Analyse de la nouvelle « Le Mur » de Jehanne Jean-Charles

L’ouvrage : Recueil de nouvelles de Jehanne JEAN-CHARLES
« La nuit de l’engoulevent», Paris, Flammarion,1985.
La nouvelle : « Le Mur ».

L’histoire :

La scène se passe dans un milieu bourgeois, privilégié, dans une propriété entourée par un mur qui protège la famille du monde extérieur et qui suscite la curiosité de l’enfant.
Ce mur le fait rêver, lui fait inventer un monde imaginaire auquel il n’a pas accès. En effet, les adultes (notamment sa mère) lui interdisent de monter sur ce mur et le gardent dans le cocon représenté par la propriété. Mais l’enfant, rusé, parviendra à monter sur le mur. Et c’est un autre univers qu’il va découvrir…

Les personnages :

* Archibald, le petit garçon.
* La mère : Geneviève de Bérilay
* La gouvernante : Berthe.
* Le jardinier: Mathurin.
* M. Garcin : le précepteur , amoureux de la mère d’Archibald.
* Deux jeune-filles.

PREMIERE PARTIE

I. Découpage du texte en séquences :

Séquence 1 ou séquence initiale :

Du début (page 35) : « Archibald ! Revenez ! » à la page 37 : « Il aurait conquis le mur ».

Séquence 2 :

Page 37 :  de « Tout le monde était au courant de son idée fixe » jusqu’à la page 39 : « Mme Bérilay découvrirait que son petit garçon était devenu un homme. »

Séquence 3 :

Page 37 : de « Et, un jour pareil aux autres, Archibald … » jusqu’à la page 41 : « Il fallait maintenant faire partager aux autres cette découverte incroyable d’un monde que lui, Archibald, allait leur offrir. »

Séquence 4 :

Page 41 :  de « Les jambes un peu molles, il se retourna » jusqu’à la fin du texte : « Lis : L’invincible. »

Nous considérons qu’il y a deux sous-séquences dans cette dernière séquence; la première allant du début de la séquence 4 jusqu’à l’avant dernier paragraphe qui se termine par « le long du mur éboulé » et la seconde étant le dernier paragraphe du texte, allant de « Tiens, dit la fille… » au dernier mot du texte : « L’ in.vin.ci.ble. »

II. Distinction entre la séquence initiale et la séquence finale.

A) Situation initiale :

• Sujet d’état : Archibald.
• Objet de valeur : transgresser l’interdit.
• Sujet opérateur de la transformation : le besoin de triompher d’un rival (M.Garcin) Archibald est en disjonction avec l’objet de valeur.

1) Code spatial (ou topographique) :

• le mur ;
• la grande pelouse ;
• l’ombre des tulipiers ;
• la propriété.

2) Code temporel : éléments qui indiquent l’époque.

• Les prénoms désuets : Archibald, Berthe, Mathurin.
• le bonnet à rubans de la bonne ;
• l’antichambre;
• l’ombrelle.
• certaines expressions : « vilain enfant » ou « Que me contes-tu là, méchant chéri » .

3) Code sensoriel, kinesthésique :

la Vue :

  • rubans blancs, bleus ;
  • Joues rouges ;
  • boîte dorée ;
  • Joues roses.

Ces couleurs dépeignent un univers doux, coloré, agréable, gai. C’est un univers euphorique.

l’Odorat : doux parfum de violette.

4) Code actoriel :

Archibald : petit désobéissant, vilain méchant, méchant chéri, il était trop petit, câlin.

Mère :
• Caractéristiques physiques : doux parfum de violette, longs cils soyeux, cou mince, haut col de dentelle, ravissante maman.
• Comportement : Elle grondait sans conviction. Elle souriait malgré sa voix grondeuse, le giron maternel, l’ombrelle maternelle.

B) Situation finale :

• Sujet d’état : Archibald.
• Objet de valeur: présenter aux siens une image admirable.
• Sujet opérateur de la transformation : la prise de conscience de l’écroulement de son monde : « le parc n’était plus qu’un amas de ronces enchevêtrées. »

A la fin, Archibald est en disjonction avec l’objet de valeur. II n’a rien su prouver, tout a disparu, d’un point de vue physique et symbolique.

1) Code spatial (ou topographique)

• un amas de ronces enchevêtrées ;
• les pierres écroulées, l’emplacement du manoir;
• les arbres abattus;
• rume.
• la ruelle ; le mur éboulé ;
• un building ;
• terrain plein, de ronces, tas de pierres.

