ADJUVANT    ———->    SUJET   ———->   OPPOSANT 

Monde naturel                        Le loup                          Monde culturel

 

Dans le même schéma nous pouvons trouver les relations suivantes :

– a)  Deux SUJETS ,  S1 et S2,  se prennent réciproquement comme OBJETS : Le SUJET S1 prend comme OBJET O1 le SUJET S2 qui, en même temps, prend le SUJET S1 comme OBJET  O2 :

 

S1 = le loup                                                O1= les fillett

 

  O2= le loup                                                S2 = Les fillettes

 

Le loup S1 a comme OBJET de valeur les fillettes O1 pour se nourrir. En même temps, les fillettes ont comme OBJET le loup pour avoir un camarade de jeu. C’est ainsi que nous trouvons la transformation suivante :

S1   =   O2

O2   =   S1


 – b) Un SUJET  S1 prend comme OBJET O1 un autre SUJET S2 qui poursuit un autre OBJET O2. Mais, en poursuivant O2, le SUJET S2 se refuse somme OBJET O1 pour le SUJET S1 et s’oppose donc à la quête du S1.

 

S1 = le loup          ———->                                       O1 = les fillettes

 

 

S2 = Les fillettes        ———->                O2 = camarade de jeu

 ——————–

DESTINATEUR       ———->  SUJET    ———->               OBJET

 

 Le loup   ————–>      les fillettes    ————>    Camarade de jeu

 

  ——————–

Le loup S1 a pour OBJET de valeur les fillettes O1. Pendant le récit, les fillettes se transforment en SUJET S2 qui poursuivent un autre OBJET O2 . Elles veulent avoir un camarade de jeu. L’obtention du camarade de jeu par les fillettes empêche le loup d’obtenir son OBJET de désir.

– c) L’anti-SUJET est le SUJET qui s’oppose aux quêtes. L’anti-SUJET S3 pour réaliser sa quête O3 est amené à s’opposer à la quête d’autres SUJETS (S1 et S2).

Les parents S3 pour réaliser leur quête O3 (sauvegarder leurs enfants) sont amenés a s’opposer aux quêtes O1 et O2 (conjonction du loup avec les fillettes) Ils s’opposent aux SUJETS  S1 et S2.

 

Evolution du schéma actantiel dans le récit :

Le conte du loup de déroule en cinq séquences qui ont chacune un axe sémantique. L’évolution des séquences est marquée par le changement du sujet opérateur de la transformation. Néanmoins, les autres éléments de l’axe sémantique restent les mêmes durant tout le récit. L’évolution des séquences est représentée par un changement d’un des éléments dans le schéma actantiel. Pour expliquer l’évolution du récit nous avons une série de schémas :

a)

DESTINATEUR   ———->         OBJET         ———->  DESTINATAIRE

La faim du loup             Les fillettes comme nourriture               Le loup

 ADJUVANT      ———->             SUJET     < ———-        OPPOSANT

La faim du loup                                   Le loup                              Monde culturel

 

b)

DESTINATEUR    ———->      OBJET    ———->         DESTINATAIRE

 La faim du loup            Les fillettes comme  nourriture           Le loup                                         

 ADJUVANT   ———->             SUJET   <———-            OPPOSANT

La faim du loup                               Le loup                      Arrivée des parents

 

c)

DESTINATEUR      ———->      OBJET   ———->    DESTINATAIRE

 La faim du loup             Les fillettes comme nourriture         Le loup

                                               

ADJUVANT    ———->             SUJET       <———-     OPPOSANT

La faim du loup                                                                                            Le loup                                                    changement de la nature du loup

 

d)

DESTINATEUR   ———->           OBJET      ———->   DESTINATAIRE

 La faim du loup         Les fillettes comme  nourriture              Le loup

                                                                                                                                                

 ADJUVANT      ———->               SUJET         < ———-  OPPOSANT

Récupération de la                       Le loup                                   Monde culturel

nature du loup (instinct)

 

e)

DESTINATEUR    ———->          OBJET     ———->     DESTINATAIRE

La faim du loup             Les fillettes comme nourriture               Le loup

                 

ADJUVANT     ———->                SUJET         <———-     OPPOSANT

Instinct                                                   Le loup                      Rentrée des parents

 

2.2.2. La séquence narrative canonique.

 

Dans le schéma actantiel, nous trouvons une relation qui comporte trois axes. D’abord, l’axe du désir, qui présente la quête d’un Sujet pour obtenir un Objet. Ensuite, l’axe de la communication, sur lequel se situe l’Objet ; celui-ci est envoyé par le Destinateur pour que le Sujet le transmette au Destinataire. Enfin, l’axe du pouvoir, où l’Adjuvant aide le Sujet à atteindre son Objet, tandis que l’Opposant fait obstacle à cette quête.

Le programme narratif (PN) est le processus par lequel un Sujet opérateur, mis en quête d’un objet, transforme un état (de disjonction ou de conjonction). Toute la relation entre le Sujet et l’Objet de valeur se situe sur l’axe du désir, c’est-à-dire que le Sujet doit transformer la situation pour arriver à une situation de conjonction ou de disjonction. Les rôles des actants se constituent progressivement au cours du récit.

La situation du SUJET doit évoluer pour qu’il obtienne l’OBJET de valeur, cette transformation du récit canonique comprend quatre étapes :

  • L’établissement d’un contrat
  • L’acquisition de la compétence
  • La réalisation de la performance
  • La sanction finale.

Pour accomplir ces étapes le sujet doit passer pour diverses épreuves :

L’épreuve principale ou performance :

Dans le récit, le SUJET agit pour être conjoint avec un OBJET. Cette action ou performance est l’épreuve principale, le “faire” du SUJET pour acquérir son OBJET. Cela veut dire que pour l’accomplissement de la performance le SUJET doit acquérir l’OBJET de valeur.

L’OBJET de valeur acquiert sa “valeur” du seul fait qu’il est l’OBJET d’une quête de la part du SUJET. Dès le moment où le SUJET acquiert son OBJET de valeur dans le conte, il obtient le statut de SUJET réalisé.

Dans le conte que nous analysons, le loup, SUJET du récit, dirige toutes ses actions vers la recherche de la conjonction avec les fillettes, soit comme nourriture soit comme des amies. Le personnage du loup va évoluer pendant le récit selon les diverses sortes des besoins qu’il peut avoir. Pour se procurer de la nourriture il va suivre son instinct. Par contre, pour obtenir l’amitié des fillettes il doit se transformer, devenir bon et perdre son instinct animal. La dernière transformation du sujet a lieu pour retourner à son état naturel et obéir à ses instincts. Les fillettes sont l’OBJET de valeur du conte parce qu’elles sont l’OBJET de la quête du loup.

L’épreuve qualifiante, l’acquisition de la compétence :

Toute performance suppose, de la part de celui qui l’accomplit de la compétence. Cette compétence peut être analysée comme la position par le sujet de qualifications nécessaires relatives au faire[1]. En effet, pour accomplir sa mission le SUJET doit non seulement vouloir s’en acquitter, mais encore savoir l’accomplir. Pour réaliser l’action, le SUJET doit donc être capable de l’accomplir. La possession de la compétence présuppose son acquisition.

L’épreuve qualifiante :

C’est l’acquisition d’une compétence de la part du SUJET. Le SUJET doit “pouvoir faire”, cela veut dire qu’il doit disposer d’une force physique et d’un “savoir-faire” qui est le résultat d’une connaissance. Lorsque le Sujet possède le pouvoir faire, il a le statut de SUJET actualisé.

Dans le cas du loup, SUJET du récit, il va accomplir sa mission en deux étapes : premièrement, le loup a le “pouvoir faire” dans son état naturel, et de par son instinct. Deuxièmement, le loup va acquérir le “savoir-faire” au moment de convaincre les fillettes de lui ouvrir la porte. Il va apprendre à “être bon” pour obtenir la compagnie des fillettes.

Le contrat :

Se situe sur le plan cognitif et met en relation le SUJET avec son DESTINATEUR. Le savoir s’acquiert et se communique par deux sortes de faire cognitifs : le persuasif et l’impératif.

Le DESTINATEUR joue le rôle de SUJET manipulateur car il doit convaincre le DESTINATAIRE de la mission à propos de l’OBJET. Le DESTINATAIRE répond au faire persuasif par l’interprétation. Le DESTINATAIRE de la mission évalue, interprète et, en fonction de l’interprétation, accepte ou refuse le contrat. S’il accepte, il acquiert la modalité du “vouloir faire” et il devient le SUJET du récit. A ce moment là, il acquiert le statut de SUJET virtuel.

            Le faire persuasif peut suivre trois modalités :

  • Contrat injonctif : Le DESTINATEUR communique un « devoir faire » ; si le DESTINATAIRE (futur SUJET) assume ce devoir faire, il obtient le « vouloir faire ».
  • Contrat permissif : Le SUJET possède un certain « vouloir faire ». Le DESTINATEUR détient l’autorité, et en même temps, il donne valeur à ce « vouloir faire » du SUJET. Cette valorisation de la quête est indispensable pour la décision du SUJET de la réaliser. Si le SUJET obtient la permission d’accomplir la quête le « vouloir faire » se confirme.
  • Contrat de séduction : Il est souvent implicite. Le “faire – savoir” et le “faire – vouloir” du DESTINATAIRE suscitent le “vouloir – faire” du SUJET.

Dans le conte “Le loup” le DESTINATAIRE (faim du loup) est partie du SUJET. Nous trouvons que le « vouloir faire » du loup se trouve sous un contrat de séduction car la faim du loup fait partie de lui-même. Son instinct de conservation le pousse à chercher de la nourriture. C’est également à cause de son instinct que le loup va sortir du monde « culturel » pour retourner à sa nature animale.

L’épreuve glorifiante ou sanction :

Après avoir accompli sa performance, le SUJET revient chez le DESTINATEUR pour que son action soit jugée. A ce moment-là, le DESTINATEUR devient judicateur. Si les actes accomplis par le SUJET sont jugés en accord avec cette axiologie, le SUJET est glorifié. Puis, le SUJET doit persuader le DESTINATEUR (SUJET judicateur) pour qu’il interprète la performance du SUJET. Le SUJET est alors sanctionné positivement ou négativement.

A la fin du conte, le loup n’obtient pas son OBJET de valeur et il est sanctionné car il reste sur sa faim. Il est séparé définitivement des fillettes et retourne dans son monde naturel.

Nous pouvons résumer les étapes du récit canonique par le tableau suivant :

                             Relation DESTINATEUR / DESTINATAIRE

                                              Relation SUJET / OBJET

 

contrat compétence performance sanction
épreuve qualifiante

 

épreuve principale épreuve glorifiante
acquisition par le sujet

des objets modaux

acquisition par le sujet

de l’objet de valeur

acquisition par le sujet

de la reconnaissance

 

faire persuasif du destinateur

faire interprétatif

du futur sujet

 

faire persuasif du sujet

faire interprétatif du destinateur

devoir faire                        pouvoir faire

vouloir

 

faire

pouvoir

(permission)

faire               savoir faire savoir (sur le faire et le sujet)
savoir sur l’objet
sujet                   sujet sujet sujet
virtuel                 actualisé réalisé glorifié

                                                   plan pragmatique

                                                       plan cognitif.

 

La performance que doit accomplir le SUJET, le loup, consiste à trouver de la nourriture pour satisfaire sa faim. La faim exerce le rôle de DESTINATEUR et d’ADJUVANT pendant un moment de l’histoire, et à ce double titre, elle communique au loup des modalités respectivement cognitives et pragmatiques.

En tant que DESTINATEUR, sa faim “donne” des modalités cognitives : elle oblige le loup à trouver une façon de s’approcher des fillettes. La faim se trouve, dès le début du récit, dans un état de conjonction avec le loup, même dans le moment où le loup acquiert des “caractéristiques humaines” : devenu bon, il continue à avoir faim. Ainsi, la faim va amener le loup à savoir acquérir son OBJET.

Le loup accepte le contrat : il acquiert le « vouloir » puis il devient le SUJET. Il faut remarquer que ce “vouloir” est d’ailleurs fortement renforcé par un « devoir » : lorsque le loup doit manger pour survivre, il ne peut pas renoncer à la performance.

Le conte se termine par l’épreuve glorifiante : le loup est sanctionné car à la fin du conte il reste sans manger : « en tout cas, l’on n’a pas entendu dire qu’il ait mangé de petite fille depuis son aventure avec Delphine et Marinette [1] ».

 

2.3. Le niveau thématique : Le « carré sémiotique »

 

Au niveau thématique, nous allons analyser les valeurs profondes véhiculées implicitement par le texte.

2.3.1. La perspective paradigmatique

 

Le « carré sémiotique » est une structure binaire qui sert à mettre l’accent sur les valeurs. « C’est un modèle qui permet de visualiser les relations logiques fondamentales à partir desquelles s’articule la signification [2] ». Celui-ci se constitue sur la base d’un axe sémantique qui s’articule en deux valeurs contraires. Dans le cas du conte “Le loup”, les oppositions sont constituées entre S = nature et S’ = culture et S1 monde réel et S2 monde de la fantaisie

« Le carré sémiotique nous permet une organisation profonde de la signification au moyen de trois types de relations logico – sémantiques [3] ». Les relations qui existent dans le « carré sémiotique » sont les suivantes :

  • La relation entre contraires
  • La relation entre contradictoires
  • La relation d’implication.

Pour utiliser le « carré sémiotique », nous devons trouver dans le texte les valeurs contraires. Pour ce faire, nous nous appuyons sur les oppositions figuratives. Lorsque nous avons inscrit les valeurs contraires, le carré sémiotique se construit automatiquement. Sur cette base, pour construire le carré sémiotique il suffit de projeter en diagonale le contradictoire de chacun des termes de départ.

Dans le conte “le loup” nous trouvons deux oppositions profondes:

a) S1 = Nature                                vs                                        S2 = Culture

 

S1                                                                                                        S2       contraire

nature                                                                                           culture

Contradictoire                                                                                                                                                                                                                                                     implication

S2                                                                                                          S1

Non-culture                                                                                non-nature

 

 

b) S3 = Monde réel                      vs                     S4 = Monde de la fantaisie

 

S3                                                                                                 S4                    contraire

Monde réel                                                                 Fantaisie

 

Contradictoire                                                    implication

 

S4                                                                                                  S3

Non-fantaisie                                                        non monde réel

 

 

2.3.2. La perspective syntagmatique

 

Nous pouvons utiliser le « carré sémiotique » pour suivre le déroulement du texte que nous analysons. Dans la perspective syntagmatique il faut suivre le parcours thématique pour trouver le mouvement de circulation des valeurs dans le texte. «  Le carré sémiotique prescrit un sens de circulation des valeurs : il faut toujours passer par la diagonale, c’est-à-dire chercher, dans le texte, le moment où une valeur est niée avant de passer à la valeur contraire [1] ».

Dans le conte “Le loup” nous avons trouvé que le parcours thématique revient à son point de départ. Le récit part d’une situation de disjonction et, à la fin, il revient au même point. La relation actantielle est interprétée au niveau thématique comme l’opposition nature vs culture.

 

                        1                                                                        3

               NATURE                                                           CULTURE

         Loup sauvage                                              Il reste bon (ami)

                        5

Retourne à l’ état naturel

            (loup sauvage)

                           4                                                                        2

               NON-CULTURE                                   NON-NATURE

            Il refuse de rester bon                        Le loup devient bon

                     (non ami)                                                       (ami)

 

 

Le parcours sémantique suit la même structure que la segmentation séquentielle. Le loup dans son état « naturel » est sauvage ; pour acquérir de la nourriture il entre en contact avec les fillettes et subit une transformation. Puis il entre dans le monde « culturel » et devient bon. Il reste dans le monde culturel pendant la plus grande partie du récit. Ensuite, le jeu appelé “le loup” réveille ses instincts naturels et il sort de l’état culturel pour retourner au monde naturel.

Tant que le loup restera dans son état naturel, il sera en disjonction avec son OBJET de valeur. A la fin du conte, le monde « naturel » et le monde « culturel » restent séparés.

 

INTERPRETATION DU CONTE :

ESSAI D’HERMENEUTIQUE

 

 1.     ANALYSE DES PERSONNAGES PRINCIPAUX

 

Les personnages principaux de ce conte que nous allons analyser dans une perspective psychologique sont : le loup, les deux sœurs Delphine et Marinette, et les parents ; nous évoquerons en outre le rôle particulier du jeu.

  • Le Loup

Le loup, personnage principal de ce conte, garde les caractéristiques typiques des loups de contes des fées. Il est le symbole de la méchanceté et c’est dans ce sens qu’il devient un personnage archétype[1]. Nous trouvons, à l’origine des mythes et des contes, des loups présentant des caractéristiques constantes. Il existe une différence substantielle entre les personnages des deux genres littéraires. Dans les mythes, le loup, en tant que représentant du mal, peut triompher, alors que dans les contes, le mal ne triomphe jamais.

Si nous prenons différents mythes, nous constatons que le loup y est perçu différemment. Par exemple, dans le mythe sur l’origine de Rome, le loup est le symbole du triomphe. La louve nourrit de son lait les futurs fondateurs de la ville [2]. En revanche, dans d’autres cultures, le loup représente le danger et la méchanceté. Par exemple, dans l’iconographie chrétienne, le loup est le chasseur des agneaux, lesquels représentent le peuple de Dieu [3].

Dans la relation directe du loup avec l’être humain, l’animal va toujours représenter la méchanceté. C’est ainsi que, dans plusieurs histoires, l’homme acquiert les caractéristiques de l’animal pour perpétrer des actes mauvais. L’homme revêt les caractéristiques du loup, il se transforme en « loup-garou ou lycanthrope » pour commettre de mauvaises actions qu’il ne commettrait pas s’il gardait son essence purement humaine.

Le loup apparaît habituellement dans les contes comme un personnage intrinsèquement méchant. Il se présente masqué, sous les traits d’un être bon et gentil. Mais il s’agit d’une ruse du loup pour atteindre ses objectifs. L’animal va se montrer comme quelque chose qu’il n’est pas. Le loup de notre conte va garder en général cette caractéristique. Il se pose un objectif et, pour l’atteindre, il va vivre une transformation fictive. Il va sembler bon et va prétendre posséder des caractéristiques humaines (comme la capacité de nouer des amitiés). Lorsqu’il atteint son but, il revient à la méchanceté typique de sa nature. La bête sert à nouveau de représentant du mal et des instincts néfastes.

Une autre approche du loup est l’utilisation de cet animal comme personnage archétype de l’homme mauvais. C’est le symbole utilisé pour montrer que la méchanceté a plusieurs manières de se manifester. Dans cette représentation, le loup va garder sa physionomie animale et il va incarner, à travers ses actes, la méchanceté. Il représente la menace que l’homme constitue pour les autres hommes. C’est à cette image que correspond le loup d’Aymé. L’animal représente le péril pour des enfants naïfs et sans protection. Le loup convainc les enfants du conte, et même le lecteur, de sa bonté. C’est seulement à la fin de l’histoire que le lecteur peut découvrir le véritable caractère de la bête. La méchanceté de l’homme qui veut faire mal aux enfants est symbolisée par l’animal. Il s’agit là d’une métaphore qui sert à transmettre un message aux enfants d’une façon indirecte.

Il y a dans le conte « Le loup » un personnage secondaire pour l’histoire, mais dont la signification est très représentative en ce qui concerne sa relation avec le loup. Ce personnage, c’est le renard, un animal rusé qui connaît la vraie nature du loup et nous le fait savoir. D’une façon très indirecte, il se moque des intentions du loup. Le renard sait intuitivement que le loup continue d’être méchant malgré ses « bonnes intentions », et malgré ses protestations de bonté.

La comparaison entre les deux animaux est conforme aux rôles respectifs qu’ils jouent traditionnellement dans différentes histoires. « Le roman de Renart  [4] » en est un excellent exemple. Cette histoire est fondamentale pour comprendre la véritable signification du renard dans le conte d’Aymé. Une des similitudes qui existent entre les deux animaux dans le roman réside dans la connotation sexuelle associée à leur création. En effet, alors que les animaux domestiques (l’agneau et le chien) sont donnés par Dieu a l’homme, le loup et le renard naissent de l’ambition de la femme. Ils ont donc la même origine, mais ils ont une manière de se comporter totalement différente. Alors que le renard est audacieux, le loup est brutal. Alors que le renard exploite son intelligence pour atteindre ses objectifs, le loup se sert de son instinct. A la différence du renard qui va souvent atteindre son but, le loup va souvent échouer. Le loup n’est ni suffisamment audacieux, ni suffisamment intelligent.

Dans l’histoire d’Aymé, le renard est l’un des personnages qui connaît la véritable nature du loup et il représente, avec les parents, la connaissance. Il ne va pas avertir les fillettes de se garder de la bête mais il se méfie des bonnes intentions de cette dernière et de sa transformation.

 

  • Les deux fillettes Delphine et Marinette

Les deux sœurs sont une sorte de personnage composé, parce qu’elles forment une unité. Elles se trouvent dans une même situation et doivent affronter les mêmes périls. En effet, il s’agit d’un personnage composé de deux sujets qui conservent un comportement commun. Les deux petites représentent l’ingénuité, car elles croient en la transformation du loup et toutes deux évoquent l’innocence. Il est important de souligner qu’il s’agit de deux petites filles. D’un côté, parce que l’enfance a toujours été identifiée à l’innocence. D’un autre côté, parce que le fait d’être fille renforce l’idée de pureté.

Malgré l’unité du personnage, il existe aussi des différences très importantes entre les deux sujets qui le composent. Bien que les deux enfants soient placées devant une même situation, la façon de réagir de chacune est différente.

Delphine, la plus âgée, est plus mûre et sait mieux comment faire face à la situation. C’est elle qui est la plus perspicace. Tout au début, c’est elle qui reconnaît le loup et sait qu’elles se trouvent dans une situation périlleuse. C’est elle aussi qui se méfie des intentions du loup. Elle se souvient des avertissements de ses parents concernant le comportement mauvais de la bête. Enfin, l’aînée se souvient de l’histoire de la chèvre (allusion à la fable de La Fontaine) et de l’histoire du petit Chaperon Rouge. Néanmoins, elle conserve sa caractéristique de personnage composé car elle reste innocente et cède finalement aux arguments du loup.

Marinette est la plus petite et la plus blonde. Elle a une moindre connaissance du monde. Tout au début du conte, elle ne comprend pas le danger auquel elle est exposée. La plus petite est la plus facile à convaincre et, dès le premier moment, elle est avec le loup. Elle partage avec ce dernier une caractéristique commune. En effet, l’un des arguments de sa sœur pour éviter de faire entrer le loup dans la maison, c’est que si le loup arrêtait de manger des enfants, ce serait comme si Marinette cessait de manger des desserts. Elle est la plus fragile et croit dès le premier instant l’animal. Elle se trompe sur les véritables intentions du loup.

Il est intéressant de remarquer le stéréotype utilisé par Aymé concernant le fait que les plus blondes seraient aussi les plus bêtes. A notre avis, le fait de souligner la blondeur de la petite fille sert à souligner plus encore son innocence.

Un autre exemple illustrant les caractéristiques spécifiques de chacune des fillettes est la distance qu’elles mettent entre elles et le loup. La plus petite passe toujours devant sa sœur, alors que l’aînée garde, au début, une certaine distance avec l’animal. Delphine prend plus de temps pour se familiariser avec l’animal.

A la fin de l’histoire, les deux sujets reviennent à l’unité totale. Les deux fillettes sont dévorées en même temps, et malgré cette agression, toutes deux ont de la compassion pour le loup quand il est puni.

Les deux sœurs sont les personnages centraux de ce conte et de toute la série des « Contes du chat perché » de Marcel Aymé. Dans tous les contes, les deux fillettes ont un comportement similaire à celui qu’elles ont dans le conte « Le loup ». La description des enfants est identique même si les situations sont diverses.

Les deux personnages de ce conte présentent une relation très étroite avec des personnages de contes de fées traditionnels. On peut remarquer une similarité avec le petit Chaperon Rouge, car les personnages sont des enfants séparés momentanément de leurs parents, qui doivent affronter une situation dangereuse. Ils cèdent à la tentation et entrent en contact avec le mal. A la fin du conte, ils sont sauvés par des adultes.

Les personnages de « Jeannot et Margot » ressemblent eux aussi aux deux fillettes. Il s’agit là aussi de deux enfants confrontés au mal, cette fois-ci représenté par une sorcière qui veut les dévorer. Même si l’histoire repose sur un argument différent, toutes deux reflètent un même esprit [5].

Heureusement, les personnages créés par Aymé conservent les éléments nécessaires pour que soit préservée leur richesse psychologique [6]. Il est important de signaler que plusieurs contes modernes ont perdu cette valeur à force d’essayer d’effacer des histoires les personnages méchants et l’idée du mal, ou parce qu’ils sont trop directs.

 

  • Les parents

Comme dans le cas des fillettes, les parents sont aussi un personnage composé de deux sujets mais, par opposition aux enfants, ils vont garder un comportement unique pendant tout le récit. Nous retrouvons ce comportement de couple dans tous les « Contes du chat-perché ». Les parents conservent dans ces histoires des caractéristiques régulières. Ils sont toujours protecteurs, mais sans aucune démonstration d’affection. Ils mettent oralement leurs enfants en garde contre le danger, mais ne prennent pas de mesures de précaution. Ce sont les fillettes qui décident de suivre ou non les conseils donnés par leurs parents.

Dans le conte « Le loup », les parents représentent le monde adulte. C’est l’univers parental où règne la sagesse et l’expérience. De plus, ils sont le reflet du monde réel, qui reste séparé de celui de la fantaisie. Les parents vont se baser sur leur expérience et sur le recours à la raison. Ils connaissent le mal et les diverses formes qu’il peut prendre pour se travestir. C’est pour cette raison qu’à aucun moment, ils ne vont tolérer la présence du loup. D’ailleurs, ils vont avertir leurs enfants du danger et interdire l’entrée du loup dans la maison. Ils ne lui font pas confiance car ils connaissent l’animal et le danger qu’il incarne.