Cet univers est radicalement opposé à celui de la situation initiale, il est complètement dysphorique.

2) Code temporel : éléments indiquant l’époque.

Epoque moderne :

• Expression : « c’est marrant »,« ville de merde »;
• building ;
• autrefois ;
• gosse de riches ;
• brodé à la main.

De plus, l’emploi du pronom « on» marque l’époque contemporaine, l’anonymat, les lieux impersonnels.
Cela s’oppose à la personnalisation des lieux et des objets de l’époque ancienne. La propriété familiale est devenue un terrain vague et les vêtements de l’enfant étaient brodés à la main.

3) Code sensoriel :

Il y a très peu d’éléments relatifs aux sens, si ce n’est l’allusion au ciel gris. C’est un univers dysphorique.

4) Code actoriel :

Archibald:
• Caractéristiques physiques :
les jambes un peu molles, le chef coiffé d’un béret, l’impuissance le paralysait, le costume marin qui devenait chiffon, loque informe, tas poussiéreux.

• Comportement :
Ses bras retombèrent, son cœur amorça une descente mortelle vers des abîmes inconnus, un amalgame confus de souvenirs, l’impuissance le paralysait.

Tout est connoté de façon négative, tout est en décrépitude, tout n’est que ruine et désolation.

C) Séquence 2 :

• Sujet d’état : Archibald.
• Objet de valeur : son idée fixe : monter sur le mur.
• Sujet opérateur de la transformation : la cour faite par M. Garcin à sa mère.

Archibald est en disjonction avec l’objet de valeur.

1) Code spatial (ou topographique) :

• le rempart provocant ;
• la chambre;
• les promenades;
• goûter sous les parasols ou sous la tonnelle ;
• le boudoir maternel.

Cet univers est semblable à celui de la situation initiale. L’enfant, malgré son désir de voir ailleurs, est toujours dans son univers protégé par les siens.

2) Code temporel :

• la vie quotidienne ;
• les lendemains immuables;
• la prière du soir.

3) Code actoriel :

• Archibald :

loyal petit page, garçon de neuf ans, obstiné, bouleversé, muet de stupeur.
Autour de son rêve : bien décidé à réaliser son projet, espoir de conquête, désir de vaincre le mur, besoin de triompher de son rival.

• Mme de Bérilay :

Caractéristiques : douce maman, regards veloutés, petite main fuselée.

Comportement : se mettait vraiment en colère, sur le point de céder, sereine, pleine de charme et de tendre autorité.

• M.Garcin :

Professeur de latin et de piano.

Comportement : indulgent envers Archibald, tenait entre ses mains la petite main fuselée de Mme de Bérilay.

Cette séquence décrit le quotidien de la vie d’Archibald au sein de sa famille.
La régularité, voire la monotonie, ne fait que conforter Archibald dans son dessein de « vaincre le mur». En effet, il est de plus en plus désireux de désobéir. Ce désir traduit son besoin de briser avec la monotonie de sa vie d’enfant protégé et, par conséquent, de prouver à sa mère qu’il n’est plus un petit garçon.

Dans son univers, où les figures essentielles sont des femmes (sa mère et sa bonne), la seule figure masculine est celle de M. Garcin.

C’est l’incursion de ce dernier dans la sphère privée de sa mère, « dans le boudoir maternel » qui déclenche la décision de réaliser son projet. Il veut s’élever au rang de son « rival », c’est-à-dire devenir un homme aux yeux de sa mère.
M.Garcin est le sujet opérateur de la transformation.

D) Séquence 3 : La transgression

C’est le passage du texte où l’enfant va désobéir et parvenir à grimper sur le mur.
• Sujet d’état : Archibald.
• Objet de valeur : son idée fixe : regarder de l’autre côté du mur.
• Sujet opérateur de la transformation : l’échelle.

1) Code spatial (ou topographique)

• la remise;
• le mur;
• sous les marronniers roses;
• là-haut, au sommet de sa victoire ;
• maisons terriblement hautes ;
• cheminées énormes ;
• les façades .

2) Code temporel :

• un jour pareil aux autres;

3) Code sensoriel :

• bruits effrayants ;
• bruits ahurissants ;
• fumée noire ;
• lumières fabuleuses ;
• femmes aux cheveux défaits ;
• hommes qu’on aurait pu prendre pour des femmes.