Tout au long de l’histoire, les parents ont raison, même lors de la « transformation » du loup en quelqu’un de bon. Le loup connaît l’esprit des parents, c’est pour cela qu’il ne veut pas les rencontrer. Le comportement des parents suit une ligne invariable. Ils restent si fortement attachés au monde de la raison qu’ils ne donnent pas de marques d’affection à leurs filles (caractéristique qui se répète dans toutes les histoires du « Chat perché »). La relation avec les fillettes est une relation de protection par la raison. C’est une relation formelle établie pour défendre les enfants des possibles dangers qui les menacent. C’est le monde où la raison triomphe. Les preuves d’affection doivent donc rester en dehors de leur relation avec les petites.

Les parents connaissent le mal, ils sont déjà habitués à s’y confronter. La seule manière de triompher du mal est la raison, et c’est l’instrument qu’ils vont utiliser pour protéger leurs filles. Ils savent affronter le mal, et c’est pourquoi ils le vaincront à la fin de l’histoire. La raison et la sagesse triomphent sur le mal.

Quitter le monde de la raison signifie entrer dans celui de la fantaisie. Les fillettes font partie du monde des parents, mais au moment où ils sortent, elles sont immédiatement transportées dans le monde de la fantaisie. C’est dans ce monde, inconnu des parents, que les fillettes vont affronter le mal. Malheureusement, dans ce monde fantastique, le mal triomphe. Ainsi, la désobéissance aux parents est un symbole de l’acceptation du mal.

A la fin du conte, le monde de l’imagination rencontre le monde réel. C’est dans la dernière partie du conte que se produit la rencontre entre le loup (qui représente le mal) et les parents (qui représentent la sagesse). Dans cette dernière partie, le loup va être puni pour avoir transgressé l’ordre établi dans le monde réel, où les enfants ne doivent pas être mangés.

La relation familiale représentée dans ce conte, et dans tous les « Contes du chat perché », nous montre une vision traditionaliste de la famille à la fin du XIXème siècle et pendant la première moitié du XXème siècle. Les parents délimitent leur relation avec les fillettes – ils imposent un modèle de relation. Chaque génération va avoir une sorte de relation spécifique. Le monde des parents et celui des enfants restent comme des univers fermés. Il n’existe pas de véritable contact entre eux.

2.  Le jeu

 

Dans le conte « le loup », nous avons trouvé deux marques temporelles qui nous posent en face du véritable temps du récit. La première est la relation familière interne (relation verticale entre les parents et les fillettes). La deuxième est le jeu d’enfants. Il s’agit de jeux locaux qui ont disparu peu à peu. Aujourd’hui, nous ne pouvons les retrouver que dans la mémoire des dames âgées. Ce sont des jeux qui étaient très répandus autrefois mais qui possédaient des caractéristiques spécifiques selon les endroits. C’est ainsi qu’un jeu déterminé a un nom et de petites variations spécifiques selon l’endroit ou il est joué [1]. Les jeux que le conte mentionne sont :

La ronde : Les enfants forment un cercle et tournent toujours en rond –on choisit un enfant et il se met au milieu du cercle et commence à donner des ordres : lever les bras, se baisser, lever un bras, etc. et cela toujours en tournant. Celui qui se trompe rejoint l’enfant au milieu et ainsi de suite. Le dernier est le gagnant.

Le furet 1 : Les enfants sont assis en cercle – un enfant a un mouchoir et tourne autour du cercle. Il dépose le mouchoir dans le dos d’un enfant assis – celui-ci doit le prendre et essayer de rattraper le premier enfant qui doit arriver à la place libre avant de se faire toucher – s’il se fait toucher, il va au centre du cercle et ainsi de suite. (Ce jeu est aussi appelé le « mouchoir »)

Le furet 2 : Un enfant est choisi et doit fermer les yeux. Les autres enfants forment un cercle et se tiennent les mains en ayant les bras croisés. Un des enfants a une petite balle (ou autre petit objet) dans la main. Lorsque le cercle est prêt, on demande à l’enfant choisi de se mettre au centre et il doit deviner où se trouve la petite balle. S’il réussit, il prend la place de celui qui avait l’objet – il doit faire cela jusqu’à ce qu’il trouve l’objet.

La mariée : C’est un jeu de déguisement. Les enfants jouent aux comédiens. Il y a un maire, une mariée, un mari, les témoins, les parents, les demoiselles d’honneur,… Ils miment un jour de mariage.

La balle fondue : Les enfants forment un cercle. On choisit un enfant et on lui donne une balle. Il doit lancer la balle à l’enfant qui n’est pas attentif : si la balle le touche ou qu’il n’arrive pas à la rattraper, c’est lui qui prend le ballon et choisit un autre enfant dans le cercle (il peut feinter en lançant la balle), sinon c’est toujours le même enfant qui lance la balle.

La courotte malade : un enfant joue au malade : il se tient la tête, lève un pied, se tient le dos, marche en boitant…et tous les autres doivent faire la même chose. Celui qui se trompe est éliminé et ainsi de suite. Le dernier est le gagnant.

La paume placée : nous n’avons trouvé aucune information sur ce jeu.

Tous ces jeux sont collectifs, et comme le conte le note, il n’est pas possible pour les fillettes d’y jouer quand elles ne sont que deux. L’intérêt d’avoir un camarade de jeu incite donc les fillettes à accepter le loup.

Le jeu est un élément de transformation du loup. Le jeu est une activité typiquement humaine. Ainsi, c’est seulement quand le loup possède des caractéristiques culturelles qu’il va jouer (il va à apprendre les jeux puis il va profiter de cette activité).

Pourtant, vers la fin de l’histoire, le loup sort de ce monde de jeu et retourne à la réalité qui est marquée par ses instincts naturels. Sa transformation n’était pas réelle et c’est à travers le jeu qu’il retrouve ses instincts. Curieusement, c’est un jeu (représentant le monde culturel) qui réveille la véritable animalité du loup.

Il est intéressant de remarquer la non relation des parents avec le jeu. Ils ne jouent jamais. Le jeu ne fait pas partie de leur monde. De plus, la répétition insistante d’un jeu de la part des petites amène les parents à les gronder et à leur interdire de jouer. Cela peut signifier que les parents ne veulent pas avoir de contact avec le monde de la fantaisie. Ils conservent toujours une attitude sévère et distante. Le loup, qui connaît le monde des parents et leurs attitudes, préfère n’avoir aucun rapport avec eux. Dans le conte, le jeu est complètement étranger au monde adulte.

3.  L’Intertextualité

 

Une œuvre littéraire ne consiste pas seulement en ce qui est écrit dans le récit. Elle est le résultat de la création d’un écrivain immergé dans une culture déterminée et qui répond aux critères de base de cette civilisation. L’intertextualité étudie l’influence des racines culturelles dans un texte déterminé, ou la présence concrète d’un texte dans un autre [1].

Entre deux textes, nous pouvons trouver deux sortes de relations différentes. D’un côté, il y a dans ces textes des références manifestes comme la similitude des personnages ou des événements. De l’autre côté, il existe une relation moins évidente qui se crée à travers le bagage culturel de chaque auteur. La culture de l’écrivain va se présenter dans le récit d’une façon moins claire. Cette variation entre les textes est due aux différents concepts de base de chaque culture.

L’influence d’autres textes sur l’histoire du loup d’Aymé est indéniable. Nous trouvons dans ce texte des passages d’autres histoires. Il y a des références évidentes au conte du petit Chaperon Rouge ou à celui des sept chevreaux et du loup. Nous trouvons aussi des références culturelles régionales, comme la référence à la fable de La Fontaine « Le Loup et l’Agneau ».

Les références à la Culture générale, moins évidentes, sont très importantes car elles rattachent l’auteur aux fondements de la civilisation occidentale européenne. Les deux points de référence sont la culture religieuse judéo-chrétienne et la culture gréco-romaine, à travers la mythologie.

3.1. La relation du conte du loup avec les autres contes.

 

3.1.1. Le Petit Chaperon Rouge

 

La relation entre le conte d’Aymé et la version par les frères Grimm [1] du petit Chaperon Rouge est évidente. Tout d’abord, si nous comparons les personnages, nous trouvons une grande quantité de similitudes.

Le personnage principal des deux contes est le « même » loup. Il est clair qu’il s’agit du même animal – il le reconnaît lui même dans l’histoire. Il reconnaît avoir mangé le petit Chaperon Rouge, et demande pardon pour ce péché de jeunesse. Le loup présente les mêmes caractéristiques et procède de la même façon dans les deux histoires. Il recherche des enfants pour calmer sa faim et les persuade de ses bonnes intentions. A la fin du conte, il mange les enfants et il est puni pour cet acte de méchanceté.

Les deuxièmes protagonistes des contes sont les petites filles. La seule différence est que dans le Petit Chaperon Rouge, il s’agit d’une seule fillette alors que dans l’histoire d’Aymé, elles sont deux sœurs. Néanmoins, leurs caractéristiques sont similaires. Ces petites filles, après une séparation d’avec les parents, doivent affronter le mal représenté par la présence du loup. Tout d’abord, elles doutent des bonnes intentions du loup mais, à la fin, elles transgressent la loi établie par le monde adulte.

La présence des adultes dans les deux contes a une fonction similaire. Dans les deux cas, ils représentent la connaissance et la loi. Ils n’imposent pas la loi mais la suggèrent. Ils laissent les enfants choisir. Les fillettes peuvent agir selon les principes donnés ou transgresser cette loi.

Dans les deux histoires, il y a une première rencontre due à la faim du loup et à la naïveté des enfants. Dans les deux histoires, les enfants sont convaincus par l’éloquence du loup, puis dévorées par celui-ci. Les protagonistes des deux contes sortent saines et sauves du ventre du loup. La seule différence est que les petites d’Aymé ont de la compassion pour le loup, tandis que le petit Chaperon Rouge veut qu’il soit puni.

Les deux histoires finissent avec le retour à la vie normale. Le petit Chaperon Rouge reste avec sa maman et sa grand-maman, et les fillettes restent à la maison en compagnie de leurs parents.

La morale que nous pouvons tirer des deux histoires est similaire, bien que les deux histoires aient été écrites à des périodes complètement différentes. C’est évidemment l’intention d’Aymé de proposer la même histoire assortie d’éléments contemporains.

 

3.1.2. Les sept petits chevreaux et le loup

 

La relation qui existe entre les deux récits est évidente. L’histoire des « sept chevreaux et du loup [2] » sert de base à l’histoire d’Aymé. Il faut signaler qu’il n’y a pas de point commun explicite entre les deux histoires, comme dans le cas du petit Chaperon Rouge. Néanmoins, certaines caractéristiques des personnages et des situations nous placent dans le domaine de l’intertextualité.

Le loup, protagoniste de toutes ces histoires, reste fidèle à lui même. Il a toujours faim et, pour manger, il va chercher des personnages jeunes et sans défense. Dans l’histoire des sept chevreaux, le loup va rester caché et va attendre la sortie de la maman chèvre pour s’approcher des petits. Cette situation se répète dans le conte d’Aymé. Le comportement du loup est le même dans les deux histoires.

Les deux sœurs vont représenter les sept petits chevreaux. Bien qu’il y ait des différences avec le conte d’Aymé, (comme, par exemple, le caractère humain des personnages), ce que ces derniers représentent est identique. Ce sont des petits séparés momentanément des leurs parents et qui doivent affronter le mal. Dans les deux cas, il existe une loi établie que les personnages vont transgresser. Dans les deux cas ils vont permettre au mal d’entrer chez eux.

Une autre point commun est le lieu où se déroule l’histoire. Dans les deux cas, après la sortie des parents (de la maman chèvre dans le cas des sept chevreaux), les « enfants » vont rester enfermés dans la maison. Tant que la porte restera fermée, il n’y aura aucune possibilité pour le loup de commettre son méfait. Mais les personnages se laissent convaincre par les prétextes invoqués par l’animal et lui ouvrent la porte. Le loup va dévorer les petits (chevreaux/enfants) dans leurs maisons respectives.

La fin du conte présente aussi des caractéristiques communes. Les parents, dans le cas d’ Aymé, retrouvent le loup dans la maison. En revanche, la maman chèvre doit chercher le loup dans la forêt. La procédure, dans les deux cas, est néanmoins identique : ils ouvrent le ventre de l’animal, laissent sortir les petits et referment la panse du loup.

Le message, dans les deux histoires, est le même, tout comme dans l’histoire du petit Chaperon Rouge (constatation qui nous renvoie à la notion de l’archétype). Il ne faut pas transgresser la loi établie par les adultes parce que les conséquences sont terribles. Le mal peut se présenter de diverses façons – il peut modifier son apparence ou son comportement – mais en son essence il ne change pas.

 

3.2. La relation entre le conte « Le loup » et la fable de La Fontaine « Le Loup et l’Agneau ».

 

La valeur qu’ont la fable et le mythe dans la psychanalyse de la littérature est différente car ils sont passés par une manipulation rationnelle et sociale qui enlève l’essence de la signification psychologique [3].

Il n’est pas possible d’établir la relation entre cette fable et le conte d’Aymé. Mais celle-ci figure dans le conte d’Aymé comme une référence culturelle. En effet, Aymé mentionne directement l’histoire du Loup et de l’Agneau : « Delphine demeura pensive, car elle ne décidait rien à la légère. – Il a l’air doux comme ça, dit-elle, mais je ne m’y fie pas. Rappelle-toi Le loup et l’agneau… L’agneau ne lui avait pourtant rien fait [4]. »

Nous constatons, dans les deux histoires, que le loup est toujours fidèle à lui-même, et, en ce sens, il est un personnage archétype car il reste hors du temps et de l’espace. Le loup représente toujours le mal et il ne change ni devant l’innocence des petites chèvres, ni devant la beauté de Delphine et Marinette, ni devant les arguments de l’agneau.

Le loup admet avoir mangé l’agneau, c’est ce que tous les loups font pour se nourrir. Il reconnaît l’avoir mangé car il n’y voit rien de mal, c’est sa nature.

La nature de l’animal et le désir de toutes les victimes de changer cette nature sont des points communs à toutes les histoires que nous avons mentionnées. A la fin de toutes ces histoires, le loup mange sa proie conformément à son instinct. Il faut néanmoins signaler une différence très importante : dans la fable, le loup « gagne », comme presque toujours dans le monde réel. Le message est plus direct mais la morale reste la même.

 

3.3. Références à la culture religieuse judéo-chrétienne

 

Il ne faut pas oublier que « L’intertextualité proprement dite est restreinte à la présence effective d’un texte dans un autre [5]. » L’une des caractéristiques de l’intertextualité est la présence, dans un texte déterminé, de références à la culture à laquelle appartient son auteur. Les deux catégories de références qui sont à l’évidence celles de toute personne d’origine occidentale-européenne sont la religion judéo-chrétienne et la mythologie gréco-romaine.

Dans le cas de notre analyse, même s’il existe des éléments de référence à la mythologie gréco-romaine [6], il y a une relation directe avec des éléments liés à la tradition religieuse.

L’histoire sacrée occidentale comporte certains éléments qui sont repris dans l’historie du loup de manière implicite. C’est ainsi que dans le conte analysé nous trouvons, indirectement évoqués, des éléments précis de la Genèse.

Au début, nous trouvons une situation initiale dans laquelle le péché n’existe pas, sinon comme danger. Le paradis est un endroit où tout est permis sauf manger le fruit de l’arbre du bien et du mal, l’arbre de la connaissance. Le fait de « connaître » implique la perte de l’innocence. Manger le fruit de cet arbre signifie aller contre la loi établie.

Dans le conte d’Aymé, la situation initiale est une situation d’harmonie entre les parents et les enfants. A l’intérieur de la maison, il n’y a pas d’interdit sauf celui d’ouvrir la porte à qui que ce soit. Etablir un contact avec une personne extérieure à la maison suppose transgresser la loi, c’est-à-dire, en langage biblique, pécher. Sur ce point, Aymé va utiliser d’une façon métaphorique l’image biblique, car ouvrir la porte va avoir la même signification que manger le fruit de l’arbre de la connaissance. C’est faire ce qui est interdit. Au moment où les enfants ouvrent la porte au loup, ils transgressent la loi établie. Nous avons donc, dans les deux textes, un endroit situé au-delà du bien et du mal, une loi établie, une interdiction déterminée et la menace d’une punition en cas de transgression.

Adam et Eve vivent au paradis. Ils constituent un couple de personnes « innocentes ». L’innocence signifie qu’ils ne connaissent pas le péché. Néanmoins, ils connaissent la Loi et l’interdiction. Les deux personnages obéissent à la Loi jusqu’au moment où ils sont tentés par le Serpent. Le mal est représenté par la vipère, animal nuisible à l’homme et qui présente les caractéristiques typiques du mal. Elle présente un masque de bonté et utilise la séduction pour pousser Eve à la désobéissance.

La représentation de cette scène dans « Le loup » est claire, nous retrouvons le couple de personnes « innocentes », dans le même sens du mot. Elles font aussi face à une loi établie et à une interdiction. Les deux personnages respectent la loi jusqu’au moment où ils sont tentés par le loup. Dans le conte d’Aymé, la représentation du mal prend aussi la forme de l’animal. Le loup se présente masqué de bonnes intentions mais il reste intrinsèquement mauvais.

Dans les deux textes, la personne qui succombe le plus facilement à la tentation est la plus jeune et la plus innocente. Elle prend ensuite parti pour l’animal qui l’a convaincue de transgresser la loi. Eve aide à séduire Adam pour qu’il croque le fruit interdit. Dans le cas du loup, c’est la plus petite, Marinette, qui va, dès le premier moment, soutenir le loup. Elle va aider l’animal à convaincre Delphine d’enfreindre la loi établie.

La transgression de la loi, ou péché, a une même signification dans les deux histoires. Le fait de succomber à la tentation signifie s’approprier ce qui est interdit, l’objet du Désir de l’homme. Ce que l’homme désire, c’est ce qu’il ne possède pas : l’immortalité. Le seul être immortel est Dieu. Le Serpent dit à l’homme que s’il mange le fruit de l’arbre du Bien et du Mal, il deviendra comme Dieu. L’homme est tenté et accepte de transgresser la Loi établie. Cette même idée, nous la retrouvons dans le conte « Le loup ». Dans ce conte, une loi établie est transgressée. La tentation est représentée par l’obtention d’un camarade de jeu. L’objet du désir des enfant est ce qui est interdit. Les fillettes connaissent la loi et l’enfreignent de façon consciente.

L’acte sexuel est implicite dans la désobéissance d’Eve. Seul le péché originel permet aux hommes de se reproduire, et la reproduction est la seule manière d’assurer l’immortalité. Dans l’histoire du loup, la transgression de la loi implique aussi l’acte sexuel. La connaissance implique la perte de l’innocence. La seule manière pour les fillettes de s’introduire dans le monde adulte, qui leur est interdit jusqu’à ce moment, c’est de passer par une sorte de rite d’initiation. Après le premier contact sexuel les fillettes deviennent des femmes [1]. Dans les deux histoires, la transgression de la loi suppose la privation de l’innocence qui implique la perte de la virginité.

Le dernier point important commun aux deux histoires est qu’il est impossible de faire le mal impunément. Lorsqu’il y a violation de la loi, il y a toujours punition. Dans l’histoire sacrée, les insoumis sont chassés du paradis. Ils sont séparés de l’ objet de leur désir car ils doivent quitter le monde où ils étaient en contact avec Dieu. Dans le cas des fillettes, la punition est d’être séparées de l’objet de leur désir car, à la fin du conte, le loup est chassé de leur maison. Nous trouvons dans les deux histoires une rupture ou, si l’on préfère, une situation de disjonction entre les protagonistes et l’objet de leur désir.

 

  4.  Fonction sociale et psychopédagogique du conte.

 

L’une des richesses culturelles de l’homme réside dans sa capacité à transmettre ses expériences et ses connaissances. Au début, la seule façon de transmettre un message ou une expérience était par voie orale. La communication verbale fait partie de la vie même de toute civilisation. Les histoires locales, les mythes et les contes de fées sont les produits de cette tradition. Ils s’agit d’histoires nées en conséquence d’un fait déterminé, naturel ou surnaturel, et qui ont pris forme à travers des siècles de transmission et de transformation. Ils ont toujours un sens pédagogique et moralisateur.

Les mythes et les contes ont une même racine, néanmoins leur fonction a changé au fil de l´histoire. Nous constatons que la valeur du mythe revêt surtout une importance sociale, alors que la valeur des contes de fées revêt plutôt un aspect psychologique. Le mythe est comme un représentant d’une culture déterminée et de son destin. Il réfléchit le caractère national d’une civilisation. Le conte n’a pas de racines car il appartient aux structures universelles de l’âme humaine. « Nous parvenons ici encore, à la conclusion que les contes de fées reflètent la structure la plus élémentaire, mais aussi la plus fondamentale – le squelette nu – de la psyché. Le mythe est une production culturelle… Le mythe présente donc des adjonctions culturelles conscientes qui facilitent en un sens son interprétation, car certaines idées y sont exprimées de façon explicite [2]. »

Les contes de fées ont un valeur pédagogique fondamentale car ils travaillent directement sur l’inconscient (au début, les contes de fées étaient destinés à toute la population, c’était une façon de transmettre un message. Aujourd´hui, ils sont surtout destinés aux enfants), illustrent de façon indirecte mais efficace des principes fondamentaux de morale et d’éthique et de conduite sociale. Ils utilisent rapports psychologiques, métaphores, exemples, personnages universels, etc. pour transmettre ces principes.

Chaque culture a ses principes éthiques et moraux propres qui reflètent également les diktats de la culture locale. Dans nos pays, nous partageons l´héritage de la tradition gréco-latine et de la religion judéo-chrétienne. Les normes de notre civilisation sont transmises indirectement à travers les contes de fées. La religion impose des règles de comportement, et le conte de fées suggère des normes identiques. Par exemple, l’église réprouve la gourmandise. Le conte de « Jeannot et Margot » nous inculque la même leçon, car le fait de manger sans mesure la maison de pain d’épice aura pour conséquence la rencontre avec la sorcière. Pour l’enfant, la notion de gourmandise est d’ailleurs trop sophistiquée ; l’interdiction de manger des friandises n’a pour lui aucun sens car elle signifie qu’il doit se priver de quelque chose qu’il aime. Dans le conte, il n’y a pas d’interdiction directe, mais les conséquences de la gourmandise vont mettre l’enfant face à un dilemme. Il ne faut pas manger trop de friandises car cela peut avoir des conséquences négatives. La fonction du conte est beaucoup moins directe mais plus efficace.

Concernant les normes fondamentales de conduite sociale, les contes de fées sont des instruments très utiles pour informer et éduquer l’enfant. Comme dans le cas antérieur, il ne suffit pas de dire le message pour le faire passer. Il faut que l’enfant tire lui-même la morale du conte. Les contes de fées insistent sur les principes comme la sécurité personnelle, l’importance de la famille et de l’amitié, la surveillance, la philanthropie, l’importance de l’intelligence par rapport à la force physique, etc. Ce sont des normes très importantes et indispensables pour la sécurité de l’enfant dans la vie sociale. Pour l’enfant, les conseils et les avertissements directs des parents ou des professeurs n’ont pas une influence significative. Si l’enfant déduit lui-même une norme ou un comportement social, cette règle aura pour lui une véritable valeur. Par exemple, pour souligner l’importance du recours à l’intelligence pour vaincre la force brute, nous pouvons relater l’histoire du Petit Poucet. Il prend le dessus sur le géant en utilisant son intelligence. Le tout puissant géant, avec toute sa force, ne peut rien faire contre les astuces du petit enfant.

Les contes des fées ont un pouvoir pédagogique prodigieux car ils possèdent des qualités uniques qui vont travailler dans l’inconscient de l’enfant. Les caractéristiques distinctives de ce genre littéraire entrent dans la catégorie des archétypes, car il n’y a ni contexte individuel ni connaissances personnelles qui correspondent à cette situation : « Les contes de fées sont les créations poétiques du conteur populaire, qui puise son inspiration à la source qui est celle de tous les poètes : l’inconscient collectif [3]. »

Tous les contes de fées présentent des caractéristiques communes, et c’est pourquoi ils toujours ils travaillent au niveau de l’inconscient. Les contes des fées se déroulent dans un monde fantastique : ils débutent presque toujours par « Il étais une fois », cette phrase qui sort les contes du temps et de l’espace. Dans les contes de fées, la fin est toujours heureuse : après avoir surmonté une infinité de problèmes, le conte finit toujours par le triomphe du bien sur le mal. Une autre caractéristique est que le personnage méchant perd toujours. En effet, le mal est inlassablement puni, tandis que le bien est constamment récompensé.

Les contes des fées se concentrent habituellement sur les problèmes des enfants qui grandissent. Ils ont pour personnages principaux des enfants qui sont en train de grandir, ou des jeunes qui vont entrer dans le monde des adultes. Le conte relate une histoire particulière avec des éléments généraux ou des situations qui peuvent illustrer les angoisses de l’enfance. Le conte s’achève toujours sur la victoire du héros, après avoir décrit une situation où le danger finit par être écarté. En même temps, une leçon moralisatrice est donnée qui montre le bon chemin que l’enfant doit suivre.

La valeur du conte réside dans le fait que l’enfant peut en tirer une morale personnalisée. Un même conte peut servir à traiter une infinité des problèmes. Il faut signaler à cet égard que si l’enfant comprend le message du conte, il va intérioriser cette valeur acquise. La conte aura donc accompli son rôle.