Commentaires :

La découverte du monde de l’autre côté du mur est incompréhensible pour Archibald.
Il est à la fois fasciné et effrayé .Tout ce qu’il voit ne correspond en rien à ses repères, il ressent un sentiment d’étrangeté. Ce monde bruyant, les fumées, les gens pressés, tout s’oppose à ce qu’il a toujours vécu. Il a sous les yeux, pour la première fois, une autre réalité, une autre classe sociale : la classe ouvrière, à laquelle il est complètement étranger.

Axe paradigmatique du t

Si   ———————————->   T         ——————————–> Sf

Sujet d’état :                                        le mur                                         Sujet d’état :

Archibald                                                                                                         Archibald

Objet de valeur :                                                                             Objet de valeur :

transgresser l’interdit                                                            montrer sa victoire.

pour devenir un homme.

Espace englobé : la propriété familiale,l’enfance heureuse, le monde intra-muros.

Aspect social : classe dominante : l’aristocratie et l’étiquette (vocabulaire châtié). La propriété est le lieu de réunions sociales : on boit le thé, on prend des goûters, on joue au cricket. C’est calme.

 

 

 

Domination du culturel : univers normé, conventionnel où les règles doivent être respectées.

Tout est ordonné, calme, propre : le jardin est bien entretenu.

Espace englobant : le monde extra-muros, celui qu’il ne connaît pas.

Aspect social : classe ouvrière.

Les ouvriers ne portent pas de chapeau, ils portent des vêtements de travail qu’Archibald n’a jamais vus, ils sont sales et les hommes ont les cheveux longs.

Il y a beaucoup de bruit et d’agitation.

 

Domination du naturel : la loi de la nature reprend le dessus : il n’y a plus que ruines et ronces.

***

Quelques idées à la lumière du religieux :

A la page 38, on trouve dans le texte des expressions empreintes de culture religieuse : mon petit ange, la prière du soir ; page 39 : ce crime blasphématoire ; puis, page 40 : Archibald sentait que les dieux étaient avec lui.

Archibald évolue dans un univers où la religion est importante, elle est présente dans le vocabulaire employé, elle rythme la vie quotidienne. Tout ce qui est transgressé est « blasphématoire ». Le mur représente la limite entre le monde régi par la loi et le monde des interdits, entre le connu et l’inconnu, entre le monde ordonné et le chaos.

Commettre un péché, c’est transgresser la loi divine et se mettre en faute. C’est là qu’intervient la punition divine qui est ici représentée par la disparition de son monde. La vision qui s’offre à Archibald n’est qu’un vestige de son paradis perdu.
« Le parc n’est plus qu’un amas de ronces enchevêtrées. Des pierres écroulées marquaient l’emplacement du manoir », tout était ruine et désolation.

Quelques idées à la lumière du psychanalytique :

Le schéma que l’on retrouve dans le texte est celui de la relation mère-fils. La figure du père est absente, mais elle pourrait apparaître sous les traits de M. Garcin, le précepteur. C’est ce pressentiment qui met Archibald en danger dans son désir par rapport à sa mère. M. Garcin devient le rival.
De ce fait, l’escalade du mur lui permettrait d’accéder au statut d’homme qu’il recherche inconsciemment. Page 39 : « Mme de Bérilay découvrirait enfin que son petit garçon était devenu un homme ».
De ce fait, l’escalade du mur représente le désir de transgression de l’interdit oedipien.

Quelques idées sur l’aspect social :

Le monde intra-muros (l’espace englobé) représente un monde privilégié (la classe aristocratique), hiérarchisé, régi par des normes strictes.
Chaque personne a un rôle bien déterminé : la bonne Berthe, le jardinier Mathurin, le précepteur M. Garcin et la mère, figure centrale dans la vie d’ Archibald.
C’est un monde protégé du monde extérieur, qui se suffit à lui-même. Le mur représente cette barrière protectrice qui est sensée protéger l’enfant de toute influence néfaste.

Toute incursion du monde extérieur dans l’univers de l’enfant pourrait rompre l’équilibre fondé sur la régularité, représentée par les habitudes : « Les lendemains immuables », « Un jour pareil aux autres ».
Archibald rêve d’escalader le mur car c’est la seule perspective de fantaisie dan son monde régi par les adultes. La découverte de l’autre côté du mur offre à Archibald une vision, pour lui irréelle, effrayante d’un monde qui n’a rien de commun avec le sien.
Tout est différent : c’est un monde bruyant, gris, sale, rapide. Aussi bien les personnages que l’environnement sont en complète disjonction avec sa connaissance du monde.
Ce qu’il découvre de l’autre côté du mur « bruits effrayants, fumée noire, etc. », est une vision trop incroyable pour être réelle.