Nous pouvons nous servir du conte comme d’un instrument pour initier la communication avec l’enfant. C’est pour cette raison que la meilleure façon de transmettre un conte est la voie orale. Un conte raconté présente l’avantage du contact personnel entre le conteur et l’enfant. La voix, les expressions et la façon de raconter le conte sont importantes. D’ailleurs, nous invitons l’enfant à entrer dans le monde des adultes en notre compagnie.

Dans le conte « Le loup », nous trouvons la même veine que dans les autres contes de fées. Bien que le conte d’Aymé soit contemporain, il entre dans la catégorie des « contes archétypes », par le biais de l’intertextualité. Il retrouve donc la force et la forme des contes traditionnels.

Nous retrouvons dans ce conte des fondements éthiques et moraux qui le placent dans la même catégorie que les histoires traditionnelles. Tout d’abord, une des leçons de morale réside dans l’importance de dire la vérité. Or le mensonge est un péché mortel aux yeux de la religion catholique, encore prédominante en France à l’époque où écrit Aymé.

Dans le conte, les fillettes mentent à leurs parents. Le mensonge n’est pas puni par les parents, mais par le destin. La punition de cette tromperie est infligée par le personnage qui est à l’origine du mensonge : les fillettes sont dévorées par le loup. La punition de la faute est très sévère car elle implique l’abus sexuel [1] ou la mort (aussi présentée dans le conte de façon symbolique).

Un autre précepte moral très important dans le conte « Le loup » est celui de l’obéissance aux parents. Dans l’histoire d’Aymé, le rôle des parents n’est pas sympathique. Tout au contraire, ils sortent en laissant les enfants tout seuls bien qu’ils connaissaient l’existence d’un péril évident. Quand ils rentrent, ils grondent les fillettes. Ils les punissent d’une façon très dure pour des fautes légères. Néanmoins, les parents symbolisent la loi établie, le monde adulte qui protège les enfants du danger. Les parents représentent la sécurité.

La désobéissance aux parents a des conséquences graves. Les enfants doivent affronter le mal sans disposer d’armes suffisantes pour le vaincre. Eloignés du monde adulte où règne la loi établie, les enfants désobéissants mettent en péril leur sécurité (psychologique ou physique).

Le conte renforce cette idée par sa fin heureuse car les parents vont rétablir l’ordre perturbé. Ils trouvent le loup et sauvent les petites. L’histoire laisse une porte ouverte pour résoudre le problème. Les conséquences de la désobéissance sont terribles, mais il existe toujours un espoir parce qu’après le péché, il y a le pardon. A la fin du conte, le pardon est implicite et il est évoqué lorsque les parents sauvent leurs fillettes sachant qu’elles les avaient trompés et qu’elles avaient désobéi.

Le principe selon lequel on ne doit pas tuer constitue un troisième élément de la morale du conte. Celui-ci relate le grand crime commis par le loup. Le péché principal est commis par la bête, et pour ce crime, il n’existe pas de pardon. Il faut punir et condamner cette faute. Le récit reflète ce précepte de façon évidente. Le loup mange les enfants, et le fait de les manger implique qu’il les tue. Le loup est capturé car il n’a pas la possibilité d’ouvrir la porte. Cela montre que ce crime ne peut échapper à la justice. Les parents ouvrent le ventre du loup, ce qui lui cause une grande douleur. Cette image évoque une punition douloureuse car le crime commis est très grave. Pour finir, le loup est recousu, renvoyé dehors, et, à l’avenir, il ne pourra avoir de contact avec les enfants. La dernière partie du conte symbolise la punition. Une sanction qui doit être proportionnelle à l’ampleur de la faute. La première punition (couper le ventre du loup) représente le châtiment physique, car elle provoque de la douleur. La seconde punition (éloigner le loup des enfants) est une sanction psychologique car le pécheur va rester exclus du groupe social. Il n’est plus admis au sein de la société en conséquence de ses actes.

Le dernier précepte que nous avons relevé en ce qui concerne l’enseignement moral est celui de ne pas blesser les autres. Les fillettes demandent aux parents de laisser aller le loup, même après qu’il leur a fait du mal. De ce point de vue, les plus belles leçons du conte sont issues de la tradition chrétienne : il s’agit du respect pour la vie et du pardon.

Concernant la conduite sociale, le conte d’Aymé nous présente toute une série de règles relatives au comportement humain. Tout d’abord, le principe de respecter les normes imposées. Cette idée porte en elle une autre norme, celle qui concerne la sécurité des enfants face aux personnes qui n’appartiennent pas au même groupe social ou familial. Le message du conte, en ce sens, est spécifique : si nous entrons en contact avec une personne étrangère (le loup), il y aura des conséquences (nous serons dévorés par l’animal). La règle est l’interdiction de communiquer avec des personnes inconnues : « N’ouvrez la porte à personne, qu’on vous prie ou qu’on vous menace [2]. »

Ensuite, une autre règle sociale donnée est que le mal, ou les mauvaises personnes, utilisent la ruse pour tromper les enfants. Le loup prétend subir une transformation. Pendant le déroulement de l’histoire, il semble être bon (même aux yeux d’autres animaux de la forêt, sauf le renard et la pie qui sont aussi rusés que lui). Il joue, il chante, il rit. Mais, à la fin du conte, il révèle sa véritable personnalité. Il mange les enfants, il tue – il montre sa véritable nature. De cette partie, nous pouvons conclure aussi que les personnes mauvaises resteront toujours mauvaises. Le loup restera toujours le loup même s’il prétend avoir changé.

L’idée que les parents garantissent la sécurité des enfants et qu’il faut toujours avoir confiance en eux est un autre précepte social que nous pouvons trouver dans le conte. A la fin de l’histoire, les parents sauvent leurs enfants ? même après avoir su qu’ils ont désobéi et menti. Il y a encore un signal de compréhension de la part des parents quand ils laissent aller le loup. Les parents sont toujours prêts à sauver leurs enfants.

Enfin, nous trouvons un autre élément qui représente un code social établi : une mauvaise conduite, après administration d’une punition, peut se corriger. C’est la valeur de la punition comme instrument de rectification. Il y a dans ce précepte l’idée de la réhabilitation sociale. Dans le conte que nous analysons, cette idée se présente au dernier moment quand le loup, après avoir été puni, s’en va en jurant qu’à l’avenir il ne sera plus aussi gourmand. La fin de l’histoire renforce cette idée avec le paragraphe final : « On croit que le loup a tenu parole. En tout cas, l’on n’a pas entendu qu’il ait mangé de petite fille depuis son aventure avec Delphine et Marinette [3]. » L’auteur donne, néanmoins, un ultime avertissement au lecteur. Il dit « on croit », que le loup a changé ; mais de toute façon, il faut être attentif car nous ne savons pas si le changement est sincère.

 

Conclusion

 

L’analyse littéraire est une pratique qui nous aide à trouver un sens profond à un récit déterminé. Il y a diverses sortes d’analyses. Cela signifie que l’on peut travailler à partir de plusieurs perspectives. Par exemple, il y a des analyses qui recherchent à situer un auteur dans un genre littéraire déterminé. D’autres critiques analysent l’œuvre d’un certain auteur à partir de son temps historique ou des influences d’une génération littéraire déterminée.

Le travail qui nous avons effectué prend comme base le texte tel quel. En effet, dans la première partie du travail nous avons analysé le texte dans la perspective sémiotique. Cette recherche nous a permis de connaître la structure du conte et les relations à l’intérieur du récit.

Dans un second moment, nous avons réalisé un essai d´herméneutique en proposant une interprétation du récit dans la perspective de la psychologie en prenant pour base les théories des archétypes et de l’intertextualité. Au terme de notre analyse nous avons trouvé que le conte écrit par Aymé conserve la structure caractéristique des contes de fées. Il est construit sur des éléments constants dans tous ces contes et facilement identifiables.

En ce qui concerne l’analyse sémiotique, nous avons trouvé que le conte présente une situation initiale et une situation finale de disjonction. A l’inverse, la partie centrale du conte se déroule dans une situation de conjonction.

L’architecture du conte n’est pas linéaire. Le conte peut être représenté par une série d’axes sémantiques composant une structure en forme d’échelle dans laquelle la situation finale de chaque axe constitue la situation initiale de l’axe suivant.

Le texte comporte plusieurs séquences qui reflètent son architecture. En conséquence, chaque séquence possède un axe sémantique propre. La segmentation séquentielle nous a servi à mettre en évidence la perspective syntagmatique.

Il est intéressant d’observer qu’en ce qui concerne l’aspect textuel chaque code du niveau figuratif est bien démarqué. Nous trouvons les oppositions des diverses codes aux niveaux sensoriel, spatial et figuratif. Par contre, la temporalité textuelle n’offre pas une relation d’opposition mais de superposition. C’est ainsi que nous trouvons un temps englobant (le temps de la fantaisie) et un temps englobé (le temps réel).

Au niveau narratif, nous avons travaillé en considérant que le loup était le Sujet opérateur du récit. Mais, il faut remarquer que le conte possède plusieurs facettes qui peuvent permettre de réaliser différentes analyses, également complexes, en prenant d’autres protagonistes comme Sujets opérateurs. Une analyse également intéressante – mais dans une autre perspective – pourrait être proposée en tenant les fillettes pour le Sujet opérateur.

Au niveau thématique, le conte possède une structure circulaire. En effet, nous pouvons remarquer que la situation finale du récit (de disjonction) est similaire à la situation initiale (également de disjonction).

Au niveau de l’interprétation du conte, la comparaison des personnages avec ceux d’ autres contes de fées s’est révélée intéressante. Nous avons trouvé des personnages archétypiques ayant les mêmes caractéristiques que ceux d’autres contes. Néanmoins, l’auteur infléchit légèrement les personnages dans le sens de la satire . En effet, il utilise l’humour en certaines descriptions ou faits qui dans les contes traditionnels sont traités d’une manière plus sérieuse. Cette utilisation de l’humour donne aux contes d’Aymé un caractère plus contemporain.

Bien que le conte « Le loup » puisse être considéré comme un récit contemporain de par les caractéristiques mentionnées dans le paragraphe antérieur et parce qu’il a été écrit dans la période de l’entre deux guerres, il conserve la force des histoires traditionnelles. Aymé utilise les contes classiques, leurs images, leurs formes canoniques et leurs valeurs pour transmettre, à travers son conte des messages qui sont partie intégrante de la psychologie sociale européenne. C’est pour cette raison que nous pouvons affirmer que cette histoire trouve sa place dans la catégorie des contes de fées.

« Le loup » est une histoire qui possède aussi une forte valeur culturelle. Le récit fait directement référence à la fable de La Fontaine « Le loup et l’agneau ». Cette fable fait partie de la culture traditionnelle française. Dans le conte, elle est mentionnée d’une façon directe mais elle fait partie du récit. Toutefois, si le lecteur n’avait aucunement connaissance de cette fable, l’histoire continuerait à avoir un sens par elle-même.

Il est important de remarquer que le conte revêt un caractère psychopédagogique parce qu’il enseigne les principes éthiques dictés par la religion judéo-chrétienne et même inculque des normes de conduite sociale. Aymé transmet à travers son histoire des préceptes de la religion comme : ne pas mentir, ne pas tuer, ne pas désobéir, etc. L’histoire propose aussi des règles sociales comme : l’importance de la sécurité personnelle, la valeur de l’amitié et de la famille, le rôle de l’intelligence par rapport à la force, etc.

Les méthodes d’analyse que nous avons utilisées dans ce travail peuvent été employées pour l’analyse d’autres textes littéraires. Elles peuvent servir à une meilleure compréhension des œuvres étudiées. En effet, tant l’analyses sémiotique que la méthode herméneutique sont des instruments utiles pour l’interprétation littéraire. Il faut remarquer cependant que toute recherche interprétative n’est pas toujours objective et que nous pouvons aboutir à différentes interprétations en fonction de l’objectif de l’analyse et des perspectives de la personne qui la conduit. Quoi qu’il en soit, l’analyse littéraire aide à trouver la véritable signification d’un texte et à mettre en valeur sa richesse intrinsèque.

Les contes de fées en général et le conte « Le loup » en particulier sont des éléments importants pour l’apprentissage de la vie. Par une méthode agréable et intelligente ils enseignent à l’enfant des normes sociales et morales sans les lui imposer. Les moyens que le conte utilise sont la réflexion et les conclusions auxquelles aboutit l’auditeur ; c’est la raison pour laquelle ces conclusions peuvent êtres diverses, chaque personne ayant ses besoins particuliers. Ce processus indirect a été utilisé par les hommes à travers toute l’Histoire – le plus souvent de façon inconsciente – et constitue toujours un instrument pédagogique d’une valeur incalculable.

***

 

ANNEXES

« Le loup et les sept cabris » Contes de Grimm (Classiques Hachette)

« Le loup s’en alla alors chez un marchand, et acheta un gros morceau de craie qu’il mangea pour s’adoucir la voix. Puis il revint, frappa à la porte et cria :

-Ouvrez-moi, chers Il était une fois une vieille chèvre qui avait sept cabris, et elle les aimait comme une mère aime ses enfants. Un jour, elle voulut aller au bois pour y chercher de la nourriture. Elle les appela tous les sept autour d’elle et leur dit :

-Chers enfants, je vais au bois. Prenez garde au loup. S’il entrait, il vous mangerait tous, cuir et poil. Le méchant se contrefait souvent, mais vous le reconnaîtrez facilement à sa voix rauque et à ses pieds noirs.

Les cabris répondirent :

-Chère mère, nous ferions bien attention. Vous pouvez partir sans souci.

Là-dessus, la chèvre bêla un coup et se mit en route. Un instant après, quelqu’un vint frapper à la porte en criant :

-Ouvrez-moi, chers enfants. C’est votre mère, et elle vous rapporte à tous quelque chose.

Mais les cabris avaient reconnu à la voix rauque que c’était le loup.

-Nous ne voulons pas ouvrir, répondirent-ils, tu n’es pas notre mère qui a une voix douce et caressante, tandis que la tienne est rauque. Tu es le loup.

enfants. C’est votre mère, et elle vous rapporte à tous quelque chose.

Mais le loup avait posé sa patte noire contre la fenêtre. Les cabris la virent et répondirent :

Nous ne voulons pas ouvrir ; notre mère n’a pas de pied noir, comme toi ; tu es le loup.

Le loup courut alors chez un boulanger, et lui dit :

-Je me suis fait mal au pied ; étendez de la pâte dessus.

Et quand le boulanger eut enveloppé sa patte, il courut chez le meunier et lui dit :

-Poudre-moi ma patte de farine blanche.

Le meunier soupçonna que le loup voulait tromper quelqu’un et s’y refusa, mais le loup lui dit :

-Si tu ne le fais pas, je te mange.

Alors le meunier eut peur et lui blanchit sa patte. Qui, voila comme sont les hommes !

Le fripon alla alors, pour la troisième fois, à la porte, frappa et dit :

-Chers enfants, ouvrez-moi. Votre chère petite mère est revenue, et elle vous rapporte de la forêt à tous quelque chose.

-Montre-nous d’abord ta patte, dirent les cabris, afin que nous sachions si tu es notre petite mère.

Alors, le loup posa sa patte contre la fenêtre, et quand ils virent qu’elle était blanche, ils crurent que tout était vrai et ouvrirent la porte. Mais, qui est-ce qui entra ? Ce fut le loup. Ils eurent grand-peur et voulurent se cacher. L’un sauta sous la table, le second dans le lit, le troisième dans le fourneau, le quatrième dans la cuisine le cinquième dans le buffet, le sixième sous la terrine à relaver, le septième dans la caisse de l’horloge. Mais le loup les trouva tous, et ne fit pas de longs compliments. Il les avala l’un après l’autre dans sa gueule, à l’exception du plus jeune, qu’il ne put trouver dans la caisse de l’horloge.

Quand le loup eut satisfait son envie, il s’en alla se coucher dehors, dans la verte prairie, sous un arbre, et commença à s’endormir.

Bientôt après, la vieille chèvre rentra de la forêt. Ah ! Dieu ! quel spectacle l’attendait ! La porte de la maison était toute grande ouverte. La table, la chaise et les bancs étaient renversés, la terrine à relaver était en morceaux. Les couvertures et coussins avaient été arrachés du lit. Elle cherchait ses enfants, mais ne parvenait pas à les retrouver. Elle les appelait par leur nom les uns après les autres, mais personne ne répondait. Enfin, quand elle appela le nom de plus jeune, une petite voix s’écria :

Chère mère ! je suis caché dans la caisse d’horloge !

Elle le tira dehors et il lui raconta que le loup était venu et qu’il avait mangé tous les autres. Vous pouvez penser comme elle pleura ses pauvres enfants.

Enfin, elle ressortit toute désolée, et le plus jeune des cabris lui courut après. Quand elle arriva dans la prairie, le loup était couché sous l’arbre, et ronflait si fort que les branches tremblaient. Elle le regarda de tous côtés, et s’aperçut que quelque chose remuait dans son ventre si rempli.

-Ah ! Dieu ! pensa-t-elle, est-ce que mes pauvres enfants qu’il a avalés pour son souper seraient encore en vie ?

Il fallut que le cabri coure à la maison chercher les ciseaux, une aiguille et du fil. Alors elle ouvrit la panse du monstre, et, dès qu’elle eut commencé à couper, un des cabris sortit se tête, et, à mesure qu’elle coupait, tous les autres s’échappèrent de même l’un après l’autre, sans avoir éprouvé le moindre dommage ; car dans sa gloutonnerie, le monstre les avait avalés tout ronds.

C’est ça qui fut une joie ! Ils embrassaient leur chère petite mère et cabriolaient comme un tailleur qui fait la noce.

-Maintenant, leur dit la vieille, allez chercher des pierres pour remplir le centre de la maudite bête pendant qu’elle dort. Alors, les petits cabris allèrent vite chercher des pierres et les fourrèrent dans le ventre du loup, tant qu’ils ne purent fourrer. Puis la vieille le recousit en toute hâte, afin qu’il ne s’aperçoive de rien, et il ne bougea pas même.

Quand le loup eut fini de dormir, il se leva sur ses jambes, et, se sentant pris d’une grande soif, il voulut aller boire à une fontaine. Mais, quand il commença à se mouvoir, les pierres se heurtèrent dans son ventre les unes contre les autres, en faisant du bruit. Alors il s’écria :

« Qu’est-ce qui fait ce vacarme-la

Au fin fond de mon estomac ?

J’avais avalé des cabris,

Et je suis plein de cailloux gris ? »

Et quand, arrivé à la fontaine, il voulut se pencher sur l’eau pour boire, les lourdes pierres l’entraînèrent dedans, et il se noya misérablement. Quand les sept cabris virent cela, ils accoururent au galop, en criant tout haut :

-Le loup est mort ! le loup est mort !

Et ils se mirent à danser de joie, avec leur mère, autour de la fontaine.

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NOTES

(1) http://Marcel-aymé.tripod.com/id17-p.1.

(2) http://www.marcelayme.org/biograp,p.4.

(3) Marcel AYME, Les contes bleus du chat perché, Paris, Gallimard, 2002, p. 17.

(4) Id., Ibid., p. 20.

(5) Id., Ibid., p. 23.

(6) Id., Ibid., p. 24.

(7) Id., Ibid., p. 27.

(8) Nicole EVERAERT-DESMEDT, Sémiotique du récit, Bruxelles, DeBoeck Université, 2000, p. 29.

(9) Id., Ibid., p. 30.

(10) Marcel AYME, op. cit., p. 28.

(11) Nicole EVERAERT-DESMEDT, op. cit., p. 37.

(12) Id., Ibid., p. 38.

(13) loc. cit.

(14) http://www.cicvfr/ingenierie.culturelle/laby/DISP/2c.html, Maîtrise du langage, Le rôle des personnages, p. 1.

(15) Nicole EVERAERT-DESMEDT, op. cit., p. 59.

(16) Id., Ibid., p. 63.

(17) Marcel AYME, op. cit., p. 28.

(18) Nicole EVERAERT-DESMEDT, op. cit., p. 80.

(19) Id., Ibid., p. 74.

(20) Id., Ibid., p. 75.

[21] Marie-Louise Von FRANZ, L’interprétation des contes de fées, Paris, Sedes, 1968 :  “Les archétypes sont les virtualités créatrices, les dynamismes structurants du psychisme humain, dont l’ensemble forme ce que Jung a nommé l’Inconscient collectif . Ils n’ont pas de contenu déterminé. On pourrait les comparer au système axial d’un cristal qui préforme en quelque sorte la structure cristalline dans l’eau mère, bien que n’ayant par lui-même aucune existence matérielle (C.G. Jung, Les racines de la conscience). Ce sont des symboles communs à toute l’humanité qui sont à la base des religions, des mythes et des contes de fées. Ils apparaissent dans les rêves et les phantasmes et sont le fondement de la plupart des attitudes humaines face à la vie. p. 11.

[22] Voir Encyclopédie des symboles, Torino, L& pochothèque, 1996., p. 34.

[23] Ibid., p. 35.

(24) Jean de La Fontaine, Fables, Le roman de Renart, Champigny-sur-Marne, Lito, 2000, P. 34.

(25) Bruno BETTELHEIM, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Bussière, 2001, P. 254.

(26) Id., Ibid., « Débarrassés de ces éléments apparemment insignifiants, les contes de fées perdent leur signification profonde et cessent d’intéresser les enfants…. Ces histoires ne soulagent pas l’imagination de la contrainte que fait peser la domination du pouvoir adulte. »  p. 53.

(27) Nous n’avons pas trouvé de références bibliographiques sur les jeux mentionnés dans le conte. Après une enquête réalisée à Genève, nous avons constaté qu’il n’y avait plus personne qui connaisse ces jeux. C‘est dans la région du Jura qui nous avons trouvé des références à leur propos. Ce sont des jeux de filles, habituellement joués à l’école et qui montrent un peu la vie sociale et psychologique des fillettes à ce moment là. Les informations que nous présentons sur les jeux appartiennent à la tradition orale.

(28) Ce qui suit est une excellente analyse de la signification de l’intertextualité : « En 1966-1967, Julia Kristeva forge le terme d’intertextualité pour désigner l’une des deux activités de redistribution opérées par le texte, il est une permutation des textes, une intertextualité : dans l’espace d’un texte, plusieurs énoncés, pris à d’autres, se croisent et se neutralisent (Sèméiôtiké). S’inscrivant dans la mouvance des recherches du groupe Tel Quel, les travaux de Julia Kristeva envisagent le texte comme un idéologème, c’est-à-dire une structure intégrée dans le texte de la société, de la culture, de l’histoire, et capable également de l’intégrer à elle. La mise en évidence de cette interaction rompt aussi bien avec les conceptions traditionnelles de la création comme geste original, et de la transcendance de l’auteur ou de l’œuvre par rapport à leur contexte historique qu’avec une certaine tendance de l’analyse structuraliste à refuser toute extériorité au texte et à le clore sur lui même. Dès son apparition, la notion d’intertextualité connaît un grand succès et donne lieu à de multiples recherches. On peut en distinguer une définition large et une définition restreinte, selon qu’elle est considérée comme la relation d’un texte avec l’ensemble social considéré comme un ensemble textuel (J.Kristeva) ou, de manière plus opératoire, réduite à la présence effective d’un texte dans un autre (G.Genette, Palimpsestes). » in Daniel SANGSUE, Le grand atlas des littératures, l’intertextualité, Encyclopaedia Universalis, 1990,  p. 28.

(29) Les contes de fées, comme « Le Petit Chaperon Rouge », qui entrent dans les schémas de l’intertextualité sont similaires dans différents endroits du monde et se présentent sous différentes versions. Il faut signaler que, dans le cas de ce conte, parmi les diverses versions, deux sont plus connues : celle écrite par Perrault, et celle écrite par les frères Grimm. Après une analyses du conte (voir référence Bettelheim, Bruno, Psychanalyses des contes de fées, p. 254 – 276), nous sommes arrivée à la conclusion que l’interprétation la plus la répandue est celle des frères Grimm, et l’analyse de l’intertextualité sera faite par rapport à cette version du conte.

(30) Le conte « Les sept chevreaux et le loup » n’est pas très connu dans la culture française. En revanche cette histoire est assez commune chez les hispanophones. Curieusement, après une recherche, nous avons découvert que cette histoire fait partie des contes de fées français réunis par les frères Grimm. Pour aider à comprendre l’analyse du conte, nous allons inclure une version du conte dans les annexes du présent mémoire.

(31) Pour une explication approfondie de ce point, voir B. Bettelheim, op. cit., Chap. « Le conte de fées comparé à la fable» pp. 47 – 56 ainsi que M. Von Franz, op. cit., Chap. II « Contes de fées, mythes et légendes » pp. 37 – 52.

(32) Marcel AYME, op. cit., p. 12.

(33) SANGSUE, op. cit., p. 29.

(34) Les similitudes que nous avons trouvées, en ce qui concerne les mythes, ont plutôt à voir avec les contes de fées analysés dans le point précèdent. Quoi qu’il en soit, il est possible de trouver des références plus concrètes sur ce point dans « L’encyclopédie des symboles », pp. 374-376.

(35) Pour renforcer cette idée, nous notons que, dans la langue française, une façon de dire qu’une fille a eu sa première expérience sexuelle est : «elle a vu le loup ».

((36) Von FRANZ, op. cit., p. 40.

(37) Id., Ibid., p. 35.

(38) Cette notion a été déjà étudiée dans le chapitre consacré à l’intertextualité.

(39) Marcel AYME, op. cit., p. 9.

(40) Ibid., p. 28

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BIBLIOGRAPHIE

 

Texte de référence :

 

AYME, Marcel, Les contes bleus du chat perché, Paris, Gallimard, 2002.

Ouvrages critiques :

ADAM, Jean Michel, Le récit, (Chap. La sémiotique narrative), Paris, PUF, 1984.

 

BETTELHEIM, Bruno, Psychanalyse des contes de fées, Paris, Bussière, 2001.