DEUXIEME PARTIE

I. Le niveau narratif

Le niveau narratif fait référence aux six fonctions narratives introduites par Greimas.

Le schéma actantiel de Greimas :

DESTINATEUR ————–> OBJET — ——— > DESTINATAIRE
Complexe d’Oedipe  —>    Escalade du mur   ———->  Archibald

ADJUVANT    —————>   SUJET     —————>  OPPOSANT
l’échelle    ————            Archibald   —>la loi, les règles des adultes.

L’axe « Destinateur—> 0bjet—> Destinataire» correspond à l’axe du savoir ou de la communication. Ici, celle-ci est réalisée puisqu’il escalade le mur et qu’il transgresse l’interdit.

L’axe « Sujet—> Objet » est l’axe du vouloir. Le projet d’ Archibald est motivé par son inconscient qui le pousse à agir et à se surpasser. La seule possibilité est d’escalader le mur.

L’axe « Adjuvant—> Sujet —> 0pposant » est l’axe du pouvoir : l’échelle permet à Archibald de réaliser son projet d’escalade et c’est grâce à l’oubli du jardinier (il n’a pas fermé la porte de la remise) que l’échelle est accessible.

Les Opposants sont représentés par les adultes qui fixent les règles pour l’application de la loi (la loi englobe à la fois l’aspect religieux, social, psychanalytique). Ils mettent tout en œuvre pour dissuader l’enfant de commettre cette « folie », de passer à l’acte.

II. Le niveau thématique

Nous allons dégager les couples de termes qui constituent la trame du texte. Les couples de traits sémiques :

• enfance vs adulte ;
• univers intra-muros vs univers extra-muros ;
• aristocratie vs classe ouvrière ;
• couleur vs grisaille ;
• propreté vs saleté ;

  • ignorance  vs connaissance
    • monde oisif vs monde du travail ;
    • ordre vs désordre ;
    • culture vs nature.
III. Le « carré sémiotique » :

INNOCENCE                                                                             CONNAISSANCE

Enfant désirant être adulte                      Mort de l’enfant, passage à                                                                                     l’âge adulte par la désillusion

NON-CONNAISSANCE
Non-adulte
incompréhension de ce qu’il voit.

Archibald est un enfant qui a envie de prouver à sa mère qu’il n’en est plus un. Il est, au début de la nouvelle, dans un état d’innocence lié à son statut d’enfant. C’est justement cela qu’il veut dépasser. Pour ce faire, il va transgresser l’interdit en montant sur le mur. C’est du haut du mur qu’il découvre un monde inconnu : il est ainsi dans la non-connaissance.
Sa découverte du nouveau lui donne envie de montrer qu’il a accédé à la connaissance. Mais il se rend compte en se retournant (et en ne voyant que des ruines) que le monde de l’innocence (son enfance) a disparu, et que c’était peut­ être le prix à payer pour grandir…

Interprétation d’un point de vue psychanalytique :

Archibald est un enfant vivant dans un milieu familial dont la figure d’autorité est la mère. On note ici l’absence du père.
La relation fils-mère est très forte. Il idolâtre la figure maternelle (page 37 : regards veloutés de son idole) et voudrait qu’elle le considère comme un homme (page 36 : « …il était trop petit et il enrageait de ne pouvoir prendre par le cou sa ravissante maman … »).
Ce désir inconscient de plaire à sa mère est illustré par la jalousie qui naît lorsqu’il surprend son précepteur, M. Garcin, dans le boudoir maternel. Il voit en lui un rival dont il faut triompher.
Son rêve de grimper sur le mur sera pour lui le moyen de prouver qu’il n’est plus un enfant. Grimper sur le mur représente la transgression de l’interdit oedipien.
En référence à la mythologie grecque, le complexe d’Oedipe traduit le désir inconscient et refoulé du jeune garçon d’être le mari de sa mère (ou de la petite fille d’être la femme de son père) et de tuer le père gênant. Ce désir se traduit par des réflexions du type « Quand je serai grand, je me marierai avec maman ».
Dans le texte, ce désir est exprimé page 39 : « …son désir de vaincre le mur s’accrut encore. Il s’y ajoutait le besoin de triompher d’un rival en se montrant fort et intrépide. »
Archibald doit triompher de cet homme pour pouvoir accéder au fait de grandir. Ce désir marque un moment structurant dans la construction de la personnalité de l’enfant. Freud dit que ce drame est organisateur de la vie psychique.