EVERAERT-DESMEDT, Nicole, Sémiotique du récit, Bruxelles, DeBoeck Université, 2000.

JONES, Robert Emmet, Panorama de la nouvelle critique en France, Paris, Sedes, 1968. (Chap. III )

FRAANZ (von), Marie-Louise, L’interprétation des contes de fées, Paris, Albin Michel, 1995.

 

Sites internet :

 

http:// marcel-ayme.tripod/id18. Biographie de Marcel Aymé.

 

Http://web.univ-perp.fr/see/rch/lts/marty/s090.htm, L’interprétation sémiotique du schéma actantiel

Http://www.cicv.fr/ingenierie-culturelle/laby/DISP/2d.html, Maîtrise du langage: C. Brémond et la structure narrative.

Http://www.cicv.fr/ingenierie-culturelle/laby/DISP/2d.html, Maîtrise du langage: Vladimir Propp et les contes

http://www.marcelayme.org/biographie. Biographie de Marcel Aymé

***

Université de Genève, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté par Mme Fatima PONCE pour l’obtention du Diplôme d’Etudes Françaises

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

Le chat comme représentation de la femme

 (Comparaison entre trois œuvres de la littérature française)

Introduction

Les animaux et leurs comportements ont toujours été objet de l’attention de l’homme. Pour pouvoir se nourrir, assurer sa subsistance, pour une bonne convivialité avec eux, l’homme a dû les observer. Il a fait alors des associations, et autour de chaque animal un imaginaire a été créé dans chaque culture, à des époques déterminées. Des symboles ont surgi : quelques-uns très caractéristiques d’un peuple, et d’autres plutôt universels et résistant au temps.

L’art a toujours représenté les animaux. Avec le temps, ces représentations ont acquis des nuances : Esope, fabuliste grec, parlant par paraboles, a utilisé l’image des animaux pour dénoncer les faiblesses humaines.

Depuis Esope, les animaux doivent se prêter, sur le mode de la parabole, à la dénonciation des faiblesse humaines. Non seulement dans les fables et les contes : dans l’art aussi, la tradition des animaux anthropomorphes (=à la ressemblance de l’homme) est longue. Ainsi, Grandville a-t-il fait la caricature de qualités humaines sous le masque d’animaux. [1]

Les animaux de compagnie, comme le chien et le chat, ont une particularité par rapport aux autres : ils font partie de l’intimité de la maison et deviennent des êtres auxquels les humains peuvent très facilement s’attacher, voire s’identifier.

Compagnons les plus assidus des humains, les chats et les chiens ont accédé à notre mémoire culturelle : dessinés, ou décrits, chantés ou devenus eux-mêmes

narrateurs ; représentants symboliques, substituts humains, amis animaux, ils sont notre visage au miroir, la fourrure en plus. [2]

Objectif du travail

C’est justement l’un de ces animaux qui sera le sujet de ce travail : le chat.

L’objectif est de faire une brève analyse sur le chat (ou la chatte) représentant la femme dans quelques œuvres de la littérature française.

Trois œuvres ont été choisies : la fable « La chatte métamorphosée en femme », de Jean de La Fontaine, le poème « Le chat », de Baudelaire et le roman « La chatte », de Colette. Dans les trois textes, il existe un rapport entre chat et femme.

La première partie de ce travail considère l’histoire du chat et son symbole, la deuxième présente les œuvres citées ci-dessus et la dernière propose une analyse comparative de ces trois textes concernant l’association chat et femme.

I) Le chat, un symbole qui remonte à l’antiquité

1.1- Histoire du chat
Dans l’Ancienne Egypte

Le chat domestique est issu du  » Chat Ganté  » (Félis Lybica), ou chat sauvage d’Afrique. Ce dernier serait venu au contact des hommes pour rechercher de la nourriture et de la chaleur. Entre le 30ème et le 20ème siècle avant Jésus-Christ, les Egyptiens apprivoisent cet animal qui devient membre intégrant des familles. Le chat devient le protecteur des récoltes du blé. Il servait a éliminer les souris et les rats (responsables de la propagation de la peste).

Cet animal se fait aimer, fait partie du foyer et est bientôt considéré comme sacré. Les Egyptiens lui donnent le nom de Miw. Quand un chat de la maison mourait, ses maîtres prenaient le deuil ; on l’embaumait, puis on le momifiait et on l’emmenait à la Nécropole des chats. Le chat est désormais protégé par des lois sévères: tuer un chat était un crime puni par la mort, l’injurier était un fait grave. Il était aussi illégal de sortir un chat d’Egypte.

Les Egyptiens voyaient en lui une incarnation de la déesse Bastet. Cette déesse, à la fois solaire et lunaire, régnait sur la fertilité, la guérison et les plaisirs de la vie : la tranquillité, la musique, la danse, la solidarité, la maternité et l’amour.

Propagation du chat

Les marins Egyptiens (1600 avant J.-C.) emportaient des chats sur leurs bateaux pou porter chance et aussi pour tuer les souris et les rats qui étaient à bord, protégeant ainsi les réserves de marchandises. Ils donnaient quelques chatons lors des étapes commerciales en Orient et en Asie.

Le chat a été introduit en Europe par des marins phéniciens (1600 avant J.-C.), par les Romains (30 ans avant J.-C. l’Egypte est devenue une province de l’empire Romain) et les migrants.

Le chat au Moyen-Age

Au Moyen-Age (de 476 à 1453), l’église catholique étant contre le paganisme associé à l’image du chat, elle le considère comme un animal maléfique. Pendant près de cinq siècles, des chats seront exterminés. Lors des exterminations massives de chats, la peste s’est facilement répandue à cause de la prolifération des rats.

Si une femme avait un chat, elle pouvait être accusée de sorcellerie, ensuite brûlée vive avec son animal. Des centaines de femmes ont été accusées, des milliers de chats ont été brûlés.

Au XIIe siècle, on le rencontre dans les farces et les fables ; par exemple dans le « Roman de Renart » où figure le chat Tibert, incarnant la fourberie, la cruauté et la ruse à l’égal de Renart. Les histoires de sorcellerie foisonnent également de chats.

Actuellement

Durant les années 1790, la chasse aux sorcières a été abolie. On a pu prendre à nouveau conscience des profits liés au chat et l’aimer comme compagnon domestique. Sa popularité grandit alors avec le passage du temps.

Le chat et les arts 

Le chat a inspiré des artistes dans tous les domaines, à toutes les époques : peintres – Edouard Manet, Félix Valloton , George Stubbs, Pierre Auguste Renoir , Amédée Daille ; écrivains – Perrault, Colette, Champfleury, Mérimée, Rostand, Vian, Jean Cocteau, Steinlem, Victor Hugo, Gautier, Balthus, Leonor Fini et Baudelaire ; sculpteurs ; musiciens.

1.2- Le chat, sa valeur symbolique et le féminin

Voici des extraits du « Dictionnaire de symboles »[1] :

« Le symbolisme du chat est très hétérogène, oscillant entre les tendances bénéfiques et maléfiques ; ce qui peut s’expliquer simplement par l’attitude à la fois douce et sournoise de l’animal. C’est, au Japon, un animal (…) capable de tuer les femmes et d’en revêtir la forme.

L’Egypte ancienne vénérait, sous les traits du Chat divin, la déesse Bastet, comme une bienfaitrice et une protectrice de l’homme. »

L’image du chat est associée à la fois à des éléments positifs et à des éléments négatifs. Il peut représenter les maléfices, la sorcellerie, un être peu fiable, ainsi que la sensualité ou l’affectivité.

Le chat est aussi associé à l’image de la femme. Dès l’ancienne Egypte, on peut vérifier ce fait.

Dans la mythologie scandinave, le chat est associé à la déesse de l’Amour, Freyja, souvent représentée conduisant un char tiré par des chats.

Je transcris un fragment d’un travail trouvé sur Internet, sur le site http://nath.sortilege.org/chat3.html (je n’ai pas trouvé le nom de l’auteur), c’est moi qui souligne :

« Ce qu’il y a de remarquable, avec les super-héros félins, c’est que ce sont presque toujours des super-héroïnes. De la même façon, ce sont des femmes-chats que l’on trouve sur l’Île du docteur Moreau, de Wells. Cette association symbolique entre la femme et le chat n’est pas un simple hasard. Les premières déités félines, Bastet et Freyja, n’étaient-elles pas des déesses ? Et des déesses typiquement féminines, symbolisant l’une la fécondité et la fertilité, et l’autre la volupté et la luxure ? L’ argot ne nomme-t-il pas « chatte » ou « minou » le sexe féminin ?

Le chat, substitut affectif et équivalent sensuel de la femme, compagnon privilégié des solitaires…

Mais le lien symbolique entre la femme et le chat ne se limite pas à la sensualité ou au rapport affectif. Pour le comprendre, il faut se rappeler que les chats ont pénétré les foyers humains après la grande révolution du néolithique et le passage aux civilisations agraires. Qui dit grains, dit rongeurs, et qui dit rongeurs, dit chats. Ce rôle « social » du chat est confirmé par la plupart des mythes d’origine le concernant. Pour les musulmans, par exemple, le chat est né de l’éternuement des lions, alors que l’arche de Noé commençait à être infestée par les souris et les rats, qui se reproduisaient beaucoup trop vite. Au Viêt-nam, on dit que le premier chat fut un cadeau du Ciel, pour combattre les rongeurs qui détruisaient les grains. Dès lors, le chat endosse le rôle d’une déité de la terre et des récoltes, de l’opulence et de la fertilité – autant de fonctions que la plupart des cultures associent à la sphère féminine, parce que c’est la femme qui donne vie et qui allaite. »

Dans « Chiens et chats littéraires »[2] (déjà cité), on vérifie que l’auteur est également d’accord sur l’association entre chat et féminité quand il compare chien et chat :

« Dès le moyen âge, en effet, le chien relève d’un registre positif et masculin qui associe entre autres, la terre. Le soleil, la pluie, le jour, la vie, l’or et l’argent, tandis que le chat règne sur le domaine plus équivoque et féminin de l’eau, de la lune, de la grêle, de la nuit, de la mort, du cuivre et du plomb. »

Dans le travail déjà cité trouvé sur Internet [3], on remarque aussi une observation très intéressante de l’auteur, quand il dit que le double sens du chat est en rapport direct avec les caractéristiques féminines, dans la mesure où la femme est aussi un être qui peut symboliser les extrêmes, des caractéristiques opposées qui peuvent être comparées à celles de la personnalité du chat :

« Nous avons constaté jusque-là que le chat était associé à la magie, au symbolisme du feu et au symbolisme féminin. Or, ces trois éléments ont en commun d’être extrêmement ambigus : la magie peut être blanche ou noire, bénéfique ou maléfique ; le feu est le fondement de l’humanité, mais reste néanmoins dangereux et destructeur ; la femme enfin, qui donne naissance, nourrit, accueille, est regardée avec une certaine méfiance (voire plus) à partir du moment où les sociétés accumulent des biens et où les hommes veulent être assurés du lignage de leurs héritiers. Cette bivalence va bien évidemment se retrouver dans le symbolisme du chat – au point que Buffon, dans son « Histoire naturelle», lors d’une crise d’anthropomorphisme particulièrement gratinée, l’accusera d’avoir « une malice innée, un caractère faux, un naturel pervers »…

Mais il est aisé de voir que le symbolisme du chat est ambigu dès l’origine, c’est-à-dire même dans les mythes les plus anciens, où il est globalement valorisé. Ainsi, en Egypte, Bastet symbolise les aspects bienveillants de la puissance de Râ – mais elle est aussi la soeur de Sekhmet, la déesse-lionne de la mort et de la destruction, dont certaines légendes rapportent qu’elle fut créée par Râ dans le but de punir l’humanité de ses péchés. »

II) Présentation des auteurs et des œuvres

 

Les trois textes analysés sont : la fable « La chatte métamorphosée en femme », de Jean de La Fontaine, le poème « Le Chat », de Baudelaire et le roman « La chatte », de Colette.

  • La Fontaine (1621-1695) – XVIIème siècle

Avec La Fontaine, les fables connaissent leur expression la plus parfaite. Ses fables réussissent à présenter plusieurs caractéristiques à la fois :

la dramatisation (les plus développées ont même exposition, nœud et dénouement)

– Il peint les caractères des bêtes et des gens : le fourbe – le renard, l’avare – la fourmi, les grandes puissances (la monarchie) – le lion, le tigre. Il peint aussi les mœurs de son époque, comme on peut le voir, par exemple, dans la fable « Les obsèques de la lionne », où il parle des habitudes des courtisans envers le roi. La comédie prend ainsi l’allure d’une comédie satirique qui n’épargne même pas le roi. [4] De plus, il y a la présence de dialogues très vivants et qui varient selon le caractère du personnage.

Caractère poétique – La Fontaine choisit le détail pour suggérer des analogies entre les caractéristiques des animaux, celles des humains et des choses, avec beaucoup d’expressivité. La versification est souple et variée, et les fables sont mélodiques.

Message moral – Dans les fables il y a la présence de la morale, à la fin. Chez La Fontaine, quelques-uns de ces messages ont même donné leur origine à certains proverbes.

La chatte métamorphosée en femme

Illustration de Gustave Doré

 

« Un homme chérissait éperdument sa Chatte ;
Il la trouvait mignonne, et belle, et délicate,
Qui miaulait d’un ton fort doux.
Il était plus fou que les fous.
Cet Homme donc, par prières, par larmes,
Par sortilèges et par charmes,
Fait tant qu’il obtient du destin
Que sa Chatte en un beau matin
Devient femme, et le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d’amour extrême,
De fou qu’il était d’amitié.
Jamais la Dame la plus belle
Ne charma tant son Favori
Que fait cette épouse nouvelle
Son hypocondre de mari.
Il l’amadoue, elle le flatte ;
Il n’y trouve plus rien de Chatte,
Et poussant l’erreur jusqu’au bout,
La croit femme en tout et partout,
Lorsque quelques Souris qui rongeaient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.
Aussitôt la femme est sur pieds :
Elle manqua son aventure.
Souris de revenir, femme d’être en posture.
Pour cette fois elle accourut à point :
Car ayant changé de figure,
Les souris ne la craignaient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.
Il se moque de tout, certain âge accompli :
Le vase est imbibé, l’étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer.
Quelque chose qu’on puisse faire,
On ne saurait le réformer.
Coups de fourche ni d’étrivières
Ne lui font changer de manières ;
Et, fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n’en serez les maîtres.
Qu’on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres. »

La Fontaine

 

  • Baudelaire (1821-1867) – XIXème siècle

Romantique, parnassien, réaliste…Baudelaire défie les classements vu qu’il occupe une place à part dans son époque et dans la littérature de tous les temps. Il exprime sa souffrance d’une manière très originale et hardie ; il souffre d’une sorte de « mal du siècle » : le « spleen ». Il est aussi considéré comme le père de la poésie moderne.

Les poèmes de ses « Fleurs du mal » ont été jugés immoraux et le livre a été attaqué en justice, ce qui l’a beaucoup affecté, mais qui ne l’a pas empêché d’en publier une seconde édition augmentée.

Revenant aux chats… Baudelaire aimait les chats. Il a écrit quelques poèmes sur cet animal. L’un d’entre eux a marqué l’histoire de la littérature : le sonnet « Les Chats » qui, un siècle après sa parution, a déclenché une vive controverse entre critiques littéraires sur les méthodes interprétatives. [1]

Le chat – Les Fleurs du mal (XXXIII)

Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,

Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.

Charles Baudelaire

 

  • Colette (1873-1954) –  première moitié du XXème siècle,

Colette était très en avance pour son époque (on pourrait même dire pour aujourd’hui). Elle a eu une vie très agitée : mariages, divorces, remariage. Elle a aussi travaillé dans le music-hall. La période entre les deux guerres a été celle du plein épanouissement de son art, celle où l’on trouve ses chefs-d’œuvre.

La romancière tire de l’observation du monde une sorte de sérénité païenne qui lui permet d’interpréter sa vie (Le Fanal bleu, 1949) et celle de ses héroïnes (Chéri, 1920) avec un lyrisme plein d’optimisme. [2] Elle aborde des thèmes comme ses souvenirs d’enfance et des méditations poétiques (La maison de Claudine, La naissance du jour, Sido) et aussi les études des problèmes d’amour, comme la jalousie (La Chatte, Duo) ou les « jeux interdits » (Le Blé en herbe).[3] Dans l’après-guerre, elle été chargée d’honneurs.

Colette aimait beaucoup les chats. Ils apparaissent dans plusieurs de ses œuvres. Au vingtième siècle Colette est l’auteur « félin» par excellence.[4]

Elle a décrit avec réalisme le monde des bêtes ; elle versera, en revanche, dans l’anthropomorphisme en ce qui concerne les chats dénommés One and Only, la Chatte Dernière, Kapok, Mini-Mini… Colette illustre le manque de pudeur du chat (« la Maison de Claudine » : « Elle se roule, chemine sur le dos et le ventre, souille sa robe, et les matous avec elle avancent, reculent comme un seul matou. »).[5]

La Chatte (1933)

Le roman décrit la relation entre Alain, fils de grand bourgeois qui vit avec sa mère, et la chatte Saha, dans une maison avec jardin, à Neuilly, et sa jeune femme Camille. L’inclination d’Alain pour Saha éveille la jalousie de son épouse, qui voit la chatte comme une rivale. Peu à peu, à travers Saha, Alain se rend compte des fautes de sa relation avec Camille. Camille pousse la chatte du balcon, mais Saha s’en sort bien. C’est la fin de leur mariage qui, d’ailleurs, n’allait pas bien et n’a duré que trois mois. Il rentre chez sa mère avec Saha.

III) Chat et femme : analyse comparative des trois textes

On a déjà parlé de ce que le chat peut représenter, de ses diverses symboles contradictoires et de son association à l’image de la femme. Maintenant, on illustrera tout ce qui a été présenté jusqu’ici par les textes que nous avons choisi de comparer.

Dans la fable de La Fontaine « La chatte métamorphosée en femme » le maître de la chatte utilise la magie pour la faire se transformer en une femme. Il y réussit et devient follement amoureux d’elle. Une nuit, elle ne résiste pas à la tentation : elle profite de ce que les souris ne la reconnaissent plus et, se mettant en posture de chasse, elle les cherche. La source de cette fable, c’est « La Chatte et Aphrodite », d’Esope. Un jeune homme, tombé amoureux d’une chatte, prie Vénus de la transformer en femme. La déesse y consent mais met la fille à l’épreuve en faisant apparaître une souris dans la chambre.

La morale de cette fable est qu’il ne sert à rien d’essayer de changer la personnalité de quelqu’un, parce que, à la première occasion, les traces de sa vraie personnalité apparaîtront.

Dans le poème de Baudelaire, « Le Chat », il pense à son aimée en caressant le chat. Il fait des comparaisons entre elle et l’animal.

Dans les deux textes, le chat éveille le sentiment amoureux et la sensualité, qui sont des caractéristiques également liées à la femme. L’homme de la fable trouvait sa chatte « mignonne », « belle » et « délicate », « qui miaulait d’un ton fort doux ». Elle était une chatte, mais éveillait en lui le sentiment d’amour, la folie : il fallait la transformer en femme pour réaliser cet amour. Dans le texte de Baudelaire, le narrateur n’arrive pas jusque là, mais pense profondément à la femme aimée en caressant avec plaisir le corps « électrique » du chat. Il compare les deux êtres, cet « air subtil » : la perspicacité, la finesse, l’ingéniosité communs aux chats et aux femmes qui sont un mystère pour les hommes, ainsi que ce regard « profond et froid, coupe et fend comme un dard » : la secrète maîtrise de soi, caractéristique de ces deux êtres.

Dans le roman de Colette, « La Chatte », c’est une femme qui écrit, contrairement aux deux textes antérieurs, écrits par des hommes. C’est la vision d’une femme par rapport à cet animal. C’est là que l’on trouve l’aspect intéressant : l’association de la chatte avec la féminité est aussi présente, fortement visible, d’ailleurs. La chatte, d’être désirée, devient la rivale de la femme – ce qui les met sur un pied d’égalité.

Alain aime sa chatte, elle fait partie de sa maison, de son « royaume », si difficile à quitter. Il est confronté à la peur de la femme et à la vie adulte. Il découvre peu à peu, à travers la chatte, que sa relation avec Camille, sa jeune épouse, était pleine de lacunes. De plus, il n’était pas préparé à cette relation. Camille s’aperçoit de sa tendresse envers la chatte, de l’attention que le mari donne à l’animal, de la relation entre les deux, et devient jalouse. Elle essaie de tuer sa rivale : c’est la goutte qui fait déborder le vase, de sorte qu’Alain la quitte.

Tout au long du roman, la chatte est décrite avec des caractéristiques féminines. Par ailleurs, la relation d’Alain avec la chatte est figurée avec des mots qui évoquent la relation entre homme et femme :

« Ah ! Saha, nos nuits… » (p.818)

« Notre chambre, lui disait Alain dans l’oreille. Notre jardin, notre maison… » (p.863)

Il regarda sur sa paume deux petites perles de sang, avec l’émoi d’un homme que sa femelle a mordu en plein plaisir. (p.822)

Et comme une femme, qui sait comment attendrir son homme après la colère, la chatte connaît aussi la façon de toucher le cœur de son maître après l’avoir mordu :

Elle baissa le front, flaire le sang, et interrogea craintivement le visage de son ami. Elle savait comment l’égayer et l’attendrir… (p.822)

Alain peut même faire le chemin inverse, car au lieu de comparer la chatte à la femme, son amour pour l’animal lui fait penser le contraire : il voit dans sa femme des traits de la chatte. Et ainsi l’image de femme et celle de la chatte sont confondues.

Elle [Camille] gisait contre lui, bras et jambes pliés, les mains à demi fermées et féline pour la première fois. (p.831)

Machinalement, il esquissa, sur Camille, une caresse « pour Saha », les ongles promenés délicatement le long du ventre… Elle cria de saisissement et raidit ses bras, dont un gifla Alain qui faillit lui rendre coup pour coup.(p.831)

Avant de quitter Camille, il avait installé Saha sur la terrasse la plus fraîche du Quart-de-Brie, vaguement inquiet chaque fois qu’il laissait ensemble, seules, ses deux femelles.(p.851)

L’infidèle [Alain] retardait son sommeil jusqu’à l’apparition de Saha. Elle venait à lui sur le rebord de la fenêtre. (p.863)

Voici quelques extraits très significatifs de la rivalité entre la femme et la chatte :

Avoue que tu vas voir ma rivale ! (p.832)

Un soir, après le dîner, Saha chevaucha le genou de son ami.                                                       « Et moi ? dit Camille.                                                                                                                       -J’ai deux genoux », repartit Alain.                                                                                        D’ailleurs, la chatte n’osa pas longtemps de son privilège. Avertie, mystérieusement elle regagna la tabla d’ébène poli… (p.841)                                                                                                                                  

Un soir de juillet qu’elles attendaient toutes deux le retour d’Alain, Camille et la chatte se reposèrent au même parapet, la chatte couchée sur ses coudes, Camille appuyée sur ses bras croisés. (p.864)

-Même une femme, continua Camille en s’échauffant, même une femme tu ne l’aimerais pas sans doute autant.                                                                                   -C’est juste, dit Alain. (p.875)

-Toi ,c’est autre chose, tu aimes Saha…                                                                          -Je ne te l’ai jamais caché, mais je ne t’ai pas menti quand je t’ai dit : Saha n’est pas ta rivale… (p.876)

 Conclusion

Femme et femelle, féminité et félinité se confondent…

La littérature avec ses jeux de mots, sa possibilité de double interprétation, ses comparaisons et métaphores, permet l’exploration de l’association symbolique entre femme et chat.

Dans les arts – et même dans le sacré de certaines cultures – chat et femme sont perçus comme ayant des traits communs. La déesse Bastet, vénérée dans l’Ancienne Égypte, symbolise la plénitude ainsi que la fécondité. Dans la mythologie scandinave, le chat est associé à la déesse de l’Amour, Freyja, souvent représentée conduisant un char tiré par des chats.

Même la notion de dualité est commune à la femme et au chat : considérés comme adorables ou redoutables, comme des anges ou comme la tentation et la magie, comme l’image de la douceur ou de l’agressivité, comme la fragilité ou la force sauvage. La femme et le chat ont toujours été un mystère lié à l’inconnu et à la sensualité dans l’imaginaire des hommes.

***

Notes

[1] Id. note 1, page 12.

[2] LECHERBONNIER, Bernard et alii. Histoire de la littérature française .Paris :Nathan, 1984.

[3] Id. note 6.

[4] Id. note 1, page 12.

[5] L’encyclopédie Aniwa, Internet, http://www.aniwa.com/renvoie.asp?type=1&lang=1&cid=8783&id=100603&animal=2&com=1

[1] CHEVALIER, Jean. Dictionnaire des symboles. Paris : Robert Lafont, 1982.

[2] Id. note 1, p.43.

[3] http://nath.sortilege.org/chat3.html

[4] BRUNEL, Pierre & HUISMAN, Denis. La littérature française des origines à nos jours. Paris : Vuibert, 2001.

[1] Archives littéraires suisses . Chiens et chats littéraires. Editions Zoé, Carouge-Genève et Office fédéral de la culture, Berne, 2001. p. 293.

[2] Id. note 1, p.7.

***

Table des matières

Introduction
I) Le chat, un symbole qui remonte à l’Antiquité
1.1- L’histoire du chat
  • Dans l’Ancienne Egypte
  • Propagation du chat
  • Le chat au Moyen-Age
  • Actuellement

Le chat et les arts

1.2- Valeur symbolique et le féminin
II) Présentation des auteurs et des œuvres
  • La Fontaine
  • Baudelaire
  • Colette
III) Chat et femme : analyse comparative des trois textes
Conclusion

Bibliographie

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Texte présenté par Mme Giselle CASTELO

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

Mars 2004