La symbolique du mur :

Le mur représente l’enfermement, il entoure la propriété et délimite un espace protégé du monde extérieur.
Les seuls repères qu’ Archibald a du monde sont déterminés par le mur. Ce mur symbolise la séparation entre deux mondes.

D’une part, quand il aura accédé au mur, c’est Archibald lui-même qui aura accédé à autre chose, il aura alors perdu son enfance.
Toute transgression, une fois réalisée, implique la perte de l’état « pré­-transformatif », c’est-à-dire ici l’enfance, l’innocence et permet d’atteindre un autre état de connaissance. Ce passage d’un état à l’autre met l’individu dans une situation irréversible ; aucun retour en arrière n’est possible.

Interprétation d’un point de vue social :

La description du monde d’ Archibald – du monde intra-muros – illustre l’enfance heureuse, choyée d’un enfant né dans la classe aristocratique. Ce monde est régi par les règles de bienséance, les règles religieuses et offre très peu de place à l’imaginaire. Celui-ci représente donc le seul moyen pour Archibald de s’enfuir de ce monde monotone et routinier, scandé par les leçons de piano, de latin, les jeux et la prière du soir. On ressent donc une lourdeur« les lendemains immuables », un sentiment d’emprisonnement dans sa famille et dans sa classe sociale. Le mur apparaît comme le seul moyen de fuite pour bouleverser la rigidité et la hiérarchie imposée, pour accéder à l’envie de transgresser les règles qui organisent toutes les activités de la vie quotidienne.

Le mur représente ce moyen mis à disposition qui permettrait à Archibald de surplomber « son monde » et, à la fois, de découvrir de nouveaux horizons qui sont totalement inexistants pour ses proches. Il vit dans un monde routinier, aristocratique, coupé de la réalité extérieure.

La transgression de l’interdit lui fait donc découvrir un monde fascinant de bruits, d’odeurs, d’activités, un désordre tellement différent de tout ce qu’il a pu vivre jusque là que cela lui paraît irréel.
Ce monde bruyant, plein de « fumée noire » illustre le monde ouvrier avec ses personnages dont la tenue vestimentaire ne respecte plus du tout la bienséance. On n’arrive presque pas à discerner les sexes ! (page 41 : leurs cheveux étaient si longs qu’on aurait pu les prendre pour des femmes). Tous les interdits semblent être levés !
On remarque aussi que le vocabulaire châtié du monde intra-muros fait place au parler vulgaire « ville de merde » qui peut à la fois illustrer le changement de classe sociale ou un changement d’époque.
Le mode ouvrier est dépeint comme un monde bruyant, anonyme. L’usage du pronom personnel « on » marque parfaitement cette uniformisation, cet anonymat où l’homme n’est plus considéré que comme une force de travail et non dans sa dignité, dans sa dimension humaine. La négligence vestimentaire et lexicale reflète ce manque de reconnaissance sociale qui pousse l’homme à se dévaloriser et à ne plus accorder d’importance à son apparence.

« Autrefois » (page 42) montre bien que le monde que connaissait Archibald n’existe plus, ou qu’il est si éloigné et si clos qu’il n’a pas de réalité pour les ouvriers.
« Le mur affreux » sépare donc deux mondes éloignés socialement et temporellement.
Archibald en transgressant l’interdit de sa classe déclenche à la fois sa propre perte et celle de son monde.
Il a créé une faille dans son univers et tout s’est effondré. Le geste d’Archibald entraîne sa perte puisqu’il lui est impossible de réintégrer son monde, disparu.
Le mur serait une métaphore du fossé séparant les classes dominantes et les classes dominées. Ce fossé semble infranchissable puisqu’une fois franchi, il entraîne la disparition, la déchéance du monde quitté.

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UNIVERSITE de GENEVE, Faculté des Lettres, E.L.C.F.

Texte présenté par Mmes Manuela OLIVEIRA et Céline RENAULAUD dans le cadre du séminaire de Méthodologie Littéraire du D.E.S.F.L.E.

Professeur : M. Jean-Louis Beylard-Ozeroff

"Je dis qu'il faut apprendre le français dans les textes écrits par les grands écrivains, dans les textes de création ou chez les poètes et non pas auprès de documents qui portent déjà le rétrécissement du sociologisme, le rétrécissement des médias." Michel HENRY